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Full text of "Magazin Encyclopédique : ou journal des sciences, des lettres et des arts"

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ENCYCLOPÉDIQUE, 


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JOURNAL DES SCIENCES, À 
DES LETTRES ET DES ARTS,/ ° 

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PAR À L MILLIN, 
* Membre de V'Ixsorrur et de 1 Lécrox D'HONNEUR, Conservateur 
+" des Médailles, des Pierres gravées et'des Antiques de Ta Bi- 


-bliothèque Impériale , Professeur. d’Archæologie , Membre de 
PAcadémie de Coctlingue, ele, etc: 


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- Prix de ce Journal, tant pour Paris que pour Îes 
Départemens, franc de port: 


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… pour trois mois;sL 4. esse... 9 francs. 


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de 1% POûT SHRMOIS ; see doses ge se de. 18 francss 

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Les hommes les plus célèbres dans chaque partie des’ 
‘Sciences et de la füättérature, se sont. Hu à  Coopérer 
. à cette entreprise utile, et Ja coliection des neuf années 
du Mugasin Encyclopédique est devenue précieuse, en ce | 
qu'elle présente une réunion de Mémoires intéressans, 

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qui ne se trouvent point ailleurs, ét dont les Auteurs 
‘jouissent d’une grande réputation. On y trouve, en effet, 
dés Dissertations, des Mémoires, ou des Opuscules de 
MM: Arreenr, Barnier, Bans1£ pu Boccace, Bar-. 


MHELEMY, Basr, Bicuar, Carsnarn, Cavanircers, 
“CuarpoN za Rocmerre, Cuvrier, Dauxenron, Dezirrz, : 


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BIBLIOGRAPHIE. 


Suite de [a Généalogie des Impri- 


meurs sortis de la famille des El- 
DEVIS “ ÿh 

HA Po ÉSTE. 
Opusoules en vers et en prose ; par 
Marie J, 3. Victorin-Fabre. 39 

PHYSIQUE. 

Expériences el observations sur lad- 
hésion des Molécules de l’eau en- 


( 


tre elles ; par le comte de Rurm- | 


ord, 


59 
LANGUE GRECQUE, 


Bibliotheca critica; édit. ÆWiften- | 


bachs 72 
VosrAGrs. 


Observations recueillies dans un} 
voyage par une parlié de la Suè-. 


de, pendant l'été de lannéé 1799; 

par Jean-Georges Eck, fils (en al- 

Teinand ). 86 
MÉLANGES 

Suite des lettres inédites de Peirese, 


communiquées à M. Millin par M.- 


Fauris-Saint-V'incens, 
VARIÉTÉS, NOUVELLES ET , 
CORRESPONDANCES LITTÉRAIRES. 


Nouvelles des États autrichiens, 156 
=— de Bavière. 158 
_— des Etats prussiens. Ibid. 


109 


— de Danemarck. 165 
— de Russie. Jbid. 
— du royaume d’Itakie, Ibid. 
= d'Espagne. 241 


164 
-165 
Ibid. 
167 


— d'Afrique. 
— de Sardaigne. 
— de France. 
— de Paris. 
PHÉATRES 
Le Voyageur Fataliste, comédie en 
trois actes et en vers; par MChar- 


lemagne. 172 
Monsieur de Caroufignac ; par M. 
Joigny: Jbid. 


La prova di un opera seria {La ré 
pétition d’un grand opéra. 175 
Le Maçon poële, vaudeville-anecdole 
eu ui acte; par M. Simonnin Ib. 


Table des Articles contenus dans ce Nu 


1 Hortense , ox l'Ecole des Inconstanss / 
par MM, S.-Félix et Montreaus 174 
URI VRES DIVERS. + 
Re Sciences et Arts, : es 

Journal de Physique , de Chymie 

d'Histoire naturelle; par 3, C, de 
Lamétherie. NÉ RES 275 
Histoire naturelle. ©, 

Journal de la Société des Naturalis+ 


tes de l'Université imipériale de 


hymie et 


S 


Moscou 4e PCT LAURE 
; : Ar Bpolagies. Ne 0) 
‘Zoologie analytique, 07 Méthode na 


turelle de Classification des ani- 
maux, rendue plus facile à Paide 
de tableaux synoptiques; par AM... 


:\Constant-Duméril. =: 177. 
Journal des Mines ;. ou Recueil de: 


Mémoires sur lexploilation des 
mines; elc.; par MM. Coquebert— 

Montbret, Hauy, Vauquelin ; etce 

à Bofanique. 

Les Laliacées, par P. J. Redouté. 25, 
26 et 27°. livraisons. 184% 
Mémoires sur le lin de Sibérie ; sur 
le chanvre et sur la manièré de} 
à mblable au plus : 


rendre sa filasse se u pl 
Vapocin, etc.; par : 
Nes 


beaw lin; sur 
J. P, Buc'hoz, 
Genera. Plantarum ‘secundum cha= 
racteres differentiales ad Mirbelis 
editionem revisa et aucta, ‘edendz 
curavit Rom.-Ad. Hedwig: 1 bide 
- Physiologies, 7. XX." 
Essai sur une nouvelle théorie de Ta 
voix, ete. ; par R.J.H: Dutrochet. Ib« 
Chymic. : SENS 
Philosophie chymique, ou Vérités 
fendamentales de Ja Chymie mo= 
derne, ete. ; par A.F. Fourcroy. 187 
Corso: analitico di Chimica di CG, 
Mojon. 188 
Médecine. 

Tables chronologique et alphabétique 
des auteurs et des matières, pour 
les thèses in-4°,; etc, ; rédigées par, 


DL P, Sue. 139% 


MAGASIN 


BNCYCLOPÉDIQUE 


ANNÉE 1806. 


LOMME 0, 


MAGASIN 
ENCYCLOPÉDIQUE, 


JOURNAL DES SCIENCES, 
DES LETTRES ET DES ARTS; 


RÉDIGE 


PAR A. L MILLIN, 


Membre de l’Ixsrirur et de la Léc1on d'Honneur, Conservateur 
des Médailles, des Picrres gravées et des Antiques de la Bi- 
bliothéque impériale’, Professeur d’Archæologie , Membre de la 
Société royale des sciences de Goettingue, de celle de Turin, 
de celles des Curieux de la Nature à Erlang , des Sciences phy- 
siques de Zurich, d'Histoire naturelle et de Minéralogie d’Iéna, 
de l'Académie royale de Dublin, de la Société linéenne de 
Londres , des naturalistes de Moscou ; des Sociélés d'Histoire 
naturelle , philomathique, galyvanique, de statistique, médi- 
cale d’'émulation , de l’Athénée des arts de Paris, de l'Athénée 
de Lyon; des Sociétés des Sciences de Rouen, d’Abbeville, de 
Boulogne, de Poitiers, de Niort, de Nismes, de Marseille , 
d'Alençon , de Caen, de Grenoble, de Colmar , de Nancy, de 
Gap, de Strasbourg, de Mayence, elc. ; elc., elc, 


ANNEE 1806. 


TOME V. 


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DE L’IMPRIMERIE DE DELANCE, 
rue des Mathurins , hôtel Cluny. 


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MAGASIN 


ENCYCLOPÉDIQUE. 


BIBLIOGRAPHIE. 


Do nombre des Imprimeurs sortis de la 
famille des ELZÉPIRS. 


* Suite de l’article inséré au mois d'Aoùût 1806, pag. 313. 


8°. Jacob Elzéyir. 


Ex 1626, Jacob Elzévir donne à la Haye la 
able des sinus d'Albert Girard. Nous parlerons 
de cet imprimeur dans le catalogue des éditions 
données par les Elzévirs, à l’occasion de l’Aca- 
démie de l'Espée, de Girard Thibault, 1628, 
in-fol., ouvrage que Desselius, dans sa biblio- 
théque , dit être sorti ypis Elzevirianis. Nous 
ne connoissons point de ce Jacob Elzévir d’autres 
livres que cette table des sinus. Quant à la per- 
sonne même de cet imprimeur , ou , si l’on veut, 
de ce libraire, il s’agit de Jacob, quatrième fils 
de Matthieu, et qui épousa à Leyde, le 11 octobre 
1620 , Sara Van L,oo, dont on ne trouve point 
la postérité dans les registres publics. 


6 Bibliographie. 
9°. Jean. 


La belle Zmitation sans date, un des plus jolis 
Elzévirs , le plus rare et même le plus cher (il 
s’est vendu 108 liv. chez M. de Cotte, en 1804), 
est imprimée : Lugduni (il n’y a point Batavo- 
rum ), apud Joh. et Dan. Elsevirios. Après ce 
titre , qui est gravé, suit un faux titre quiannonce 
que l'édition a été faite d'après le manuscrit au- 
tographe de 1441. D’après cette remarque, on 
a indiqué dans le catalogue de la bibliothéque du 
roi cette édition de Jean et de Daniel, comme 
étant de l’année 1441. Cette bévue singulière a 
été corrigée à la main sur un exemplaire que j'ai 
vu, par une autre faute. On s’est bien aperçu 
que le premier 4 étoit ridicule , on l’a effacé et 
on l’a remplacé par un 6, ce qui fait 1641. Comme 
on a voulu à toute force deviner la date de cette 
édition, Debure et presque tous les autres biblio- 
graphes, l’ont supposée de 1630. Voici ce qui 
les a induits en erreur. L'édition de Leyde, sans 
date , est calquée sur une assez jolie édition d'An- 
vers, donnée par Raphelange , en 1630, et l’é- 
pitre dédicatoire de Jean Bollandus, jésuite, àJean 
Smismannus, prieur des chanoines réguliers & 
Rubrävalle, est datée d'Anvers, du premier des 
calendes de juin 1630. Cette épitre, qui se trouve 
dans les deux éditions , a fait prendre la date de 
l'édition d'Anvers pour celle de l'édition des El- 
ZÉvirs. 

Celle-ci doit être bien postérieure à l’année 
1630. Dans le catalogue des livres de la biblio- 


Elzévirs. 7 


théque de Crevenna , in-8°., tom. 4, pag. 142, 
on attribue à Jean Elzévir le Danielis Souterië 
Palamedes, que l'on dit être de 1622. Il y a 
ici deux fautes. L'ouvrage fut imprimé en 1623, 
et il le fut par Isaac. Jean, fils d'Abraham , étoit 
né le 27 février 1622. Il est donc absurde de le 
faire imprimer l’année de sa naissance. En 1650, 
il n’avoit que neuf ans. En 1658, son père l’en- 
voya à Paris pour se former dans le commerce 
de la librairie , et il y demeura deux ans. Il y fitun 
second voyage en 1644, et revint dans sa patrie 
._ au mois de mai 1645, comme on le voit par les 
lettres de Sarrau , de Saumaise , etc. À cette épo- 
que, les deux chefs de la famille des Elzévirs, 
étoient Bonaventure , père de Daniel , et Abra- 
ham, père de Jean. Celui-ci fut remplacé à Paris 
par son cousin Daniel, qui y arriva au mois de 
novembre 1645. Il ne retourna à Leyde que vers 
le mois de mars de l’année suivante ; et quelque 
temps avant son départ, MM. Dupuy l'ayant 
rencontré chez un libraire , lui demandèrent sil 
n’étoit point chargé de la part de Gronovius de 
leur remettre des exemplaires du Tite-Live. Sur 
sa réponse négative , MM. Dupuy s’écrièrent qu'il 
étoit indigne qu’ils fussent obligés d’acheter un 
ouvrage à l'impression duquel ils avoient coopéré 
en fournissant d’excellens manuscrits de leur 
bibliothéque. Heinsius , qui étoit alors à Paris, 
et qui étoit même présent à l’entretien, crut de- 
voir prendre la parole , et pour justifier Grono- 
vius, auquel il écrivit tout ce détail, il dit que l’a- 
varice des Elzévirs avoit été cause que l’auteur 


8 Bibliographie. 

n'avoit pu donner à ses amis aucun témoignage 
de son attachement et de sa reconnoissance. Le 
jeune Elzévir ne put s'empêcher de rougir , et il 
promit à MM. Dupuy de leur envoyer les exem- 
plaires qu'ils demandoient. Heinsius ajouta que 
si le père et l’oncle du jeune Elzévir étoient assez 
impudens pour se refuser à cette dette d'honneur, 
il prendroit les exemplaires nécessaires chez le 
correspondant des Elzévirs, et les porteroit sur 
le compte que ces libraires avoient à régler avec 
lui. 

Il paroït par d'autres lettres que les deux jeunes 
Elzévirs avoient vu plusieurs fois MM. Dupuy, et 
qu’ils en avoient reçu le meilleur accueil. Leurs 
pères en font leur remerciment à MM. Dupuy 
dans les lettres de Grotius ad Gallos, qu’ils leur 
dédièrent en 1648. Dans l'épitre du Sénèque de 
1639 ; adressée au chancelier Seguier, qui pre- 
noit le plus grand intérêt à ce qui regardoit les 
Elzévirs, ils remercient aussi cet illustre protec- 
teur de toutes les bontés qu'il avoit témoignées 
à Jean Elzévir; Æ/zevirio nostro qui jam bien- 
nium apud vos degit, et qui fut chargé de lui 
présenter ce Sénèque. 

Daniel étoit né le 26 noyembre 1617. Jean, 
son cousin , épousa le g juillet 1647, Eva Van 
Alphen, fille d'un conseiller de Leyde, dont il 
eut entre autres enfans , Daniel , né le 14 avril 
1648 , et qui fut depuis vice - AmIRAL de Hol- 
lande. 

Jean fut d’abord en société avec Daniel ; mais 
ils ne commencèrent à imprimer qu’en 1652, 


Élaévirs: 9 
après la mort de leurs pères , et leur association 
ne dura que jusqu'en 1654 ou 1655. Il est donc 
démontré que l’Imitation sans date ne peut être 
antérieure à 1652, et ceux qui l’ont placée en 
1648 ou 1650, coté l'abbé Saas, se trompent 
‘évidemment. Elle ne peut être non plus posté- 
rieure à 1655. Sur le Molinæi Morum exemplar , 
Jean et Daniel s’intitulent Academiæ Lugduno- 
Batavæ typographi. Ce livre fut imprimé en 
1654, à peu près un an après la mort de Bona- 
venture et d'Abraham, et ce titre étoit sans 
doute une partie de l'héritage de ces deux frères 
qui étoient leurs pères. En 1655, Daniel se sé- 
para de Jean , et alla joindre Louis II qui s'étoit 
établi à Amsterdam. Depuis cette époque, Jean 
soutint seul l'imprimerie de Leyde, et lui donna 
pour ainsi dire un nouveau lustre. Dans les dé- 
lices de la Hollande , par Jean de Parival, Paris, 
1655 , in-12, on lit page 44, en parlant de l’A- 
cadémie de Leyde : « Dans la grande cour, du côté 
du nord , est l'imprimerie de M. Jean Elzévier , 
tant renommée dans toute la chrétienneté pour 
son beau caractère , et qui met derrière elle les 
plus glorieuses de ce siècle et des précédens. » La 
situation n’en pouvoit être plus avantageuse. Le 
Rapembourg , ou la rue sur laquelle étoit située 
l'Académie , était non-seulement la plus belle 
rue de la ville , mais de tout le pays. Il passe au 
milieu un canal fort large, bordé des deux côtés 
de grands arbres, et orné de huit ponts magni- 
fiques et de quarnitité de belles maisons. 

M. Joly, chantre de Notre - Dame, dit dans 


10 Bibliographie. 

son voyage de Munster : « Au bas du collége ( de 
Leyde , où il passa au mois d'août 1646) étoit 
en ce temps-là l'imprimerie des Elzévirs , qui 
n'est pas si belle que celle de Blaew (il parle du 
bâtiment ), quoique fameuse par Les bons livres 
qu’ils ont donnés. Leurs enfans et neveux l’ont 
transportée maintenant (l'ouvrage estimprimé en 
1670 ) à Amsterdam , et la rendent de plus en 
plus considérable. » Joly sortoit d'Amsterdam, 
où il avoit vu l'imprimerie de Blaew : «que l’on 
üent, dit-il, pour la plus belle de l'Europe. II 
y avoit des presses qui travailloient incessam- 
ment dans une longue salle basse , à un des bouts 
de laquelle il y a un cabinet pour les hommes de 
lettres et les correcteurs ; et à l’autre sont serrées 
toutes sortes de caractères, et même des langues 
orientales , lesquels il fait fondre chez lui. Sur 
cette salle est son magasin , de pareille grandeur. » 
Il paroît en effet que l'imprimerie de Blaew ap- 
prochoit beaucoup de celle de Plantin , la plus 
belle qui ait jamais existé, et dont on peut voir 
la description et l'éloge dans Maittaire. 

Saumaise , d’un caractère assez versatile , s’é- 
toit déjà réconcilié avec les Elzévirs ; et Jean fut 
sur le point de se brouiller avec Heinsius, à son 
occasion. Heinsius écrit au mois de mars 1652, 
à un ami , que Burman croit être Vossius , qu'il 
a été traité indignement par les Elzévirs ; que 
Jean s’étoit offert de lui-même d'imprimer un 
ouvrage d’'Heinsius ; que cependant l’édition n’a- 
vançoit point, et qu'il a découvert que ce qui 
a refroidi Jean Elzévir, c’est que Saumaise étoit 


Elzésirs. II 


attaqué dans cet ouvrage : « J'en fus outré , dit 
Heinsius ; les Elzévirs ont imprimé tout ce que 
Saumaise a écrit contre moi. Sur les plaintes que 
je leur en fis alors, ils me répondirent qu’ils 
n’étoient que marchands libraires, qu'ils n’é- 
toient point gens de lettres , et qu’ils n’entrepre- 
noient point de juger des ouvrages; qu'ils im- 
primeroient de même tout ce que je compose- 
rois contre Saumaise. Je le fais ; et en ne dé- 
signant Saumaise que sous le nom d’Æ/astor (oui, 
mais quelqu'un pouvoit avoir appris aux Elzé- 
virs que ce mot grec signifie le scélérat, l'exé- 
crable ); je prouve qu’il m'a calommié en disant 
que j'ai mal parlé de sa femme à la cour de 
Christine (il est certain du moins qu’il en parle 
fort mal dans ses lettres), et les Elzévirs refusent 
d'imprimer ma justification. Qu'ils y prennent 
garde ; ils savent tout ce qu'ils doivent à mon 
père , et vous pouvez les assurer (l’ami auquel 
il écrit étoit parent des Elzévirs ) qu'autant je 
leur ai rendu justice jusqu'ici (et pourquoi ne 
pas continuer? ) autant je peux leur nuire par 
la suite. Ils ont déjà assez d’ennemis , sans qu'il 
soit de leur intérêt de chercher à en augmenter 
le nombre. J'ai déjà chargé quelqu'un de me 
chercher un autre imprimeur, s'ils font quel- 
que difficulté. Mon honneur m'est plus cher 
que la vie, etc.» Saumaise mourut l’année sui- 
vante 1653; et par sa mort furent terminées 
toutes les querelles qui étoient le fruit de son 
caractère emporté , et du défaut qu'il avoit d’être 
un peu uxorius ; défaut d'autant plus dange- 


12 Bibliographie. 

reux pour lui et pour les autres, qu’il avoit une 
femme à prétentions, assez intrigante, et dont 
le caquetage faisoit naître tous les jours des divi- 
sions à la cour de Christine, que gouvernoït en- 
core un autre intrigant, Bourdelot , qui fit dé- 
sertér presque tous les savans étrangers que cette 
reine avoit attirés. Au reste, les Elzévirs d'Ams- 
terdam , plus prudens que ceux de Leyde, se 
lièrent avec Heinsius de l’amitié la plus étroite. 
Jean lui-même étoit fort excusable , et on con- 
çoit aisément tout l'embarras que lui donnoït le 
caractère de Saumaise , et la peine qu’il avoit de 
concilier les intérêts de deux savans qu'il étoit 
obligé de ménager. Il se réconcilia même avec 
Heinsius ; et en 1658, il le chargea de faire de 
sa part, à Gronovius, des propositions très- 
avantageuses, s'il vouloit se fixer à Leyde, et 
l'aider de ses travaux dans les belles éditions que 
Jean se PRARONERE de donner. Il est fâcheux que 
cet imprimeur n'ait pas eu le temps d'achever le 
projet qu’il avoit commencé avec le plus grand 
succès. Il mourut le 8 juin 1661, ayant à peine 
40 ans. Quoiqu'il n'ait exercé son art que pen- 
dant dix ans , plusieurs savans ont dit qu’il avoit 
égalé et même surpassé la gloire des plus célèbres 
imprimeurs. 

L'autorité de Burman nous fait croire que 
Vossius étoit allié de Jean. Je ne trouve cepen- 
dant point que celui-ci ait imprimé aucun ou- 
vrage de Vossius, qui préféra les Elzévirs d’Ams- 
terdam , par la seule raison sans doute qu’il fai- 
soit sa résidence dans cette ville. L'Aminta de 


Elzévirs. . 15 


1656 est dédié par Giovan Elsevirio, al molto 
magnifico signore Simone di Alfen, senatore 
della citta et republica di Leyden... Mio cugnato 
osservandissimo. Il lui dédie cet ouvrage, non- 
seulement comme parent, mais comme ami, de 
à amici piu intrinsechi. Le même Jean, en so- 
ciété avec Daniel , avoit dédié, en 1654, l’ou- 
vrage d'Arthur Duck, sur le droit romain, à 
Leon ab Aitzema, comme au protecteur des sa- 
vans en général , et au bienfaiteur des Elzévirs 
en particulier, En 1657, Jean dédia, pour la 
même raison , à Philippe Otton ab Herzelles , le 
Florus qué fieri potuit industriä recusum. Jean 
et Daniel dédièrent à Balzac ses œuvres diverses ; 
et dans l’épitre signée les Ælseviers, à Leyde 
2657, ils disent que M. Conrart, son ami, les 
a piqués d'honneur et les a engagés à donner un 
chef-d'œuvre de leur art, bien que du reste 
nous ne négligions, disent-ils , aucun de tous 
nos autres ( livres ). Nous vous rendons un in-12 
pour un in-40.» Ce fut à cette occasion que Bal- 
zac leur écrivit la lettre suivante , qu'on me 
permettra de rapporter ici à cause de sa singu- 


larité : 

A. MM. les ELSErIERS, marchands 
libraires et imprimeurs, à Leyde. 
Mess:eunrs, | 

Je vous suis obligé, et peut-être plus que 
vous ne pensez. Le droit de bourgeoisie romaine 


étoit quelque chose de moins que la faveur que 
vous m'avez faite, Car que croyez-yous que ce 


14 Bibliographie. 
soit d'être mis au nombre de vos auteurs? c’est 
avoir rang parmi les consuls et les sénateurs de 
Rome ; c’est être mêlé parmi les Cicérons et les 
Sallustes. Quelle gloire de pouvoir dire : Je fais 
partie de cette république immortelle ! j'ai été 
reçu dans cette société de demi-dieux ! En effet, 
nous habitons tous à Leyde sous un même toit. 
De (par) votre grâce, je suis tantôt vis-à-vis de 
Pline, tantôt à côté de Sénèque , quelquefois 
au-dessus de Tacite ou de Tite-Live ; et quoique 
j'y tienne peu de place, aussi bien qu'eux, je ne 
laisse pas d'y être fort à mon aise, et de m'y 
plaire en si bonne compagnie. Pour le moins, 
j'y suis tout entier, encore que j'y sois à l’étroit. 
Homère , notre patriarche, a bien été plus pressé 
que moi, et celui qui le logea dans une coque 
de noix ; étoit encore meilleur ménager de la 
matière dont il bâtissoit. L'art s’étend et se res- 
serre avec une égale louange de l'artisan. Il y à 
eu des ouvriers que les pyramides et les colosses 
ont mis en réputation. Il y en a eu qui se sont 
rendus célèbres par des bagues et des cachets. 
L'histoire ne parle-t-elle pas avec estime d’un 
charriot à quatre chevaux , qu'une mouche cou- 
vroit de ses ailes ? Puisque cela est, et que la 
perfection des ouvrages se trouve plutôt dans le 
bon usage de l’étoffe que dans sa profusion ; je 
n'ai garde de me plaindre que vous m'avez mis 
en petit volume; et pour n'être pas én-folio , je 
n’en suis pas moins , 
Messieurs , 
Votre bien humble et obligé serviteur , 
Bazzac. 


«1! 


Elzévirs. 19 

Le Quinte - Curce de 1653, que je crois de 
Jean et de Daniel, est dédié à Constantin Huy- 
gens de Zuiïlichem. Les Elzévirs qui signent l’é- 
pitre , lui dédient cet auteur, eleganter , nisi 
fallimur , ac tersè expressum. Ils font l'éloge de 
la protection que Huygens accordoit aux lettres , 


et disent que leur art seul conserve l’immorta- 


lité aux auteurs anciens, qui doivent être les mo- 
dèles et l'exemple de la postérité. On voit même 
qu'ils se flattoient, et avec raison, de participer 
un peu à cette immortalité ; et que la vue de la 
postérité entroit pour quelque chose dans leurs 
travaux et dans les soins qu'ils prenoient ; et c’est 
en effet ce qui seul peut produire des artistes dis= 
tingués. 

Je trouve quelques livres, surtout des cata- 
logues ; avec cette adresse : Hagæ comitis in 
officin& Elzevirian& op de Zael; où bien Hagæ 
comitis apud Joannem Elzevirium 1658 ; et sur 
un catalogue imprimé à La Haye en 1663, par 
Adrien Vlacq, on voit que le libraire Jacques, 
à Borreveld , étoit chargé de la vente librorum, 
quorum auctio habebitur in officinä Elzeviriana. 
Il paroït donc que Jean avoit une boutique ; et 
peut-être même une presse à La Haye, où ses 
héritiers continuèrent le commerce de livres 3 
mais sans y faire imprimer , ce qui peut être 
cause que ce catalogue fut imprimé par Viacq. 


10°. La veuve et les héritiers de Jean. 


Outre la Somme de Théologie de Cocceius, im- 
primée en 1662, nous trouvons encore le Ratio 


16 - Bibliographie. 

status barbarorum d'Helmfeld de 1668 , et même 
le catalogue de la bibliothéque de Leyde de 1674; 
imprimés : Lugd. Bat. apud Vidwam et Hæœredes 
. Joh. Elzevirii Acad. Typog. Au mois de mars de 
cette même année 1674, Grævius, qui étoit à 
Utrecht, prie Heinsius, qui étoit à La Haye, de 
remettre des exemplaires du Suétone aux héri- 
tiers des Elzévirs, heredibus Elzeviriants , ce 
qui ne peut regarder que les Elzévirs de Leyde, 
c'est-à-dire les héritiers de Jean, et en effet 
Heinsius écrit, le 8 mars 1674 , à Grævius de 
lui envoyer directement le Suétone que l’on doit 
rendre à la veuve de Jean Elzévir, laquelle s’é- 
toit plaint que cette édition de Suétone lui avoit 
été enlevée par la faute d'Heinsius. En rendant 
le Suétone à cette veuve, il espère qu’il en ob- 
tiendra l’'Arnobe. Le 21 avril, il marque qu'il 
lui a remis le premier de ces livres. 

On ignore l'année de la mort d'Eva van Al- 
phen, veuve de Jean. L'expression Aæredes Joh. 
Elzevirii feroit croire mal à propos qu'il s’agit 
ici de collatéraux, et que Jean ne laissa point 
d'enfans. Nous avons vu cependant qu’il en eut 
deux, et si on n’a point mis sur les livres dont 
nous venons de parler apud filios Johannis, etc. , 
c’est apparemment que Daniel et Abraham , mi- 
neurs à la mort de leur père, ne continuèrent 
point sa profession. Le premier mourut le 26 
février 1688 , avec le titre de vice-amiral. Johan, 
Daniel et Jacob, ses fils, moururent jeunes , et 
il ne laissa qu’une fille nommée Amarantha Ca- 
tharina, qui fut mariée deux fois, et qui mou- 

rut 


Elzévirs. (132 
rut sans enfans le 18 septembre 1703. On à cru 
que ce Daniel, vice -amiral, avoit été d’abord 
imprimeur ; mais On l’a confondu avec le Daniel 
d'Amsterdam , et il est à présumer qu'il ne s’oc- 
cupa Jamais du commerce de la librairie, que 
sa mère continua quelque temps. Abraham , frère 
de Daniel, et échevin de Leyde, paroît aussi 
avoir renoncé à l'imprimerie; et il est à croire 
que la veuve et les enfans vendirent leur impri- 
merie aux Elzévirs d'Amsterdam , qui, sur quel- 
ques ouvrages , paroissent comme ayant imprimé 
à Leyde. Abraham épousa Maria Vermeulen , 
dont il n’eut qu'une fille, qui mourut le 17 Mars 
1738 sans laisser d’enfans, 


11°. Pierre I, d'Utrecht. 


L'ouvrage de Benjamin Priolo , de rebus Gal 
licis , est imprimé Ultrajecti apud Petrum Elze- 
virium 1669 , comme on le voit au titre imprimé : 
car , au titre planche, on ne trouve que : Ex 
officiné Elzcviriané. L'année suivante , Pierre 
donne aussi trois autres ouvrages , et nous ne le 
voyons plus reparoître les années suivantes. Ce 
silence est suppléé par les lettres de quelques sa- 
vans, qui nous donnent du moins quelques dé- 
tails sur ce Pierre Elzévir. Il étoit fils de Pieter 
Elzevir et d’Annetje Dirk Justyn, petit-fils d’Ar- 
nout et de Jacomina Dubois, et arrière-petit- 
. fils de Matthieu, fils de Louis Ier. Pieter ou Pierre 
Ier. d'Utrecht, naquit en mars 1645. IL épousa 
10. Aletha van Beuthen, dont il n'eut que deux 


T, F. Septembre 18c0. B 


18 Bibliographie. 

filles ; 20, Sophie Luchtenburgh, dont il eut deux 
fils , Jonathan et Pieter, qui moururent sans al- 
liance , et deux filles. Il étoit conseiller à Utrecht. 
Au mois de mars 1669, Grævius écrit à Hein- 
sius qu'il a trouvé à Utrecht, où il demeure, 
un imprimeur qui consent à se charger des œu- 
vres posthumes du savant Meursius : « {s est Pe- 
trus Elzevirius, movebit præla , dès qu’ilauru reçu 
les manuscrits. » Ceci prouve que Pierre n’étoit 
pas un simple libraire comme on l’a conjecturé, 
mais qu’il étoit aussi imprimeur. L'édition traïîna 
en longueur sans qu’il y eût de la faute de Pierre. 
Louis XIV s’empara de presque toutes les villes 
de la Hollande, et entre autres d'Utrecht, en 
1672. Les vainqueurs, comme on le voit par plu- 
sieurs lettres de Grævius, se conduisirent dans 
les villes avec modération, mais les campagnes 
furent ravagées , et les manufactures détruites ou 
hors d’état d’être mises en exercice de long-temps. 
Un des ouvrages de Meursius étoit déjà imprimé; 
mais au milieu du trouble et des armes , on avoit 
peine à en rassembler les feuilles éparses de tout 
côté. Pierre fit sans doute des pertes considéra- 
bles par un suite de ce malheureux événement 
que l’histoire ne nous représente cependant qu’a- 
vec un éclat et une pompe qui nous éblouit et 
nous empêche d’en apercevoir toute l'horreur. 
Grævius, au mois d'octobre 1674, annonce à 
Heinsius que l’infortuné Pierre Elzévir alloit être 
obligé de vendre tous ses livres et toutes ses ta- 
blettes. Par une autre lettre , il paroït que la 
vente s’étoit faite, et qu’elle produisoit très-peu 


Elzésirs. 19 
de chose , parce que l'argent étoit fort rare. Je 
crois cependant que Pierre ne fit pas une vente 
générale, ou qu’il remonta depuis sa boutique 
et rétablit ses presses. On le voit en ce qu'au 
mois de juin 1675, Heinsius écrit à Grævius 
qu'il a vu Pierre Elzévir, et que celui-ci se plaint 
de ce que Grævius ne lui a pas encore envoyé 
la préface des antiquités de Meursius. Il s’agis- 
soit des Cretensia , ce. qui fait dire (lettre du 
mois de juillet ) à Heinsius , mécontent sans doute 
des délais de Pierre , que cet imprimeur est plus 
Crétois que les Crétois mème. Pierre avoit été 
fait conseiller d'Utrecht dès 1667. Cette même 
année, au mois de décembre, Grævius écrit : 
Petrus Elzevirius albo senatorum est adscriptus ; 
et peut-être cette dignité fut-elle cause qu'il fût 
un peu plus maltraité que les autres à la prise 
d'Utrecht : Periclitatur magnitudo principum , 
minuta plebs facili præsidio latet , comme le dit 
Phèdre, 

Pierre étoit parent des Elzévirs d'Amsterdam. 
Sept jours après la mort de Daniel Elzévir ( en 
1680 ), la veuve de celui-ci envoya un de ses 
fils à Utrecht pour recueillir la succession de la 
sœur de Daniel , qui étoit morte six mois aupa- 
ravant sans laisser d’enfans. Pierre, qui s'étoit 
déjà emparé de la succession , quasi ista hereditas 
sibi soli evenisset, reçut très - mal le fls de Da- 
niel, et le maltraita tellement, que ce jeune 
homme fut forcé de partir d'Utrecht le même 
jour qu'il y étoit arrivé, le 20 octobre 1680, 
et de s'en retourner à Amsterdam pour s'en 


20 Bibliographie. 
plaindre à sa mère et pour prendre avec elle les 
voies nécessaires pour faire valoir leur droit. 
Voilà ce que Grævius écrivoit à Heinsius au 
moment même où le fils de Daniel se rembar- 
quoit précipitamment. Nous ignorons la décision 
de ce procès, et nous ne trouvons plus aucun 
renseignement sur ce Pierre Elzévir. 


12°. Louis IT. 


Louis IT étoit fils d’fsaac et de Jacomina Van 
Svieten. Le g novembre 1639 , il épousa à Ro- 
terdam Adriana Bosman, fille d’un bourgue- 
mestre de Roterdam , dont il eut un fils nommé 
Louis et une fille nommée Barbera. Il avoit été 
capitaine de vaisseau. Meursius écrit, du 25 sep- 
tembre 1639 , que Louis se propose d'établir sous 
peu de mois une imprimerie à Amsterdam; mais 
je ne crois pas, dit-il, qu’il soit assez riche pour 
exécuter une pareille entreprise, à moins que 
ses oncles de Leyde, Patrueles Leydenses , ne 
viennent à son secours. Par ces oncles, il en- 
tend Bonaventure et Abraham , frères d’Isaac. 
Ce projet étoit même de plus ancienne date , et 
le même Meursius , dans une lettre du 12 octobre 
1657, marque à Vossius, qui demeuroit à Ams- 
terdam , qu'il a appris avec plaisir, de Louis El- 
zévir lui-même, que celui-ci se proposoit de s’é- 
tablir à Amsterdam. Le Baudii amores porte : 
Amstelodami apud Ludovicum Elzevirium 1658 ; 
mais sur la plupart des exemplaires on lit : Lugd. 
Bat. apud Franciscos Hegerum et Hackiuws. Le 


Elzévirs. 21 


nom du véritable imprimeur se trouve à la fin : 
ZLugd. Bat. typis Georgit Abrahami Vander- 
marse 1658 ; et il paroît que l'impression se fit 
seulement aux frais de Louis, d'Hegerus et d'Hac- 
kius. J'en dirois autant du Speculum tragicum de 
Dickenson Lugd. Bat. apud Ludov. Elzev. 1640, 
d'autant plus que cette édition est détestable. L’im- 
primerie d'Amsterdam ne prend consistance qu’en 
1640 , et cette année Louis donna dans cette ville 
l'ouvrage de De Forbes sur l'Apocalypse. Il tra- 
vailla seul les années suivantes jusqu’en 1655, 
que Daniel vint se joindre à lui. Crevenna se 
trompe en fixant le commencement de cette as- 
sociation en 1660. Les registres placent la mort 
de Louis le 21 juillet 1662. Il seroit difficile d’en 
fixer la date, si on ne consultoit que les adresses 
qu'on trouve à la tête de plusieurs ouvrages. Le 
Tite-Live, variorum, porte au premier volume 
la date de 1665, au second 1664, et tous deux 
apud Ludovicum Elzevirium. Le troisième, sous 
la date de 1664, ne porte que apud Danielem. 
Quelques ouvrages imprimés en 1664 portent 
aussi le nom de Louis, qu’on ne trouve plus, 
du moins sur les frontispices imprimés, passé 
1665. Crevenna, ilest vrai, ne fait mourir Louis 
qu'en 1669, et voici, je pense, ce qui l’a in- 
duit en erreur. Le Justin variorum fut donné en 
1659 , par Louis et Daniel. Une seconde édition 
de 1669 , calquée sur cette première, porte aussi 
au frontispice les noms des deux associés. Ce 
frontispice est gravé, et sans doute on a fait ser- 
vir la même planche , à la date près, qui aura 


22 Bibliographie. 

été rafraichie , et où l’on aura changé 1659 en 
1669. Cette manipulation , très-aisée à concevoir 
par ceux qui sont au fait de la gravure en cuivre, 
peut seule expliquer les difficultés que présentent 
les changemens de date ou d’adresse , soit de noms 
de villes, soit de noms d’imprimeurs, que l’on 
aperçoit sur les frontispices de plusieurs ouvrages 
des Elzévirs et autres imprimeurs. On a même 
souvent abusé de cette facilité qu’offrent les plan- 
ches de cuivre pour changer les dates et les noms 
et pour donner une ancienne édition pour une 
production nouvelle. Il n’en est pas de même des 
frontispices imprimés ; il faut les refaire entière- 
ment et les remettre comme en carton ou feuillet 
collé, à moins que, par un artifice encore plus 
grossier , on ne se borne à couvrir la vraie date 
par une bande de papier que l’on colle dessus, 
et sur laquelle on a imprimé la nouvelle adresse. 
La gravure en bois ne se prêteroit pas non plus 
à la première de ces impostures. 


19°. Daniel. 


- Daniel, fils de Bonaventure Elzévir et de Sara, . 


fille de Daniel Van Ceulen , fut baptisé le 26 no- 
vembre 1617. Il eut pour parain Daniel Hein- 
sius , et pour maraine Marcine , femme de Meur- 
sius. Il épousa Anna Baerningh, dont il eut six 
filles et deux fils, Louis et Daniel. La plupart 
de ses enfans moururent jeunes , et Heinsius le 
fils ( Nicolas) écrit, en décembre 1676 , à Græ- 
vius pour refuser d'être le parain de son treizième 
enfant, J'ai, dit-il , très-mauvaise main pour cela, 


Elzévirs. 29 


témoins vos enfans et ceux d'Elzévir que j'ai te- 
nus , et qui sont tous morts. Nous avons déjà 
parlé de Daniel et du voyage qu'il fit à Paris 
dans sa jeunesse, comme aussi de son associa- 
tion avec Jean , son cousin. Quelques difficultés 
qu’il eût avec ce premier associé, ou d’autres 
raisons que nous ignorons , l’engagèrent à quitter 
Leyde et à venir à Amsterdam se joindre à Louis. 
Il y passa en 1655. Son second associé mourut 
en 1662, et Daniel se vit chargé seul de tout le. 
travail, Les temps n’étoient plus si favorables , 
et si, dans les commencemens , il avoit eu lieu 
de se promettre les plus heureux succès , dans 
la suite les guerres qui ravagèrent la Hollande, 
les malheurs de toute espèce et les fléaux de tout 
genre qui vinrent aecabler sa malheureuse pa- 
trie, lui firent bientôt perdre courage. En 1678, 
il se plaignoit de ce que la misère du temps et 
la rareté du papier ne lui permettoient pas de 
se charger de quelques ouvrages très-importans. 
Cependant tout le monde s’adressoit à lui comme 
à un imprimeur Majorum Gentium , pour me 
servir de l'expression de Munckerus, lettre du 
mois de juin 1678 ; et il étoit vraiment afiligé 
de ne pouvoir répondre à la confiance des sa- 
vans et à l'attente du public. Il auroit bien voulu 
surtout compléter le Cicéron variorum, dont il 
avoit donné les épitres familières dès 1677. Les 
fàcheuses circonstances ou l’on se trouvoit l’em- 
pêchèrent de mettre la dernière main à cette 
grande entreprise. Il ne négligeoit cependant rien 
pour se procurer des pays étrangers ce qu'il ne 


24 Bibliographie. 

pouvoit trouver alors dans son propre pays. Il 
alla en Angleterre en 1674, en 1678 et en 1679 ; 
en France en 1662, 1669, 1679 , et sans doute 
à d’autres époques. En 1650, il étoit en Dane- 
marck au mois de novembre, et il fit plusieurs 
voyages dans ce royaume , où les Elzévirs, par 
une suite des services rendus à cette couronne 
par Lopez de Haro, jouissoient du privilége très- 
rarement accordé de l'exportation des cuirs. 

En juillet 1651, Graswinckelius ayant com- 
posé un livre dans lequel il prenoit la défense 
des rois et de l’infortuné Charles Ier,, Louis se 
disposoit à l’imprimer , lorsque l’auteur reçut 
une défense de rien imprimer contre le livre de 
Milton. Cette défense venoit des États de Hol- 
lande (autoritate publicé), qui craignoient, ainsi 
que le reste de l’Europe et la France même, jus- 
qu'à l'ombre de Cromwel. Ce qui. doit paroître 
étonnant, c’est que l’ouvrage de Milton venoit 
d'être imprimé par Louis, qui n’y avoit pas mis 
son nom, et qu'en même temps l'ouvrage de 
Saumaise, Defensio Regia, 1649 , aussi sans nom, 
étoit sorti des presses des Elzévirs de Leyde. Hein- 
sius écrit, au mois de juin, à Vossius tout ce qui 
venoit de se passer au sujet du livre de Graswin- 
kelius, et il ajoute que Milion n’est pas, comme 
on le croit, un homme de néant , et qui n’auroit 
eu d'autre mérite que sa science et l’avantage d’être 
soutenu par la faction populaire ; mais que Louis 
Elzévir l’a assuré que Milton étoit un homme 
d'une naissance assez distinguée , riche et vivant 
à la campagne, loin des affaires publiques. 


Elzévirs. 25 


Daniel ne négligeoit rien de tout ce qui pou- 
voit contribuer à relever son imprimerie et à 
étendre son commerce. On sait qu'il avoit pour 
correcteur de cette même imprimerie Zetterus, 
dont Carpzovius fait le plus grand éloge dans 
une lettre à Heinsius, où il en parle , non-seu- 
lement comme d’un savant, mais comme d'un 
excellent homme, de l'amitié duquel il paroït 
s’honorer. Vers la fin de 1659, Daniel, encore 
associé de Louis, s’adressa à Heinsius pour avoir 
des informations sur Curion, qui se propo- 
soit pour étre le correspondant des Elzévirs en 
Danemarck. Heinsius en écrivit à Schefferus, 
qui demeuroit à Upsal , ainsi que Curion. Schef- 
ferus fit réponse qu’il connoissoit Curion depuis 
13 ans; que c’étoit un homme intelligent et qui 
avoit beaucoup de conduite ; que l'Université d'Up- 
sal lui avoit confié le soin de sa bibliothèque et de 
son imprimerie ; et qu’enfin le roi lui avoit ac- 
cordé de grands priviléges. En conséquence, les 
Elzévirs accordèrent toute leur confiance à cet 
honnète homme , qui en jouissoit encore en 1667. 
Le 22 juillet 1662, Corvinus , qui a tant fait im- 
primer de dires chez les Elzévirs , leur envoie 
son ouvrage sur le digeste, dont l'Empereur Léo- 
pold lui a accordé le privilége le 13 mars de la 
même année. Louis et Daniel n’avoient pas be- 
soin de ce privilége ; mais l'ouvrage n’auroit pas 
pu, sans cette sauve-garde , se débiter dans l'Em- 
pire. Heinsius fut plus content des Elzévirs d’Ams- 
terdam qu'il ne l’avoit été de ceux de Leyde; et 
en 1662 il écrit à un jésuite d'Anvers qu'il a plu- 


26 Bibliographie. 

sieurs preuves de la bonne foi et de l'exactitude 
des Elzévirs : Multis argumentis Elzeviriorum 
fides ac sedulitas mihi perspecta est. Thomas 
Joly, libraire de Paris , étoit le correspondant de 
Daniel, et il l’étoit encore en 1672. Kœnig, li- 
braire d'Hambourg, l’étoit pour l'Allemagne en 
1666, et Daniel avoit d’autres correspondans à 
Londres, à Venise, à Rome et à Upsal, comme 
nous venons de le voir. 

En 1671, Daniel eut un procès avec Scheffer, 
et voici à quelle occasion. En 1659, ce fameux 
antiquaire fit imprimer à Upsal, chez Curion, 
quatre livres de Militié& veterum Navali , in-40., 
qu'il dédia à la reine Christine. Cette impression 
se fit aux frais de Janson. Quelques années après, 
en 1668 , Scheffer retoucha ce traité , le corrigéa, 
l'augmenta, et en fit comme un ouvrage nou- 
veau. Il en fit proposer le manuscrit à Daniel El- 
zévir par Heinsius, en lui disant que ce libraire 
trouveroit avec lui toutes sortes de facilités , et 
qu’il en passeroit par toutes les conditions qui 
seroient exigées de lui, pourvu qu’elles ne fus- 
sent pas impraticables ; seulement le libraire se- 
roit obligé de faire faire de nouvelles planches ; 
que, pour lui Schefferus, il ne demandoit qu’un 
petit nombre d'exemplaires pour toute récom- 
pense de son travail. Plusieurs voyages et d’au- 
tres affaires de Daniel retardèrent l'impression. 
Scheffer crut y voir de la mauvaise foi de la-part 
de cet imprimeur, d'autant plus que celui-ci lui 
dit au bout de deux ans qu’il lui restoit encore 
quelques exemplaires de la première édition. » Il 


Elzévirs. 27 
auroit dû , dit Schefferus , me donner cette rai- 
son plutôt; pourquoi ne m’en a-t-il point parlé 
lorsqu'il s’est chargé de la seconde édition ? D’ail- 
leurs x s’il ne reste qu’un si petit nombre d'exem- 
plaires des 1,500 que Janson a fait tirer, la perte 
ne sera pas bien grande. » Mais c'étoit une dé- 
faite honnéte de la part de Daniel, que Meibo- 
mius avoit assuré qu'il alloit donner un ouvrage 
où celui de Scheffer seroit parfaitement réfuté. 
Scheffer , de mauvaise humeur, chercha alors un 
autre imprimeur , et fit ses conditions avec Waes- 
berge d'Amsterdam, à qui Daniel promit de re- 
mettre fidellement les dix planches déjà gravées, 
et de les céder au prix qu’elles lui avoient coûté. 
Cette édition n’eut point lieu, et en 1671, Ni- 
colas Witsenius, consul d'Amsterdam, donna 
un ouvrage de Architecturé navali novantiqué. 
Comme il traitoit la même matière que Scheffer, 
il avoit puisé dans les mêmes sources, et il s'é- 
toit souvent rencontré avec lui. Scheffer l’accusa 
de plagiat, et il accusa aussi Elzévir d’infidélité. 
Ce qui paroissoit même donner quelque vraisem- 
blance à cette double accusation, c’est que Da- 
niel avoit gardé long-temps le manuscrit de Schef- 
fer. Morrhofus et Jean Moller consignèrent les 
plaintes de Scheffer dans leurs ouvrages ; mais 
Moller ayant été mieux instruit depuis, se ré- 
tracta, et rendit à Witsenius et à Daniel Elzévir 
la justice qui leur étoit due. On trouve, à la tête 
de la bibliothéque de Fabricius , une lettre de 
Moller qui renferme une partie de ces détails, 
qu'il tenoit de Wetstein, célèbre imprimeur 


28 « Bibliographe. 
d'Amsterdam, qui étoit alors Domesticus Da- 
nielis, ce qui ne signifie que son commensal ou 
son apprenti. Pendant tout le temps que le ma- 
nuscrit de Scheffer demeura entre les mains de 
Daniel, Witsenius étoit à la Cour de Russie par 
ordre ds États, et ce savant homme, connu 
d’ailleurs par son mérite et son exacte HLObitee 
assura qu’il n’avoit eu aucune connoissance de 
l'ouvrage de Scheffer , soit imprimé, soit ma- 
nuscrit. Mais , encore une fois, il n’est pas sur- 
prenant qu’ils se fussent rencontrés; et ce qui 
seroit une preuve complète de plagiat dans des 
ouvrages de génie et d'imagination, n’est, à l’é- 
gard des ouvrages d’érudition , qu’un indice de 
recherches semblables faites dans les mêmes 
sources. l 

Menage, dans l’édition de ses poésies donnée 
en 1663, par Daniel, fait un très-grand éloge de 
cet imprimeur , dans une pièce qui se trouve page 


114. 


At, à dulce decus meum, Elzeviri, 
Præstantissime quot fuere, quot sunt 
Typorum pater elegantiarum 


. Sic decus Elzevirianum 
Doctorum volitans per ora vatum 
Terras impleat, impleatque cœlum, 
Turnebos simul atque Vascosanos, 
Et vincas Stephanos, Manuliosque. 


On ne regardera, si l’on veut, cette pièce de 
vers, et la lettre de Balzac que nous ayons rap- 


Elzévirs. 29 


portée, que comme un compliment de la part 
de Menage et de Balzac, dont l'amour -propre 
flatté par d’aussi jolies éditions de leurs ouvrages, 
exigeoit au moins en paiement quelque tribut 
d'éloges. L'autorité de Menage , en supposant 
même qu'il parlât ici sérieusement, n’est pas 
suffisante pour que son dernier vers termine les 
disputes qui pourroient s'élever sur le mérite des 
Etiennes et sur celui des Aldes. Nous avons parlé 
de celui des Elzévirs dans le premier paragraphe 
de cette introduction, où nous avons aussi exa- 
miné si les caractères qu’ils ont employé sont 
ceux de Garamond, comme l’assure M. Didot, 
ou si ce sont les caractères des Sanlecques,comme 
on le prétend dans les Epreuves des caractères du 
fonds des Sanlecques, Paris, 1757. 

La marque de Daniel et de son associé, étoit 
l'olivier avec Minerve qui tient d'une main son 
bouclier , et de l’autre, le ruban où est la devise : 
Ne extra oleas, que nous avons expliqu“- , et que 
les Etiennes remplaçoient quelquefois par celle- 
ci : Voli alium sapere. Dans le symbole des Elzé- 
virs, la chouette est au-dessous de la devise, et 
cet oiseau consacré à la déesse qui préside aux 
sciences , annonce encore des travaux faits dans 
le silence du cabinet, et que la nuit même in- 
terrompt à peine. 

Vers la fin de 1675, Daniel acheta des héritiers 
de Vossius les manuscrits de ce grand homme, 
ét se proposa, de concert avec Isaac Vossius son 
fils, de les donner au public. Les temps étoient 
néanmoins bien malheureux , et Cuper marque 


30 Bibliographie. 

à Heinsius, au mois de novembre de la même 
année , que tous les imprimeurs de Leyde et 
d'Amsterdam se plaignoient de la rareté du pa- 
pier et de l'extrême misère qui régnoit partout, 
Ces malheurs furent sans doute cause que Daniel 
n'imprima qu'un petit nombre d'ouvrages depuis 
1672 jusqu’à sa mort. A l'exception de l’année 
1678, où il imprima un assez grand nombre de 
livres italiens , il ne sortit, les autres années , que 
trois ou quatre ouvrages de ses presses. 

Outre la misère qui étoit extrème dans toute 
la Hollande, les maladies et surtout les fièvres 
commençoient à faire des ravages dans la ville 
d'Amsterdam. Vetstein, le père , fut emporté au 
mois de septembre 1679. L'année suivante, Da- 
niel Ekévir en fut attaqué, et le 12 octobre 1680, 
Grævius écrit à Heinsius : « Daniel Elzévir est 
malade de la fièvre, avec cinq personnes de sa 
maison. » Ces fièvres très-aiguës et très-dange- 
reuses emportoient tous les jours quarante ou 
cinquante personnes dans la seule ville d'Amster- 
dam. Daniel y succomba au bout de quelques 
jours : « Nous venons de recevoir aujourd’hui la 
triste nouvelle de la mort de notre ami commun, 
Daniel Elzévir, que nous avons perdu hier à 
midi, » C’est ce qu'écrivoit Grævius à Heinsius 
le 14 de septembre, et il ajoute : « La république 
des lettres fait une grande perte ; mais sa famille, 
dont une grande partie est aussi malade, en fait 
une bien plus grande. » Ces fièvres régnoient aussi 
à la Haye et dans une grande partie de la Hol- 
lande. La femme de Daniel en étoit attaquée, et 


Elzévirs. 51 
Heinsius lui-même étoit malade. Daniel Elzévir 
mourut donc le 13 septembre 1680 ; il laissoit des 
enfans, mais il ne paroît point qu’ils aient été 
imprimeurs, et Daniel passe avec raison pour 
le dernier de sa famille qui ait exercé cet art. 
On ne pouvoit refuser à Daniel la plus grande 
intelligence et le plus grand soin dans ce qui re- 
gardoit l'imprimerie et Le commerce des livres ; 
cependant sa succession se trouva très-embrouil- 
lée à sa mort. Ce que nous avons dit suffit pour 
prouver que ce fut moins sa faute que celle des 
temps : « Les affaires des héritiers paroissent 
très-embarrassées , » écrivoit Grævius, le 14 fé- 
vrier 1681. Il ajoute qu'il revient d’une campa- 
gne que les Elzévirs avoient dans les environs 
d'Amsterdam , et où toute la famille alloit passer 
le dimanche. Cette maison de campagne se ven- 
doit alors; et quoique Louis Elzévir y eût fait 
des embellissemens et de la dépense pour plus 
de 25,000 florins , elle fut adjngée à Wolzogen 
pour 7,000 florins : « On vendra aussi tous les au- 
tres biens de campagne des Elzévirs, ajoute Græ- 
vius. Je crains bien, écrivoit-il encore, en fé- 
vrier 1681, que Daniel n’emporte avec lui toute 
la gloire des Elzévirs, qu’on a vu fleurir pendant 
tant d'années, par un si grand nombre de belles 
éditions qu’ils ont donné. » Il apprend à Hein- 
sius qu’on vient d'imprimer un catalogue de livres 
qui devoient être vendus à La Haye ; et qu’à la 
première inspection, il a reconnu que c’étoient des 
livres des Elzévirs, ce qui lui a été confirmé de- 
puis. C’est encore une preuye que Daniel avoit 


32 Bibliographie. 

des boutiques dans plusieurs villes, à Leyde, 4 
La Haye, etc. Le 14 avril 168r , Grævius marque 
que les curateurs nommés à la succession de Da- 
niel, n’ont accepté que sous bénéfice d’inven- 
taire : « Cet événement, ajoute-t-il, désole tous 
les imprimeurs , qui craignent de perdre tout 
leur crédit, après ce qui vient d'arriver à Da- 
miel, qui hujus corporis princeps erat, ce qui 
fait, dit-il, qu'ils ne veulent plus faire d’entre- 
prises considérables ; d’ailleurs ils rassemblent 
‘leurs fonds de tous côtés, et les mettent en ré- 
serve pour la vente d'Elzévir, in qué Liviis, 
Senecis, Tacitis, Justinis Tulliisque ejus insi- 
diantur. » Enfin, la vente se fit vers le mois de 
juillet. On craignoïit que la rareté de l'argent n’y 
fit tort; cependant les livres des Elzévirs, du 
moins ceux qu'ils avoient imprimés, se vendirent 
240,000 francs. C’est ce que nous apprend Græ- 
vius, dans une lettre à Heinsius, du 3 août 1681: 
« Les livres imprimés par Elzévir ont été vendus 
très-chers : on en a retiré 120,000 florins. Van 
Syl a acheté votre Ovide et mon Hésiode. Blaew, 
Wetstein et leurs associés ont acheté le Cicéron, 

Je ne connois pas les autres acquéreurs. » 
Heinsius mourut peu de temps après cette 
vente. Il ne travailla, pour ainsi dire, pendant 
toute sa vie, que pour les presses des Elzévirs; 
et la gloire de ces imprimeurs étant comme éclip- 
sée à la mort de Daniel, Nicolas Heinsius ne sur- 
vécut pas long-temps à son ami, dont la perte lui 
fut très-sensible. Grævius lui écrivoit encore le 3 
septembre, et Burman, le père, croit qu'il y a 
une 


Elzésvirs. 33 
une erreur dans la date d’une lettré de Grævius à 
Heinsius, du 18 décembre, puisque Heinsius, dit- 
il, étoit mort depuis quelque temps.» Et, en effet, 
Pierre Burman II assure qu'Heinsius mourut le 
7 octobre 1681, à 61 ans. La vente de ses livres 
ne se fit néanmoins que le 15 mars 1683, et ellé 
se fit à La Haye. Son catalogue est curieux et 
recherché par les amateurs des éditions données 
par les Elzévirs, dont on trouve un très-orand 
nombre dans ce catalogue qu’ils n’ont cependant 
pas imprimé, 


14°. La verve de Daniel. 


Le Corpus juris civils, in-8°. de 1681, fut donné 
Amstelodami ; apud viduam Danielis Elzevirir, 
Cette veuve donna aussi, la même année, un 
ouvrage du P. Malebranche, intitulé : Æclair- 
cissement , etc., et il est à présumer que ce fut 
elle qui donna le Catalogus librorum qui in 
bibliopolio Danielis Elzevirii venales extant, et 
quorum auctio habebitur in ædibus defuncti. 
Amst. 1681. Jean Blaew fut associé de cette 
veuve pour l'impression du Corpus juris. Nous 
démontrons dans un autre paragraphe que toutes 
les Bibles et autres belles éditions qui ont été 
publiées sous le nom de Cologne , ne sont pas des 
Elzévirs, comme on l’a prétendu ; mais qu’elles 
furent données à Amsterdam, par les Janson- 
Blaew (ou Cæsius ). 


15°. Héritiers de Daniel. 


Sur l’ouyrage d'Amelot de la Houssaye : Tibère, 
T. V. Septembre 1806. C 


54 Bibliographie. 

discours politique sur Tacite, etc., in-40., 1682, 
on lit: Amsterdam, chez les héritiers de Daniel 
Elzévir. Par ces héritiers, en supposant que sa 
veuve Anna Baerningh ne fût pas morte à cette 
époque, on ne doit entendre que ses deux fils, 
Louis et Daniel. 


16°. Les frères Elzévirs. Fausse adresse. 


La Politique, ou Histoire abrégée de Guil- 
laume III de Nassau, est imprimée à Amster- 
dam , chez les frères Elzévirs, 1695. IL existoit 
alors plusieurs branches de cette famille. Il est 
difficile de spécifier dans laquelle de ces bran- 
ches l’art de l'imprimerie s’étoit conservé. On. 
doit mème supposer que cette famille se retran- 
cha uniquement dans le commerce de la librai- 
rie ; autrement , il existeroit d’autres ouvrages 
qui seroient sortis de ses presses. On pourroit 
dire la même chose de Pierre II et d'Abraham IT. 
Ajoutons que cette histoire de Guillaume IL est 
si mal imprimée, que je ne crois pas qu'aucune 
branche des Elzévirs eùt voulu se déshonorer par 
une production aussi médiocre. Je soupçonne 
donc que c’est un faux titre. 


17°. Pierre IL. 


Les Mélanges de Colomiès , in-12, sont im- 
primés à Utrecht, chez Pierre Elzévir, en 1692, 
selon le catalogue de la bibliothéque du roi. J'a- 
vois soupçonné d’abord que c’étoit une fausse 
indication, mais j'ai vu l'ouvrage, et je remar- 


Elzévirs. 35 


querai seulement qu’il est difficile de croire que 
ce Pierre Elzévir, qui paroît en 1692, soit le 
même qu’on a vu nommé magistrat à Utrecht 
en 1667, et qui n’imprime plus rien depuis 1670, 
Je crois donc qu'il s’agit plutôt de Pieter, frère 
de Jonathan , tous deux fils de ce Pierre I. 


Abraham II. 


Un Discours latin de Spanheim est imprimé 
à Leyde, chez Abraham Elzévir , et depuis cette 
année jusqu’en 1702, je vois paroître diflérens 
ouvrages chez ce même Abraham, et toujours à 
Leyde; ce qui prouve qu’une branche des Elzé- 
virs avoit continué de demeurer à Leyde, ou y 
étoit retournée. En 1700, il existoit au moins 
quatre Abraham Elzévirs. L'un d’eux demeuroit 
en effet à Leyde, où il étoit conseiller et échevin. 
Il étoit fils de Jean et d'Eva van Alphen, et frère 
de Daniel, vice-amiral de Hollande. Il y a quelque 
vraisemblance que les éditions dont nous venons 
de parler, furent imprimées par lui, ou du moins 
à ses frais, s’il n’étoit que libraire, comme je le 
crois. 


19°. Zsaac IT. Faux Elzévir. 


Les derniers Discours de M. Morus ( ministre 
protestant) portent sur quelques exemplaires : À 
Amsterdam, 1680, chez Isaac Elgévir, in-80. 
Ce n’est qu'une brochure très-mal imprimée et 
sur un papier détestable. L'édition paroît de Ge- 
nève ou de Charenton. Il y avoit néanmoins, en 


56 Bibliographie. 

1680, plusieurs petits-fils du premier Isaac êt 
d'Abraham, qui portoient le nom d'Isaac , lequel 
s'est conservé jusqu'à ce jour parmi leurs des- 
cendans ; mais ce seroit leur faire injure que de 
leur attribuer cette production. 


20°. et 21°. Gabriel et Louis. Faux Elzévirs. 


On peut dire la même chose d’une édition en- 
core plus pitoyable des Mémoires de la Roche- 
foucaulr, dont l'adresse est : 4 Amsterdam, chez 
Louis et Gabriel Elzévirs , sur l'imprimé, 1665, 
in-12, Il n’y a jamais eu personne dans la famille 
des Elzévirs qui ait porté le nom de Gabriel; et, 
outre que Louis, associé de Daniel, étoit mort 
avant 1665 , on peut dire que cet imprimeur au- 
roit rougi de voir son nom à une impression 
qui figureroit tout au plus dans la Bibliothéque 
bleue. 


Nous n'avons pas dessein de donner l'arbre gé- 
néalogique complet des Elzévirs, cependant nous 
croyons faire plaisir au lecteur en terminant ce 
paragraphe par un extrait de leur généalogie, et 
par la liste des personnes de la famille des Elzé- 
virs qui existent encore aujourd’hui (vers 1708, 
temps auquel cette notice a été commencée ). 


Elzévirs. 37 


eee 


TABLEAU des ELZÉVIRS, 
imprimeurs-libr. à Leyde, La Haye, Utrecht et 
Amsterdam, de 1592 à 1681. 


Lours I, ErzÉviR, marié vers 1564, 
paroît sur l’Eutrope de 1592, et sur 
Satyræ duæ en 1617, à Leyde. 


RSS | 


2°. Ægidius , 


1°. Matthys où Matthias, né en 1565, paroît sur le 


(Gilles) sur 


Stevin de 1618, avec Bonaventure; marié en 1591; | le Zénschot 
mort le 6 décembre 1640, à Leyde. de 1599, à 
La Haye 


1°. Jsaac, ma- 
rié en 1616, 
imprime de- 


2°. Arnoüt. 


3°* Abraham ,|4. Bonaven-|\5°. Jacob, ma- 


né 1592; me- 
rié en 1621; 


ture, en so- 
ciélé avec son 


rié en 1620, 
imprime en 


puis 1617jus- mort le 14| pére en 1618.| 1626, à La 
qu’en 1626, à août 1652, à} avec ÆAbra-| Haye. 
Leyde. Leyde. | ham , 1626; 
meurt 1652. 
LT TT Cr TT TN 
Louis II, ma-| Puerre I. Jean, né en|Daniel, né en 
rié en 1639 ; 1622 ; marié| 1617,vajoin- 
s’élablit à en 1647; im-| dre Louis en 
Amster. vers prime avec] 1655 ; meurt 
1640 ; meurt Daniel en | le 13 septem- 
en 1662. 1652;seulen| bre 1680. 
1655 ; meurt 
le8juin1661. 
LT CT Co 


Pierre II, con-| Daniel, vice- 


Louis el Da- 


seiller d'U-| amiral de | ziel n’impri- 
trecht,impr.| Hollande, ment point; 
en 1669 et| n’imprime mais leur 
1670. point , mais] mère Anna 
Eva van Al-| Baerningim- 
phensamère,| prim.en1680 
imprime def et 1681. 


1661 à 1674. 


38 Bibliographie. 
EzzériIrs actuellement existans. 


1°. Jsaac-Johannis , né à Amsterdam, secrétaire 
d'Harderwick ; il descend d'Isaac. 
20, Louis-Dithmer, fils du précédent. 
30. Isaac-Hermannus , officier de marine, de- 
meurant à Gorcum ; il descend aussi d’Isaac. 
4°. Jean-Jacob, né à Roterdam en 1746; il a été 
conseiller et bourguemestre de Roterdam, où 
il demeure ; il descend d'Abraham , ainsi que 
les trois suivans , qui sont ses neveux. 

bo. JIsaac-Jean, né à Roterdam en 1775. 

6°. Cornelis-Meindert, né à Berg-op-Zoom, en 
1776. 

7°. Thymon-Abraham, né dans la même ville, 
en 1777. 

80. Pieter-Johan, né en 1735 ; il descend d’Ar- 


nout, frère d’Isaac. 


Nota. L'introduction au Catalogue , encore ma- 
nuscrit, de toutes les éditions des Elzévirs, ren- 
ferme six paragraphes , dont celui-ci est le plus 
étendu. Dansles autres, on examine d’autres ques- 
tions que l’on peut faire sur les éditions données 
par ces imprimeurs, L'ouvrage entier auroit en- 
viron trois volumes in-8° ; il est terminé. 


J. F. A—Y. 


POÉSIE. 


OPvscuLESs en vers et en prose; par Mr. 
J.J. V'icTorin-FABRE. In-6°. Prix, 1 fr. 
80 cent., et 2 fr. 20 cent. franc de port. A 
Paris, au bureau de la Revue philosophique, 
rue de Grenelle, n°. 7, faubourg Saint-Ger- 
main ; chez Girard, libr., rue Saint-André- 
des-Ares, n°. 59; Debray, libraire, rue 
Saint-Honoré, barrière des Sergens ; Mar- 
tinet, libraire, rue du Coq-Saint-Honoré; 
Dabin, libraire, palais du Tribunat. 


Ox se plaint de la décadence de notre littéra- 
ture ; il faut peut-être en accuser le public au- 
tant que les auteurs. Nous avons des écrivains 
distingués dans plus d’un genre; et il devroit 
s’en former de nouveaux , car l'instruction est 
aujourd’hui plusuniversellement répandue qu’elle 
ne l’étoit autrefois. Mais le public, rassasié de 
chefs-d’œuvres , reçoit les nouveautés avec in- 
différence ; ou s’il les accueille quelquefois avec 
faveur, ses encouragemens sont plus funestes à 
la littérature que ses dédains même. Toutes les 
préférences sont de nos jours pour des ouvrages 
futiles , dont le mérite est aussi mince que le 
sujet. Un peu d'esprit tent lieu de tout ; les 
jeunes-gens qui, avec des études et du travail, 
auroient peut-être produit des ouvrages utiles 


40 Poésie. 

dans la maturité de leur talent, se livrent à la 
facilité de ces compositions éphémères ; et loin 
de passer leur jeunesse à acquérir des idées, ils 
se hâtent d’arranger des mots. Les uns perdent 
leur temps à coudre des scènes de vaudeville ; 
les autres, passant des écoles au rang des ma 
gister littéraires, épuisent leur savoir de col- 
lége dans des articles de journal. Les journaux 
et les petits théâtres me paroissent les premières 
causes de la frivolité de nos jeunes auteurs , et 
du peu de solidité qu’on remarque dans nos livres 
modernes. 

J'ignore si dans cette disposition des esprits, 
l'auteur des opuscules en vers eten prose, M. 
Victorin Fabre , a travaillé pour le succès en trai- 
tant des sujets qu’on auroit appelés importans au- 
trefois , mais qui n'auront peut-être pas aujour- 
d'hui le piquant du sujet de /a Gastronomie. 
L'indépendance des gens de lettres, l'influence 
des spectacles sur les mœurs et sur le goût, l’in- 
fluence même de l'amour , pourroient bien pas- 
ser dans nos cercles pour de vieilles questions 
métaphysiques , bonnes tout au plus dans le siècle 
passé. Autre temps , autres mœurs ; il restera 
toujours , quoi qu'il arrive, que M. Fabre a 
traité ces divers sujets ayec beaucoup de talent. 

Son discours sur l’indépendance parut il y a 
quelques mois ; divers ouvrages périodiques s’em- 
pressèrent de le recueillir. Les journaux en ont 
parlé avec éloge depuis qu’il a été réimprimé par 
l’auteur. Il seroit inutile d’en faire une nouvelle 
analyse ; je me bornerai à de courtes observas 


Mélanges. 41 
tions. L'auteur a mis au commencement de son 
discours le portrait de l’homme de lettres qui vit 
au sein de la nature et de l'indépendance. 


Affranchi des erreurs d’une vie inquiète, 

L'écrivain studieux, au sein de la retraite, 

Laisse couler en paix ses modesles loisirs. 

C’est là qu’exempt d’honneurs, libre de vains désirs, 

Au flambeau du Génie épiant la Nature, 

Il la surprend sans voile, el la peint sans parure. 

D'une tranquille étude il goûte la douceur ; 

Et la gloire pour lui naît au sein du bonheur. 

Il se fait un Olympe au-dessus des orages. 

Loin, bien loin sous ses pieds, un voile de nuages 
: Dérobe à ses regards ces flols tumultueux, 

Ces écueils que la foudre éclaire de ses feux, 

Cet Océan sans porls, où gronde la tourmente, 

Où, de l'ambition suivant l'étoile errante , 

Les crédules humains, fréles jouets du sort, 

Sans rame et sans boussole emporlés loin du bord, 

Se choquant dans la nuit au milieu des orages, 


L'un par l’autre brisés, confondent leurs naufrages. 
2 Do 


L'idée de cette dernière période depuis ce vers, 
loin, bien loin sous ses pieds un voile de nua- 
ges , etc., paroit avoir été donnée à l’auteur par 
un morceau très-Célèbre de Lucrèce (1). Le 
voici, suivi de la traduction de M. de Voltaire : 

Sed nil dulcius est, ben quäm munita tenere 

Edita doctrinà sapientum templa serena : 

Despicere undè queas alios, passimque videre 


Errare atque viam palantes quærere vitæ : 
Certare ingenio : contendere nobilitate : 


(:) De rer. natur. IL, 7-13, 


42 Poësie. 
Noctes atque dies niti præstante labore 
Æd summas emergere opes, rerumque potiri. 


Heureux qui, retiré dans le temple des sages, 

Voit en paix sous ses pieds se former les orages : 
Qui contemple de loin les mortels insensés, 

De leur joug volontaire esclaves empressés , 
Inquiels, incertains du chemin qu’il faut suivre, 
Sans penser, sans jouir , ignorant l’art de vivre, 
Dans l’agilalion consumant leurs beaux jours, 
Poursuivant la fortune , et rampant dans les Cours! 


Voilà, certes, de beaux vers, et les périodes 
latine et francaise sont construites avec beau- 
coup d'art. Mais il me semble que si on relit la 
période plus rapide et non moins élégante de M. 
Fabre, on y trouvera encore plus de chaleur et 
de poésie ; il me semble que dans ce nouveau 
concours, si l’on peut parler de la sorte, M. Fabre 
a mérité la couronne, soit par le choix pitto- 
resque des expressions : « Ces flots sumultuenx , 
ces écueils que la foudre éclaire de ses feux , cet 
Océan sans ports où gronde la torirmente, etc. ; 
soit par la nouveauté brillante des images, où de 
l'ambition suivant l'étoile errante ; et soit enfin 
par la hardiesse de cette figure qui, transfor- 
mant les mortels en vaisseaux battus de la tem- 
pête , nous les représente errans sur l’océan de 
la vie, sans rame et sans boussole , égarés loin 
du bord par l'étoile de l'ambition , et qui se 
choquant dans la nuit 4 milieu des orages, l’un 
par l'autre brisés , confondent leurs naufrages. 

Il n’est pas étonnant qu’une pièce pensée et 


Mélanges. 43 
écrite de la sorte ait paru à l'Académie mériter, 
selon les expressions de son secrétaire perpétuel, 
une distinction particulière ; « cette savante com- 
» pagnie lui accorda l’accessit qui n’avoit point 
» jusqu'ici été décerné par l’Institut national ; » 
et le morceau que nous avons cité fut très-ap- 
plaudi dans sa séance publique. On y applaudit 
encore davantage le portrait de Voltaire, et une 
belle comparaison du Rhône , transcrite dans la 
plupart des journaux. 


« Ce discours est suivi d’une espèce de dia- 
» logue des morts entre Voltaire et Rousseau, 
» de Genève, sur l'influence du théâtre, V'un des 
» sujets proposés par l’Institut. » 


M. Fabre entre du premier pas dans la discus- 
sion : il la traite sous le nom des deux célèbres 
rivaux d’une manière qui n’en dément point 
l'idée , et l’on croiroit volontiers y reconnoître 
avec leur philosophie quelque chose de leur tour 
d'esprit. Chacun d’eux a tour à tour l'avantage, 
comme cela devoit être entre deux hommes si 
supérieurs. Ainsi, lorsque Voltaire peint les 
émotions généreuses qu'excite quelquefois le 
théâtre , les sentimens vertueux qu'il inspire, 
et que citant à l’appui de son opinion les effets 
produits sur la scène par les tragédies sublimes 
de Corneille, il demande à son interlocuteur : 


à quoi donc se bornent, selon lui, les bienfaits 
d’un art, 


Qui par de simples jeux 
Fait de tant de vertus tout un peuple idolâtre ? 


44 Poésie. 


Rousseau répond : 


À montrer la vertu comme un jeu de théâtre, 
Qu'ailleurs sans ridicule on ne peut transporter, 
Et qu'il faut applaudir, mais non pas imiter. 

Sans doute il est aisé, sur les bancs d’un parterre, 
Honorant les vertus, et plaignant la misère : 
D'acquitter ses devoirs envers l'humanité. 

Mais cherchez dans le sein de la société 

Cette morale austère au théâtre applaudie : 

Non; l’on ne donne pas ici la comédie. 

Pourquoi leur demander des vertus et des mœurs ? 


Quel rôle ont-ils à faire? ils ne sont point acteurs. 


Si, au contraire, Rousseau, après avoir ainsi 
combattu les heureux effets qu’on attribue à la 
peinture de la vertu au théâtre , allègue le dan- 
ger d'y peindre le crime, et 


Ces passions sanglanlies 
SET : : , 
Qui d’un beau coloris sur la scène éclatantes, 
Ne s’y montrent aux yeux que pour les éblouir ; 
Et presque à leurs fureurs nous forcer d’obéir ? 
L’orgueil, l'ambition , la vengeance, la haine; 


Et ces grands scélérats... 


Voltaire l’interrompant aussitôt: 


Leur mémoire inhumaine 
Est offerte au théâtre ainsi qu'aux grands chemins 
Sont exposés les corps de fameux assassins, 


Pour imprimer au peuple un elfroi salutaire. 


Cette pensée est aussi neuve qu'elle est forte 
et énergique ; la vigueur simple de l'expressiqn 
concourt à lui donner encore un plus grand ef- 


Mélanges. 45 


fet, ce que nous remarquons seulement en pas- 
sant, car il nous est impossible de nous arrêter 
sur les détails. Ainsi nous ne parlerons pas des 
ingénieuses saillies de Voltaire ou des sarcasmes 
de Rousseau , semés avec esprit dans le dialogue. 
Mais nous rapporterons seulement cette réponse 
de l’auteur de Mahomet à la plus forte objection 
qu’on puisse faire contre le théâtre, au reproche 
de montrer quelquefois le crime couronné par 
le succès. Quelle leçon morale peut-il nous don- 
ner quand le crime triomphe, quand la vertu 


Voit contre elle le sort et le crime sunir, 


Quand tout jusques au ciel conspire à la punir. 


La réponse est difficilé, sans doute : Voltaire 
n’en est pas embarrassé. Il répond : 


C’est lorsque la vertu sur la scène trahie, 

S'y montre dans le deuil et dans l’ignominie, 

Que son triomphe éclate avec plus de grandeur. 

C’est lorsqu'elle gémit sous le crime vainqueur 
Qu'elle obtient sur le crime une pleine victoire. 

Son triste abaissement en éclipse la gloire ; 

Même dans ses revers elle sait nous charmer ; 

Et c’est là qu’il est beau de nous la faire aimer. 
Quand de succès, d’honneurs, de splendeur couronnée, 
Le bonheur et de gloire elle est environnée, 

Le cœur le plus pervers embrasse la vertu. 

Mais quand tout son bonheur sous le crime abattu 
N'a laissé que des pleurs que son chagrin dévore, 
Au théâtre on apprend à la chérir encore. 

On sent qu'il est un charme aux malheurs verlueux ; 


Qu'il n’est point de bonheur pour le coupable heureux; 


46 : Poésie. 
Que sa gloire est honteuse et son succès à craindre ; 
Et que dans son triomphe il est le plus à plaindre: 


Cet effet du théâtre et que lui seul produit, 
D'une leçon sublime est le généreux fruit. 
Quand parmi les mortels un sort illégitime 

De ses prospérités a revêtu le crime, 

Ses succès fastueux , sa pompe, sa grandeur, 
Abusent nos regards d’une ombre de bonheur : 
Quand d’iniques revers l'innocence ‘opprimée, 
Dans un gouffre de maux nous paroît abîmée, 
Sa honte, ses tourmens, ses affronts douloureux, 
D'un mortel désespoir semblent frapper nos yeux : 
Mais sur la scène enfin ce fortuné coupable, 

Ce juste malheureux, et que le sort accable, 
Forcés de nous ouvrir les replis de leurs cœurs, 
Détrompent nos regards de ces tristes erreurs. 
Nous lisons dans le cœur de la vertu souffrante 
D'une secrèle paix la douceur consolanie ; 

Et dans le sein du crime un remords dévorant 


Couvant le désespoir sous son calme apparent. 


Si Voltaire lui-même avoit fait cette réponse, 
il est à croire qu'on l’eût trouvée très-digne de 
lui. Le dialogue est toujours écrit avec autant de 
raison et d'esprit. Je désignerai cependant , d’une 
manière plus particulière , une belle analyse de 
Zaïre , suivie de la peinture aussi éloquente que 
poétique des effets que produisent au théâtre les 
orages et les disgraces de l'amour , morceaux les 
plus brillans du dialogue , mais trop longs pour 
étre cités; et le morceau plus court où M. Fabre 
peint en vers élégans les effets du théâtre sur Le 
goût, avec une justesse qui sembloit n’apparte- 


Mélanges.) 4% 


nir qu'à la prose. Qu'il nous permette de re- 
marquer. quelques imperfections dans un ou- 
vrage d’ailleurs très-soigné. Ce dernier vers pro- 
noncé par Voltaire : 


Même dans l’autre monde on tient à ses péchés, 


seroit un trait d'esprit d'autant mieux placé qu'il 
est bien dans la manière de ce poëte : mais si 
c’est dans l'Elysée que s’entretiennent Voltaire 
et Rousseau : l’autre monde est un contre-sens. 
11 falloit : même dans ce monde on tient à ses 
péchés. 


« Non; l’on ne donne pas ici la comédie. » 


non ; l’on choque l'oreille. Ce défaut devoit et 
pouvoit aisément s’éviter. 


Mais il est pour la scène un fout autre avantage. 


Cette expression n'est-elle pas trop prosaïque ? 
Je n’insistérai pas plus long-temps sur un petit 
nombre de défauts qui n’afloiblissent pas le plai- 
sir que fait la lecture de l'ouvrage. 


L'auteur fait dire à Voltaire, dans son dia- 
logue : 


La débauche triomphe où ne wit plus l'amour. 

Elle y commande , y règne; et seule, en un seul jour, 
Y commet plus d’horreurs , l’une à l’autre enchaînées, 
Que n’eût causé de maux l'amour en vingt années ! 
Oh! qu'ils aiment , nos cœurs de mollesse abattus, 


Qu'ils aiment ! nous aurons des mœurs et des vertus. 


Il a reporté ces vers à la tête d'an Æssaï en 


48 Poésie. 

prose, où il s'est proposé de les développer: 
Voici le début de cet Essai, intitulé : de l'amour 
et de son influence morale. 

« De quoi s'agit-il précisément dans cette te ? 
‘de montrer que l'influence attribuée dans ces 
vers à l'amour , n’est illusoire ni exagérée ; que 
cette influence est essentiellement heureuse et 
bienfaisante, faite pour conduire les hommes 
aux mœurs par le sentiment , et à la vertu par 
les mœurs ; que l'impuissance et la débilité d'âme, 
la fausse sagesse et les préjugés, qui nous em- 
pêchent d’éprouver dans son énergie le plus dé- 
licieux sentiment du cœur , sont parmi nous la 
cause de la débauche , de la perte des mœurs et 
des vices que leur ruine engendre ; vices non 
moins avilissans pour l'espèce humaine que mal- 
faisans pour la société. » 

J'observerai, avant de passer plus loin, que 
ce mot de note n’est pas celui qu'il convenoit 
d'employer ici. Cette inconvenance se fait d’au- 
tant plus remarquer que l’auteur y retombe à la 
fin de son Æssai : « Finissons , ditail, cette note 
» est déjà bien longue , trop longue, je m'en 
» aperçois ; le lecteur s’en apercevra bien davan- 
» tage, elc. » Certainement ce seroit trop long 
pour une 70/e ; maïs puisque l’auteur s’en est 
aperçu ;, pourquoi s’obstine-t-il à lui laisser ce 
nom? Il a reconnu lui-mème dans sa préface 
que.son ouvrage formoit un Essai, c’est donc un 
fissai qu'il falloit dire, un Éssai sur l'amour et 
sur son influence morale. 

Quoi qu’il en soit, on voit d’abord par le pas- 

sage 


Mélanges. , 49 


sage cité , que M. Victorin Fabre à divisé son 
sujet en trois parties bien distinctes, quoique in- 
timement liées entre elles, 

Ilentre en matière par urie définition de l’a- 
mour ; l’abus qu'on fait tous les jours de ce mot 
rend, dit-il, cette définition nécessaire,-Nous 
regrettons de n’en pouvoir citer qu'une partie. 
Après avoir distingué l’amour des feux passagers 
de l’âge , et des intrigues de galanterie, il re: 
cherche ce que dut être le penchant de l'amour 
dans l’état primitif de l’homme ; et il ajoute : 


« Lorsqu’enfin dans l’état social, l'homme, par 
5 le concours des lumières, sentit s’éveiller tour à 
ss tour les facultés de son esprit, et se développer 
» tous les penchans de son cœur ; lorsqu'il apprit à 
» réfléchir, à comparer, à juger; les grâces du 
# corps, les charmes de l'esprit, les qualités de 
5 l'âme, existèrent alors dans sa pensée. Il ne de- 
# manda plus seulement une femme, un objet créé 
# pour le besoin de ses sens : il chercha les attraits 
# dont son active imagination lui présenta l’image; 
» les agrémens de l'esprit dont le sien fut avides; il 
# chercha dans autrui les penchans qu'il sentoit en 
> lui- même, une âme qui se fit entendre à son 
# âme ; il chercha le cœur amant du sien. Le sien, 
# guidé par l'imagination, crut enfin le reconnoître ; 
# l'illusion par ses prestiges vint aussitôt confirmer 
» la voix de son cœfr; rassemblant dans un objet 
ss préféré toutes les perfections qu'il convoitoit 
» dans ses recherches, elle confondit en lui tous 
» ses vœux. Ses vœux, ses désirs, ses penchans, 
» l’idée qu'il s'étoit faite du honheur, tels furent les 
» élémens dont l’homme forma sa Pandore. L’es- 

T. F. Septembre 1806. D 


} 
5o Poésie. 

» poir vint encore l’embellir, l'enthousiasme la di- 
» viniser. Il tomba aux pieds de l’idole, et il Pa- 
5 dora. » 


C2 penchant ainsi développé, mille causes di- 
verses concoururent à établir son empire. D'abord 
le caractère mème de la passion , toujours active, 
inquiète , ardente. Lorsqu'elle est parvenne à son 
plus haut point d'énergie , elle modifie à son gré 
les diverses affections de notre âme , et s'empare 
seule du cœur. L'âge où il s'ouvre à l'amour 
concourt lui-même à donner plus d’empire à 
cette passion tyrannique. 


& C’est l’âge auquel l'homme s'achève, où il devient 
ss lui tout entier. L'homme physique vit, l’homme 
# moral est à naitre. Arbrisseau tendre et flexible, 
ss il cède sans effort au penchant qui l’entraïîne : dès 
55 lors son inclinaison est marquée, et la tige a pris 
» son pli. Des accidens étrangers à lui pourront bien 
» l'en détourner ensuite, et faire un jour violence à 
# son nalurel; mais tant qu'il restera ou redeviendra 
» lui-méme, il sera ce qu'il devient en ce moment.» 


C’est alors qu'il reçoit l'impression profonde 

de l'amour ; et, pour conserver l'expression éner- 

,  gique de l’auteur, que son âme naissante se plonge 
dans la passion et y prend pour jamais sa trempe. 


« Les facultés même de notre entendement ne 
s sont pas moins l'ouvrage dé la passion , ni moins 
» soumises à son empire que les affections dé nos 
» cœurs. En allumant nos désirs, elle provoque nos 
» recherches et prépare nos connoissances ; car où 
# seroit l'intérêt de connoître pour celui qui ne dé- 
» sireroit rien? Presque toutes les connoissances 


Mélanges. 5i 
# des hommes viennent des passions ; ; et par un 
# juste retour, nourrissent les passions qui les en- 
5 gendrent. Or, c’est d’après nos connoissances que 
5 se forme notre entendement; ainsi c'est par les 
s passions que la raison même se développe. Aussi 
s» la raison conserve-t-elle toujours, daas chaque 
ss homme, la teinte de la passion dominante qui 
> influa le plus sur ce développement. »s 


Il n’est guère possible de renfermer en si peu 
de lignes plus d'idées brillantes ou profondes, et 
surtout aussi bien enchaïinées les unes aux autres. 
Affirmer que c’est par les passions que la raison 
méme se développe ; ajouter que a raison conserve 
toujours dans chaque homme la teinte de la pas- 
sion dominante qui influa le plus sur ce dévelop- 
pement, ce n’est pas certainement marcher dans 
les routes battues. Ceux qui regardent les pas- 
sions comme les plus grands ennemis de la rai- 
son , ne verront ici que des paradoxes. Cepen- 
dant il seroit difficile de prouver que ce ne sont 
pas des vérités. Nous soumettrons seulement cette 
réflexion à l’auteur lui-même. Lorsqu'il dit que 
presque toutes les connoissances des hommes 
viennent des passions , ne confondsil pas les pas- 
sions avec les besoins? Ne sont-ce pas nos be- 
soins qui allument nos désirs, provoquent nos 
recherches et préparent nos connoissances ? Nos 
besoins deviennent très-souvent des passions, ré- 
pondrez-vous. Je le sais bien ; mais nos besoins , 
avant de dévenir des passions , n’allument-ils pas 
nos désirs et ne provoquent-ils pas nos recher- 
ches, etc. ? Au fond, cela n'empêche point que 


52 Poésie. 


la raison ne s'exerce et ne se développe encore 
par les passions ; la thèse de notre auteur reste 
donc la même. 

D'ailleurs , il n’a pas besoin de ce secours pour 
étayer son système ; car il observe très-bien que 
ce n’est pas le plus souvent par le raisonnement 
et les délibérations que l’on se détermine dans 
sa conduite , mais qu'on se laisse conduire au 
sentiment. Or ajoute-t-il, c’est à l’âge où le cœur 
s'ouvre à l'amour que les habitudes de l'âme com- 
mencent. 


« Ce temps est si doux! il passe si vite! Hélas! il 
# sembloit devoir durer toujours. Le cœur ne peut 
» non plus l'oublier que remplir le vide qu'il lui 
» laisse : il l’a vu fuir sans retour; mûis il le rap- 
ss pellera sans cesse; et du moins dans ses souvenirs 
+ il voudra le ressaisir encore. Ainsi ramené par la 
» pensee à l’âge des premières amours , l'homme, 
# toujours avide d'illusions, verra leur cours renou- 
» velé dans sa mémoire, et leurs impressions dans 
5 son Cœur. 

» Le bonheur qui n’est plus revit dans les re- 
 grels qu'il inspire. Le sentiment qui en fut la 
s source, son influence inaperçue, agit en secret 
# sur nos actions, et suit l’homme dans la durée 
» de sa vie, comme celte divinité invisible et pré- 
» sente, qui suivoit Ulysse à travers les dangers 
ss d’une longue navigation, et qui le remplissant de 
» son esprit dans les occasions difficiles, l’armoit 
s également contre le chant des Syrènes et les en- 
# chantemens de Circé. Oui, c’est en plus d’un 
s sens, c’est en plus d'occasions qu'on ne pense, 
» que l’homme qui réfléchit, et dont le cœur sut 


Mélanges. 53 


# aimer, peut dire : Ægrosco wveteris vestigia 
% flammeæ. 


L'influence de l'amour une fois démontrée, 
l’auteur retrace et analyse ses eflets moraux. Il 
trouve d'abord que l'amour éveille , anime et en- 
flamme notre sensibilité ; qu’il développe en nous 
le sentiment de l'humanité, et lui préte son ac- 
tivité brélante; et, toutes nos vertus , que sont- 
elles si ce n'est l'humanité diversement modifiée ? 
Les ardeurs de la passion donnent encore à notre 
âme un ressort et une énergie qu’elle n’auroit 
point connus sans cela. L'auteur conclut qu'il 
n’est rien de grand, de hardi, d'intrép'de où 
ne puisse atteindre l'audace et l'héroisme de l'a- 
mour. 

Présentant ensuite sa doctrine en exemple, il 
en fait en quelque façon l'épreuve , en traçant le 
portrait du jeune homme depuis le moment où 
il commence d'aimer jusqu’à. celui où sa passion 


parvient enfin par degrés à l'enthousiasme et à 
l'ivresse. 


& Qu'on le suive dès à présent dans le monde, 
# on connoîtra s’il est vrai que l’amour soit le contre- 
s poison des mauvaises mœurs, et si le cœur nourri 
5 d’un sentiment si pur arme les sens contre la dé- 
# bauche. Lui, pour qui l'estime et le respect, l’ad- 
»# miration , le sublime enthousiasme , ont été la 
» source et les premiers élémens de l'amour, lui 
» dont la passion ne fut qu'une longue idolâtrie, 
de quel œil verra-t-il aujourd'hui ces liaisons ab- 
jectes et grossières, où l’atirait des âmes est compté 
pour rien; où l’on se plait sans estime, où l’on 


+ 
” 


45 


54 Poésie. 

» se livre sans amour; où les cœurs toujours froids, 
# toujours morls, ne s'entendent que dans le mé- 
# pris du devoir et le goût du libertinage? Si, dans 
ss une erreur passagère , il cherche encore un cœur 
# fait pour le sien, s’il pense rallumer jamais ces 
5 transports , ce délire et ce ravissement céleste 
» qu'on ne goûte bien qu’une fois, rien ne répond 
» plus à son âme, l'illusion éteinte ne peut renaître 
», avec les désirs, et le dégoût naït bientôt de l’es- 
» pérance abusée. Son cœur trahi, mais détrompé, 
» se relire alors en lui-même; il se nourrit du 
» passé, et préfère les vains souvenirs de sa félicité 
» perdue, à ces voluptés mensongères, qui n’ont 
» plus de charme pour lui. » 


Mais l'amour ne nous défend pas seulement 
contre les pièges de la débauche; il nous en re- 
tire quelquefois. M. Victorin-Fabre en cite un 
exemple frappant et narré avec beaucoup d’inté- 
rêt. Conduit par son sujet à chercher les causes 
de la dépravation des mœurs, dont la première, 
selon lui , est /a ruine de l'amour , il termine par 
des peintures de mœurs aussi rapides qu'éner- 
giques. 

« On nous dit qu’il y avoit à Sparte une maison 
» fort obscure où l’on renfermoit-les jeunes filles 
» et les garçons à marier. Là, chacun prenoit pour 
+ épouse celle qui lui tomboit sous la main. Nous 
5 n'avons pas, il est vrai, dé maison de la sorte où 
> l’on renferme les jeunes gens et leurs maiïtresses , 
* pour donner le plaisir d'en changer; mais pour 
» ce qui est des mœurs, des rapports des goûts, 
» d’humeurs , de caractères , s'unissent -ils moins 
” parmi nous dans les ténèbres, et s'y marie--on 


Mélanges. 55 


# moins au hasard ? Comptant pour rien le pen- 
» chant du cœur, aux convenances de la société 
»# nous immolons celles de la nature. Les fortunes 
» et les conditions s’épousent, mais les âmes ne 
» s'unissent point. Les pères marient leurs filles , 
» c’est l’usage (1); faut-il s'étonner si c’est aussi 
» l’usage que les femmes trompent leurs maris 2° 

5 Dans des liens que le cœur repousse on sent 
» le besoin d’un nœud plus doux; on cherche un 
» amant, on le trouve; il est parjure, ou l’on s’en 
»# dégoûüte; on le remplace, il est oublié; bientôt 
#5 l’on en choisit un autre, et bientôt l’on ne choisit 
» plus. 

» Voilà les femmes qui parmi nous font l’édu- 
5 cation d’un jeune homme. Pour le trouver plus 
» docile à leurs leçons, elles enflamment et cap- 
» tivent ses sens avant que son cœur et sa raison 
» s’éveillent. Enervé de mollesse et dépravé par le 


(1) Qu'il est différent de celui-là l’usage antique et naïf 
de la malheureuse Formose ! Libre dans le choix de son 
cœur , le jeune homme, à la porte de sa maitresse ; alloit 
meler sa voix suppliante aux sons plainlifs d’un instrument, 
Si la jeune fille agréoit son hommage , elle accouroit sans 
honte lui offrir sa main et son cœur, et convenir avec lui 
des conditions du mariage. Alors on averlissoit les parens ;- 
ils préparoient le festin des noces , et donnoient la bénédic- 
tion paternelle à cet hymen de l'amour. Que de réflexions 
en foule doivent naître dans esprit du lecteur ! quelle 
noble simplicité chez un tel peuple! Il n’y a pas trente 
ans que Formose exisloit encore; elle est aujourd’hui pres- 
que enlièrement submergée. Mais dépuis combien de siècles 
cette touchante naïveté ,; cette candeur originelle, a-t-elle 
été submergée sur le continent ! Ah! n’enwions pas un dan- 
gereux usage ! salutaire et bienfaisant chez des hommes sim- 
ples, il seroit pour des peuples sans mœurs la source des 
plus horribles désordres. 


26 Poésie. 

» dégoût, il passe de la galanterie à la débauche s: 
+ il use dans les voluptés son éphémère jeunesse ; 
# au sein des jouissances stériles, son cœur toujours 
» vide, s'éteint, et le sentiment y est étouffé dans 
>» son germe, 

» Séduit par la mère, il apprend à corrompre 
# un jour la fille. Toujours soumis au caprice des 
#, sens avec un Corps sans vigueur ét un Cœur sans 
# flamme, il traine sa vieille enfance au milieu des 
5 plaisirs, du vice et de l'ennui; dans le mépris 


» des devoirs et l'ignorance de l'amour, qui auroit 
»# prévenu ses désordres, »s 


Je crois qu’on ne doit reprocher à l’auteur de 
cet essai que de ne lui avoir pas donné plus d’é- 
tendue. Lorsqu'on traite certaines questions, il 
faut écrire pour tout le monde; il ne suffit pas 
d'approfondir le sujet, ce qui se peut faire à la 
rigueur d'une manière assez rapide; mais il faut 
encore en développer les accessoires. M. Vic- 
torin-Fabre a renfermé, dans son Essai sur l’a- 
mour , les idées nécessaires pour former un ou- 
yrage bien plus étendu sur une matière si in- 
téressante. Il est à regretter qu'en supprimant les 
intermédiaires, il se soit trop souvent borné à 
peindre les résultats. Cette manière d’écrire est 
favorable à l’éloquence ; mais l'ouvrage ainsi 
traité a moins d'utilité réelle. 

On a pu juger du style de l’auteur par les ci- 
tations que nous avons faites. Un journal estimé 
a dit que M. Victorin-Fabre paroissoit avoir fait 
du style de Rousseau une étude particulière, et 
avoir souvent réussi à l'imiter. Il est vrai de dire 


Mélanges. 57 


que son style est plein de mouvement et de sen- 
sibilité , qu'il a beaucoup de coloris, et que l’har- 
monie de ses périodes annonce le poëte dont 
l'oreille est familiarisée avec le rombre poétique. 
Il y a véritablement plusieurs rapports entre ce 
style et celui de l’éloquent philosophe de Ge- 
nève , et il me semble que l’auteur du petit Essai 
sur l'amour n’est pas moins heureusement né 
pour l’éloquence que pour la poésie : sa prose 
a mème quelque chose de plus fini que ses 
vers. 

On trouve à la suite de cet Æssai une Elégie 
aux ménes d'une amie, où il y a beaucoup de 
sentiment et d'intérêt. Le passage suivant fera 
juger de la manière dont elle est écrite. 


Après deux ans d'absence enfin je te revois : 

Ton cœur vient tout entier dans le mien se répandre, 
L'amour même, l'amour dans ce cœur noble et tendre 
À la sainte amitié n’a pu ravir ses droits. 

Je retrouvai constante, et toujours plus chérie, 

Cette âme dont la mienne est encore l’amie, 

Mais, à fragilité de nos jours incertains! 

Ce n’étoient plus ce front et ces regards sereins, 
Cette vive gaîte, cette fraicheur brillante. 

Non; c’étoient les langueurs de la beauté souffrante : 
La douleur qui fanoit ton printemps dans sa fleur, 
Déjà sur ton front pâle avoit mis son empreinte : 

La mort tenoit sa proie ; elle éloit dans ton cœur: 
Tes languissans regards en révéloient l'atteinte. 

J'y lus de mon malheur l’obseur pressentiment. 

Je te dis : « Mon amie, ah! fuis, fuis cette rive; 


» Cet air empoisonné ie flétrit lentement. 


58 Poésie. 


» O Fanny ! ce n’est point sur le marais dormant 

» Que fleurit l’anémone ou la rose craintive : 

» À la douce chaleur du printemps de retour 

» S'entr'ouvre son calyce; et la fleur près d’éclore 

» Se nourrit d’un air pur, des rayons d’un beau jour, 
» De leurs plus tendres feux s’anime et se colore. 

» Belle au matin, le soir elle est plus belle encore. 
» Mais si d’un souffle impur elle se sent flérir, 

» Languissante, la fleur ne vivra qu’une aurore : 


» On la voit seulement se pancher et mourir. » 


; D. 


TS 


PHYSIQUE. 


EXPÉRIENCES et OBSERVATIONS sur 
l’adhésion des Molécules de l’eau entre 
elles; par le comte DE RUMFORD F. 
P. R.S., associé étranger de l’Institut 
national de France, etc.; lues à la séance 
publique de l’Institut, le 7 juillet 1806. 


Ox voit souvent de petits corps solides d'une 
gravité spécifique beaucoup plus grande que celle 
de l'eau, surnager à la surface de ce liquide : tels 
sont, par exemple, de très-petits grains de sable, 
la limaille très-Hine des métaux, et même de très- 
petites aiguilles à coudre, 

Un phéñomène si extraordinaire n'a pas man- 
qué d'attirer l'attention des physiciens. Il en fut 
question dernièrement à une séance de la pre- 
mière Classe de l'Institut ; et comme ce fait re- 
marquable est intimement lié avec un sujet de 
recherches qui m'occupe depuis long-temps, je 
rendrai compte à cette Assemblée de quelques 
expériences que je viens de faire dans la vue d'é- 

‘claircir ce sujet, et qui m'ont donné des résultats 
assez piquans, 

Soupconnant que la présence de l’air attaché 
aux surfaces des petits corps pesans qui surna- 
gent sur l’eau (et qui est généralement regardé 
comme la cause immédiate de leur suspension), 


60 Physique. 


? LI ‘ LA e. 
nest pas indispensablement nécessaire pour le 


succés de cette expérience, j'ai fait les recher- 
ches suivantes : 


ExPÉRrENce Jre. 


Ayant rempli d'eau jusqu'à moitié un petit 
verre à pied d'un pouce et demi de diamètre à 
son bord, je versai sur cette eau une couche 
d'éther vitriolique d'un quart de pouce d’épais- 
seur; et lorsque le tout a été parfaitement tran- 
quille, je pris avec une pince une très-petite ai- 
guille à coudre ; je l'introduisis dans l'éther , la 
tenant dans une position horizontale , et la por 
tant doucement jusqu’à la distance d'environ une 
ligne au-dessus de la surface de l’eau ; je la laissai 
tomber. | 

L'aiguille descendit jusqu’à la surface de l’eau, 
où elle resta flottante. 


ExpEerRrence Ilme, 


Ayant fondu de l’étain, je le versai dans une 
boîte sphérique de bois; et remuant fortement la 
boïte , le métal, en se refroidissant, fut réduit 
en une poudre qui fut passée ensuite au tamis. 
En examinant cette poudre avec une loupe , elle 
paroissoit composée de petits globules de diffé- 
rentes grosseurs ; mais ces globules étoient trop 
petits pour être distingués à la vue sans la loupe. 

Je pris sur la pointe d’une spatule une très- 
petite quantité de cette poudre métallique, et je 
la versai doucement, de la hauteur d’un quart 


Eau. 6x 


de pouce; sur la surface de l'éther qui reposoit 
sur l’eau contenue dans le verre. 

Cette poudre descendit en totalité à travers la 
couche d'éther , et arrivée à la surface de l’eau, 
elle y resta flottante. 


Expérience Illme, 


À yant versé une’ grosse goutte de mercure dans 
une assiette de porcelaine, je l'écrasai et en for- 
mai un grand nombre de petits globules. » 

Pour enlever et transporter un à un ces petits 
globules, je fis faire un petit instrument en forme 
de houe. C’étoit un fil d’archal de cinq pouces de 
long et d’une demi-ligne de diamètre, recourbé 
à une de ses extrémités à angle droit. La partie 
ainsi recourbée avoit deux lignes de longueur , 
et elle fut aplatie sous le marteau, et ensuite 
aiguisée et rendue un peu concave. 

Par le moyen de cet instrument, j'enlevai un 
petit globule de mercure d'environ un cinquième 
de ligne de diamètre, et le transportantavecsoin, 
je le portai dans la couche d’éther jusqu’à la dis- 
tance d'environ une demi-ligne au - dessus de la 
surface de l’eau , sur laquelle l’éther reposoit ; et 
inclinant ensuite un peu en avant le manche du 
petit instrument , je Bis couler doucement le glo- 
bule de mercure sur la surface de l’eau. 

Le globule ayant descendu jusqu’à la surface 
de l'eau, y resta flottant. 

Lorsqu'en tenant l'œil plus bas que la surface 
de l’eau, on regardoit le globule de bas en haut, 


Ga Physique. 


à travers le verre , il paroissoit comme suspendu 
dans une espèce de sac, un peu au-dessous du 
niveau de la surface de l'eau. 

Ayant placé un second globule de mercure sur 
la surface de l'eau, il ne tarda pas à se mouvoir 
vers le premier, et l’approchant avec un mouve- 
ment accéléré, il se précipita dans le même sac, 
qui devint pour lors plus long; mais les deux glo- 
bules ne se confondirent point. 

Ayant placé un troisième globule sur la surface 
de l’eau, il se joignit aux deux autres; mais le 
poids de ces trois globules réunis étant trop grand 
pour être soutenu par l'espèce de pellicule qui se 
forme à la surface de l’eau , le sac fut rompu , et 
les globules descendirent à travers l'eau jusqu'au 
fond du verre. 

Lorsqu'on fit l'expérience avec un globule de 
mercure un peu plus gros d'un quart ou un tiers 
de ligne de diamètre, par exemple, il ne man- 
qua jamais de rompre la pellicule de l’eau et de 
descendre à travers ce liquide jusqu'au fond du 
verre : mais lorsqu'on augmentoit la viscosité de 
l'eau, en y dissolvant un peu de gomme ara- 
bique, des globules de mercure plus gros encore 
furent soutenus à la surface du liquide. 

Un globule de mercure d'une grosseur propre 
à être soutenue par l'eau, sur sa surface, en y 
étant posé doucement , ne manquoit pourtant pas 
à se frayer une route à travers la pellicule de 
l'eau, lorsqu'on le faisoit tomber d'un peu trop 


haut. 
Toutes les expériences précédentes furent ré- 


Eau. 63 


pétées avec une couche d'huile essentielle de té- 
rébentine, et ensuite avec une couche d'huile 
d'olives, placée sur l’eau contenue dans le verre, 
au lieu de la couche d’éther , et avec des résultats 
semblables à tous égards. J'ai cru pourtant aper- 
cevoir que les globules de mercure qui restoient 
suspendus sur l’eau, étoient un peu plus gros 
lorsque la surface de l’eau étoit couverte par une 
couche d'huile, que lorsqu'elle étoit couverte par 
une couche d'éther ; et dans les expériences faites 
avec la poudre d’étain versée sur l'huile, les par- 
ties les plus fines de cette poudre, en très-petite 
quantité , surnagent à la surface de l'huile. 


ExPéR1ENcE IVe, 


Ayant trouvé le moyen de placer une couche 
d’alkool sur l’eau contenue dans le verre, de ma- 
nière que les deux liquides parurent être tout 
aussi distincts l’un de l'autre que lorsqu'on place 
une couche d'huile sur l’eau ; je versai, d'une 
très-petite hauteur, un peu de poudre très-fine 
d’étain sur l'alkool. 

Cette poudre descendit en totalité à travers la 
couche d’alkool, et ensuite à travers l’eau, sans 
avoir donné le moindre indice d'avoir trouvé de 
la résistance en arrivant à la surface de l’eau. 

Quoique cette surface parûüt à la vue très- 
distinctement, néanmoins, à en juger d'après la 
manière dont la poudre métallique desçendoit 
jusqu'au fond du verre , j'ai dù croire qu'elle 
n'existoit plus : et en effet, il étoit probable 


64 Physique. 

qu'elle étoit détruite par l'action chymique de 

l’alkool qui se trouvoit en contact avec elle, 
Pour pouvoir mieux examiner cette espèce 

de peau qui se forme à la surface de l'eau, je 

fis l'expérience suivante : 


ExPpERIENCE Vie, 


Dans un verre cylindrique, à pied solide, de 
14 lignes de diamètre et de 10 pouces de haut, je 
versai de l’eau très-limpide jusqu’à la hauteur de 
9 pouces et demi , et sur l’eau je plaçai une cou- 
che d’éther de 5 lignes d'épaisseur. Je plaçai en- 
suite sur la surface de l’eau plusieurs petits corps 
solides, qui y restèrent suspendus ; tels qu’un 
petit globule de mercure, quelques morceaux de 
fils d'argent extrêmement fin de la longueur de 2 
à 5 lignes, et un peu de poudre d’étaig. Quand 
le tout fut parfaitement tranquille, je pris le verre 
dans les deux mains, et le soulevant avec précau- 
tion , je me tournai deux ou trois fois autour de 
son axe, assez rapidement, le tenant dans une 
position verticale. Tous les petits corps suspen- 
dus sur la surface de l'eau tournèrent avec le 
verre, et s’arrétèrent ensuite avec lui ; mais l'eau 
liquide, située au-dessous de la surface, ne 
commença pas d'abord à tourner avec le verre 
qui la contenoit, et son mouvement de rotation 
ne cessa pas tout d’un coup , aussitôt que j'avois 
cessé de tourner le verre autour de son axe : 
enfin, toutes les, apparences annoncèrent qu'il y 
avoit une véritable pellicule à la surface de l'eau, 

et 


Eaii. 65 

et que cette pellicule étoit fortement attachée 

aux parois du verre, de manière à être forcée à 
se mouvoir avec elle. 

En exâminant avec une bonne loupe à travers 
la couche d’éther, les petits corps qui étoient 
soutenus à la surface de l'eau, on ne pouvoit 
plus douter de l'existence de l'espèce de peau 
dont il s’agit, surtout lorsqu'on la touchoit avec 
la pointe d’une aisuille; car dans ce cas on 
voyoit trembler tous en même temps les petits 
corps soutenus sur cette pellicule. 

Ayant laissé ce petit appareil en repos dans 
une chambre tranquille , jusqu'à ce que la cou- 
che d’éther qui reposoit sur l'eau fût entièrement 
évaporée , je l’examinai de nouveau avec la 
loupe. La surface de l'eau se trouvoit précisé 
ment dans le même état; les petits corps solides 
y étoient encore, et ils avoient conservé les 
mêmes places et les mêmes distances entre eux. 

Lorsqu'on fit cette expérience avec un verre 
cylindrique d’un diamètre beaucoup plus grand, 
les effets de l'adhésion de la pellicule de l'eau 
aux parois du vase sur les parties de cette pel- 
licule situées près de l'axe du vase étant moins 
sensibles , il étoit difficile d'empécher les petits 
corps pesans soutenus à la surface de l'eau de se 
réunir ; étant réunis , ils formèrent souvent des 
masses trop pesantes pour continuer à être sou- 
tenus; et ayant rompu la pellicule de l'eau, ils 
tombèrent au fond du vase. 

Si les molécules d'eau adhèrent fortement l’une 
à l’autre, une suite nécessaire de cette adhésion 


T. NV. Septembre 1800. E 


66 Physique. 


doit être, ce me semble, la formation d'une 
espèce de peau à la surface de ce liquide, et 


mème à touts ses surfaces, quelle que soit 


d'ailleurs la mobilité de ces molécules , ou plutôt 
des petites masses liquides composées d'un grand 
nombre de ces molécules , lorsqu'elles sont éloi- 
gnées de la surface , et qu'elles jouissent d’une 
flu'dité libre. 

Lorsqu'un petit corps solide , placé sur la sur- 
face de l'eau, se mouille , il se trouve aussitôt 
au-dessous de la pellicule de ce liquide, et cette 
pellicule ne peut plus l'empêcher de descendre : 
c’est pour lors que la viscosité de l’eau commence 
à se manifester d’une toute autre manière ; mais 
d'une manière infiniment moins sensible que lors- 
qu’elle agit aux confins du liquide : mais il n’est 
pas encore temps d'approfondir cette partie de 
notre sujet. : 

Dans la vue de rendre sensible la résistance 
qu'oppose la pellicule de la surface inférieure 
d'une couche d’eau à un corps solide qui traverse 
cette couche, tombant librement de haut en bas, 
je fis l'expérience suivante. 


ExP£eRI1ENCE Vime, 


Ayant rempli un petit verre à pied jusqu'à 
moitié environ avec du mercure très-pur et très- 
propre, je versai sur ce mercure une couche 
d’eau de trois lignes d'épaisseur, et sur l’eau 
une couche d'éther de deux lignes d'épaisseur. 

Lorsque le tout fut tranquille, je pris avec la 


Eau. 67 
petit instrument ci-dessus décrit , un globule de 
mercure d'environ un tiers de ligne de diamètre, 
et le fis tomber à travers la couche d'éther. 

Ce globule étant trop pesant pour être sou- 
tenu sur la pellicule à la surface supérieure de 
la couche d'eau, la rompit, et descendit à tra- 
vers ce liquide; mais arrivé à la surface infé- 
rieure, il y fut arrêté, et ÿ resta, conservant sa 
forme sphérique. 

Je remuai ce globule avec l'extrémité d'une, 
plume ; je le comprimai même ; mais il conserva 
toujours sa forme, sans se mêler avec la: masse 
du mercure sur laquelle il paroissoit reposer. 

Ce fut sans doute la pellicule de la surface 
inférieure. de, la couche d'eau qui empécha ce 
contact ; et comme cette pellicule étoit soutenue 
par le mercure , sur lequel il reposoit , je ne fus 
nullement surpris de trouver qu’elle pût soutenir 
sans ètre rompue, un globule de mercure beau- 
coup plus gros que la pellicule de la surface su- 
périeure de l’eau n’avoit pu porter. 

Pour m'assurer que c'étoit la viscosité de l’eau 
qui étoit la cause de la suspension du globule de 
mercure au fond de l'eau, je répétai l'expérience ; 
et la variai, en substituant de: l’eau contenant 
une certaine quantité de gomme arabique en dis- 
solution , à la place de l’eau pure , et je trouvai 
en effet que des globules beaucoup plus gros en- 
core étoient soutenus lorsque la viscosité de l’eau 
étoit augmentée par ce moyen. 

Pour démontrer ce fait d’une autre manière, 
je variai encore l'expérience en plaçant immé- 


68 Physique. 

diatement sur le mercure une simple couche d'é- 
ther. Les molécules de ce liquide paroissent avoir 
très-peu d'adhésion entre elles, et pour cette 
raison jimaginai que l'espèce de peau qui doit 
se former à ses surfaces devoit avoir très-peu de 
force. Les résultats de l'expérience ont pleine- 
ment conhrmé cette conjecture. 

Les plus petits globules de mercure que je fis 
tomber à travers celiquide , manquoient rarement 
de se méler aussitôt avec la masse du mércure en 
arrivant à sa surface, et de disparoitre entière- 
ment ; et je n'ai jamais pu réussir à faire surnaser 
sur l’éther , ni un globule de mercure, nile moin- 
dre atôme de la poudre métallique, ni aucun 
autre corps spéciliquement plus pesant que ce 
liquide. 

Les résultats de l'expérience furent sensible- 
ment les mêmes lorsque je substituai Falkool 
à l'éther. 

On sait que l'éther s'évapore très-rapidement. 
N'est-ce pas là une autre preuve que les molé- 
cules de ce liquide adhèrent les unes aux autres 
avec beaucoup moins de-force que les molécules 
d'eau? Mais l'expérience suivante constate ce 
fait d'une manière décisive. 

ExpPERIENCE Vllme, 


Ayant rempli de mercure jusqu’à moitié un 
petit verre cylindrique , je plaçai sur le mercure 
une couche d'éther de 4 lignes d'épaisseur , et 
je soufflai sur l'éther avec un soufflet ordinaire 


de cheminée. 


Eau. 69 

En moins d'une minute tout l’éther a disparu. 

Ayant fait une expérience semblable avec de 
l'eau au lieu d’éther, son volume ne fut pas 
sensiblement diminué dans une minute. 

Les objets que nous avons continuellement 
sous nos yeux depuis notre enfance , sont rare- 
ment les sujets de nos méditations, et à peine 
méme de notre attention. 

Nous voyons sans surprise d'immenses nuées 

de poussière enlevées par des vents, et portées 
fort loin , et nous savons pourtant que chaque 
particule de cette poussière est un véritable ro- 
cher, près de trois fois plus pesant spécifique- 
ment que l'eau, et d'un volume si grand que 
sa forme peut être parfaitement distinguée par 
le moyen d'un bon microscope. 
. Nous voyons aussi sans surprise que l’eau, 
qui est beaucoup plus légère que la poussière et 
composée de molécules incomparablement plus 
petites , n'est pourtant pas emportée par les vents, 
de la même manière. 

Pour nous convaincre que les molécules de 
l'eau sont fortement attachées les unes aux autres 
par l'adhésion, et qu'elles doivent l'être pour 
prévenir les plus grands désordres dans le 
monde, nous n'avons qu'à nous figurer les suites 
‘inévitables qui résulteroient de l’anéantissement 
de cette force d'adhésion. 

Les molécules de l’eau seroient enlevées et 
emportées par les vents avec infiniment plus de 
facilité que la poussière la plus fine et la plus 
légère : chaque vent fort et continu, venant de 


70 Physique. 


l'Océan, seroit l'époque d'une grande inondation ; 
la navigation seroit impossible, et les bords dé 
toutes les mers, de tous les lacs et de toutes les 
grandes rivières , seroient inhabitables. 

L'adhésion des molécules de l’eau entre elles 
est la cause de la conservation de ce liquide en 
des masses. Elle le couvre à sa surface d’une 
pellicule très-forte , qui le défend et l'empêche 
d'être dispersé par Les vents. Sans cette adhésion, 
l'eau seroit plus volatile que l’éther, plus vaga- 
bonde que la poussière. 

Mais cette adhésion est la cause d’autres phé- 
nomènes encore , qui sont de la plus haute im- 
portance dans l’économie de la nature. 

La viscosité qui résulte de l’adhésion des mo- 
lécules de l'eau entre elles, rend ce liquide 
propre à tenir en dissolution toutes sortes de 
corps, mème les corps les plus légers et les plus 
pesans, pourvu toujours qu'ils soient réduits à 
des particules fort petites. 

J'ai trouvé, par un calcul fondé sur des faits 
qui nyont paru décisifs, qu'un globule solide 
d'or pur , du diamètre d’un trois cent millième de 
pouce , seroit suspendu dans l’eau par l'effet de 
la viscosité, même lorsque ce petit corps seroit 
complétement mouillé et submergé dans une 
masse tranquille de ce liquide. 

Cette viscosité, ou manque de fluidité par- 
faite de l'eau, qui fait qu’elle tient suspendues 
toutes sortes de substances en dissolution , la 
rend éminemment propre à être le véhicule de 
la nourriture et des plantes et des animaux ; 


Eau. 71 
et nous voyons que c'est elle en effet qui remplit 
exclusivement cet office. 

Si l'adhésion des molécules d'eau entre elles 
venoit à cesser ; si la fluidité de ce liquide de- 
venoit parfaite, tous les êtres vivans périroient 
d’inanition. 

Qu'il soit permis de remarquer la simplicité 
des moyens que la nature emploie dans ses opé- 
rations. 

Qu'il me soit permis d'exprimer ici ma pro- 
fonde admiration , et mon adoration pour l'auteur 
de tant de merveilles. 


LANGUE GRECQUE. 


BIBLIOTHECA CRITICA. Vol. IIT, 
pars 111. — Amstelodami, apud Petrum 
Den Hengst. 1805. In-8°. de xxxvii] et 


I 79 pages. 


La seconde partie du troisième volume de cet 
excellent journal parut en 1790; ainsi quinze 
ans s’étoient écoulés depuis sa publication, et 
nous désespérions presque de voir compléter ce 
volume, Heureusement, à la prière du libraire, 
M. Wyttenbach s'est déterminé à lui fournir les 
deux parties qui manquoient encore. Il donne 
aujourd’hui la troisième, qui sera bientôt suivie 
de la quatrième. Ce critique , justement célèbre, 
nous laisse même quelque espérance, bien lé- 
gère pourtant, qu’il continuera ce journal pré- 
cieux , pour se délasser de travaux plus impor- 
tans; mais il ne prend aucun engagement avec 
le public, et surtout il ne veut plus s’assujétir à 
cette division des volumes en quatre parties ; 
chaque livraison qu’il publiera dans la suite for- 
mera un volume complet. Faisons des vœux pour 
qu'aucun obstacle ne s'oppose à l'exécution de 
ce projet. Nous avons beaucoup de critiques dans 
toutes les langues et sur toutes les matières; mais 
nous en connoissons peu qui, comme M. W yt- 
tenbach , apportent à ce travail, si facile lors- 
qu'on ne veut qu'amuser son lecteur, mais si 


Critique. 79 
difficile lorsqu'on veut l’instruire sans morgue , 
sans aigreur et sans partialité, des connoissances 
profondes dans les sujets qu’on traite , une mé- 
thode sage dans la discussion , de la sagacité pour 
découvrir les erreurs qui se sont glissées dans 
les textes anciens par l'ignorance ou la négli- 
gence des copistes , et une vaste érudition pour 
pouvoir les redresser. Longin, dans un passage 
qui sert d’épigraphe au livre dont nous rendons 
compte, remarque fort sagement que la saine 
critique est le dernier fruit d’une longue ex pé- 
rience (1). 
M. W yttenbach addresse cette troisième partie 
à son ancien ami, M. de Bosch ( amico eruditis- 
simo , Velerrimo , optimo), à qui nous devons la 
publication de l’élégante traduction de FAntho- 
logie grecque, par Grotius (2), et qui excelle 
‘lui-même dans la poésie latine. Dans cette épiître 
dédicatoire , ou plutôt dans cet entretien familier, 
M. Wyttenbach rappelle à son ami l’époque de 
leur liaison, en 1771, à Amsterdam, sous les 
auspices de M. Fonteyn, à qui MM. Valckenaer 
et Ruhnken l’avoient recommandé. Les détails 
de leur première entrevue chez ce respectable et 
savant vieillard (3), sont racontés avec tant de 


(1) 'H yep roy Asyay splois mods to Téipas TEAEUTE0V 
imiyeyyue. Chap. VI, du Traité du Sublime. 


(2) Nous en avons rendu compte dans ce journal, VI®. 
année, tom. I. 


(3) Voyez ce que nous en avons dit dans ce journal, V*. 


année, tom. IV, pag. 74. Il est mort octogénaire, le 8 août 
3788, 


74 Langue grecque. 

naturel et de vivacité , que le lecteur croit assis- 
ter à cette scène intéressante ; il croit entendre 
ces deux jeunes interlocuteurs; il prend parti 
pour ou contre leurs diverses opinions, et s’in- 
téresse d'autant plus vivement à eux , qu’il con- 
noît la carrière brillante qu’ils ont parcourue 
depuis cette époque. Dailleurs ce récit naïf , mélé 
de réflexions sages, en même temps qu’il nous 
amuse et qu’il nous instruit, nous fait concevoir 
une haute idée du caractère noble et franc de ces 
illustrès amis. Leurs amis communs , morts ou 
vivans, ne sont point oubliés. M. Wyttenbach 
paie à chacun le tribut d’éloges ou de regrets qui 
lui est dû , et l’on sent à chaque ligne que son 
cœur lui dicte tout ce qu’il écrit, et qu'il a beau- 
coup de plaisir à l'écrire. 

Chaque partie de la Bibliothéque critique est 
divisée en deux sections. Dans la première, on 
donne une analyse étendue des ouvrages dont 
l'auteur s’est proposé de rendre compte. Dans la 
seconde, qui a pour titre : Relationes breviores , 
on trouve une courte notice de quelques autres 
ouvrages et des nouvelles littéraires. Nous al- 
lons indiquer succinctement ce que renferment 
les deux sections dans cette troisième partie du 
troisième volume. 

M. Wyttenbach annonce dans le premier ar- 
ticle le texte, grec-latin, déjà publié à Oxford, 
de son édition des œuvres morales de Plutarque, 
en 5 vol. in-4°. et 10 in-8v. ; le commentaire et 
les index rempliront trois autres volumes in-40., 
par conséquent six in-8°. Le premier doit être 


Critique. 79 
à présent sous presse ; il paroîtroit même depuis 
long-temps, mais l’auteur n’a point voulu courir 
une seconde fois le risque de voir son travail égaré 
ou perdu dans le trajet, quoique court, de la Hol- 
lande en Angleterre, On sait que le premier envoi 
de ces notes resta pendant deux ans et demie en- 
foui dans un magasin de Hambourg , et que M. 
W yttenbach, découragé, n’osoit presque pas 
poursuivre son travail sur Plutarque. Il a donc 
pris le sage parti de faire faire une copie qui res- 
tera entre ses mains, de tout ce qu’il enverra à 
Oxford. 

M. Wyttenbach aura rendu aux lettres un 
service inappréciable en donnant une nouvelle 
édition des œuvres morales de Plutarque , ac- 
compagnée d’un commentaire quien facilite l’in- 
“telligence. Ceux qui ont lu les différens traités 
qui “e composent, savent qu’une érudition im- 
mense y est semée à pleines mains. L'éditeur est 
donc obligé, non - seulement de chercher dans 
les ouvrages venus jusqu'à nous , les passages 
que Plutarque cite, ou auxquels il fait allusion, 
de les rapprocher , de les comparer , de corriger 
les uns par les autres, mais encore de deviner 
pour ainsi dire, d’éclaircir et de redresser, par 
d’heureuses conjectures , ceux qui appartiennent 
à des ouvrages que Plutarque avoit sous les yeux, 
et qui n'existent plus pour nous ; et, certes, 
personne n'étoit plus en état que M. Wytten- 
bach de remplir cette pénible, mais glorieuse 
tâche. 

Le second article rend compte d’une disserta- 


76 Langue grecque. 


tion qui à pour titre : Diatribe de AnïsToxExO , 
philosopho Peripatetico , auctore Gurrezmo Lro- 
NARDO Maune, JÙ. Athenæi Amstelod. cive. 
ÆAmstelodami, typis Petri den Hengst. 1705, 
in-8°. de 219 pages. 

Cette dissertation élégante, d’un des disciples 
de M. Wyttenbach , est composée de trois cha- 
pitres. I. Vita Aristoxeni. II. De scriptis Aris- 
toæeni. IL. De scriptorum reliquiis. Son illustre 
maître, en approuvant le choix de son disciple, 
conseille aux jeunes littérateurs de prendre pour 
objet de leurs premiers travaux la vie et les écrits 
de quelque ancien écrivain, surtout de ceux qui 
ne sont pas venus jusqu’à nous , et dont il nenous 
reste que quelques fragmens. Obligés de lire avec 
soin les auteurs grecs et latins , ils acquerront 
une connoissance approfondie de la langue et de 
l'histoire de ces deux peuples célèbres, et pren- 
dront du goût pour l’histoire littéraire , dont l’é- 
tude est si importante, et si négligée. 

Dans le troisième article , on trouve l'analyse 
de la dissertation sur Panætius , dont nous avons 
donné un long extrait dans ce journal (4). 

Dans le quatrième, on examine l'ouvrage sui- 
vant, dû comme les deux précédens à un dis- 
ciple de M. W yttenbach. 

Puiz. Guir. Van Heuspe specimen criticum 
in Platonem, Accedit D. Wyrrensacunr Epistola 
ad auctorem. Item collationes codicum manus. 
Platonis, cum a D. Ruanrenio confectæ , tum 


(4) Année IX, tom. IV. 


Critique. m7 
aliæ. Lugduni Batavorum , typis Honkoopianis, 
1803 , in-80.. de 172 pages. : 

M. Van Heusde est cet heureux disciple de 
M. Wyttenbach, chargé de rédiger les notes 
laissées par Ruhnken sur les scholies de Platon, 
dont nous avons aussi donné un long extrait dans 
le Magasin Encyclopédique (5). Ce specimem 
criticum ; que nous avons lu avec beaucoup 
d'intérêt, nous a fait vivement applaudir au 
choix que MM. les curateurs de l’université de 
Leyde ont fait de M. Van Heusde: Nourri de 
la A de Platon, encouragé , dirigé par M. 
Wyttenbach , il peut non-seulement rédiger et 
suppléer le travail de Ruhnken ; mais encore 
nous donner une bonne édition des œuvres de ce 
philosophe , qui a mérité le surnom de Divin, 
par l'élégance continue de son style et le su- 
blime de ses pensées. M. Wyttenbach nous écri- 
voit, le 22 juillet 1805 : Futurus, ut speramus, 
Platonis sospitator , Philippus Guil. Van Heusde, 
quem Parisiis vidisti , edito specimine Plato- 
nico profectus suos eruditis valde probavit. Tous 
ceux qui liront ce specimen criticum in Plato- 
nem , seront de l'avis de M. Wyttenbach. 

Dans le cinquième article , le savant profes- 
seur de Leyde rend compte de l’ouyrage sui- 
vant : 

lanr orronis Szuirer Lectiones .Andocideæ. 
Interjectæ sunt Lud. Gasp. Valckenærit ineditæ 
Jo. Luzaci in Andocidem animadversiones : item 


(5) Année VI, tom. IV, et année VII, tom. I. 


78 Langue grecque. 

nonnulla ex codicibus manusc. excerpta. Lugd. 
Bat. apud Haak et socios , 1804 , in-8°. de xx 
et 288 pages. 

M. Wyttenbach examine encore ici l'essai 
d’un de ses anciens disciples , et il apporte à cet 
examen la sévérité dont un maître zélé doit user 
envers un disciple, qui, comme M. Sluiter , 
donnoit à 20 ans des espérances qu’il réalisera 
sans doute. Cet article, très-soigné , plein de 
conseils salutaires et de réflexions judicieuses , 
mérite d’être lu avec attention. 

On a vu par le titre de l'ouvrage de M. Sluiter 
qu'on y trouve des remarques inédites de Val- 
ckenaer. En effet, l’auteur nous donne, page 17, 
la réfutation que ce célèbre critique avoit faite de 
l'opinion de Taylor sur la harangue contre Alci- 
biade , généralement attribuée à Andocide, et 
que ce savant anglais prétendoit étre de Phœax 
mais il ajoute ensuite, en forme d’épilogue 
Hec a summo Valckenaerio in Adversariorum 
libros relata fuerunt æstate anni 1756 ad finem 
vergente; quæ si quis comparet cum Historia 
critica Oratorum Græcorum , duodecim post an- 
nos a Clar. Ruhnkenio edita (cum verba quibus 
uterque pariter utitur, in istis ÆAdversariis re- 
periantur) facile animadvertet, plura eorum , 
quæ a V’alckenaerio acceperat , in suos usus & 
Ruhnkenio, probante illo, fuisse conversa. 

Cette assertion hasardée contre un homme cé- 
lèbre a scandalisé, comme on le pense bien, M. 
Wyttenbach; aussi s'écrie-t-il, dans son indi- 


+ 
? 
. 
- 


Critique. 70 
gnation : Aæc dolemus Sluitero excidisse, in qui- 
bus et modestiam ejus et judicium desideramus. 
Quid aliud est mortuorum magnorumque famæ 
virorum labem adspergere , si hoc non estF Per- 
niciosus mos : et mature cavendus in juventute 
ab iis, quos ipsa sibi studiorum auspices elege- 
rit. Tales suspiciones ex adversariis venari et 
promere , minutæ invidiolæ speciem habet. Nam 
quod verbis quibusdam in eodem argumento uter- 
que pariter utitur , id vero arguere , est sane pa- 
rum acuti, nec ad criticam conjecturam exerci- 
tati. Itane Ruhnkentus illa levitate erat et doc- 
trinæ penurié ut res et verba Valckenario su- 
blegeret? Ruhnkenium si minus ipse cognovit, 
poterat ex utroque suo in litteris doctore audire 
quantus vir fuisset, quantumque uterque ill de- 
beret. 

La leçon est un peu forte , il en faut convenir; 
mais M. Sluiter avoit d'autant plus de tort de se 
permettre cette assertion peu décente, que Ruhn- 
ken lui-mème, après avoir répondu victorieuse- 
ment à Taylor, s'exprime ainsi, pag. LVII de 
son Histoire critique des Orateurs grecs, mise à 
la tête de son édition de Ruilius Lupus. Leyde, 
1768, in-8°. Huc accedit consensus viri præstan- 
cissimi et collegæ conjunctissimi L. C. Vaicke- 
narii, qui Taylorianas rationes iisdem, quibus 
nos, argumentis in adversariis suis oppugnarat. 
Il suit de cette déclaration , faite du vivant de 
Valckenaer, que ces deux illustres critiques 
combattoient le système de Taylor avec les mé- 


80 Langue grecque. 


mes armes , et qu'ils s’étoient mutuellement corri« 
muniqués leur travail, mais il ne s'ensuit pas: 
que Ruhnken se soit approprié celui que son ami 
avoit déjà fait sur cette matière , et qu'il avoit 
consigné dans ses Ædyersaria. Ils étoient tous les 
deux assez riches de leurs propres fonds, et si 
l'un avoit emprunté quelque chose de l'autre , il 
lauroit déclaré hautement. On peut appliquer 
à Ruhnken ce que, dans l'excellente dissertation 
sur Longin, il dit lui-même de cet habile rhé- 
teur qu'on accusoit d’avoir mis à contribution 
Denys d'Halicarnasse : Von tali siccitate ares- 
cebat ut ingenium alienis fontibus rigaret. 

. Quant à cette remarque plus qu’imprudente 
de M. Sluiter, que nous avons déjà citée : Cum 
verba, quibus uterque utitur, in istis Adversa- 
ris reperiantur , On peut répondre à ce jeune 
critique, qu'il avoue [ui-mème, page 17, que 
son nouveau maître, M. Luzac , ne lui a com- 
muniqué , qu'après l'avoir retouché , ce morceau 
de Valckenaer : Obtulit autem mihi Adversa- 
riorum istorum particulam , cum Ruhnkenio olim 
communicalam quam ut præfatus sum , inter 
pauca Valckenaeriana , habet Præceptor opti- 
mus Joannes Luzac eamque in aliquem ordinem 
redactam atque hic aut illic stilo expolitam ëz 
usus meos descripsit. Ainsi le lecteur ne peut pas 
juger de cette parité dans les expressions des deux 
auteurs, puisqu'il n’a pas sous les yeux le texte 
pur et original de Valckenaer. Du reste, nous 
devons savoir gré à M. Sluiter de nous avoir 


Critique. 81 
donné ce morceau précieux de critique, qui ré- 
fute complétement l'opinion de Taylor. 

Dans le sixième et dernier article de la pre: 
mière section , M. Wyttenbach rend un compte 
avantageux de la Lettre’ critique de M. Bast à 
M. Boissonade. Mais comme nous donnerons in- 
cessamment dans ce Journal une notice étendue 
de cet ouvrage intéressant, nous aurons OCCa+ 
sion de revenir sur celle de M. Wyttenbach. 

Passons à présent aux Aelationes breviores , 
qui composent la seconde section: M. Wytten- 
bach jette d'abord quelques fleurs sur la tombe 
des amis que les lettres et lui ont perdus. A 
leur tête est M. de Villoison , dont il fait un 
éloge touchant. Il l’avoit connu à Paris il y a 
une trentaine d'années, ainsi que MM. Larcher 
et de Sainte-Croix, et il n’a pas oublié l'accueil 
gracieux que lui firent ces trois savans, dont les 
deux derniers heureusement nous restent pour 
le bien des lettres et pour la consolation de leurs 
amis. Îl trouva dans leur société tout ce qui peut 
la rendre agréable , une érudition profonde qui 
rendoit leurs entretiens toujours intéressans , de 
la gaîté, de la modestie, et surtout l'honnéteté 
et la bonté. Attaqué d’une maladie grave, il fut 
mis, par M. de Villoison, entre les mains du 
docteur Lorry , qui cultivoit avec un égal succès 
son art et les lettres , et qui le traita, non comme 
un malade ordinaire, mais comme un confrère 
en littérature. M. W yttenbach se rappelle avec 
plaisir ces bons offices auxquels l'urbanité fran- 


TV. Septembre 1806. F 


2 Langue grecque. 


çaise donnoit un nouveau prix. Il en parle avec 
intérèt, et dit encore de nous ce que, dans Pla- 
ton, le Lacédémonien Mégille dit des Athéniens : 
Que ceux qui sontbons le sont éminemment (6). 
Il loue Villoison de son empressement et de son 
zèle à rendre aux savans étrangers qui venoient 
à Paris tous les services qui étoient en son pou- 
voir. Nous ajouterons qu’il étoit également obli- 
geant pour ses compatriotes. Cultiver les lettres , 
surtout les lettres grecques, étoit auprès de lui 
la meilleure recommandation. Ses conseils, sa 
vaste érudition , sa riche bibliothéque étoient tou- 
jours à la disposition de l’homme de lettres dans 
lequel il reconnoissoit un talent réel. Une amitié 
de 20 ans, qui n’a jamais souffert aucune alté- 
ration, nous à mis à portée de le bien connoître, 
et nous pouvons assurer qu'il fut un excellent 
ami. 

Après la notice sur Villoison, M. Wyttenbach 
en donne une courte sur Van Santen, mort, 
comme le premier, dans la maturité de l’âge , à 
53 ans, le 10 avril 1798. Poëte latin élégant , il 
nous préparoit une édition de Catulle pour la- 
quelle il avoit rassemblé des matériaux immenses 
en éditions , en collations de manuscrits ; etc. 
L'impression de son Terentianus Maurus étoit 
déja bien avancée, puisque quelque temps avant 
sa mort il nous en avoit déjà envoyé une partie 
qui remplit plus de 200 pages in-4°. Nous ap- 


ES js È sand M Ë LE 
6) às oros roy Alvaro tiviy ayaloi, diuQeporres ia 
roigror. Leg. 1, pag. 572, C. 


Critique: 83 
prenons avec plaisir qu'en mourant il à chargé 
un ami de terminer ce précieux travail. 

M. W yttenbach nomme ensuite honorablement 
trois personnes qui lui furent également chères ; 
Ruhnken, Schultens et Nieuwland ; mais il ren- 
voie le lecteur à l'éloge qu'il a fait de ces trois 
savans dans la Vie du premier, dont nous re- 
commandons la lecture aux jeunes-gens qui veu- 
lent faire des progrès rapides dans leurs étu- 
des (7). 

La nouvelle édition de l’Examen des Histo 
riens d'Alexandre , par M. de Sainte-Croix, et 
celle de la Traduction d'Hérodote, par M. Lar- 
cher, fournissent à M. Wyttenbach l’occasion 
de rendre une justice éclatante à ces deux ou 
vrages importans , le plus bel héritage que puis- 
sent laisser à la postérité leurs savans auteurs, 
et le plus beau titre de leur gloire littéraire. 

En annonçant la huitième partie de l’Onomas- 
ticum litterarium de M. Saxe, publiée en 1804, 
M. W yttenbach paie à ce vénérable nonagénaire 
le tribut d’éloges qui lui est dù, et il relève deux 
erreurs qui s’étoient glissées dans ce volume. M. 
Saxe dit, par exemple, page 314, que M. Jean 
Luzac hérita des papiers de Valckenaer, et la 
vérité est que tous les papiers et les manuscrits 
de ce célèbre critique sont encore entre les mains 
de ses héritiers, qui ont vendu seulement à M. 
Luzac les livres enrichis de notes marginales. 


(7) Vita Danielis Ruhnkemii, auclore Dan. Wyttenbachio. 
Lugd.-Bat. Honkoop , etc. 1799, iu-8°., 295 p. 


84 Langue grecque. 

Une nouvelle très-intéressante pour les lettres, 
c’est que la belle Bibliothéque bodléienne d'Oxford 
est aujourd’hui en possession des manuscrits de 
Jacques - Philippe d'Orville , enfouis depuis un 
demi siècle dans un coin de l'Angleterre, et sur 
lesquels on avoit de vives inquiétudes. Heureu- 
sement M. Banks, que nous avons eu le plaisir 
de connoître à Paris il y a quelques années , élève 
de M. Porson , l’un des plus célèbres hellénistes 
de l'Angleterre , et marchant dignement sur les 
traces de son illustre maître , les a achetés du 
petit-fils de d'Orville et cédés aux curateurs de 
la Bibliothéque bodléienne. Cette acquisition est 
d'autant plus importante, que d’Orville , jouis- 
sant d’une grande fortune et ayant visité Les prin- 
cipales bibliothéques de l’Europe , avoit fait et fait 
faire de nombreuses collations de manuscrits. Il 
a du laisser d’ailleurs beaucoup de notes sur dif- 
férens auteurs grecs et latins, et l’on craignoit 
avec raison que cette riche collection ne fut quel- 
que jour ou perdue , ou égarée , ou dispersée. Les 
sayans apprendront encore avec plaisir que M. 
W yttenbach prépare une édition des lettres latines 
de Ruhnken. Il invite ceux qui en auroient entre 
les mains à vouloir bien les lui communiquer. 

Nous rendrons compte de la quatrième et der- 
nière partie de ce troisième volume lorsqu'elle 
paroitra. Puisse-t-elle ne se pas faire long-temps 
attendre ! 

CHARDON DE LA ROCHETTE. 


P. 8, Dans l'Analyse que nous avons donnée 


Critique. 85 


de la Dissertation de M. l'abbé Morelli sur quel- 
ques voyageurs Vénitiens ( novembre 1805 ), il 
s’est glissé quelques erreurs. 


Page 86, ligne 8, lisez Brancaleone. 
89, —— 21, —— le discours de Liba- 
nius. 

—— 90, 2, —— Gradius. 
————— 4et5, —— quelques harangues 
de Démosthènes. 

Consilis. 


7 
Re  OEErid Sd 


VOYAGES. 


BEmMERRUNGEN auf einer Reise durch 
einen Theil Schwedens im Sommer des 
Jahrs 1799.— OBSERr ATIONS recueil- 
lies dans un voyage par une partie de 
la Suède, pendant l'été de l’année 1799; 
par Jean-Georges Æcx, fils. Léipsick , 
chez Tauchnitz. 1801. In-6°. 


La Suède est bien loin d'être aussi bien con- 
nue qu’elle le mérite ; on lira donc avec intérêt 
les observations que des voyageurs instruits et 
impartiaux publient sur ce pays. Le petit ou- 
vrage de M. Ecxk, dont nous allons extraire 
quelaues détails, est le fruit d'un séjour de deux 
mois que l’auteur a fait dans la Scanie , l'une 
des plus belles provinces de la Suède. M. Sjæ- 
borg , à Lund, s'occupe d'en donner une des- 
cription historique, statistique et géographique. 
C'est à ce savant , très-versé dans l’histoire de la 
Suède , qu'on doit déjà une excellente description 
de la province de Blekingen, intitulée: Utkast til 
Blekings Historia och Beskrifning af N. H. Sjæ- 
borg ; Lund, 1792 et 1703 , 2 vol. in-8°. 

Il n’y a pas de pays où les voyageurs puissent 
se faire transporter aussi rapidement et à si peu 
de frais que la Suède, quoiqu'il n’y ait pas de 
poste aux chevaux, semblable à celle qui est 


Suède. 87 


établie dans les autres pays de l'Europe. Une 
ordonnance du roi règle l’ordre dans lequel les 
paysans de la couronne , et dans les villes les 
bourgeois , sont obligés de louer aux voyageurs 
les chevaux nécessaires, ainsi que le prix qui 
est extrémement modique. On leur fournit aussi 
une petite voiture de paysan , à quatre roues, et 
peu élevée , mais on n'y est pas commodément, 
et les voyageurs font bien d'avoir leur propre 
équipage. Les chevaux sont petits et maigres, 
mais courent avec la plus grande vitesse; les 
chemins sont très-bons; les voitures sont sou- 
vent conduites par de jeunes garcons de 10 ans, 
et quelquefois même par de jeunes filles; mais 
ces enfans les mènent toujours fort bien ; d'après 
le dernier réglement, qui est de 1765, chaque 
voyageur a le droit d'exiger qu'on lui fasse faire 
en une heure un mille de Suède, qui équivaut 
à presque 3 lieues. Dans chaque auberge il y à 
un registre où chaque voyageur peut inscrire 
s'il a été bien ou mal mené, le lieu d’où il vient 
et celui où il va. Dans les auberges des cam- 
pagnes on ne trouve guères que de l’eau-de-vie , 
du lait aigri, du beurre et du pain. M. Eck con- 
seille aux voyageurs de porter avec eux leurs 
provisions. 

La Scanie a 14 milles suédois en longueur, et 
11 en largeur. Elle a une surface d'environ go 
milles carrés , sur lesquels vivent 219,830 per- 
sonnes, ce qui fait 2,442 par mille suédois 
carré. 

Le climat de la Scanie et de la Blekingie, 


88. Voyages. 
située auprès, est plus doux que celui du reste 
de la Suède. Au printemps on y entend le chant 
du rossignol , et les cigognes viennent y nicher ; 
ce qui ne peut pas se dire également des pro- 
yinces plus septentrionales. La Scanie a beau- 
coup de ressemblance avec la Fionie et la Sé- 
lande ; on cultive dans l’une et dans les autres 
les mêmes fruits, ce qui sans doute tient autant 
à ce que la température est à peu près égale, qu'à 
Ja domination danoise, sous laquelle la Scanie a 
resté fort long-temps. 

La pêche et l'éducation des bestiaux et des 
abeilles forment une branche considérable de 
l'industrie des habitans de cette contrée ; les ani- 
maux y sont en général d’une taille plus forte 
que dans le reste de la Suède. On y cultive beau- 
coup de blé, ce qui l’a fait appeler le magasin 
à blé de la Suède. On en vend beaucoup pour 
l’intérieur du royaume. On y cultive aussi du 
houblon et du tabac. Les parties élevées de la 
province fournissent beaucoup de bois, qui ce- 
pendant ne suffroit pas pour la consommation 
des habitans, si on n'ayoit pas la ressource de 
la houille. 

Les amateurs de minéralogie, et même tous 
les voyageurs, trouveront sur cet objet des ren- 
seignemens utiles dans un ouvrage intitulé : 
Guide du Voyageur aux carrières etaux mines de 
Suède , par d'Excesrrom ; Stockholm , 1796 , 
in-89.; on y a joint une très-bonne carte. 

Il y a dans la Scanie 9 villes, 203 paroisses , 
598 églises , 153 domaines privilégiés, dont 14 


3 
2 
É 
È 


Suède. 89 


uppartiennent à la couronne, 51 grands et 89 
petits domaines appartenant à des nobles, et 
6,426 Hemman, ou biens de paysans. 

Les cultivateurs de la Scanie n'ont pas la 
même activité que ceux de l'Allemagne; il y a 
mème à ce sujet un proverbe en Suède : an ær 
hastig som en Tysk, c'est-à-dire , il est actif 
comme un allemand. Cette lenteur indolente , 
surtout celle des domestiques, impatiente sou- 
vent les étrangers. 

Les paysans de la Scanie sont en général ou 
très-riches ou très-pauvres : mais ils font peu 
pour améliorer leur sort. Les hommes et les 
femmes sont presque tous d’une grande et belle 
taille , et d’une forte complexion. Parmi les 
paysans de cette province , ceux qui cultivent 
les biens des nobles sont les plus pauvres; mais 
ils ne sont pas serfs, comme quelques auteurs 
l'ont avancé ; ils peuvent quitter leur maître 
quand bon leur semble. Les nombreuses cor- 
vées dont ils sont surchargés les empêchent 
d’avoir soin de la culture de leurs terres. Lie ba- 
ron MWaklier a aboli toutes les corvées dans ses 
domaines qui sont assez considérables ; il les a 
partagés en Lemman , ou fermes qu'il donne en 
bail pour un certain nombre d'années, moyen- 
nant une rétribution stipulée. On commence 
déjà à s’apercevoir que cet arrangement est 
avantageux pour le propriétaire, comme pour 
les paysans ; et le baron Maklier ne tardera pas 
à être bientôt imité par les autres grands pros= 
priétaires, 


90 Voyages. 

Les nobles et plusieurs personnes de distine- 
tion ont établi de beaux et utiles jardins et des 
pépinières, mais les paysans n'ont pas encore 
pu se décider à les imiter ; chacun craint d'être 
le premier, et d'être volé par ceux de ses voi- 
sins qui n’auroient pas de pareilles plantations. 

Lund est une ville très-ancienne , qui, au- 
trefois , étoit beaucoup plus célèbre et plus im- 
portante qu'elle n’est aujourd’hui. M. Eck donne 
sur l’histoire de cette ville des détails fort cu- 
rieux. Lorsque le roi Charles X passa à Lund, 
en 1658 , le savant évêque Æinstrup le solli- 
cita d'y établir une université. Le roi accueillit 
cette demande , mais ce ne fut que sous son fils 
Charles XI que ce projet recut son exécution. 
L’inauguration eut lieu le jour de la fête du roi, 
26 janvier 1668 , et d'après son fondateur, elle 
fut appelée Academia Carolina Gothorum. Le 
célèbre Samuel Purrenporr y fut appelé de 
Heidelberg , pour y enseigner le droit de la na- 
ture et des gens , et ne contribua pas peu à la 
splendeur de cette nouvelle université. 

On trouvera des détails curieux et satisfaisans 
sur l'état des sciences et des lettres dans ces 
contrées , à une époque reculée, dans la qua- 
trième partie des Kongl. Vitterhets , historie 
och antiquitets Handlingar, Stockholm , 17095 , 
in-8°. 

Il est question d'une école , établie à Lund en 
1085 ; quelques rares que fussent alors les li- 
vres, et quoiqu'en 1317 on eût payé un missel 
10 marcs d'argent fin, la cathédrale de Lund 


Suède. Of 
établit une bibliothéque en 1124. La Scanie peut 
se glorifier d'être la patrie du savant Saxo Gram- 
maticus, dont le véritable nom étoit Lang , cé- 
lèbre dans le 13e, siècle par l'élégance de son 
style latin. 


L'ancienne habitation de l’archevèque sert au- 
jourd’hui à l’université. Du côté du sud, ilya 
dans une cour une promenade agréable dont les 
allées sont formées par des arbres indigènes ; 
elle est appelée Lundagard ; les dimanches 
surtout elie est fort fréquentée par les habitans 
de la ville. Au nord de l'édifice est le jardin 
botanique établi en 1753; c’est là que se trouve 
l'orangerie, dont le premier étage est occupé 
par l'amphithéâtre d'anatomie. Le tout est en- 
touré d'un mur fort élevé, construit en pierres. 

Derrière le jardin botanique sont la plantation 
et la pépinière de l'académie, appelée Paradies- 
Lycka ; on y a rassemblé toutes sortes d'arbres, 
non-seulement indigènes , mais aussi étrangers 
qu'on cherche à naturaliser en Suède. Cette 
plantation , ainsi que le Lundagard, est l’ou- 
vrage du respectable vieillard , Éniele Gustave 
Linveck , professeur d'histoire naturelle à Lund, 
et chevalier de l’ordre de Wasa, dont l'habi- 
tation est en face. Depuis l'année 1755 jusqu'en 
1782 , on a distribué gratis aux cultivateurs les 
plus zélés 16,000 pieds d'arbres de cette pépi- 
nière. 


Le milieu de l'édifice académique contient la 
bibliothéque et Je cabinet d'histoire naturelle, 


LE) Voyages. 

Celui-ci a été enrichi depuis peu par l'acquisi- 
tion d’une collection de minéraux recueillis en 
Russie, par M. le conseiller des mines lVorberg, 
à Stockholm. C’est là que l’on conserve uneportion 
du crâne de Descartes , qui y a été déposée par 
le savant évêque de Lund, Celsius. Voici com- 
ment elle est venue en sa possession. Lorsque le 
corps de ce célèbre philosophe dut être trans- 
porté de Stockholm en France, l'officier des 
gardes de la ville, croyant rendre à sa patrie un 
service signalé , s’empara de son crâne, et lui 
en substitua un autre, qu'il plaça dans le cer- 
cueil. Après la mort de cet officier, le crâne du 
philosophe passa comme objet de curiosité entre 
les mains de plusieurs personnes , et fut partagé; 
le conseiller d’état de Stjernmann , beau-père de 
l'évêque Celsius, fit acquisition de l’une des deux 
moitiés , et c'est celle que ce dernier a donnée 
au cabinet de l’université de Lund. 

La bibliothéque possède une collection assez 
nombreuse de médailles grecques et romaines, 
et elle est riche surtout en ouvrages d’histoire 
naturelle. On y conserve un très-beau manus- 
crit de Virgile, du 7°. ou 8e, siècle, sur vélin, 
avec de grandes lettres initiales en or; un magni- 
fique manuscrit du coran ; une édition de Jules- 
César, in-fol., de 1469, avec des initiales en 
or; un Tite-Live de 1470 , et d'une impression 
semblable; l'ouvrage de Saint-Augustin, De ci- 
vitate Dei, édit. de Venise, 1470, fol. ; Per. de 
Crescenrus de agricultura, Argentor. , 1486, 
fol. ; Missale Lundense, que l'archevêque Birger 


Suède. 93 
Ft imprimer à Paris, en 1514, in-fol. ; les ru- 
briques et les initiales sont en rouge, et le ca- 
ractère est gothique. Ce Missel est fort rare; on 
assure que dans toute la Suède il n’en existe 
plus qu'un second exemplaire. On y trouve aussi 
l'ouvrage du comte Erich Dauzsrrc , intitulé : 
Suecia antiqua et hodierna, publié en 3 vol. 
in-fol. , vers 1700, sans indication de l’année ; 
cet ouvrage, qui contient des gravures fidèles 
et bien faites des villes, édifices et autres objets 
curieux du royaume, ‘a été exécuté aux frais des 
rois Charles XI et XII. 

La bibliothéque est disposée dans des salles 
spacieuses, ornées des bustes des professeurs de 
Lund , et de plusieurs portraits de chanceliers 
de l’université, parmi lesquels quelques-uns sont 
fort bien peints. 

L'étage supérieur de l'édifice académique ren- 
ferme un cabinet de physique et un observatoire. 
Celui-ci est placé sur une tour circulaire, ados- 
sée contre le milieu de la maison, du côté de 
Lundagärd , et c’est par cette promenade qu'on y 
entre et là que se trouve l'escalier. Le sommet de 
cette tour est une plate - forme entourée d’une 
balustrade en fer. Cet observatoire est situé sous 
55° 42! 13" de latitude, et sous 30° 57' o" de 
longitude. Il seroit à désirer qu’il y eût de meil- 
leurs instrumens et en plus grand nombre. Sur 
cette tour on jouit d’une vue très-agréable. L’œil 
y embrasse la ville entière; elle est entourée de 
belles prairies, et de riches champs de blé ; et 
dans son intérieur elle contient un grand nombre 


94 Voyages. 

de jardins, de sorte que l’ensemble ne paroît 
former qu'un vaste et beau jardin. Lorsque le 
temps est clair, on y peut très-bien distinguer 
les tours de Copenhague au-delà de la mer. Au 
premier étage , il y a une grande et une petite 
salle dans lesquelles ont lieu les actes académi- 
ques; c’est là que se prononcent les discours 
publics , qu'on soutient les thèses , que les pro- 
fesseurs donnent celles de leurs leçons qui sont 
publiques et gratuites. Près de là est la salle dans 
laquelle s’assemble le sénat de l'Académie, qu'on 
appelle ici le Consistoire , et qui est composé de 
tous les professeurs et d’un syndic. On y voit plu- 
sieurs bons portraits, entreautres celui de Charles 
XII. Ce prince guerrier séjourna à Lund pendant 
l'intervalle qui s’écoula entre son retour de Pul- 
tawa par Stralsund , en 1716 , et son irruption 
dans la Norwège pendant l’été de 1718. Pendant 
le temps que ce prince passa à Lund, il montra 
un goût particulier pour tout ce qui a rapport 
aux sciences. Il assista aux leçons des profes- 
seurs ; et un jour qu'il les trouva tous rassem- 
blés à la bibliothéque , dans la grande salle des 
actes, il témoigna le désir d'entendre sur-le- 
champ soutenir publiquement quelque thèse. 
Personne n'étoit préparé à une pareille proposi- 
tion : cependant Jean-Jacques Dæœbeln , profes- 
seur en médecine, improvisa un excellent dis- 
cours latin adressé au roi, et donna pour sujet 
de la discussion cette thèse : Objecta movent sen- 
sus , non tam ratione guantitatis , quam quali- 
tatis. Quensel, professeur de mathématiques, 
se chargea de la combattre. 


Suêde. 95 


Quoique ce sujet soit très-abstrait, le roi, 
malgré toute sa vivacité, préta jusqu'à la fin, à 
cet acte académique , qu’il avoit provoqué , toute 
l'attention possible. Pour marquer au professeur 
Dœbeln , l'estime qu'il avoit conçue pour lui, il 
lui conféra la noblesse, et augmenta ses appoin- 
temens. 

Le laboratoire de chymie, la salle des con- 
certs destinée aux exercices de musique des étu- 
dians, et celle où se font les ventes publiques 
de livres sont dans un édifice particulier , en 
face de l’entrée de la cathédrale. Dans un autre 
édifice il y a une salle d'armes, qui sert en hiver 
pour les bals et les assemblées. 

Le nombre des étudians s'élève à 150. Tous 
les trois ans, la faculté de philosophie crée 40 
maitres ès-arts. Les examens de cette faculté et 
de celle de jurisprudence se font publiquement, 
et on dresse procès-verbal sur les questions et les 
réponses. La faculté de philosophie a trois ma- 
nières d'exprimer son opinion sur le degré d’ins- 
truction des candidats ; elle se sert pour cela des 
termes : laudatur ; approbatur ; admittitur. 

On choisit toujours, pour chancelier de l'U- 
niversité, un des premiers fonctionnaires du 
royaume, Le sénat académique le nomme , et le 
roi confirme la nomination. L'évêque de Scanie 
et de Blekingen est toujours vice- chancelier. 
Cette het a 16 professeurs , 13 agorégés 
ou adjoints, et 14 maitres-ès-arts qui donnent des 
cours , et quon nomme docentes, ou magistri 
legentes. Les appointemens des professeurs sont 


96 Voyages. 

payés en blé, et ils sont assez considérables ; 
quelques-uns d'entre eux sont encore titulaires 
de bonnes cures , ce qui augmente considérable- 
ment leurs revenus sans augmenter leurs tra- 
vaux, parce qu'ils font remplir leurs fonctions 
curiales par un chapelain, à quiils ne cèdent 
qu'une partie des émolumens. 

Lorsqu'une chaire de professeur vient à va- 
quer , le consistoire ou sénat académique pro- 
pose trois candidats , parmi lesquels le roi en 
choisit un. — Il y a à Lund deux imprimeries ; 
celle de l'Université appartient à M. Berling. — 
M. Anders Lipsecx, fils du professeur de bota- 
nique de cette Université, publie une feuille 
hebdomadaire , intitulée : Nytt och Gammal 
(c'est-à-dire Du Nouveau et de l'Ancien }, 
— Le peu de distance qui sépare Lund de Co- 
penhague , fait que les savans de cette Uni- 
versité ont plus de facilité à entretenir des rap- 
ports avec le Danemarck et l'Allemagne que leurs 


confrères d' Upsal et d Abo. — Il y a une tren- 
taine d'années qu'on y a établi une Société lit- 
téraire qui porte le nom de Société physiogra- 
phique ; elle a publié différens écrits utiles et qui 
prouvent les connoissances solides de ceux qui 
les ont composés. 

M. le professeur Rerzrus possède un beau ca- 
binet d'objets d'histoire naturelle ; on y remarque 
une collection très-complète de graines. Le ca- 
binet de M. FLoRMANx , adjoint de la faculté de 
médecine, est surtout intéressant par le grand 
nombre de préparations relatives à la médecine 

vétérinaire ; 


Suède. 97 


vétérinaire ; et M. Fremuie , professeur de la 
philosophie spéculative, a un très-beau cabinet 
de minéralogie , beaucoup de médailles rares et 
une très-belle bibliothéque. 

La cathédrale est le plus grand édifice de la 
petite ville de Lund; c’est le seul reste de son 
ancienne splendeur. Cette masse de pierres, qui 
paroït entassée par les bras des géans pour braver 

l'éternité, fut, dès les temps les plus reculés, 
appelée une des merveilles de la Suède. Svenon, 
roi de Danemarck, commença en 10712 la bâtisse 
de cette cathédrale ; maïs on ignore l'époque à 
laquelle elle a été terminée. En 1145, l'archevé- 
que Eskild en fit la consécration. C'est la plus 
vaste église de toute la Suède, et l'on dit qu'elle 
a beaucoup de ressemblance avec la cathédrale 
de Spire. Avant la réformation, il y avoit au 
moins 50 autels dans différentes chapelles, toutes 
richement dotées. Elle a la forme d’une croix ; 
et , selon la tradition vulgaire , ses deux tours re- 
présentent les deux saintes femmes qui se tenoient 
aux pieds du Sauveur. Tout l'édifice à dans sa 
longueur 135 aunes et demie, danssa largeur 50, 
et dans son élévation 48 aunes et À. Il est cons- 
truit en grandes pierres de taille , à l'exception 
de la partie supérieure des tours et de quelques 
chapelles latérales qui sont bâties en briques. 

Le service divin se fait actuellement dans la 
nef ou la moitié occidentale de l’église. On y re- 
marque des fragmens considérables d’une grande 
et ancienne horloge qui indiquoit les heures, les 
mois , les jours, le lever et le coucher du soleil, 


T7, V. Septembre 1806. G 


98 Voyages. 

etc. L'autel est de marbre blanc ; la chaire est de 
marbre blanc et de marbre noir : l’un et l’autre 
sont ornés de bas-reliefs travaillés avec soin. 

Le chœur, ou la partie orientale de la cathé- 
drale, est un peu plus élevé que la nef, et sert 
pour y célébrer les promotions académiques, ainsi 
que l'installation du nouveau recteur de l'Uni- 
versité qui y a lieu tous les ans le 28 janvier, 
jour de Saint-Charles. 

Pendant le séjour que M. Eck fit à Lund, on 
y célébra l'acte de promotion des maïtres-ès-arts; 
elle n’a lieu que de trois ans en trois ans, et elle 
se fait d’une manière très-solennelle au bruit de 
nombreux fanfares. 

Dans le chœur il y a un énorme candelabre 
en laiton , surmonté d'une petite statue de Saint- 
Laurent ; on y remarque encore un autel curieux 
du moyen àge , surchargé de figures en relief qui 
représentent différens sujets de la Bible. Devant 
cet autel il y a un payé différent de celui du reste 
de l’église. On dit qu’autrefois ce lieu servoit d’a- 
syle aux criminels. Sous le chœur il y. a une 
église souterraine appelée Xrafis-Kirka, qui ser- 
voit autrefois aux assemblées religieuses de la 
communauté allemande. Dans ce vaste souter- 
rain voûté, on remarque les objets suivans : 

1°. Deux piliers, à l’un desquels on voit sculp- 
tée, dans la pierre, la figure d’un géant, à l'autre 
celles de sa femme et de son enfant. Selon la tra- 
dition populaire, son nom est #inn. On ajoute 
que c’est lui qui a bâti cette église sur la demande 
de Saint-Laurent , lequel la consacra à la Sainte 


Suède. 99 
Vierge; qu’ensuite ce géant et sa femme ont 
voulu démolir l'église ; mais que, pour l'en pu 
nir ; lui, sa femme et son enfant ont été trans- 
formés en pierre. On voit bien que le sens de 
cette tradition est que cette église a été bâtie par 
les Païens, qui, mécontens -de l'introduction 
d'une nouvelle religion, ont tenté ensuite de la 
détruire. 2°. Un puits dont l'eau passe pour être 
la meilleure de toute la ville. Sur l'un de ses 
côtés on a sculpté un énorme pou qui dévore 
une brebis. 3°. Le tombeau du savant archevêque 
Boœrge, orné de sa statue dans son costume ar- 
chiépiscopal. Ce prélat est mort en 1519; son 
père n'étoit que sacristain. Dans la sacristie , on 
montre aux curieux la chemise de Marguerite, 
la puissante reine de Scandinavie , et l'opinion 
populaire lui attribue une grande vertu pour fa- 
ciliter les accouchemens pénibles. L’on sait, par 
des actes authentiques, que le roi Christian Ier, 
l'a demandée au chapitre de la cathédrale pour 
ce même motif, 

Lorsque le roi Adolphe Frédéric et la reine 
Louise Ulrique furent, en 1754, visiter la cathé- 
drale de Lund, cette princesse témoigna qu'elle 
verroit avec plaisir que l’on publiât une descrip- 
tion historique de cet édifice remarquable, C’est 
ce qui engagea le savant professeur Sommerrus 
à composer sur cette église une dissertation éten- 
due qu'il dédia à la reine (1), et dans laquelle il 

(1) Voici le tilre de cet ouvrage : Disputatio historica de 


templo Cathedrali Lundensi, quam auxiliante Deo, con- 
sensu ampliss. Fac. Philos. Acad. Carol. ad publicum erudi- 


100 Voyages. 


a donné la description de tous les monumens, 
inscriptions ; etc. , qui s'y trouvent. 

L'extérieur de la cathédrale offre un coup- 
d'œil imposant, qui résulte surtout de sa grande 
simplicité. Il est à regretter que les maisons soient 
trop rapprochées , ce qui nuit à l'effet qu’elle 
devroit produire. On n’a pas encore aboli la 
funeste coutume d’enterrer dans cette église, 
et on le fait même avec peu de soin, car les tom- 
beaux ont peu de profondeur. 

Depuis quelque temps Lund est une des villes 
de la Scanie dont l’état s'améliore ; cependant le 
nombre de maisons bien bâties et d’une construc- 
tion solide en pierres ne s'élève encore guère au- 
delà d’une vingtaine. Les autres sont construites 
en bois. La plupart n'ont qu'un rez-de-chaussée. 
Cette ville, en général, a plutôt l'air d’un grand 
village ; elle est mal pavée, et dans plusieurs en- 
droits le pavé manque tout-à-fait; aussi la moin- 
dre pluie rend les rues presqué impraticables , 
et la plupart des professeurs sont, par cette raison, 
obligés d'avoir une voiture. Auprès d’un grand 
nombre de maisons, il y a des jardins dans les- 
quels on cultive de beaux arbres fruitiers. Les 
habitans, en général, s'occupent beaucoup d'agri- 


torum examen d. X VT Cal. sextil. anni MDCCLFV deferunt 
Gustav. SoMMELIUS in ling. orient. docens et Coll. Sc. 
Lund. et Isaac LaererTz , Lundensis , in-4°. Le chapelain 
M. Pehr Savarin a publié, en 1795, à Lund, un extrait 
en langue suédoise dé cette dissertation très-étendue ; et cet 
extrait suflira aux voyageurs qui veulent visiler cetle église 
avec fruil. 


_ Suède. rof 


culture. On voit dans les environs de la villé de 
bonnes plantations de tabac dont, il y a déjà qua- 
rante ans , le produit s’est élevé à 160,000 livres 
pesant. En 1730 , on avoit commencé à exploiter 
une mine de houille située près de là; depuis 
quelques années cette exploitation a cessé. 

De Lund M. Eck se rendit à Malmæ, une des 
plus riches villes de la Suède, et dont le com- 
merce est très-florissant. Les maisons sont d’une 
meilleure construction que celles des autres villes 
de la Scanie ; le nombre de ses habitans s'élève 
à 8,000. Le jour de l'anniversaire de la naissance 
du roi, l'ordre de Knut (ou Canut ) tient une 
assemblée solennelle dans une belle salle de 
l’hôtel-de-ville, ornée de plusieurs portraits de 
rois qui étoient membres de cette association. 
Dans les temps reculés, il y avoit dans la Sca- 
nie plusieurs associations ou ordres semblables ; 
celle-ci est la seule qui existe encore. Elle a été 
fondée en l'honneur de Knut IV , surnommé /e 
Saint, roi de Danemarck , qui a été massacré 
par les paysans dans le 11e. siècle. Les rois et 
les princes du royaume ont toujours été mem- 
bres de cette société ou confrérie. Dans sa salle 
d’assemblée, on conserve deux vases d'argent 
d’une grandeur extraordinaire , dans lesquels les 
membres boivent dans les repas solennels , et une 
grande colombe d'argent qu’on suspend, avec 
une forte chaîne d'argent, au cou des membres 
nouvellement reçus. La même confrérie a aussi 
une grande cloche dans la tour de la cathédrale, 
et elle sert à sonner pour chaque membre qui 


102 Voyages. 

vient de mourir, On prononce aussi l'éloge de 
ceux qui ont mérité cette distinction, Chaque 
nouveau membre choisit une sœur pour laquelle, 
ainsi que pour Ini-méêime , on Jui accorde la mar- 
que distinctive de l’ordre, c'est-à-dire une petite 
colombe en argent suspendue à un cordon bleu. 
Les membres ne la portent cependant en évi- 
dence que dans leurs assemblées et le jour de 
l'anniversaire du roi, auquel se tient la séance 
solennelle. Un jurisconsulte danois fort savant, 
M. le professeur Kofod Ancker, a composé un 
ouvrage sur Cet ordre de Knut. 

Il y a dans la ville de Malmæ plusieurs fa- 
briques et manufactures , entre autres une de 
tabac, où il est coupé par une machine mise 
en mouvement par des chevaux , et une de drap, 
qui est fort vaste et remarquable; elle est mise 
sur le pied des manufactures anglaises. Auprès 
de la ville il y a de beaux. jardins et d’excellens 
champs. 

Entre Malmoæ et Lund on voit, près du che- 
min , un assez grand umulus de famille, ouvert 
du côté du nord. Dans l’intérieur il y a un es- 
pace qui a 2 aunes et : de hauteur, 3 aunes de 
largeur , et 5 aunes de longueur. À gauche de 
cette place il y a une petite chambre longue de 
4 aunes , large et haute d'une aune et demie. On 
n'y a trouvé qu'une grande épée de fer, que l'on 
conserve aujourd'hui dans le cabinet de l'Uni- 
versité de Lund avec plusieurs antiquités sem- 
blables. Plus près de Malme, il y a encore plu- 
sieurs beaux tumauli ; mais on ne les a pas en- 


Suède. 103 


core ouverts. On en trouve beaucoup dans toute 
la Scanie et dans la Seelande; ils font un effet 
fort agréable. 

Sous le règne de Charles XI, on s’occupoit 
beaucoup en Suède de l'étude des antiquités du 
pays ; depuis on l’avoit un peu négligée. M. Tham, 
intendant de la Cour, se livre aujourd'hui avec 
le zèle le plus louable à la recherche des monu- 
mens de sa patrie ; il en a réuni beaucoup dans 
la terre qu’il habite dans la Gothie occidentale, 
et il en a publié la description et les gravures 
dans un ouvrage (2) dont il prépare la continua- 
Lion. 

L'ile Aween , située entre les côtes de la Suède 
et celles du Danemarck , est célèbre dans l’his- 
toire des sciences, parce que le roi de Dane- 
marck , Frédéric II, grand protecteur des scien- 
ces, et surtout des mathématiques et de l’as- 
tronomie , la conféra en qualité de fief (3) au cé- 
lèbre astronome Tycho-Brahe, par un acte so- 
lennel daté du 15 mai 1576. 

Le 8 août de la même année, on jeta les pre- 
miers fondemens du magnifique observatoire 
Uranienborg ; et le 14 décembre suivant, Tycho- 
Brahé fit dans cette ile les premières observa- 


(2) Gæœthiska Monumenter samlade och beskifne af Pehr 
TuamM, Hof-Intendent ; c’est-à-dire, Monumens de la Go- 
thie, recueillis et décrits par Pehr THAM, intendant de la 
Cour. Stockholm, 1794, in-4°. Il en a été donné une notice 
dans le Magasin Encyclopédique. 

(3) Cette île appartenoit à la Seelande, jusqu’en 1658, où 
elle fut cédée à la Suède par la paix de Rothschild. 


104 Voyages. ; 

tions astronomiques. On conserve encore à la 
bibliothéque de l'université de Copenhague les 
cahiers qui renferment les observations astro- 
nomiques qu'il fit à Uranienborg, depuis 1576 
jusqu'en 1597. L'isolement de cette île et sa 
situation tranquille en font un séjour extrême- 
ment favorable à l'étude des sciences mathéma- 
tiques. Tycho-Brahé n'y vécut que pour elles; 
il y inventa et exécuta de nouveaux instrumens, 
forma d'excellens élèves , et par les soins qu'il 
donna gratuitemeut aux malades indigens aux- 
quels il fournissoit même les médicamens, fruits 
de ses travaux chymiques, il mérita la recon- 
noïissance de ses compatriotes autant qu'il at- 
tira l'admiration de toute l'Europe , par ses 
découvertes en astronomie. 

Les plus grands savans , des princes et des rois, 
vinrent voir ce grand homme dans sa retraite , 
entretinrent des liaisons avec lui, et profitèrent 
de ses conseils. En 15#7, l'université de Co- 
penhague le nomma unanimement son chef; 
mais ses occupations à Uranienborg ne lui per- 
mirent point d'accepter ce témoignage de l’es- 
time de ses savans compatriotes. Le roi Frédé- 
ric II ne se contenta point de lui accorder de 
forts appointemens ; il lui fit encore des présens 
considérables , et lui donna l’ordre del'Eléphant. 
Les faveurs dont les mérites de Tycho-Brahé 
furent la récompense , lui attirèrent l'envie; et 
après la mort de Frédéric , én 1588 , ses enne- 
mis réussirent à le faire opprimer de plus en 
plus, au point qu'à la fin il ne lui resta plus 


Suède. 105 


que son ile d'Hween , qui ne lui rapportoit que 
200 écus, C’est ce qui l'engagea à quitter sa 
patrie ingrate au mois de juin 1597, et. à se 
rendre en Italie. Après avoir séjourné peu de 
temps à Rostock, et dans quelques autres villes , 
l'empereur Rodolphe II, ce grand amateur et 
protecteur des arts et des sciences, l’appela à 
Prague , et lui donna les témoignages les plus 
éclatans de son estime. Il s’entretint avec lui en 
latin , lui ft présent de 2,000 florins d’or, lui 
assigna un traitement annuel de 5,000 florins 
d'or , lui fit arranger une maison à Prague, et 
le château de Benach, situé à quelques lieues de 
cette ville, afin de pouvoir s’y livrer à ses tra- 
vaux astronomiques et chymiques; etil lui pro= 
mit même un fief réversible sur sa famille, afin 
qu'il n’eût aucune inquiétude sur ce point. Dans 
pereur étudia avec le plus grand zèle les ouvra- 
ges de Brahé, et le consulta même fort souvent 
dans les affaires politiques ; mais une mort pré- 
maturée l’enleva en 1601, dans la 55e. année de sa 
vie, et frustra les espérances qu’on avoit concues 
des travaux auxquels il alloit se livrer. On lui 
éleva dans l’église de Prague un beau monument 
avec une grande et honorable inscription. 
Aujourd'hui on ne trouve presque plus de 
restes de l'observatoire occupé jadis par Brahé, 
dans l’île de Hween ; les habitans actuels ne s'oc- 
cupent guères que de la pêche et de l’agricul- 
ture, Dans cette ile on voit aussi plusieurs cumulé 
des plus anciens temps du paganisme. 
ITelsingborg, ville ancienne , et autrefois con- 


106 Voyages. 

sidérable , ne s’est pas encore relevée des suites 
de plusieurs siéges qu’elle a soutenus dans les 
guerres entre le Danemarck et la Suède; elle n'a 
plus qu'environ 1200 habitans. En été, cette 
ville est assez vivante à cause des étrangers qui 
y viennent boire les eaux de Ramlæsa, situées 
à une demi-lieue de là ; la proximité de Copen- 
hague fait que les dimanches et les jours de 
fêtes beaucoup d'habitans de cette ville s’y ren- 
dent. M. Eck y rencontra une assez bonne troupe 
de comédiens suédois qui avoient établi leur 
théâtre dans une grange, et qui jouoient plu- 
sieurs pièces originales et quelques autres imitées 
de Kotzebue, d'Iffland, de Schroeder , de Jün- 
ger , etc. À cette occasion , M. Eck dit un mot 
de la littérature dramatique de la Suède, qui a 
fait, il y a peu d'années, une perte sensible par 
la mort prématurée de ZLidner, auteur d'une 
Médée , et de plusieurs autres poésies qui prou- 
vent son génie. Un autre chef- d'œuvre dra- 
matique suédois est d’un auteur vivant, Leopold ; 
il est intitulé : Oden eller Asarnes utwandring 
(Oden ou l’émigration des Asarnes ). M. Adler- 
beth, vieillard respectable, et conseiller de chan- 
cellerie, a publié plusieurs ouvrages dramatiques 
qui se distinguent par la pureté et la noblesse 
du langage. Kenell , mort depuis quelque temps, 
est auteur de plusieurs bonnes pièces ; et depuis 
peu d’années un jeune homme , Charles Linde- 
green , est entré sous d'heureux auspices dans 
la carrière des poëtes dramatiques. Altén a donné 
beaucoup de traductions de pièces de théâtre 


. 


Suède. 107 


étrangères. On peut dire en général que depuis 


la dernière m :t6 du 18°. siècle , et surtout depuis 


le rèone de Gustave HT, les beiles-lettres, et sur- 
Len ? 

tout la poésie , ont été cultivées en Suède avec 

beaucoup de succès; l'exemple de ce dernier 


manère avantageuse comme poëte et comme 
otateur (4), devoit nécessairement avoir sur le 
sort des lctires l'influence la plus salutaire. En 
étallissant l'Académie suédoise, camposée de 
dix huit membres, son principal but étoit de 
faire cultiver la langue suédoise, et de favori- 
ser la poése et l'eloquence. 

Parmi les meilleurs poètes décédés, de la Suède, 
M. Eck cite Nordenflycht, Kellgren, Lidner , 
Creutz, Kex ll, Bellmann et OElf; et parmi 
les poëtes vivans, Ad/erbith et Leopold ; celui- 
ei est aussi l’auteur de beau: oup de belles poésies 
lyriques, et d’un acréable recueil de poésies éro- 
tiques. Le comte Cyllenborg , vieillard respec- 
table , publia , il y a déjà plusieurs années, un 
poëme héroïque estimé , intitulé : Taget œfver 
Bele (l'expéd'tion du roi Charles X au-delà du 
Belt), quelques poésies satyriques , pour les- 
quelles Boileau a été son modèle, et beaucoup 


(4) Plusieurs de ses discours, prononcés devant les États 
du royaume et dans le sénat, ont élé traduits en latin par 
le savant Italien Dominicus Micaeressr, que son espril fit 
tant estimer par Frédéric IL, roi de Prusse. Cette traduction 
publiée à Berlin en 1772, in-8°., fut dédiée au pape Clé- 
ment XIV, et dans la dédicace, Michelessi appelle Gus- 
tave IT, eloquentissimum regem. 


108 Voyages. 
de morceaux de poésie lyrique quilui assurent 
une place honorable parmi les meilleurs poëtes 
de nos temps (5). Le maréchal de l'empire , comte 
.d'Oxenstierna,, est l'auteur d’une imitation heu- 
reuse des géorgiques de Virgile , intitulée : Skæ- 
darne, c'est-à-dire, Les moissons. François 
Franzen a donné plusieurs poésies lyriques dans 
lesquelles il fait le tableau de la belle nature 
champêtre , et de la simplicité des mœurs. Ecke- 
berg est auteur de quelques bonnes satyres; et 
Pagge (6) publia, à l’âge de 18 ans, ses essais 
d'un adolescent, qui contiennent plusieurs mor- 
ceaux dont le poëte Léopold fait le plus grand 
cas, et qui prouvent un véritable talent poétique. 
L'épouse de l'assesseur Lenngren, à Stockholm, 
femme de beaucoup d'esprit, a publié plusieurs 
poésies légères qui sont généralement estimées. 
M. Eck termine son ouvrage par quelques 
observations sur les différentes sortes de mon- 
noies métalliques et de papier-monnoie qui ont 
cours en Suède, et par quelques remarques sur 
l'analogie des langues suédoise et danoise. 
TH. Fr. WinokLer. 


(5) Il existe un choix de ses poésies et de celles de son 
ami, feu le comte de Creutz; ce recueil est inlitulé : Wit- 
terhets Arbeten af Creutz och Gyllenborg ; Stockholm , 1795, 
in-8°. 

(6) M. Bagge étoil, en 1799, à Upsal, pour y faire ses 
études ; M. Eckeberg y étoit alors aggrégé de l'Université, ou 
Magister docens ; M. Franzen est professeur adjoint d’élo- 
quence à À bo ; les autres vivent à Stockholm; MM. Gy!- 
lenborg, Oxenstierna, Leopold, Adlerbeth et Franzen sont 
membres de l’Académie. 


MÉLANGES, 


SuiTE des Lettres inédites de PETRESC, 
communiquées à M. MILLIN par M. 
FAURIS ST.-VINCENS. 


A5x, 27 avril 1806. 


Je vous avois annoncé, mon cher ami, des 
copies de lettres de Peiresc à Aldrovandus, par 
lesquelles ce savant rend compte des médailles 
sur lesquelles étoient des figures d'animaux. En 
relisant ces lettres, j'ai vu qu'elles ne contenoient 
aucune découverte qui n’ait été publiée depuis 
Peiresc. Je crois donc devoir me contenter de 
vous donner une analyse de cette correspon- 
dance. 

Peiresc offre à Aldrovandus de lui envoyer, 
1°, quatre ou cinq médailles d'Ephèse , sur les- 
quelles on voit, d’un côté, une abeille, nelle 
quali d'una banda si vede un ape; de l'autre, un 
cerf ou un daim, animaux consacrés à Diane 
_d'Ephèse. 20, Deux médailles de la Commagène, 
portant la figure d’un scorpion. 3°. Vincent 
Pinelli, dit-il, mort à Padoue, possédoit une 
pierre antique, sur laquelle étoient sculptées 
des lettres hiéroglyphiques, une abeille, un œil, 
une tête de mort, un bras tenant une boule, 
un autre bras portant le chiffre mystérieux des 
Egyptiens 9. Il en envoie l'empreinte à Aldro- 
vandus. 4°. Peiresc parle d’une médaille d’Ale- 
xandre -le-Grand que possède Jean Moceniso , 


110 Mélanges. 


au revers de laquelle est un Jupiter etune abeille 4 
ce qui peut indiquer que cetie médaille a été 
frappée à Ephèse. Les peuples con:mercçans ont, 
par leurs relations au déhors, connu des ami- 
maux rares dont ils ont fait graver les figures 4 
sur leurs monnoïes : ainsi les Marseillois ont 
placé sur leurs médailles le chameau et la li- 
corne. Peirese promet qu'à son retour en Pro- 
vence, il enverra à Aldrovandus les médailles 
marseilloises qui portent ces empreinies ; et à 
propos de ces animaux rares, Peiresce demande 
à Aldrovandus des notions exactes et étendues 
sur les auteurs qui ont parlé des licornes et des 
phœnix, Ces lettres de Peiresc sont datées de 
Padoue des mois de novembre et de décembre 
16017. 

J'ai en mon pouvoir les réponses d’Aldrovan- 
dus, que je vous enverrai, si vous les voulez. En 
attendant, j'observe que je n’ai remarqué sur les » 
médailles de Marseille, en fait d'animaux ex- 
traordinaires , que la giraffe. La médaille sur } 
laquelle est représenté cet animal, est gravée à 
la suite de la Notice sur mon Père, pl. 5 des 
médailles de Marseille. 

Une des correspondances les plus curieuses de 
mon recueil des lettres de Peiresc, ou'des con- 
temporains de ce savant, est celle qui est com- 
posée des lettres écrites par Thomas d'Arcos à 
M. de Peiresc et à M. Aycard, de Toulon, et 
par Aycard à Peiresc, depuis l'année 1630 jus= . 
qu’en 1655. On y voit des détails sur les mœurs 
et les monumens de Tunis et des enyirons. Ces 


Lettres de Peiresc. tif 


détails seront toujours intéressans , malgré tous 
ceux contenus dans les voyages qui ont été pu- 
bliés depuis. 

D’Arcos, né à Toulon, originaire d'Espagne, 
faisoit sur un bâtiment qui lui appartenoit, les 
voyages du Levant; il procuroit à Peiresc des 
inscriptions et des monumens. Il fut pris par les 
Tunisiens ; il fut successivement esclave, mis en 
liberté et musulman ; il s’appela Osman d’Arcos. 
Lorsqu'il étoit devenu libre, il s’étoit annoncé 
comme devant quitter la Barbarie au bout de six 
mois. Il n’en vouloit rien faire, puisqu'il prit 
le turban au bout d'un an ou deux ans. Il paroît 
que Peiresc lui en sut mauvais gré. D’Arcos 
cherche à obtenir son pardon; il proteste qu'il 
est toujours le même, redouble de prévenances 
et de courtoisie: il multiplie ses envois. La cor- 
respondance de d'Arcos avec Peiresc, et celle 
du même avec Aycard, ont tant de connexité , 
que j'ai cru ne pas devoir les séparer. Je n'ai pas 
les réponses de Peiresc, mais seulement un billet 
qu'il écrivoit à un de ses amis, sur les caméléons 
que lui avoit envoyés d’'Arcos, et sur la manière 
de les nourrir et de les élever. On le verra im- 
primé à la suite de cette correspondance. J'y 
ai joint une lettre d'un observateur marseillois 
à Peiresc, aussi sux les caméléons. 


112 Mélanges. 


ÉoHHYTVYVO DCE 


LETTRES 


DE M. THOMAS D'ARCOS. 


LETTRENTS:: 0 7 


À M'. AYCARD DE THOLON. 


MonstEuRr, 


Par voye du Bastion ie vous ay escrit et accusé 
la reception de vos lettres, du depuys me voyant 
fort affligé de la veüe apres une infinité de re- 
medes vains et inutiles ie me suis resolu de chan- 
ger de pays, et il y a desia plus de quinze iours 
que ie me retrouue en ce village d'Andaloux, 
appelé a Cala, quatre lieües de Tunis, vers la 
Tramontane et proche de Porto Eavina, où es- 
toit l’ancienne J’rica, entre les ruines de laquelle 
ie me promene quelquefois, et l'ay determiné d'y 
continuer quelque temps par le benefice que ie 
commence à en ressentir ; comme aussi pourioûir 
de quelque repos et quietude. Auec la presente 
vous receuréz douze paires de semelles de pan- 
touffles de chambre, et une paire bottes blan- 
ches que ie vous enuoye. le suis encore en la 

chaisne, 


Lettres de Peirese. 113 


chaisne , et espere en Dieu en sortir bientost par 
vne voye ou vn autre, vous assurant que l’âge et 
le trauail me commencent a donner fascherie , et 
e chercher el descanso. Les Mores d'icy sont 
encore en quelques endroits inquièts, Mais sans 
faire grand mal, et tout ce royaume se retrouue 
quasi en sa pristine paix. L'année montre grande 
fertilité. Le cours a valu peu pour ces gens d'icy, 
mais pour ceux d'Alger tres bon, qui ontapporté 
icy de belles et riches prises , sans epargner Mrs. 
les François. On a representé icy fort tragique- 
ment la mort du Renié Chaban, et ceux de Mar- 
seille en ont donné toute la coulpe à ceux de 
Tholon, a cause de quoy ces M's. ont resolu de 
se vanger cruellement d'eux s'ils le rencontrent 
en mer; et en leur premiere furie ont fait cou- 
rir bourrasque au consul Martin et quelques 
autres François, et aucuns qui estoient libres 
ont esté remis à la chaisne. Je vous supplie que 
si en vos quartiers il se pouuoit trouuer vn 
grand mappemonde vniuersel, des plus grands 
et beaux qui se retrouuent, de me l'enuoyer 
au plustost , et aduiser le prix que ie donneray à 
celluy que vous m'ordonnerés, et soyez aduerti 
qu'il ne soit de ceux qui sont figurés en globes, 
sinon qu'il soit estendu en plat et quarré. Ceux 


. de Jansonius ou de Teixere sont entre les mo- 


dernes les meilleurs , et viennent d'Amsterdam, 
et quand vous ne pourriés en recouurer d'au- 
tres qu'en figure de globes, vous m'en enuoyerez 
vu, s'il vous plaist , et s’il se retrouuoit vn grand 


globe seroit encore meilleur, et pardonnez moy 
T, F. Septembre 1806, 


114 Mélanges. 
l'importunité. Je baise les mains à Mr. de Pei- 
resC , et le suis 
Vostre, etc. 
Tomas DE ARcos. 


De la Cala Numidica, 
ce 25 avril 1630. 


P.S. J'oubliois a vous dire que proche de ce 
lieu cy, il y a enuiron vn mois qu'on a decouuert 
la sepuiture d'un geant de grandeur demésurée; 
son corps, a sçauoir les os seulement, estoit de 
quarante coudées de long, chasque coudée sont 
deux palmes ; sa teste plus grande qu’une boutte 
de vin de douze meillerolles ; i'ay veu et pesé 
vne de ses dents , qui pese deux liures et demi, 
qui sont quarante onces ; les os de ce corps sont 
en partie pourris , et partie entiers; j'espere en 
recouurer quelques vns. que ie veux garder par 
curiosité. Et ne croyez pas que cecy soit fable, 
parce que ie vous asseure que ie l'ay veu et tou- 
ché. On tient que ce grand corps estoit deuant 
le déluge , et aucuns Mores d'icy qui ont de leurs 
liures antiques, osent dire qui il estoit, et son 
nom; mais ie crois qu'ils reuent. Neantmoins 
ils tiennent le decouurement de ce corps pour 
prodige, et disent que cela signifie que les Chre- 
tiens dominerout bientost la Barbarie. Dieu le 
face. 

Nous sommez au 20 de juin, et pour n'auoir 
eu licence iusques a présent le patron n'a peu 
partir de ce méchant pais. Il y a quelques vingt 
iours que ie suis de retour a Thunis assés mieux 


Lettres de Peiresc. 115 


de ma veüe, mais au bout de quatre iours ie suis 
retombé pire qu'auparauant, et cela prouient de 
cet air qui mest fort contraire. Quatre galeres 
d’icy et trois d'Alger sont allées en cours, elles 
promettent de faire grand domage aux Chre- 
tiens, se garde qui pourra. Ces Ms, d'icy, et 
plus souuent ceux d'Alger, font plusieurs prises 
des Francois, et s’en rient; vous dormés en Fran- 
ce, puisque vous ne sentés point ces malheurs. 


LETTRE IL. 


AV MESME,. 
Monsieur, 


Laqueus contritus est et nos liberati sumus, 
Y'ay enfin payé mon rescat ( 1) a mon patron, 
moyenant lequel les chaisnes de mon escla- 
uitude se sont rompues ; et bien que ie suis 
franc, mon patron nonobstant ne veut que ie 
laisse sa compagnie, non comme esclave , mais 
comme ami. Je suis forcé des grandes courtoi- 
sies que l’ay receües de luy , de luy complairre 
pour quelque cinq ou six mois, pendant lesquels 
vous me pourrés escrire et m'employer a vosire 
seruice. Je vous ay escrit par Patron Teisseré, 
lequel vous donnera vn coffre dans lequel il y a 
vne paire de bottes blanches, deux paires de pan- 
toufles, douze paires de semeles, et une paire 
de souliers para mia signora Donna Isabella. IL 
y a dix huit mois que ie suis travaillé des yeux, 
ét crains qu’enfin i'en perdrai yn , bien que ceux 


(1) C'est-à-dire rachat. 


116 Mélanges. . 

qui me traitent m'asseurent le contraire. Je vous 
suplie de fauoriser de quelque aumosne un re- 
negat Flamand de nostre patron, appellé Soli- 
man , ieune et sans barbe , qui est a la chaisne 
sur la reale a ce que r'enteuds ; et ditez luy de 
ma part que s'il est sage, qu'il s’en aille en son 
pais , et ne retourne plus en Barbarie. Il y a 
aussy en sa Compagnie vn petit garçon Grec 
renié , appellé Mami, lequel est de Milo en l’Ar- 
chipelage ; ie le vous recommande, et s’il est pos- 
sibie le retenir par dela ou l’enuoyer à son pais, 
et qu'il ne viene plus en ce pais maudit et ex- 
communié. Îl fut circoncis par force en ma pré- 
sence, et Crois qu’en son cœur il soit encore 
chrestien. C'est vn gentil garcon pour servir , et 
est de bonne amitié; mais enfin Grec et men- 
teur : vous fairés œuure de charité de l’achemi- 
ner a quelque chose de bon, aflin qu'il ne re- 
tourne plus icy. Je vous prie de vous souuenir 
du mapemonde dont ie vous ay escrit. Je vous 
baise les mains et a M. de Peiresc, duquel ie 
suis fort seruiteur ; dités luy que raÿ recouuert 
deux dents de ce grand geant duquel ie vous ay 
escrit, et pesent chacune plus de trois liures et 
demi. Le reste de ses ossements sont touts tom- 
bés en poudre. Je les ay trouués proche de l'an- 
cienne ’tica, et au mesme lieu ou S. Augustin 
dit, au biure de la Cité de Dieu , lib. 15, cap.9, 
si ie ne me trompe, qu'il vit vn’autre dent hu- 
maine qui eut fait cent des nostres (1). Non 


(1) Pciresce découvril bientôt que les dents et les os du 
prétendu géant appartenoient à un éléphant, Voyez une 


Lettres de Peiresc. 117 


autre, sinon que ie prie Dieu vous donner la 
sainte grace, me recommandant. ffectueusement 
a la vostre. À 


Vostre tres humble seruiteur 


. Tomas DE Ancos. 
De Tunis, ce 24 juin 1630. 


SxLETT RE TLEL 
À M. DE PEIRESC. 
Monsieur, 


J'estime a grande faueur la grace qu'il vous 
a pleu me faire de m’honnorer de deux lettres 
vostres du 13 juillet et 27 de septembre dernier, 
me trouuant d'vne part fort aise et content de 
me voir estimé des personnes de vostre qualité ; 
mais d'autre costé bien honteux qu'un sujet si 
bas et inutile, comme ie suis, soit tenu en con- 
sideration plus releuée que sa capacité. Je veux 
croire que cela a procedé plustost de yostre bonté 
et courtoisie que de mon merite; et bien que 
aye suspendu ma repouse quelque temps et mis 
en balance si ie la deuois faire pour l'inegalité 
de ma personne à vostre reputation et dignité, 
ie me suis à la fin resolu que ie pecherois moins 
en publiant mon ignorance et indiscretion que 
desobeir a vos commandements; et si la presente 
n'est conforme a vostre expectation, donnés en 


des lettres de Peiresc, in:primée dans le Magasin en l’an- 
mée 1797. Cette leltre est du 10 septembre 1631. 


118 Mélanges. 


s’il vous, plaist la coulpe a ceux qui vous ont 
abusé et vous ont representé ce que ie ne suis 
pas ; et ie suis en doute si ie les dois remercier 
ou reprendre, Je sçay bien que mon stile re vous 
sera pas trop agreable pour la rusticité et peu 
de culture; mais le long temps qu'il à que 
l'ay deshabité la France , et le peu de commu- 
nication que i'ay de liures françois, me servi- 
ront d'excuse en cela, vous supliant tres hum- 
blement de joindre vostre pardon à ce defaut, 
et d'autant plus parce qu'aux chosés natureles il 
n'y à ni merite ni demerite. Quand a l'infor- 
mation que vous desirés du geant retrouué l'an- 
née passée aux ruines de l'antique Ftica, l'effet 
en est beaucoup moindre que le bruit. Bien vous 
diray-ie que ie me suis tramsporté sur le lieu ou 
on disoit auoir esté retrouué ce grand corps , et 
apres auoir fait remuer , auec dix hommes, la 
terre tout vn jour, ie n’ay rien peu decouvrir, 
sinon quelques ossements, a la verité monstreux ; 
mais dez aussitost qu'on les touchoit, ils tom- 
boient incontinent en poudre, et le mesme a fait 
la teste, selon que m'ont dit les Mores qui l'ont 
rétrouvée. Vn petit ruisseau, qui prouient des 
ecoulements et rauages des eaux des montagnes 
prochaines, passe justement sur le milieu de la 
sepulture de ce monstre , lequel ruisseau ayant 
caué la terre quelque huit pieds de profond, a, 
à ce que l’on croit, emporté vne partie de ce 
corps. Cette sepulture est éloignée du bord de 
la mer, qui entre dans Porte Farine, à La porte 
méridionale enuiron d'yne mousquetade ; et le 


Lettres de Peiresc. T19 


terroir ou elle est, pierreux , rempli de ruines 
antiques qui se retrouuent sous terre, et tient 
on pour certain qu'en ce lieu la estoit scituée 
Vica , des ruines de laquelle se retrouue vn vil- 
lage proche enuiron d'vn quart de lieüe , que 
les Mores appellent encore, par corruption de 
vocable , Ausiga , habité à présent des mesmes 
Mores , et beaucoup d'Andalous et Tagarins Es- 
pagnols. J'ay recouuert de cette-grande carcasse 
deux dents, l'une vn peu gatée , et l'autre plus 
entière ; et pour vous dire la verité, ie ne puis 
affermer si ce sont dents humaines ou bien de 
quelque monstre terrestre ou marin, Car la forme 
en est extraordinaire , comme vous verrés par 
celle que ie vous enuoye avec la presente, qui 
est la plus entiere des deux ; et ce que disent 
les Mores de l'inuention de ce corps sont toutes 
resueries qui n’ont niraison, ni fondement. Voila 
ce que ie vous puis dire de ce colosse , duquel on 
ne parle plus icy , comme si iamais on n'en avoit 
rien veu , ni sceu. J'ay receu le mappemonde qu’il 
vous a pleu m'enuoyer, duquel ie vous remercie 
tres humblement et vous en demeure tres obligé ; 
et affin de vous donner quelque entretenement 
des bagatelles de ce pais, vous receurez s’il vous 
plaist vn petit pacquet des broüilleries de la 
Meca que vous pourrés conuertir en deuotion ; 
yn autre pacquet de medailles et monnoyes an- 
tiques latines et cartaginoises. Les cartaginoises 
n'ont point d'inscriptions, et portent vn cheual 
ou teste de cheval auec quelque palme d’un costé 
et vne teste de l’autre. Il y a yne cornaline an- 


120 Mélanges. 


tique qui porte sept etoiles et vn croissant au 
reuers, et on m'a asseuré qu'elles ont esté gra 
uées au point de quelque constellation, et que 
la lune est la planete dominante , et que cette 
cornaline a grande vertu, mais on ne m'a sceu 
dire qu'elle, et ie n’en crois rien. Vous rece- 
urés aussy deux œufs d'autruche et vingt liures 
que ie vous enuoye pour mettre a vostre libraire, 
et pardonnés moy, monsieur, si ce peu ne COr- 
respond à ce que ie vous dois. Je suis graces à 
Dieu libre et franc , etie puis sortir d'icy quand 
ie voudray ; mais la difficulté du passage me fait 
resoudre a demeurer encore en ce pais quelques 
mois; et soit icy ou ailleurs, vous me trouuerés 
touiours tres prompta vous obeir et seruir d’aussy 
bon cœur et affection que ie suis, 
Monsieur , 
Vostre etc. 


Tuomas DE ARcos. 
À Tunis, ce 15 mars 1631. à 


BED RER LME 
A ME, AY C A RD: 


Monsieur, 


Il y a enuiron vn mois que ie vous enuoyay, 
par une barque de Marseille , vne petite caissée 
serrée a clef et deux tourterelles blanches dans 
vne cage; dans la caisse il y auoit vingt liures, 
vn pacquet de medailles, vn autre pacquet de 
broüilleries de la Meca, et la dent du geant 


… 


Lettres de Peiresc. 121 


auec deux œufs d’autruche, le tout pour M. de 
Peiresc sans titre, remettant a vous a mettre 
ses qualités que ie ne sçay pas; desquelles ie 
vous supplie m’aduiser , affin de ne faire erreur 
vne autre fois quand ie luy escriray. Depuis l= 
partement de la barque ; ie me suis retiré en rmAon 
hermitage de la Cala, ou ie suis a present pour 
changer d'air et tacher a recouvrer la santé d'yn 
œil qui m'est resté fort endommagé, toutefois 
sans deformité. Je vous supplie d’asseurer M. de 
Peiresc que ie suis fort son seruiteur , et qu'il 
me peut commander librement. J'ay depuis mon 
retour en ce lieu traité auec quelques Mores sur 
J'inuention du geant de l'année passée , et vn d'eux 
qui est estimé grand negromancien , ma asseuré 
que le nom du geant estoit Menoïel min el Mou- 
tideri ; il vecut Goo ans, et mourut il y a 4000 
ans. Sa femme l'empoisonna. Il eut 17 enfans, 
7 femelles et 10 masles. Vous croirés, et ie crois 
aussi que ce sont des reueries; mais ce More m'al- 
legue tant de theologie negromantique , de la crea- 
tion de plusieurs mondes, et de la qualité des es- 
prits, que ie crains d'estre estimé ridicule si ie 
Wous escrivois tout ce qu'il m'a dit. Vous fairés 
part s’il vous plaist a M. de Peiresc de ces belles 
resueries , affin qu’il en prenne »n pasto de riso. 
Jay recouuert de ce docteur More vne pierre 
grosse comme vn grand œuf, d’etrange façon, 
toutefois naturelle, dans laquelle il affirme qu'il 
y a l'ame d'yn empereur qui souffre tourment 
dans ladite pierre , et que le plus grand est d'estre 
manié et traité des humains, Il n’y a rien de 


122 Mélanges. 


nouueau en Ce pais, sinon que les corsaires font 
de grands domages, et surtout aux François. Le 
camp est au pais des Datiles, et tient assiegée 
une ville de Mores rebelles qui s'appelle La Ha- 
ma, qu'on dit estre tres forte par nature ; on 
attend touts les jours les nouuelles de sa prise, 
qu'aucuns difficultent. Je me recommande à vos 
bonnes graces , Dieu soit votre garde. 


Monsieur, 
Vostre, etc. 


Tomas DE ARcos. 
De La Cala, ce 10 auril 1631. 


LETTRE V. 


A M'. DE PEIRESC, 
A Aix. 


Monsieur, 


Vos deux lettres du 10 et 13 de may m'ont esté 
renduës doctes et curieuses , bien demonstratiues 
de vostre grand sçauoir et jugement, et d'autant 
qu'elles excedent en grand degré ma pauure et 
petite capacité , et que ie ne puis satisfaire selon 
mon desir a la reponse qu'elles meritent ; neant- 
moins pour vous complaire, bien que confus et 
estonné, ie vous representeray auec ma simpli- 
cité et ignorance le desir et affection que ï'ay de 
vous seruir et obeir. 

J'ay receu la cornaline qu'il vous a pleu me 
renuoyer, ettacheray de l'approfiter , en change 
de quelqu’autre curiosité comme vous me con- 


Lettres de Peiresc. 123 


seillés, bien qu’en cette négotiation il faudra 
que ie traite secretement, parce qu'elle a esté 
enleuée à Joufday , roi de Tunis, qui en faisoit 
grande estime , et peut estre , comme vous dites , 
vainement. J'ay aussy receu yne petite medaille 
d'argent qui l’accompagnoit, de laquelle veus ne 
me marqués rien en vos/letires , et ne me puis 
imaginer pourquoy vous me l'aués enuoyée : elle 
est de Vespasien et l'inscription est au reuers des 
autres. Je vous la renuoye pour en faire ce qu'il 
vous plairra. 

Quant a l'vsage des chappellets turchesques 
que vous desirés sçavoir, jay appris qu'il est 
fort ancien entre les musulmans, et plus de 300 
ans auant celuy inuenté par S. Dominique entre 
les chretiens. À chaque grain ou pater noster , 
ils disent stafarla , qui est a dire pardonne moÿ 
seigneur. Au commencement il y a vne petite 
forme de pilier sur lequel ils disent vne certaine 
oraison , et les lacs d'amour qui y sont ne seruent 
que pour ornement, comme nos boutons que 
nous mettons a nos chapelets pour y attacher 
quelque médaille : les grains et les plaques que 
vous y remarqués ne sont que pour galanterie 
et les beautifier en la diversité des couleurs. 
Voila ce que j'en ay peu apprendre. 

J'approuue ce que vous dités de la dent pétri- 
fée ; la fabrique ou elle fut trouvée est de pierre 
seche , meslée auec de la chaux plus dure que 
la mesme pierre, Je vous enüoye vne petite dent 
et d'autres fragmens d’os que ie trouuai sur le 
lieu mesme ou gisoit ce monstre: Quand a l'in- 


124 Mélanges. th 


formation des noms supposés que luy donnent 
ces Mores, ils n’en ont autre preuue que ce que 
leur reuelent certains esprits malins, et men- 
teurs , avec lesquels ils traitent ordinairement, 
et tout ce qu'ils disent n’est que confusion et ba- 
dineries. Neantmoins comme les Mores croient 
qu'il y a eu plusieurs autres mondes auant celuyÿ- 
cy , et qu'il ya eu divers Adams, de la ie crois 
qu'ils ont pris la hardiesse de dire que ce supposé 
geant estoit d'vn autre monde auant le dernier 
Adam : et me semble avoir leu que quelques an- 
ciens rubins ont tenu la mesme opinion ; et qu à 
la fin de chaque monde Dieu convertit les ames 
des sauués en anges, et celles des condamnés en 
diables et demons, selon la qualité de leurs of- 
fences, et pour cette cause ne se trouve en la sainte 


Escriture aucune mention de la creation de ces 


esprits. 

La pierre en laquelle ils disent estre enfermée 
l'ame d’vn empereur , ie l'ay desrobée , et vous 
l'enuoye : ils m’auoient promis de le faire parler 
moyennant certaines paroles , et caractères , la 
lavant dans le sang d’vn bouc tout blanc , mais 
parce que cela estillicite, ie n’ay voulu en voir, 
ni attendre l'épreuue. 

J'ay esté bien aise de voir le catalogue des 
liures arabes qu'il vous a pleu m'enuoyer des- 
quels j'en ay reconnu vn traduit en langue an- 
glaise intitulé : Æbufade alsiuti chronicum 
AEgyptiacum. Je desirerois fort auoir vn alco- 
ran latin ouitalien. En l'an 1143 , Robertus Re- 
tinensis Anglus en fit une traduction latine a la 


i 
| 
| 1 


Lettres de Peiresc. 125 


persuasion de Perrus - Cluniacensis , Vépitre 
duquel a S. Bernard sur cette matière est ex- 
tante. Vn'autre traduction latine fut FE. au con- 
cile de Constance, par Joannes Segobiensis , es- 
pagnol. Il se trouue aussi vn'autre traduction 
d'Arabique en italien par Andren Arriuabene ; 
et bien que Scaliger le plus grand Zinquista de 
nostre temps dit que ces traductions et parti- 
culièrement l'italienne sont errées en beaucoup 
de lieux , néantmoins pour satisfaire à ma curio- 
sité ie desire grandement d'en auoir vn exem- 
plaire de quelque langue que ce soit, et si en 
cela vostre possibilité me peut fauoriser ie vous 
en auray une tres grande obligation. 

J'ay pris la hardiesse de vous enuoyer et de- 
dier vn petit memorial espagnol que jay escrit 
du gouuernement des princes, vous le receurés 
s’il vous plaist en témoignage de l'honneur que 
ie desire vous rendre , et me fauoriserés de le 
censurer et corriger ou vous iugerés quil sera 
nécessaire ou raisonnable. Pardonnés moy si vous 
y trouuerés quelques raieures que ïi'ay faites 
ayant recouuert vne Bible vulgate, au lieu d'vne 
espagnole que certains juifs m’auoient prestée 
vn peu suspecte : et s'il est mal escrit ray laissé 
de le mettre en meilleur ordre pour ne pouuoir 
comporter le mal de mon œil le trauail de le res- 
crire au net. 

J'ay esté ces jours ‘passés voir mon patron qui 
* est à une sienne metairie loin deux journées de 
Tunis vers le Ponent appellée Duca , ou et par 
chemin j'ay veu et recueilli certaines antiquités 


126 Mélanges. 


que ie vous enuoye en vn mémoire que Vous 
trouuerés dans le liure que ie vous ay dédié, T'ay 
entendu qu'il s'en retrouue d’assés plus remar- 
quables en autres lieux de ce royaume ou espère 
d'aller pour les recueillir et vous en faire part, 
et a ce que ie puis comprendre elles sont beau- 
coup plus et plus notables, que celles qui se re- 
trouuent dans Rome mesme. 

Je ne sçay en quelle façon vous remercier du 
vin qu’il vous a pleu m'enuoyer selon que m'es- 
crit M. Aycard, et suis en peine si ie dois Jouer 
en cela votre libéralité on taxer vostre prodiga- 
lité : neantmoins pour ne m'’esloigner de mon 
deuoir ie vous en faits mille remerciemens et 
vous supplie de me donner quelque occasion de 
meriter cette faueur que j'ay grandement admi- 
rée et estimée. 

J'enuoye a M. Aycard vne petite caisse dans 
laquelle i'ay mis a/gunas ninnerias pour vous 
présenter de ma part dont la liste est cy iointe , 
que vous receurez s’il vous plaist en souuenance 
de l'affection que i'ay de vous seruir et honorer, 
et du desir que j'ay de receuoir ves commande- 
ments auxquels i’obeiray touiours d’aussy bon 
cœur que ie suis et seray toute ma vie, 


Monsieur, 
Vostre , etc. 
Tomas DE ARcos. 


De Tunis, ce 20 d'octobre 1631. 


Lettres de Peiresc. 127 


Liste de ce qu’il y a dans la caisse 5, Pour 
M. de Peiresc. , 


Praticarum conclus. Card. Tus. in-folio grand. 
8. tom. 

Vn plat de bois , vne eiguiere et deux petits 
plats de cuir doré et peint a la turquesque. 

75 medailles grandes et petites et certaines 
pierres petites en octangule qui naissent ainsi na- 
turelement. 

3 Pierres d'agathe, les deux peuuent seruir 
de pommeaux d'espées et dague. 

2 Pierres sanguinaires. 

5 Manches de couteau de diaspre. 

2 Lampes antiques de terre rougeatre. 

2 Petits poids romains de pierre noire, an- 
tiques. 

Vne pierre blanche entrelassée , qui est celle 
ou les Mores disent y avoir dedans l'ame d'un 
Empereur. 

Vne paire de pantoufles a la christianesque , 
et vn'autre rouge a la moresque. 

Vne petite dent retrouuée auec celle du geant 
de l’année derniere. 

Vn memoire d’antiquailles recueillies de nou- 
ueau. 


Memorial pera principes , dedié a M. de 
Peiresc. 

Vne petite medaille d'argent de Vespasien, 
escrite a [a reuerse. 

Vn papier dans lequel y a des os et poudre 
d'vn geant. 


128 Mélanges. 


LETTRE YL 
AM AMC AR D; 


MonwsrEeur, 


Depuis vous auoir escrit par Ripert, ie vous 
ay aussi donné auis par la voye de Ligorne de 
son partement et de ce qu'il vous doit rendre de 
ma part; j'ay du depuis sçeu son naufrage en 
Sicile, que ce qu'il vous porte estoit bien con- 
serué etque pour tout le mois de januier passé le 
vaisseau prendroit le chemin de Marseille ou je 
crois qu'il aura arriné et que vous aurez receu 
ce que je vous enuoie. J'attends avec la pre- 
miere barque qui viendra icy vostre reponse et 
l'escarlate ronge que ie vous ay prié m'enuoyer ; 
il n'y a par deça aucune chose de nouueau sinon 
qu'il semble que les mores veulent vne autrefois 
se souleuer ; il y a en cette année de fort grandes 
pluyes et on espere vne grande recolte de bleds. 
Il vaut a present 15 francs le casis qui pese 600 
Eures de Marseille ; l’on m'a entoyé vn epi- 
taphe de Biserte nouuellement trouué escrit sur 
vne pierre de douze palmes de long et cinq de 
large et autant de grosseur en carré, en lettres 
najuscules fort grandes , je vous l’enuoye cy in 
clus, etil vous plairra en faire part a M. Peiresc 
et luy presenter mes tres humbles recommanda- 

ticns. 
M. Samson est a Cap Negro deuant Tabarque 
aucc ‘Tagepbey et on dit qu'il veut laisser le 
Bastion 


Lettres de Peirese. 129 


Bastion et prendre ce Cap qui est de Phnis luy 
attend a faire ses affaires et celles du roy et de 
la nation il les negocie avec de belles paroles et 
point d'effects, sur ce ie vous baise les mains et 
prie Dieu vous donner sa sainte grace. 
Vostre tres humble et tres 
affectionné seruiteur. 
Tomas DE Arcos. 
De Tunis, ce 2 auril 1635» 
Recommandés moy s’il vous plaist a Ripert. : 
Et au dessus est escrit a M. M. Honnoré Ay- 
card , a Tollon, 


IMP. CAESAR M. AVRELIVS ANTONINVS. PIVS AVG: 
PART. MAX. BRIT. MAX. GERM. MAX. TRIB. POT: 
XVIII. COS III PP RESTITVIT. 


LETTRE VIL 
A M'. DE PEIRESC. 
MonsiEur, 


Il y a enuiron vn mois que ie vous escriuis 
au long et vous enuoyai vn Nouueau Testament 
Arabique vn peu maltraité, vn MS. assés broüil- 
lé, et la copié du Memorial des princes en ita-. 
lien , auec quelques medailles, croyant qu’aurés 
receu le tout, et aussi la volonté et affection que 
lay de vous seruir et honorer. Je trauaille de 
mettre au net la Relation d’Affrique dont ie vous 
ay auisé , et aussitost qu'elle sera acheuée ie ne 
fairay faute de vous l'enuoyer et de la remettre 


T, V. Septembre 1806. I 


150 Mélanges. 

a vostre censure et correction. Les bonnes Dat= 
tiles ne viennent icy qu'au mois de januier , et 
en ce temps la ie ne manqueray a vous en en- 
uoyer des fraiches et des meilleures. 

Le S', Claude de Martin, porteur de la pre- 
sente, a serui icy de chancellier en ce consulat, 
et s'est porté fort dignement et fidelement en sa 
charge. Je vous supplie tres humblement qu'aux 
occasions qui se presenteront de luy departir 
vostre faueur vous luy fassiés connoistre que 
mon intercession luy seruira de quelque chose 
en vostre endroit. Il vous dira les nouuelles de 
ce pais et pour cela ne vous en escriray aucune 
chose, me remettant à ce qu'il vous en infor- 
mera. Cependant ie vous testifie et asseure que 
l'ay un extreme desir d’estre conserué en l’hon- 
neur de vos bonnes graces et de receuoir vos 
commandements en quelque estat que ie me 
trouue , et m'estimeray touiours valoir quelque 
chose si ie pourray vous seruir selon vostre me- 
rite et mon desir. Dieu m'en fasse la grace et de 
vous voir le chef orné d’escarlate pour couron- 
ner les vertus qui sont dans vostre ame, que 


i'admire et reuere. 
Vostre , etc. 


DE Arcos. 


De Tunis, ce 25 novembre 1632. 


Lettrés de Peiresé. À i31 


LETTRE VIIL 


A M'. AYCAR D. 


À Toulon, 
Monsieur, 


Je dois la réponse à quatre de vos lettres, 
cette cy payera ce debte vous disant auoir re- 
ceu tout ce qu'il vous a pleu m'enuoyer par 
Patron Antoine qui dechargea sa barque à Bi- 
serte. Je vous remercie du tout tres humble- 
ment , et estime grandement le soin que vous 
prenés de m’enuoyer tant de curiosités, qui m'ont 
esté fort agréables, 

Il y a longtemps que ie n'ay veu aucune lettre 
de M. de Peiresc, et ie soubçonne que le chan- 
gement de mon habit ne luy aye fait changer son 
affection et bienveüillance enuers moy. C'est 
pourqüoy ie n’oze luy escrire craignant qu’il n’en 
receut deplaisir, chose qui m'affligeroiït grande- 
ment, car ie n'aÿ iamais esté porté a interesser 
di dcplarret à mes amis, et particulierement per- 
sonnes releuées de merite, comme est M. de 
Peiresc. Je vous supplie l’asseurer de ma part 
que ie desire grandement le seruir et honnorer ; 
et que pour mon regard ie suis ce que l'ay esté, et 
non pas ce que l’on pense. J'ay receu ces jours 
passés du vin muscat, des prunes de Brignolle, 
des raisins de Damas et de Capres par la voye 
de Marseille qu'on m'escrit, le tout estre de la 
part de M, de Peiresc, de quoy i'ay esté esbahi 


192 Mélanges. 


et honteux tout ensemble pour n'auoir pas me- 
rité tant de faueur et courtoisie. Auec tout cela 
l'ay pris le tout auec le respect et la reuerence 
que ie deuois à vn si grand bienfaiteur, et vous 
supplie lui escrire que ie luy en demeure tres 


redeuable. Je luy enuoye quelques datiles auec - 


deux lampes de terre antiques, de quoy vous 
luy donnerés auis et que l'espere dans un mois 
d’acheuer de mettre au net ma Relation Affri- 
cana pour la luy mander auec le premier pas- 
sage qui s’offrira. 

Quant a mon panache qui ne se trouue a 
vendre, faités en ce qu'il vous plairra, il m'a 
cousté vingt piastres , et ie croyois que ces plu- 
mes d'heron fussent plus requises en France, 
vous asseurant que ie les ay veus vendre il y a 
trente ans a yn escu l'une. Les plumes planches 
que vous dités sont faillies en ce pais, et pour 
quelque diligence que ïaye fait, ie n’en ai peu 
recouurer ; on ma bien promis que i’auray les 
premieres et les plus belles, mais grand Dieu le 
scayt. 

Je n'ai peu vous enuoyer du cuscuso, car il 
le faut secher quelque temps au soleil pour estre 
bon, et le temps a esté si pluuieux cet hyver 
qu'il a esté impossible, a son temps ie ne man- 
queray a mon deuoir. 

Je vous prie de me donner de vos nouuelles 
et ce que ie dois esperer de l'amitié de M. de 
Peiresc, car son silence m’a grandement trou- 
blé, et crains qu il ne m'aye abbandonné pour 
quelque mauuaise opinion qu’il a de moy. Je me 


dre À 


À 
ettres de Peirese. * 133 


recommande a vos bonnes graces, et prie Dieu 
vous donner les siennes. 
Vostre, etc. 


Osman DE ArcCos. 
De Tunis, ce 15 mars 1633. 


LETTRE IX. 
AV MESME. 


MoxsIEUR, 


Je vous escrits encore ce mot la barque n’estant 
pas encore partie. Il m'est tombé entre les mains 
va liure nouueau venu d'Espagne qui n’est pas a 
depriser, tant pour ce qu'il traite comme pour 
la reputation de son autheur ; il n'est pas de ma 
profession, et pour ce ie vous le remets, vous 
supliant de l’enuoyer de ma part a M. de Peirese 
qui le mettra en sa librairie. Si cette barque eut 
demeuré encore huit ou dix iours, ie luy eusse 
enuoyé mes Relations A ffriquaines qui sont pres- 
que acheuées , et m'ont travaillé le corps et l’es- 
prit a les transcrire au net, m'ayant l’age re- 
tranché beaucoup de commodités desquelles ie 
ioüissois en ma ieunesse , et a present deficit vir- 

‘sus mea, et lumen oculorum meorum non est 
_ mecum. Si ien suis marri d'un costé, ie ne le 
suis pas de l’autre, parce qu’auec cette couuer- 
ture de vieillesse, i'excuseray touiours mes def- 
fauts, ie ne vous diray autre chase sinon que ie 
vous suplie de me recommander aux bonnes 
graces de M. de Peiresc, et luy dire que sans 


134 Mélanges. 


scrupule il peut au moins ër conuertendo traiter 
auec les pecheurs, et que du tout ie suis son tres 

humble seruiteur , et sur cela ie demeure, 
Monsieur, 
Vostre, etc. 


Osman pr Anrcos. 
De Tunis, ce 23 mars 1633. 


LETTRE X. 


AV MESME. 
A Toulon. 


Monsreur, 


Je vous ay escrit il y a peu de jours par la voye 
de Marseille, et ay enuoyé a M. de Peiresc un 
liure nouueau de theologie imprimé a Salaman- 
que. Je n'ay point escrit a mond. Sr. de Peiresc 
croyant que son long silence aura procedé de 
quelque mecontentement de ma personne et qu’il 
n'a plus agréable ni moy ni mon seruice. Je vous 
suplie neantmoins de l’asseurer que ie n’ay point 
changé ni alteré l'affection, l'honneur et le res- 
pect que ie luy porte. J'ai acheué ma Relation 
Africaine, et n’attends que l’occasion de vous 
l'enuoyer pour la présenter de ma part a M. de 
Peiresc ; et si pour l'amour de moy il ne la vou- 
dra accepter , ie vous prie de faire en sorte que 
pour l'amour de vous il la recoiue. J'auray soin, 
par la premiere barque de vous enuoyer ladite 
Relation, du Cuscuso et des peaux de Vautour. 
Je vous renuoyeray aussi le liure du salut d'Ori- 
gene bien qu'a regret, car c’est vne des rares 


À 
Lettres de Peiresc. * 195 


pieces que l’aye encore vüe sur ce sujet, et digne 
d'estre admirée et estimée. Je ne vous fairay plus 
long discours priant Dieu qu’il vous donne le bien 
et le contentement que ie vous desire. 

Vostre, etc. 


Osman DE ARcos. 
Tunis, ce 30 mars 1653, 


LPATRE-XL 


AV MESME. 
A Toulon. 


MonstrEUR, 


Le 30 du passé ie vous escriuis, du depuis s’est 
presentée l’occasion du patron auquel ay baillé 
pour vous consigner la Relation Affricaine et le 
liure du Salut d'Origene qu’il m’a promis de vous 
rendre bien et fidelement. Vous le receurés s’il 
vous plaist, et après l’auoir veu, et censuré mon 
ignorance et simplicité, vous le presenterés de 
ma part et de la vostre à M. de Peiresc, pour 
lequel ie l’ay trauaillé et escrit, non tant pour 
contenter sa curiosité, comme pour temoignage 
de l'honneur et respect que ie porte à ses émi- 
nentes vertus et qualités. Il trouuera dedans beau- 
coup de choses a corriger et force erreurs d’en- 
tendement et de plume. L’ortographe y est fort 
mal obseruée , et enfin l’ordre et le stile le faira 
estimer digne d’estre desestimé. Je ne cherche 
point de gloire sinon que l’on croye que ï'ai beau- 
coup trauaillé pour faire rien qui vaille. Il n’y 
a aucune chose dedans qui soit mal sonante ni 


136 Mélanges. 


contraire aux loix de l'Eglise catholique et ay 
anticipé expressement la datte aftin dé donner à 
entendre que ie l’ay escrit du temps qu'on m’es- 
timoit homme de bien. Je n’y ay point voulu 
mettre mon nom de peur de scandaliser ceux 
qui me connoissent a present, et en particulier 
M. de Peiresc qui (selon que ren iuge par son 
silence ) en pourroit auoir quelque scrupule. Au 
contraire j'ay dit mal de moy mesme en plu- 
sieurs endroits, pour dire bien de choses que 
l'ay autrefois professé. Outre plusieurs choses 
que mon ignorance n’a pas sceu bien expliquer, 
on y trouuera en beaucoup de lieux cette parole 
Steres qui est vne certaine chose faite de joncs 
pour s'asseoir fort vsitée en ce pais. Je vous su- 
plie si elle n’est intelligible de la reformer et 
corriger , car ie l’ay escrite comme on l’ap- 
pelle icy, et peut estre qu’en cela ay failli. I 
vous plairra de le rendre aux pieds de M. de 
Peiresc, affin qu’il me fasse l'honneur de le voir, 
censurer, Corriger et receuoir pour sien, et de 
ma part luy dire, hic vre, hic seca vt in æter- 
num parcas. Je n’ay osé ni ose luy faire plus 
long discours , remettant cette affaire a vostre 
prudence et discretion. Vous m'auiserés s’il vous 
plaist du receu estant bien marri que ie n’aye 
loisir de vous escrire plus aû long, parce que 
le porteur presse, et ie n’ay temps d’estre plus 
prolixe, Dieu soit vostre garde. 


Vostre, etc. 


Osmax DE Anrcos. 
Pe Tunis, ce 2 auril 1633. 


Lettres de Petresc. 197 


LETTRE XITL 


AV MESME. 
A Toulon. 


Monsieur, 


Je vous ai escrit par la voye de Marseille, et 
enuoyé la Relation d'Afrique pour M. de Pei- 
resc. Je vous suplie de m’enuoyer s’il sera pos- 
sible d’avoir de certaines plantes de roses de 
Gueldres qu’on dit estre assés communes a pre- 
sent en France; et on m'a dit qu’elles sont fort 
curieuses ; et si les plantes seront incommodes, 
il faut au moins auoir de la semence. IL vous 
plairra aussi m'enuoyer de la semence de bet- 
teraues qui ne se trouuent icy , et les meilleures 
que j’aye veües en France sont entre Valence 
et Vienne. J'attends auec impatience de vos nou- 
uelles et de sçauoir comment ie suis en la bonne 
grace de M. de Peiresc , duquel ie suis fort affec- 
tionné seruiteur. Je crains qu'il ne m'aye escarté 
pour quelque valet de trefle, et seray tres marry 
d’auoir perdu l'amitié et bienueillance d’vn si in- 
signe personnage. La jalousie me fait dire ceci, 
et la suspicion m’en est accreüe par son long 
silence. Je ne laisseray pour cela d’estimer sa 
vertu et son mérite, et siie ne mangeray a sa table, 
ie me contente des miettes qui tomberont d’icelle ; 
. vous m’entendés bien, encore que ie parle en ca- 
nanée. Je prie Dieu vous donner le bien que ie 
vous desire. Vostre, etc. 


Osman DE Ancos. 
De Tunis, ce 17 auril 1635. 


1358 Mélanges. ; 
LETTRE XIII. 
AV MESME. 
MonsIEUR, 


Je suis estonné et surpris de ne receuoir au- 
cunes de vos nouuelles; ie ne veux pas croire 
que vous m'ayiez abbandonné ; c’est pourquoy 
ie vous supplie m’oster d'erreur, et si de mon 
costé il y a quelque manquement, ie me sou- 
mets a la penitence et satisfaction. J'attends auec 
grand desir la relation de tout ce que vous aués 
negotié auec M. de Peiresc touchant le liure que 
ie luÿ ai enuoyé, et voudrois volontiers sçauoir 
l'estime qu’il en a fait et l'opinion qu’il a de ce- 
luy ci et de la Relation africaine que ie luy auois 
enuoyé auparavant, chose que ie n’ay peu en- 
core sçauoir, et desirerois fort entendre sa cen- 
sure pour m’y arrester comme a chose definie 
et certaine. Je vous supplie de me consoler en 
cela et de m’escrire plus souuent que nr Ha a 
present, sinon vous me donnerés lieu de me 
plaindre de vostre oubliance et de ma disgrace. 
Je desirerois fort d’auoir vne sarbatane pour ti- 
rer aux petits oiseaux , longue pour le moins de 
cinq pieds; s’il s'en peut recouurer quelqu’une 
en vos quartiers, ie vous prie de me l’enuoyer. 
Je prie Dieu vous donner le bien que ie vous 
desire, 

Vostre , etc. 
Osman DE ARcos. 
De Tunis, ce 20 januier 1654. 


Lettres de Peiresc. 139 


LETTRE XIV. 
À M'. DE PEIRESC. 


Monsieur, 


Le 20 de mars ie receus, auec vostre lettre 
du 25 januier, la consolation que resperois de 
vostre courtoisie et humanité, et serois bien con- 
tent que vos lettres fussent moins ceremonieuses, 
pourueu qu’elles fussent plus frequentes. J’estime 
fort tout ce que vous dites et escriués ; mais ie 
ne puis en aucune façon approuuer les titres 
d'honneur qu’il vous plaist me donner pour m'en 
ressentir incapable , et veux croire qu’en cela 
vostre honnesteté à vouleu surpasser mon me- 
rite, et vostre generosité l'humilité de ma con- 
dition ; et comme il y a de l’excez en vostre 
bonté et bienueillance , de mesme il y a beau- 
coup de manquement au tres humble remercie- 
ment que ie vous en faits, pour n’estre bien que 
sincere , correspondant a vostre qualité et me- 
rite. Excusés en cela s’il vous plaist mon igno- 
rance et fragilité, et ressouuenés vous que ie suis 
en Barbarie , d’ou rien ne peut sortir qui ne soit 
barbare ; et quand on est a Rome, il faut vivre 
comme à Rome. 

Je n’ay peu obseruer les particularités de l’e- 
clypse de la lune que vous desirés,pour auoir receu 
vostre lettre après icelle; et quant a la situation 
de Tunis, on la tient communement sous le ge. 
parallele, a 34 degrés de latitude et 56 de lon- 


140 Mélanges. 


gitude, et autre plus exacte obseruation ne s'en 
est faitei usques a present, Je vous remercie tres 
humblement des liures qu'il vous a pleu m'en- 
uoyer, et au petit traité d'Arabie, J'ay leu plu 
sieurs choses contraires a la uerité, particulie- 
rement au fait de la religion, Quant a l'epitaphe 
punique duquel vous desirés tant l'impression, 
vous pouués estre asseuré qu'il n'y a aucun en 
ce pais capable de la faire ; et bien que les Mores 
soient fort barbares et ignorants, les Morisques 
Espagnols ne le sont pas moins, bién que plus 
supertilieux et hypoerites en leur loy ; et en leurs 
traitements ciuils, ils sont pires et plus cante- 
leux que les mesmes Juifs, Il est vray qu'ils sont 
plus ciuilisés que les Mores ; mais le tont n'est 
que vanité et arrogance , et leur semble que pour 
estre Espagnols, ils soient les premiers hommes 
du monde, J'ay parlé a vn certain renegat qui 
demeure au lieu ou est cet epitaphe , et Iny ay 
Promis dix escug s'il me peut apporter les mesmes 
pierres où il est escrit ; et bien que l'estime céla 
assés difficile , neantmoins il dit qu'il tachera de 
l'entreprendre, et en cela il n'y a sinon le tra 
vail et la dexterité, S'il se resout à l'entreprise , 
ie vous promets d'aller la moy mesme pour lui 
aider à faire ce chef d'œuvre , et affin qu'en de- 
molissant les pierres il ne gate celles que nous 
désirons, 

Ceux de ce pais qui pratiquent la terre des 
Negres né passent point de l'autre costé du Ni- 
ger, et disent que bien qu'on y retrouue des 
singes fort grands, cruels et malicieux, neant- 


Lettres de Peiresc. 141 


moins qu'ils ne sont point dociles comme ceux 
de Guinée. Toutefois vn renegat Ferrarois, qui 
a vescu longtemps en la religion d’Æuglla qui 
est en la Marmarica ; et est entré plusieurs fois 
dans la terre des Negres, m'a dit qu’estant vne 
fois dans ce pais la, luy et sa compagnie ren- 
contrerent vn Negre auec des chiens qui chas- 
soient vne figure d'homme sauuage , et l'ayant 
pris et tué par le moyen des chiens, ce renegat 
voyant vne figure parfaite d'homme , counuert 
neantmoins de poil assés court par tout son corps, 
demanda au Negre s’il n’auoit point peur de Dieu 
de faire ainsi tuer vn homme par des chiens. Le 
Negre luy repondit qu’il se trompoit , et que cette” 
figure bien que d'homme estoit yn animal qui 
paissoit seulement d'herbe ; et pour lui faire voir 
la verité luy ouurit le ventre, et tira hors les 
entrailles, qui estoient comme celles d'un mou- 
ton ; et le lendemain retournant a la chasse auec 
ce mesme renegat , ils découurirent deux de ces 
monstres masle et femele, auxquels ils firent 
donner la chasse par les chiens, qui bientost 
les atteignirent et mirent auec grande facilité en 
terre. Ce renegat m'a dit qu’il les contempla fort 
curieusement , et vit l'homme bien formé de touts 
ses membres , et la femme ni plus ni moins avec 
ses mammelles pendantes d’enuiron vn pied de 
long , et qu’estants ouuerts, leur entrailles es- 
toient comme celles qu’il auoit veu le jour pre- 
cedent, et reconnut que c’estoient des animaux 
et non des personnes, de quoy il demeura fort 
estonné. Ce renegat est homme de bon sens et 


142 Mélanges. 

de credit, et m'a conté cecy plusieurs fois sans 
varier en la relation. Et si cela est comme ie suis 
quasi en creance , Ce ne peut estre qu'un troi- 
siesme genre d'animal, comme vous dités , entre 
les bestes et l’homme, et peut estre qu’estants 
domestiqués , ils seruiroient de valets. 

Quant aux Galles desquels vous desirés plus 
de notice , ie crains que l’équiuoque du nom ne 
vôus aye fait imaginer ce que vous m'en escri- 
ués, Neantmoins ie repasseray mes liures et vous 
auertiray de ce que j'y trouueray, et si ie ne 
le faits a present excusés le mal de la goute qui 
ma surpris et m'en empêche, outre que ma veue 
est si fort affoiblie que ray de la peine a lire, 
et plus a escrire. M. Aycard ma enuoyé quel- 
ques paires de lunettes, mais improfitables , et 
desirerois fort en auoir pour l’vsage de 60 , 61 et 
62 ans d'âge. De loin ray la veüe assés bonne et 
claire sans lunettes ; mais de prés peu ou point. 
Je desire fort sçauoir le mistere de ces lunettes 
doubles desquelles vous dites vous seruir , et sça- 
uoir si elles sont doubles en la matiere, ou bien 
si c'est en mettant les vnes sur les autres, j'ai 
fait cette derniere épreuue qui ne m’a proffité en 
rien , et si c’est quelqu’autre inuention ie seray 
bien aise de l’apprendre: Touchant les liures de 
la supposée bibliothéque d’Ethiopie vous en serés 
mieux informé par l’histoire de frere Louis d’Vr- M 
reta que ie vous enuoye auec la presente bien 
que ie ne lui donne pas grand credit. 

Il est vray que les princes mahometans ne 
portent couronne et anciennement portoient vn 


Lettres de Peiresc. 143 


bandeau blanc qui estoit la forme du diademe 
des anciens rois Gentils; mais que les turbans 
ayent eu leur origine de cecy, en doute fort 
parce qu’ils sont beaucoup plus anciens que les 
mesmes mahometans. 

Il y a enuiron sept ans que ’avois commencé 
a escrire l’histoire des Ottomans en espagnol, et 
du depuis ie l’ayfcontinuée jusques à Soliman le 
Magnifique qui commença a regner l’an 1520, 
et voudrois bien l’acheuer pour estre chose digne 
et d'importance quant au sujet, bien que non 
quant au stile. La foiblesse de ma veüe m'a fait 
delaisser l’entreprise, ioint que c'est une ma- 
tiere pesante et longue. J’en ay escrit jusques à 
present plus de 550 feuilles qui est enuiron la 
moitié de l’histoire ; si Dieu me donne force ie 
tacheray de la continuer pour vous en donner 
la veüe, et bien que le gouuernement des Turcs 
est pour la pluspart militaire vous y remarquerés 
neantmoiïins des grands traits d’estat et de po- 
lice. 

Par cette barque ie vous enuoye vn rare ani- 
mal qu'aux Indes et en Perse on nomme Æ/za- 
ron , On tient que ses cornes ont la mesme vertu 
que celles de la licorne , et on en fait grande es- 
time; il est fort domestique, car on la pris vers 
Nubia fort petit, et dit on qu'il croistra encore. 
Sa course est merveilleuse et surpasse de beau- 
coup celle de touts autres animaux; on en auoit 
fait un présent a un grand et insigne Morabut de 
cette ville fort mon ami, des mains duquel ie 
Vay tiré pour vous l'enuoyer, vous asseurant 


144 Mélanges. 


que ceux qui l'ont veu et le connoissent me disent 
qu’il est fort rare et s’en trouve fort peu, parce 
qu'on ne les peut prendre a cause de leur velo- 
cité. Vn personnage principal d’icy m’en a offert 
vn bon et grand prix pour l’enuoyer au grand 
duc, mais l'estime plus M. de Peiresc que le 
grand duc et toute sa Toscane. Je vous enuoye 
aussi repliées dans vn feuillet du liure d'Vreta 
trois medailles, deux grecques et l’autre d'He- 
lene, mais ie Are si c’estoit de la mere du pre- 
mier Constantin , ou du dernier Paleologue qui 
toutes deux s’appelloient Helenes,. 

Depuis auoir escrit la présente , le Morabut 
qui ma donné l’Æ/zaron ma dit que ceux qui le 
luy apporterent luy dirent qu'ils le prirent fort 
petit, eta present il aura quelques dix mois, et 
que ses cornes doivent croistre d’une demesurée 
longueur ; il se laisse toucher domestiquement, 
et prend plaisir quand on lui grate le front ; au 
demeurant ie crois qu’il sera d’vne grande force, 
et qu'il croistra fort grand. Quant aux nouvelles 
de ce pais M. Aycard vous faira part de celles 
que ie luy escrits et ne m’offrant autre chose a 
vous dire après vous auoir tres humblement baisé 
les mains , ie prieray Dieu yous donner tout bien 
et félicité. 

Votre , etc. 


DE Arcos. 
De Tunis, ce 30 juin 1634. 


LETTRE 


Lettres de Peiresc. 145 


LETTRE XV. 


A M’. AYCARD,. 
À Toulon, - 
Monsieur, 


Je vous ay enuoyé par une barque de Mar- 
seille vn grand mouton de quatre cornes, et vn 
petit de cinq. Je vous supplie de faire mes tres 
humbles recommandations a M. de Peiresc , au- 
quel ie n’escrits pour la crainte que i’ay d’estre 
hors de ses bonnes graces. Je lui ay enuoyé vn 
vase d’alebastre, vne médaille et vn cameleon 
dont ie n’ay eu aucun auisde leur reception , 
comme aussi de la censure que ÿay tant desirée 
des manuscrits que i'ay enuoyés que ie suis hon- 
teux d'en parler d'avantage, et m’oblige a croire 
qu'on en fait aussi peu de cas que de ma per- 
sonne. Je sçay bien que ce ne sont pas pièces 
pour mettre en lumiere, sinon pour passer le 
temps ) beantmoins chacun aime ce qu'il en- 
gendre , et les singes aiment leurs singes bien que 
laids et difformes. Je suis en cela de leur natu- 
rel quant à l'amour , bien que non quant à l’in- 
discretion, et si ay esté importun et le suis 
encore en cette recherche je doits estre excusé. 
Je prie Dieu vous donner le bien que ie vous 
desire. 

Vostre, etc. 
Osman DE ARcos. 
De Tunis, ce 8 septembre 1655. 


T. F. Septembre 1806. K. 


146 . Mélanges. 


LETTRE 
DE M'. AYCARD 
A M'. DE PEIRESC. 
Monsieur, 


J'ay receu vostre lettre par laquelle vous me 
marqués que vous desirés sçauoir de moi les re- 
marques que je puis auoir fait sur les animaux 
que je vous ay enuoyé de la part du sieur d’Ar- 
cos (1); quand a la couleur ie n’en ay reconnu 

que de deux, de verd mouchetté, et de gris 
obscur , qui change quand il dort sur le vert 
obscur ; les verds je les ay veu changer mesme- 
ment lorsqu'on les expose au soleil, d’vn verd 
obscur tirant sur le jaune; de ceux qui sont 
morts il y en a de verds et de gris; les verds 
sont veritablement femelles par l'essai que j'en 
ay fait a celuÿ que je fis eventrer, et duquel 
j'en tiray 15 œufs , lesquels j'ay conserué hors 
vn qui se rompit, lesquels je vous enuoye dans 
vne boëte. Celuy que le sieur d'Arcos eventra, 
duquel il tira 35 œufs, estoit aussy de couleur 
verte, mais un peu plus gros que ceux cy. Je 
crois asseurement que la verte que je vous ay 
enuoyé est pleine, je leur ay veu aualer des 
mouches que je leur ay presenté au bout d’vne 
verge; elles dechargent leur ventre d’un excre- 
ment fort noir. Ce sont des animaux qui ont 


(1) Des caméléons. 


Lettres de Peiresc. 147 


leur mouuement fort lent comme vous avez re- 
marqué ; le sieur d'Arcos m’asseure que les fe- 
melles meurent lorsqu'elles frayent. Leur pas- 
sage de Tunis icy a esté de 12 jours auec vn 
temps assés beau ; les six qu'il auoit enuoyé sont 
venus dans la cage que ie vous ay mandé qui es- 
toit trop petite, et veux croire que ces deux 
qui moururent a la mer ce fut a eause qu'ils 
étoient pressés. Quant à leur dormir c’est la ve- 
rité que c’est a yeux clos; c’est tout ce que j'ay 
peu remarquer a ces animaux qui dementent en 
beaucoup de choses ceux qui en ont escrit, 
quand il se presentera occasion pour escrire a 
Tunis, je.vous en donneray avis. Je suis à jamais, 


Monsieur , 
Vostre , etc. 


AYCARD. 
À Tholon, le 25 octobre 1633. 


AV MESME. 
MoxsiEur, 


J'eusse volontiers conserué les yeux des ca- 
meléons morts pour satisfaire a vostré curiosité à 
mais il ne m’a pas esté possible, quel soin que 
J y aye aporté, car dans deux jours ils se sont. 
sechés en sorte qu’on n'y connoissoit plus rien ; 
la prunelle est composée de cinq rais; ayant 
voulu voir le dedans, j'y trouvay les nerfs op- 
tiques a cinq rameaux, Je n’estime pas que vous 
puissiés garder long temps ces animaux en 1 
car ils craignent grandement le froid; on les 


» 
. 


148 Mélanges. 

prend non gueres loin de Tunis, et ce sont les 
Granatins qui les prennent vers le printemps 
sous terre comme des taupes , et c’est dans ces 
caveaux qu'ils font les œufs, et les y couvent 
comme les. lezards ; l’esté ils se tiennent sur les 
arbres ; en effet le sieur d’Arcos en avoit une 
douzaine qu’il a tenu durant l’esté sur des oran- 
gers qu'il a dans la basse court de son logis , et 
ne les a pas tenu en cage. J’ay apris ces particu- 
larités de celui qui les a conduiten cette ville. 
Pour le sieur d’Arcos il m'en a donné autre ins- 
truction que celles que ie vous ay enuoyées par 
ma precedente ; si ces animaux sont venenus , 
je n’en ai peu rien apprendre. J'ai bien sçeu par 
l’homme qui les a conduit, que demeurant sur 
les orangers , ils se battoient entre eux , et qu'il 
en tomboit quelqu'un a terre dans ces conflits, 
et qu’un chat du sieur d’Arcos en avoit mangé 
trois. Quant aux excremens ie n’aÿ remarqué 
que ceux d’vn masle qui est meslé de noir et de 
jaune a couleur de pois. Quant au prix ie n’en 
sçay rien d’asseuré , et l'estime que le sieur d’Ar- 
cos les a pour rien, car comme il est là l’oracle 
des Granatins qui le consultent en touts leurs 
plus importants affaires (2), ils lui font des pre- 
sents de ces animaux. Je demeure, 


Monsieur , 
Votre, etc. 


AycARD. 
fe 2 nouembre 1633. 


(2) Apostille au bas de la lettre originale écrile de la main 


de Peiresc. 
Mustapha de Gardenas qui se dit roi des Andalus ou Gre- 


Lettres de Peiresc. 149 
AV MESME. 


MonwsrEeur, 


J'ai veu avec indicible plaisir ce que vous avés 
remarqué de plus curieux en la section que vous 
avés fait faire d’un des animaux que je vous en- 
voyai. Un Grenadin revenu de Tunis depuis deux 
mois , et qui connoit fort M. d’'Arcos, m'a asseuré 
qu'il y en a grande quantité dans les bois, et qu’il 
y en auroit encore davantage si les Maures ne 
leur faisoient la guerre au sujet que l'experience 
leur a donné la connoiïssance d’une oculte pro- 
priété qui se trouve en ces animaux pour la gue- 
rison de leurs chevaux; quand ils ont les avives 
ou qu'ils sont ateints du farcin , ils font torre- 
fier de ces animaux, les mettent en poudre , et 
font avaler de la dite poudre, qui a une telle 
vertu , que pour défait et débile que soit un che- 
val, il le remet, lui donne appétit, et se fait 
gras dans peu de jours. Il m’a asseuré qu'ils cou- 
vent leurs œufs sous terre, qu'ils ne sont point 
vénéneux, et qu'on les manie librement , qu’il 
en à pris quantité. Ce Grenadin, qui est venu 


nadins sortis d'Espagne y qui se lient a la Bourombaille, 
maison de plaisance qu’il a batie a six lieues de Tunis, et 
les Grenadins y ont fait un village pour etre pres de lui en 
grand nombre. Son pere etoit autrefois thrésorier des de- 
niers royaulx en Espagne, et prévoyant l'expulsion des 
Grenadins avoit envoyé ses facullés dehors avec son fils a 
l'avance du costé de Tholose. 


190 Mélenges. 
querir son père, parlira au premier passage , et 
: en pi j 
2 pos qu'il ne s’en ira point sans prendre 
Je suis, etc. 


. Aycanp. 
À Tolon, 22 nouembre 16353. 


AV MESME. 
Monsieur, 


Depuis ma derniere j'ai receu deux de vos let- 
tres avec les relations faites en Italie de l’embra- 
sement du Mont Vesuve, lesquelles je vous ren- 
voye avec les autres imprimés. Je vous ay envoyé 
la caisse que M. d'Arcos vous envoye. Cette re- 
lation qu’il vous envoye des antiquités qu'il a 
remarquées en ces contrées là , est belle, et qui 
m'a bien pleu, et encore plus ce manuscrit qu’il 
vous dedie du gouvernement du prince; il avoit 
cet œuvre pendant son sejour à la Cour d’Es- 
pagne , m'en ayant fait voir quelques fragments 
en passant par cette ville. Il vous envoye une 
cage de dates què s'ils feussent venus en son 
temps, c’estoit le plus beau fruit qu'on pouvoit 
voir; mais le long temps qu’ils ont demeuré dans 
la barque les a touts gatés. Vous aurés sceu comme 
ledit sieur d'Arcos m’a envoyé un jeune tigré qui 
n'a rien d’affreux que le nom, lequel j'ai creu 
que vous auriés pour agréable qu’il accompagnat 
vostre caisse pour vous l’offrir en present avec 
toute l'étendue de mon cœur. J'ai prié M. Ri- 


Lettres de Peiresé. 151 


pert, qui en a esté le conducteur de Tunis icy, 
ou il estoit esclave, et à qui M. d’Arcos a fait 
donner sa liberté à ma recommendation, d’ac- 
compagner l'animal jusques chez vous pour vous 
le presenter ; il gouverne aussi privément cet 
animal qu'un chien : vous en verrés les effets. Il 
ne fait point de mal aux chats; il se plait en 
leur compagnie ; nous en avons fait l'essay. Pour 
les chiens, il les mange. Quand il en a mangé 
un, il demeurera trois jours de manger si on 
n'y donne rien. Il boit fort. Ledit Ripert ap- 
prendra à quelqu'un des vostres la méthode de 
le gouverner. Il se plait dans sa prison. Quand 
il en sort, c’est pour y reantrer bientost de lui 
mesme. Ledit sieur d’Arcos m'escrit que les 
peaux de ces animaux sont fort recherchées des 
Turcs , et les payent jusq à 25 écus. Il est un 
peu maigre, parce qu'il a pati sur la mer. Il 
n'est venu personne de Naples il y a plus d’un 
mois, Par le premier nous justifierons ce que 
cet observantin hibernoiïs dit de cette eau trouble 
et chaude qui sortoit de la montagne. Celui qui 
à fait la relation dont je vous ay fait voir la co- 
pie n’est point Padavino , agent de Venise, mais 
bien Pietro Paolo Orlandi, Romain. Sur ce je 
demeure , 


Monsieur , 
Votre , etc. 
AYCARD. 


192 + Mélanges. 


LETTRE 
DE PEIRESC 
APP AC UE SUD LP IUT ; 


Prieur de Saint-Sauveur ( garde de la biblio- 
théque du Roi, mort en 1656 , avec une grande 
réputation de science et de vertu, éditeur de 
la pluspart des ouvrages de Pierre Du Puy 

. son frère. ) 

D’Aix, le 7 seplembre 1636. 
F 
J'ai receu huit caméléons vivans du costé de 

Tunis, reste de quatorze dont les autres sont 
morts en chemin. Ils estoient tous demi morts. 
Je les ai faits tous refaire et ravigourer avec un 
repas de 5 à 6 douzaines de’ vers, de la farine 
et 2 douzaines de sauterelles; car ils n’avoient 
rien mangé durant 15 à 20 jours de leur voyage, 
sinon quelques mouches en passant. Si j'en puis 
sauver quelqu'un l’hyver, vous ouirés dire que 
nous en aurons fait de jolies observations ; et si 
je trouve quelqu'un qui s’en puisse charger de 
bonne amitié, je vous en enverrai pour en pou- 
voir faire part à vos amis. 


Lettres de Peiresc. 153 


LETTRE 
DE M. CASS'AGNE, 


MÉDECIN DE MARSEILLE, 
A M'. DE PEIRESC, à Aix, 
Sur les Caméléons. 


Monsieur, 


Je m’esbahis de vostre curiosité, et admire 
vostré diligence , et m’estonne de vostre patience, 
ayant l'esprit capable pour les choses plus hautes, 
et vous tenir à ces minimes. Je n’aurois rien ré- 
pondu à ce que vous m’escrivés du caméléon, 
puisque vous estes temoin de veüe ; mais ayant 
eu pour plusieurs fois des caméléons , je m'es- 
bahis de ce que vous m’escrivés. Pour une fois 
j'en ay gardé cinq, six ou sept mois dans une 
cage à la fenestre de ma sale, les voyant à toute 
heure dans une cage que le cousin du roy d’Al- 
ger, Assan Bacha, me manda, l'ayant veu ma- 
lade en cette ville. L'un des cinq n’avoit que 
trois jambes , la quatrieme estant restée au filet, 
où l'on l’avoit attaché en prenant les autres. Il 
vequit autant que les autres. Depuis M. Béren- 
gier m'en porta quatre de Tunis, et depuis un 
marinier m'en donna quatre qui ne vesquirent 
que trois mois. J’ay bien observé qu'il est vray 
qu'un des yeux peut regarder par ce petit trou 
que lui laisse la paupiere au devant, et l’autre 


194 * Mélanges. 

au derriere , et voir ce qui est devant et der- 
riere sans se tourner, l'ayant prouvé plusieurs 
fois en les piquant au flanc lorsqu'ils cheminoient. 
Je n'ay pas anatomisé l'œil , et crois qu’il soit fort 
difficile, veu leur petitesse. Pour les muscles 
mouvans, je m'en fie à vous. J'en ay ouvert deux 
quand ils furent morts , et n’ay pas trouvé cette 
difference notable des ‘parties nutritives ; ains un 
boyau continuel sans grande circonvolution, un 
peu plus large vers le haut qui faisoit le ventri- 
cule. Point de sang , quelque sanie , et tout le 
ventre plein d’une bave comme de glaire, res- 
semblant à la pituite vitrée, et toute la peau au 
dedans du corps enduite de cette bave qui est 
comme glace, dans laquelle se representent les 
couleurs par la rareté de la peau ; quelque façon 
de petits œufs comme de poisson à l’entour des 
boyaux. Pour les couleurs , ils sont naturellement 
gris, reçoivent aisément le jaune, difficilement 
le verd et le noir, le rouge peu, et lé bleu du 
tout point. Pour le manger , touts ceux que j'ai 
eu n'ont rien mangé du tout. Je leur ay mis des 
mouches, des moucherons attachés avec du miel 
à la cage ; il n’en a manqué pas un, estants con- 
tés. Je n'ai jamais veu cette langue sortir pour 
chasser, et vous puis bien asseurer que en la 
cage, nous n’y avons jamais trouvé de l’ordure, 
‘ni pour les uns, ni pour les autres. Je ne vous 
aurais pas escrit ce que dessus , si ce n’est que 
vous m'escrivés que vous en faisiés un discours. 
J'en ai seché plusieurs à l'air sans les éventrer, 
et ne se sont point pourris ; mesme il n’y à pas 


Lettres de Peiresc. 159 


un an que j'en donnay un à M. de Monconis de 
Lyon, qui me vint voir. 

Quand à l’oculus de Scheiner, son anatomie 
en est bonne , et selon le dire des bons méde- 
cins. Je connois bien qu’il y a esté ainsi pour 
avoir particularisé le tout en un œil de bœuf ; 
car en celui de l’homme, il est mal aisé. La 
grande difficulté est qu’il attribue la principale 
vision à la retine membrane qui vient du nerf 
optique, et pour moi je crois que le principal 
effect de la veüe et le cerminus visorius est au 
cristallin. 


E 


EE 


VARIÉTÉS, NOUVELLES 


ET 


CORRESPONDANCES LITTERAIRES. 


NOUVELLES ETRANGERES. 


’ 
ÊÉTATS AUTRICHIENS. 


Une société composée des personnes les plus dis- 
tinguées de Vienne , capitale de cetempire, parmi 
lesquelles se trouvent les princes de Schwarzen- 
berg et de Lebkovitz, et les deux comtes de Palfy, 
a obtenu du baron de Braun la concession du bail 
des deux théâtres de la cour qui a encore 13 ans à 
courir , ainsi que les priviléges qui s’y trouvent at- 
tachés , pour la somme une fois donnée d’un mil- 
lion 325,000 florins. Ces seigneurs sont actuellement 
occupés du soin de former une direction générale 
des théâtres. 


L'Académie royale des Sciences du royaume de 
BonËmE a bien voulu se charger de l'annonce des 
deux questions suivantes , et de recevoir en dépôt la 
somme de cent ducats d’or, qui serviront de prix 
pour leur solution. 

PREMIÈRE QUESTION. & Quelles sont les défectuo- 
sités apportées en naissant , ou contractées plus tard, 
qui, d’après des principes anatomiques , physiolo- 
giques et mécaniques, rendent le cheval de selle, 
de trait et de bât absolument impropre au service 


| D 


Nouvelles liltéraires.- 197 


militaire, et quelles sont les défectuosités qui n’ex- 
_ cluent point cette aptitude au service ?» 

L'auteur du mémoire le mieux rédigé sur cette 
question intéressante, obtiendra le prix de 50 ducats 
d’or; et 20 ducats seront donnés à l’accessit, On 
désire qu’à ce mémoire se trouvent joints, 1°. une 
spécification exacte et fondée en principes des dé- 
fauts de race auxquels sont sujets les chevaux du 
pays habité par l’auteur ; 2°. un état exact et spécifié 
. des haras de ce même pays; 3°. une courte exposi- 
tion de la nature des encouragemens et des obstacles 
qu'y a éprouvés l'éducation des chevaux, dans le 
cours d’un siècle. 

SECONDE QUESTION, principalement adressée à 
d'habiles officiers de cavalerie , qui on£ médité 
sur cette matière. « Que peut-on conclure pour ou 
contre l’usage des chevaux entiers, et surtout pour 
. ou contre celui des jumens, appliqué au service mi- 
litaire? et faut-il, en tactique, dans la supposition 
d'une égalité de forces et de qualités, donner la pré- 
férence au cheval de haute ou de moyenne taille, 
pour le service militaire ? » 

Vingt ducats d'or sont destinés au meilleur mé- 
moire , et 10 à l'accessit. 

Ces mémoires , qui pourront être rédigés en lan- 
gue allemande , française , anglaise, Saletue , eS- 
pagnole ou latine, et qui doivent, suivant l’usage, 
être munis d’une devise avec le nom sous cachet de 
: l'auteur , et du lieu de son séjour, seront adressés , 
au plus tard, vers la fin d’août 1807, à l’Académie 
royale des Sciences de Prague. 

Les personnes qui ont proposé ces prix, désirant 
au reste que les pièces couronnées, les zccessit, et 
les autres mémoires qu’on aura jugés dignes d'une 
mention honorable , soient livrés à l'impression, en 


198 Nouvelles littéraires. 


forme de liaison méthodique, elles s’entendront 
ultérieurement avec les auteurs sur leur droit de pro- 
priété. : 

Prague, le 9 mai 1806. 


Par l’Académie royale des Sciences de Prague , 


Davin , directeur de l'Observatoire astronomique, 
et directeur temporaire de l'Académie. 


* L’archiduc JEAN a acheté la collection considé- 


rable de minéraux du professeur Jaquin l'ainé, à 
Vienne, pour la somme de 12 mille florins. 


BAVIRRE, 


L'organisation de l’Académie de Munrcx, atten- 
due depuis long-temps, n'est pas encore arrêtée. II 
paroît que les membres ne sont pas d'accord sur les 
. principales dispositions de cet ordre de choses. 


ETATS PRUSSIENS. 


L'Académie royale des Sciences de Berlin a 
tenu, jeudi 7 août, une séance solennelle pour fêter. 
l'anniversaire de la naissance du roi. Le secrétaire 
perpétuel, après l'annonce des prix de cette année, 
et des questions proposées pour l’année prochaine, 
proclama membres étrangers, 1°. M. Cuvirer, 
membre de l’Institut Énptiol de France; 2°. M.. 
Bawxs, président de la Société royale de Londres; 
3°. M. de Gortue , conseiller intime du duc de 
Weimar, auteur de Werther ; 4°. M. ZoEGA, agent 
du roi de Danemarc à Rome, et auteur de plusieurs 
excellens ouvrages sur les Antiquités ; 5°. M. HiN- 
DENBOURG, professeur à Léipsic. 


L'Académie a couronné dans sa dernière séance 
deux mémoires sur la structure et les fonctions des 


Nouvelles littéraires. 159 


poumons; le premier est de M. REISSEISSEN , mé- 
decin de Strasbourg (1); le second, de M. Sozm- 
MERING, conseiller privé de S: M. le roi de Ba- 
vière. La classe de mathématiques a déclaré n'avoir 
rien reçu de satisfaisant sur le problème relatif aux 
variations de l’obliquité de l’écliptique. En consé- 
quence, elle a remis le prix à deux ans. Enfin , l'A- 
cadémie a proposé, pour le prix de l'an prochain, 
ceite question de physique : « L’électricité a-t-elle 
»# une influence directe sur la force, plus ou moins 
» grande, du magnétisme ? et, cette influence étant 
s» prouvée par l'expérience , quelles sont les modi- 
» fications qu’en éprouve la force magnétique ? » 


M. de MEcuEL, qui séjourne pour le moment à 
Berlin , travaille à la gravure d'un tableau général 
des plus hautes montagnes du globe ; les célèbres 
voyageurs M. de Humsozp et M. de Bucs, ainsi 
que le mathématicien M. TRALLES , et l’astronome 
M. Bone , ont coopéré à cet ouvrage , qui méritera 
l'attention du monde savant. La première idée d’un 
pareil tableau fut suggérée à M. de Mechel par une 
représentation à peu près semblable des principales 
montagnes , qu'il avoit vue chez un peintre à Dresde, 
lequel l’avoit tracée d’après les descriptions de 
voyages. La gravure de M. de Mechel contiendra 
l'indication de 150 des montagnes les plus impor- 
tantes, et leur élévation au-dessus du niveau de la 
mer sera indiquée d’après les mesures les plus 
exactes qu’on possède. Les élévations sont calculées 


(1) M. ReïssEissex avoit publié, comme dissertation aca- 
démique pour acquérir le degré de docteur en médecine, 
la première partie de ses recherches sur la structure des 
poumons ; il a depuis completé son travail, qui a mérité 
les suffrages de l’Académie de Berlin. 


:60 Nouvelles littéraires. 


en toises de six pieds. Le dessin et la gravure sont 
executés par M. de Mechel, et M. de Humbold y 
joindra un texte explicatif fort succinct. L'Amérique 
se fait surtout remarquer par l'élévation de ses mon- 
tagnes. 


La Société polonaise des amis des sciences à 
Varsovie, a tenu le 17 mai une séance publique. 
Le respectable évèque M. Æ/bertrandi, qui en est 
le président, en fit l'ouverture par un discours où il 
rendit compte des travaux de fa Société, et où il 
parla des ouvrages que plusieurs membres vont mettre 
au jour, et en parliculier du voyage que le prince 
Alexandre Sapieha vient de terminer, et dont il 
communique les résultats au monde savant. 

Il annonça encore qu’à la prochaine séance la So: 
ciété proclameroit son jugement sur les ouvrages en- 
voyés au concours ; et qu'aucune des tragédies qu’elle 
a reçu n’a été jugée digne du prix. 

Il fit part à la Société que le chanoine Czay- 
kowski a été nommé membre résident, et le pro- 
fesseur Daniel ERHARD, ainsi que M. FRIEDLÆN- 
DER , docteur-médecin , ont été nommés membres 
honoraires. Enfin, que M. de Goldbeck, à qui cette 
Société a des obligations essentielles, venoit de 
mourir. 

Le conte Stanislas Porocxr lut un mémoire sur 
les médailles polonaises, considérées comme ou- 
vrages de l’art-et comme monumens historiques; il 
voulut, dans cet écrit, porter l'attention de son au-. 
ditoire sur l'ouvrage du célèbre antiquaire Alber- 
trandi, qui traitera cet objet, et qui va être publié 
incessamment. 

L'abbé Woroniez communiqua ensuite le plan! 
de son nouveau poëme épique national , intitulé la 

Lechiade ; 


Nouvelles littéraires. 161 


Lechiade; et il en lut le premier chant, qui à 
donné une idée très-favorable de l’ouvrage. 

M. le comte Felix Porockr prononca alors l’é- 
loge du comte PoruLickt, mort depuis peu , et qui 
s’est toujours montré comme un des membres les 
plus actifs de la Société. Un de ses écrits les plus 
importans est celui sur le succrn: 

L'abbé de Srafic termina la séance en continuant 
la lecture de la description de son voyage géologi- 
que, qu'il fit il y a peu de temps , par toute la Po= 
logne ancienne, et pendant lequel il a recueilli une 
grande quantité d'observations sur l’histoire natu+ 
relle de ce pays, et sur la géologie en général, mais 
surtout sur les monts Carpath qui avoient été l’objet 
spécial de ses recherches. 

Ces différens écrits paroîitront dans les mémoires 
de la Société, intitulés : Roczniki towavzystwa. 


M. l'abbé de Sraric, dont il vient d'être ques- 
tion, et qui s’est fait connoiître avantageusement 
parmi les littérateurs polonais, a fait, à la Société 
des Amis des sciences de Varsovie, un présent 
de 5,000 ducats qui doivent être employés à disposer 
un local convenable pour les réunions dé cette So- 
ciété. Elle a déjà fait acquisition de deux maisons 
situées près du château royal, et on est occupé à y 
faire les arrangemens nécessaires. 


Le Lycée de VARSOVIE qui, depuis deux ans, à 
reçu une nouvelle organisation, continue de pros- 
pérer sous la direction du savant M. Linde. Il est 
placé dans le vaste et beau palais de Saxe, dont les 
jardins sont depuis un siècle la promenade favorite 
de la bonne société de la ville. La bibliothéque de 
ce gymnase est destinée à être rendue publique ; 

1. F7. Septembre 1806. 


162 Nouvelles littéraires. 


elle est formée des débris de plusieurs bibliothéques 
particulières qui se trouvoient à Varsovie ; on es- 
père qu’elle sera augmentée par la bibliothéque con- 
sidérable de feu l’archevèque de Gnesen, le comte 
Ærasicki. Dans le courant de cette année, le gou- 
vernement a donné la somme de 1,000 écus pour 
l'achat d'ouvrages importans, au choix de M. Linde. 


- Dans la séance du 13 mai, M, BLUMENBACH a 
communiqué à la Société royale de Gœttingue, de 
la part de'M. le docteur Argers , à Brème, un 
des correspondans les plus actifs de cette compa- 
gnie savante, plusieurs mémoires de zootomie, ac- 
compagnés d’excellens dessins et de préparations 
qui s’y rapportent; dans l’un de ces mémoires l’au- 
teur a examiné l'œil du cabliau (gadus morrhua }; 
dans l’autre la vessie de l’hirondelle de mer ( rigla 
hirundo ). 


Les actionnaires de la nouvelle salle de spectacle 
de Kœnigsberg ont célébré, le 16 juillet, la fonda- 
tion de ce monument, en déposant sous la première 
pierre, placée par S. Ex. M. de Schroetter, ministre 
d'état, une cassette de cuivre qui contenoit les objets 
suivans : un parchemin où la cérémonie d’aujour- 
d’hui étoit décrite avec les noms des actionnaires ; 
une médaille du couronnement du roi; une autre 
frappée pour la naissance de la reine ; un plan en 
relief de la ville de Kœnigsbers, fait en 1806; le 
calendrier de la cour et du royaume, et une pièce 
de chaque monnoie frappée cette année. Ensuite 
l'ouverture fut fermée par une dalle de pierre, sur 
laquelle les chiffres de ladite année étoient gravés , 
et S. Ex. mit avec une truelle d'argent la première 
couche de ciment. Le soir, la Société des action- 
paires fit adresser ses remercimens au ministre , 


Nouvelles littéraires. 163 
dans un discours qui fut prononcé sur la scène de 
l’ancienne salle de spectacle. 


Jamais la mémoire de Luther n’avoit reçu tant 
d'hommages que depuis un an. Outre le grand drame 
dont ilest le héros , et qui se joue avec un succès 

-prodigieux sur le théâtre royal de Berlin, M. Ki1N- 
GEMANN vient de donner à Magdebourg, une tragé- 
die en six actes, intitulée Martin Luther. Les ha- 
bitans de Brunswick, impatiens de jouir de cet ou- 
vrage, ont obtenu que les comédiens de Magde- 
bourg iroient le représenter dans leur ville. 


DANNEMARCXK. 


Un rescript de S. M. accorde à la #7blrothéqué 
de l’université de Kiel , la somme de 6,000 rixd. 
pour être employée à des achats de livres et de cartes 
nécessaires, et compléter la collection des ouvrages 
de médecine, de physique et de chymie qui man- 
quoient à cette bibliothéque. 


Russie, 


. M. de KRUSENSTERN ; arrivé de son voyage aus 
tour du globe, va s'occuper de la rédaction de ses 
Mémoires. Une commission de l'Académie impé- 
riale des sciences lui sera adjointe pour vérifier 
les observations astronomiques. Tous les dessins 
qu'a rapportés cet illustre navigateur, seront remis 
aux plus habiles graveurs (r). 


ROYAUME DITALIE. 
Un décret de S. A.I. le prince vice-roi, daté de 


G) Nous avons déjà donné plusieurs détails sur cette in», 
féressante expédition, 


164 Nouvelles littéraires. 


Monza, le 17 juillet, et inséré dans le journal ita= 
lien , contient les dispositions suivantes : 


IL ne sera plus exercé aucune censure sur les 
ouvrages où journaux qui seront publiés dans le 
royaume. Le bureau de révision, chargé jusqu'ici 
de cette censure, est supprimé. Les auteurs sont 
responsables des écrits qu'ils publient ; et à défaut 
de leur signature, la responsabilité tombe sur les 
imprimeurs. Quiconque, par ses écrits imprimés 
aura attenté au respect et à la fidélité qu’on doit au 
gouvernement, provoqué la désobéissance aux lois, 
insulté à la religion de l'État, ou offensé les mœurs 
publiques, sera puni conformément aux lois. A l’a- 
venir, tous les auteurs, et à leur défaut les impri- 
meurs seront tenus, le jour même où l’on mettra 
en vente leurs ouvrages ou journaux, d’en envoyer 
quatre exemplaires au ministre de l’intérieur. 
Aussitôt que l'examen desdits ouvrages ou jour= 
naux aura été fait de la manière ci-dessus prescrite, 
le ministre déposera les quatre exemplaires, le 
premier à la bibliothèque de l’Université de Bologne, 
le second à la bibliothèque de l’Université de Pavie, 
le troisième à l'Université de Padoue, le quatrième 
à la bibliothèque de Brera à Milan. Pour assurer 
la répression des délits qui pourroient se commet- 
tre par l’abus de la liberté de la presse, il est établi 
près du ministre de l'intérieur , directeur de la po- 
lice générale, un bureau qui portera le titre de 
Bureau de la,liberté de la presse. 


AFRIQUE. 


Des lettres de GorÉE du 3 mars 1806 nous ap- 
prennent que Munco Park a séjourné pendant 
quelque temps sur les bords du Niger; mais qu’il 


Nouvelles littéraires. 165 


n’a pas pu, comme il en avoit l'intention, y faire 
bâtir des canots , parce que ses charpentiers et les 
soldats anglais qui l’accompagnoient sont tous morts, 
à l'exception de sept. Ceux-ci, ainsi que M. Park, 
le lieutenant MarTyn et un artiste, M. Scorr, ont 
descendu le Niger dans des canots. M. ANDERSON, 
beau-frère de M. Park, qui l’avoit accompagné en 
qualité de chirurgien, est mort sur le rivage. 

Toute la société a quitté Gorée dans le courant 
du mois d'avril. 


SARDAIGNE. 


La Société royale d'agriculture et d'économie ru- 
rale à CacGrrARI a nommé correspondant hono- 
raire M. le président DE ScHreger, M. le profes- 
seur Esper et M. le docteur GoLpruss, à Erlangen. 


FRANCE 


L'ouverture du Salon d'exposition des peintres, 
sculpteurs et architectes vivans , a eu lieu à GanD, 
le 21 juillet, dans une des salles de l’'Hôtel-de-Ville. 
Depuis long-temps elle n’avoit été aussibrillante, tant 
pour le nombre que pour le mérite des compositions. 
Parmi les artistes dont les ouvrages ont plus par- 
ticulièrement fixé la curiosité publique, on cite 
MM. J’an-Asche, Delatour , Francais , Jacobs, 
Henri Lens, Deroi Barre, les deux Regemartel, 
V’anderdouck, Cauwer, Vanhuffel Cels, De- 
liere , etc. — Les grands prix de peinture, dessin, 
architecture et sculpture ont été solennellement dis- 
tribués lundi 28 du même mois. 


La Société libre des sciences physiques et méds- 
cales de LIiéGE a, dans sa séance du x2 juin 1606, 


166 Nouvelles littéraires. 


proposé pour sujet d’un prix, la question suivante : 
» Déterminer quelle est l'influence des passions 
» sur La production des maladies. »; La Société 
désire que l’on s’attache surtout à indiquer les rap- 
ports particuliers qui existent entre certaines affec- 
tions de l’âme et la naissance de certaines affec- 
tions physiques. Le prix sera une médaille d’or de 
la valeur de 200 francs, qui sera décernée dans la 
séance publique du mois de juin 1807. Les mémoi- 
res seront écrits en français ou en latin, et seront 
adressés , francs de port, à M. Saveur, secrétaire 
de correspondance, avant le 1°. avril. 


Dans la distribution des prix faite dernièrement 
par l’Académie: des Beaux-Arts de la ville de 
BruGEs, une médaille a été décernée à un jeune 
homme qui, privé par la nature de l’usage de ses 
mains, est parvenu, en tenant le crayon à la bou- 
che, à faire des dessins d’une exécution remar- 
quable, 


Comozzt, professeur de sculpture à l’Université 
de Turin, a fini le buste d’Æ/feri, que les Italiens 
appellent leur Sophocle. Ce buste, destiné pour 
M. Melzi, chancelier d'État du royaume d'Italie, 
est en marbre blanc de Carrare , posé sur une base 
carrée d’albâtre de Busca. On lit sur la plinthe, en 
lettres d’or, le nom d’Æ/fiert. 


Le 11 juin, la Société des sciences et arts 
d'AGEx a tenu une séance publique. Le conseil gé- 
néral du département, qu’elle avoit prié d'y assis- 
ter , s’y est rendu en corps. 

On avoit exposé dans la salle, et orné de lauriers, 
le portrait de Jules Scaliger , dont l'éloge devoit être 
couronné dans cette séance. M. Nonsez, président, 


# 


Nouvelles littéraires. 167 


l'a ouverte par un discours relatif à cette solennité. 

M. Laronr père a fait ensuite un rapport sur les 
ouvrages envoyés au concours, et après avoir dé= 
crit, avec beaucoup d’habileté, le caractère et les 
principes littéraires de l'éloge en général, il en a 
fait l'application a celui qui a été envoyé à la Société 
par M. Briquer, professeur de belles - lettres à 
Niort , lequel a obtenu le prix. 

Parmi les lectures qu’on a entendues après ce rap- 
port, on a distingué celles 1°. d’un discours sur les 
avantages des Académies, par M. Barzras-Lau- 
BARÈDE, membre du conseil-général; 2°. d’un É/oge 
d'Emmanuel-le- Grand, roi de Portugal, par 
M. J.J. Lacoste; 3°. d’une Épitre à ma Femme» 
par M. PuiquépaL, juge en la cour de justice cri- 
minelle du département. 


Un décret impérial, rendu à Saint-Cloud, or- 
donne qu’il sera établi dans l’hospice des malades 
de Besançon, des cours pratiques de médecine, 
de chirurgie et de pharmacie destinés spécialement 
à l'instruction des officiers de santé. Six professeurs 
au plus seront chargés de faire des leçons sur les 
différentes parties de l’art de guérir. Leur traite- 
ment sera pris sur les revenus des hospices de Be- 
sançon , et présenté tous les ans dans leur budjet. 


PA NTI 5. 


La distribution générale des grands prix a eu lieu 
le 19 août dans la salle de l’fnstitut. S. Exc. le mi- 
nistre de l’intérieur n ayant pu présider la séance, 
M. Fourcroy, conseiller d'État à vie, directeur gé- 
néral de linstruction publique, assisté de M. le 
président de l’Institut, et de M. le secrétaire perpé« 


168 Nouvelles littéraires. 


tuel de la Classe des beaux-arts, l’a RP et a 
procédé à cette distribution. 

M. Not , l’un des inspecteurs généraux de l’ins- 
iruction publique, a prononcé le discours d’ouver- 
ture, dont le sujet, heureusement choisi, étoit le 
bienfait de la nouvelle instruction que la France 
attend de S. M. 

Voici les noms des élèves qui ont obtenu les 
prix : 

ECOLE SPÉCIALE DE MÉDECINE. Anatomie. À 
remporié le prix, Achille Flaubert, âgé de 21 ans, 
né aux Granges, département de l'Aube. 

Chymie. Antoine Blancheton, âgé de 22 ans, de 
Vertaizon (Puy-de-Dôme. ) 

Clinique interne. Antoine-Nicolas Guyton, ägé 
de 27 ans, de Merry-sur-Yonne. 

Clinique externe. Gilbert Breschet, âgé de 23 
ans, de Clermont-Ferrand, 

ÉCOLE SPÉCIALE DE PHARMACIE. Chymie et 
Pharmacie. Germain - Philippe Labbé Dumenil , 
âgé de 20 ans, de Paris. 

Histoirenaturelle et Botanique. JosephPelletier, 
âgé de 18 ans, de Paris. 

"Lvcses. Mathématiques, À. F. J. Lapipe, âgé 
de 18 ans, de Paris, éleve du Lycée Bonaparte. 

Belles-Lettres. J. V. Leclerc, âgé de 17 ans, 
de Paris, élève du lycée Napoléon. 

PRYTANÉE MILITAIRE. Mathématiques. G, M. Le- 
breton , né à Quimper (Finistère. ) 

Belles-Lettres. L. F. Roasio, de Turin. 

ÉCOLE DE PEINTURE , SCULPTURE el ARCHITEC- 
TURE. Peinture. G.F. Monnais, âgé de 21 ans, 
élève de M. Regnault. 

Dessein. H. Kolbé, âgé de 30 ans, deDusseldorff, 
élève de M. Vincent. 


Nouvelles littéraires. ” 169 


Sculpture. N. À. Matte, âgé de 29 ans, de Paris, 
élève de feu M. Monor , et de M. Dejoux. 

Architecture. J. B. Dédéban, âgé de 24 ans, 
de Paris, élève de MM. Vaudoyer et Percier. 

CONSERVATOIRE DE MUSIQUE. COMPOSITION. 
1%. Prix: Marcel Duret, élève de M. Gollec. — 
Harmonie. 1°". Prix: François Fémi, élève de M. 
Catel. — Caanr. 1°. Prix... (il n’y en a paseu). 
— Prano. 1°. Prix : Ch. Chaulieu, élève de M. 
Adam.— Viocon. 1°. Prix : Corentin Habeneck, 
élève de la classe de M. Baillot, tenue par M. Ha- 
beneck aîné , répétiteur. — Cor. 1°. Prix : Paul 
Jos. Cœuriot, élève de M. Frédérick Duvernoy. 
— Fiure : Ant. Jos. Bisestki, élève de M. Wun- 
derlich. 

Le 1°. septembre, la Classe des beaux-arts de 
l’Institut a ouvert le concours pour le grand prix de 
composilion musicale. Les concurrens se sont fait 
inscrire avant cette époque au secrétariat de l'Ins- 
ütut. 

Le 1°. septembre ils s’y sont rendus à huit heures 
du matin, pour être examinés d’abord sur l’harmo- 
nie. Ceux qui, d’après ce premier examen, ont été 
admis à concourir , ont eu à composer, 1°. un contre- 
point double à l’octave et à quatre parties; 2°. un 
contre-point double à la douzième et à quatre par- 
ties; 3°. un contre-point triple ou quadruple à trois 
ou quatre parties; 4°. une fugue selon les règles sé- 
vères, à deux ou trois sujets et à quatre voix; 5°. une 
scène dramatique, composée d’un récitatif obligé 
d’un cantabile suivi d'un récitatif simple et ter- 
miné par un air de mouvement. 

Les concurrens ont été libres de déployer dans 
cette scène toutes les richésses de l'harmonie et de 
Ja mélodie , et tout le luxe d’un orchestre complet. 


170 Nouvelles littéraires. 


La section de musique de la Classe des beaux- 
arts a donné le canto fermo sur lequel devoient 
être composées les trois espèces de contre-point, en 
notes rondes. CES 

On a exigé que les contre-points et le certo 
fermo fussent transportés alternativement à chacune 
des parties. 

La même section a donné aussi le sujet de la 
fugue. 

Les concurrens ont eu la liberté d'accompagner 
les quatre parties vocales de la fugue par quatre 
instrumentales. 

Le concours sera terminé le 25 septembre. 

Pour concourir, il faut être Français ou natu- 
ralisé , et n’avoir pas plus de trente ans. 

Le grand prix donne droit à la pension pendant 
cinq ans dans l’école impériale de France à Rome, 
et il est exécuté dans la séance publique de la Classe 
des beaux-arts de l’Institut: 


M. Bosc, connu par ses talens et ses travaux en 
histoire naturelle, inspecteur des pépinières impé- 
riales, a été nommé membre de l’Institut national, 
en remplacement de M. Grlbert.—M. SYLVESTRE, 
secrétaire de la Société d’histoire naturelle , a été 
nommé membre en remplacement de M. Ces. 


On aura bientôt la Relation du voyage de dé- 
couvertes faites aux Terres australes pendant les 
années 1800, 1801, 1802, 1803 et 1804, compre- 
nant 1°. la partie historique; 2°. la partie des mœurs 
et description des peuples ; 3°. la partie de physique 
et météorologie, formant ensemble 4 vol. in-4°., 
rédigés par MM. Péron et LesuEur; cette rela- 
tion sera publiée aux frais du gouvernement. La 


Nouvelles littéraires. 17I 


partie de l’histoire naturelle du même voyage sera 
imprimée et publiée par souscription. 


M. Cuinarp, sculpteur de Lyon, a eu l’honneur 
de présenter à LL. MM. IL et RR. le buste en 
marbre de l’Impératrice et celui du prince Eugène- 
Napoléon, vice-roi d'Italie. S. M. l'Empereur a 
ordonné que ces bustes fussent placés dans l’inté- 
rieur de ses appartemens. 


Pierre - Jean - Baptiste - Choudard DESFORGES 
est mort à Paris, le 14 août, âgé de 60 ans. Il est 
auteur de plusieurs ouvrages dramatiques qui ont 
eu plus ou moins de succès; les plus connus sont : 
l'Epreuve villageoise, opéra comique; Le Sourd , 
ou l’ Auberge pleine ; Tom Jones à Londres, et 
Tom Jones et Fellamar, drame; et une comédie, 
la Femme jalouse, qu'on regarde comme son 
meilleur ouvrage. Il a aussi publié quelques ro- 
mans agréables, 


M. FraconarD, père, est mort, le 22 août, à 
la suite d’une assez courle maladie , à l’âge de 74 
ans. Ce peintre avoit réussi dans le genre gracieux 
et érotique; plusieurs de ses tableaux, tels que : 
Callirhoë, la Fontaine d'Amour, le Sacrifice 
de la Rose, et plusieurs autres sujets, ont été 
multipliés par la gravure. Il laisse un fils qui pro- 
met de marcher sur ses traces. 


M. Courows, ancien officier au Corps royal du 
génie, un des premiers géomètres de l’Institut, un 
des plus grands physiciens de l’Europe, est mort 
le 23 août. Ses travaux sur l’Electricité, sur l’Ai- 
mant, généralement admirés , suffisent pour lui 
assurer une place distinguée dans l'histoire des 


172 Nouvelles littéraires. 


sciences et des hommes supérieurs qui en ont ac- 
céléré les progrès. 

M. Bror et M. ARENGo sont partis, le 2 sep- 
tembre, pour l'Espagne. Ils vont continuer la Mé- 
ridienne de MM. DELAMBRE et MÉCHAIN jusqu'aux 
îles Bulcaris , afin qu'elle ait le 45°. degré dans le 
milieu de l’an total, et que la grandeur de la terre 
soit plus parfaitement connue. On peut voir les ré- 
sultats obtenus jusqu'ici dans le volume que M. De- 
labre vient de publier à ce sujet. 

DE LALANDE. 


THEATRES. 


THÉATRE DE L'IMPÉRATRICE. 


Le Voyageur Fataliste, comédie en trois actes 
et en vers. 


Ce Voyageur est un comédien, pris tour à tour 
pour un mendiant, pour un frippon, puis pour un 
prince , le tout par des gens qui interprètent un 
mot et font des conjectures ridicules. Le sujet n’est 
pas neuf; la pièce manque d'intérêt, d’entente de 
la scène; mais elle est agréablement versifiée : il y 
a de la gaieté, de l'esprit ; elle a eu du succès, et 
ne peut nuire à la réputation de M. CHARLEMAGNE. 


Monsieur de Garoufignac. 


Cette Comédie, en trois actes eten vers, n’a pas 
eu de succès. L’intrigue en est traînante, la versifica- 
tion népligée ; en général elle n’a rien de saillant. 
Un gascon éconduit par une femme déguisée en 
homme qu’il prend pour un rival , voilà tout le sujet 


ï 


Nouvelles littéraires. 173 


de la pièce. On y a trouvé beaucoup de réminiscences 
dans les situations. Le fonds est celui de Pourceau- 
£grac, quelques-unes des scènes rappellent le Ja/oux 
malgré lui, Tékéli, etc., etc. L'auteur s’est fait 
nommer ; c'est M. Jorcny. 


OPErA BU#FF 14. 


La prova di un opera seria.( La répétition 
d'un grand opéra ) attire dans ce moment la foule 
au théâtre Louvois. La musique de Gzecco est 
charmante et parfaitement exécutée par madame 
Canavassi, MM. Barilli et Carmanini. Nous ne 
parlerons point du plan de la pièce, on sait ce que 
sont les poëmes italiens. 


THÉATRE DU VAUDEVILLE. 
Le Maçon Poëte, vaudeville-anecdote en un acte. 


Ce Maçon Poëte est Sedaine. Il paroît que les 
auteurs n’ont pas eu la permission de le nommer 
dans leur ouvrage, sans quoi il seroit fort ridicule 
de laisser deviner son nom au public, qui devine 
rarement. On sait que Sedaine, fils d’un architecte 
qui avoit perdu toute sa fortune, vint à Paris après 
la mort de son père, avec sa mère, des frères et 
des sœurs plus jeunes que lui , et qu’il tailla la pierre 
pour vivre avec sa famille. Le goût des lettres ne 
fut pas éteint en lui par le malheur; il continua de 
cultiver son esprit, et donna plusieurs opéras-co- 
miques qui eurent beaucoup de succès : Rose et 
Colas, Richard-Cœur-de-Lion , etc. Ce succès te- 
noit plus aux effets de scène qu’au style. Sedaine 
écrivit cependant : on a de lui un poëme didac- 
tique, intitulé Ze Vaudeville, et l’Epitre à son 
habit, qui est sans contredit son meilleur ouvrage. 


1974 Nouvelles littéraires. 


Ce fut un des premiers qui le firent connoître. Il 
donna depuis au Théâtre Français Ze Philosophe 
sans le savoir, et la jolie comédie de /a Gageure 
imprevue. 

Dans la pièce du Vaudeville, on voit Sedaine à 
16 ou 57 ans, au auilieu des maçons, travaillant à 
la maison de Monet, directeur de l’'Opéra-comique, 
qui fait la connoissance de notre jeune poëte et 
encourage ses essais. On a joint pour épisode les 
amours d’un manœuvre, pour la fille du maître 
maçon; Sedaine sert Augustine, qui aime un li- 
braire de Paris; celui-ci, en revanche, imprime 
les œuvres du jeune homme. C’est plutôt un tableau 
qu'une comédie; il y a de la gaieté, de jolis cou- 
plets. L'auteur est M. SIMONNIN. 


Hortense, ou l'Ecole des Inconstans. 


Cette comédie en deux actes roule sur un fonds 
un peu connu, les inconstans corrigés ne sont pas 
rares au théâtre ; mais de jolis détails et des scènes 
assez gaies ont fait réussir l'ouvrage. 

Hortense, séparée de son amant depuis trois 
ans, s’avise de l’éprouver le jour même de son 
arrivée. Elle se trouve au bal masqué, et sous le 
nom de la comtesse Alberti, lui donne un rendez- 
vous que le jeune homme accepte. 1l y trouve Hor- 
tense elle- même qui joue ce rôle, et bientôt son 
oncle qui se donne pour le comte Alberti, et feint 
qu'il a obtenu d’Hortense un rendez -vous. Notre 
amant éclate, et quoiqu’infidèle lui-même, veut se 
venger, et appelle en duel le prétendu comte; tout 
le monde alors se découvre, et notre inconstant voit 
qu'il a été joué, et promet de se corriger. 

Lorsqu'on aura fait disparoître quelques longueurs, 
on verra cetle pièce avec plaisir. Elle est de MM. 
Saint-FeLix et MONTREAU. 


LIVRES DIVERS (1). 


SCIENCES ET ARTS. 


JourNAL de Physique, de Chymie, d'Histoire 
naturelle et des Arts, avec des planches en 
taille-douce; par J. G. DE LAMÉTHERIE. Paris, 
chez Courcier, imprimeur-libraire, quai des Au- 
gustins, n°. 57. Juillet 1806. 


Les articles contenus dans ce cahier sont : Hau- 
teur des montagnes, des cols et des endroits Les 
plus remarquables du département des Hautes- 
Alpes ; par L. HéricART. — Nouveau Diction- 
naître de physique, rédigé d’après les découvertes 
les plus modernes ; par L. Lrres (Extrait ). — Ae- 
amoire sur la cause originelle des vallées, des mon- 
sagnes et de l’émersion des continens ; par P. BEr- 
TRAND.— Observations météorologiques ; par Bou- 
VARD. — De la formation de l'acide muriatique 
oxygéné avec la pile.de Volta; par BELLONt, dit 
Monza. — Note du professeur VAU-DE-LAUNAY. 

 — Lettre de Joseph PerLerier à J.C. DE Lamé- 
THERIE, sur l'or massif. — Analyse d'une mé- 
téorolite tombée à Valence ; par THENARD. — Note 
sur la Zoysite; par J.C.DE LAMÉTHERIE. — Legtre 
de Naples sur une éruption du Vésuve.—Sur L’uti- 
lité du nitrate de soude ; par le professeur Prousr. 
— Sur Les nids d'oiseaux de l'Orient; par le même. 
— Notice sur le petrosilex, par J. C. ne LaAmé- 


.(1) Les articles marqués d’un * sont ceux dont on don- 
nera un extrait. 


176 Livres divers. 


THERIE, avec l'analyse dn pétrosilex rouge de 
Suéde ; par GoDon DE SaINT-MENIM. — Notice 
sy une variété de trap ; par J. C. DE LAMÉTHE- 
RIE, avec l'analyse de la méme substance ; par 
Cagaz et CREVREUIL. — Du calcaire , de l'arra= 
gouite et de leurs molécules; par J.C. DE LAMÉ- 
THERIE. — Notice de nouvelles expériences de sir 
James HALL sur des substances soumises à us 
grand degré de feu avec compression. 


H1STOIRE NATURELLE. 


JourNaAL de la Société des naturalistes de l Uni- 
versité impériale de Moscow. Première année. 
Numéros I et IT; avec trois figures. A Moscow, 
chez C. F. Schildbach. 1805. In-/°. 


Le premier numéro de ce journal, dû aux soins 
de l’infatigable M. Frscuer, contient l’organisation de 
la Société , les travaux des membres qui la compo- 
sent, leurs contributions à la subvention des dépenses, 
les fonctionnaires chargés de la direction du bureau 
et du journal de la Société, la marche qui sera ob- 
servée dans les assemblées , et la liste des membres. 
Le second numéro présente l’histoire naturelle de 
la Russie. L'article ZooGNosie contient quelques 
nouvelles espèces d’animaux qui se trouvent au Mu- 
seum impérial d'histoire naturelle, décrites par M. 
Fischer. Une note sur la corneille à collier de 
la Russie; par M. Fiscuer. Elle diffère de celle 
à laquelle on donne ce nom ( Corvus monedulæ 
torquata ). M. Fischer lui a assigné le nom du 
grand anatomiste Sæmmering ; il en donnera l’his- 
ioire complète et la figure quand il l'aura mieux ob- 
servée, — Quelques nouvelles espèces d'insectes 
de 


Livres divers. 177 
dé la Russie, décrites par le même. Ces insectes 
sont le Capricorne d'Ourenssof ( Cérambyx Orus- 
sovii ); le Lamie de Pallas ( Zarnia Pallasi ); 
la Lamie tricolore { Lamia tricolor ); la Saperde 
de Roeber ( Saperda Roeberi ); la Sapérde de La- 
treille { Saperda Latreille ) ;et le Carabe de Thun- 
berg ( Carabus Thunbergii.). — M. Fischer donne 
encore la figure et la description du Ga/ago de 
Demidof, espèce de Tarsier dont il a déjà été 
question dans la Notice sur le Musée d'histoire na- 
turelle à l’article Orycrocwoste. On trouve l’_{za= 
lyse chymique d'un gypse fibreux qui se trouve 
à Ivanofsky , village situé à 30 verstes de Mos- 
cou ; par le docieur F. Joux. 

A l’article BOTANIQUE, il y a des LT 
sur une gräiné recue sous le nom d° Eleodendron, 
Argan ; par le docteur Frédérie FiscHER , botaniste. 
à Gorenka; des Observations sur les rapports des 
bananiers àävec Les palmiers, par Alexis DE P£- 
ROFFSKY , accompagnées d’une planche relative à 
lanatomie du palmier. | 

L'article TEcunoLocre offre des Récherches sur 
Le tannin contenu dans Le fruit du Pin (Pinus 
abies IL.) et du Sapin (Pinus sylvestris L.); par 
le docteur J: F. Joux; des Recherches chymiques 
sur un alun qui se trouve auprès de Moscow, 


ét'qui contient beaucoup de sulfate de fer ; pax, 
J. FE. Joux. 


ZOO0LOGTE, 


ZooLoGie analytique, où Méthode naturelle de 
Classification des animaux, rendue plus facile 
à l’aide de tableaux synoptiques ; par A. M. 
Consrant-DumÉRiL, docteur et professeur & 


T°. V. Septembre 1800. M 


L 


178 Livres divers. 


l'Ecole de médecine de Paris. 1 vol. in-8°. en 
petit-texte, avec 197 tableaux, faisant suite au 
Traité d'Histoire naturelle du même auteur, 
adopté pour les Lycées. Prix, 6 fr. 50 cent., et 
7 fr. 75 cent. par la poste. À Paris, 1806 , chez 
Allais, libraire, quai des Augustlins, n°. 39. 


Däns ces derniers temps on a reconnu que Île but 
principal de l’histoire naturelle étant la connois- 
sance des espèces , il falloit y parvenir par la voie 
la plus simple et la plus commode, et, pour cela, 
au lieu d'établir d’abord les divisions principales 
qui devoient servir de base et d'indication aux re- 
cherches, on a considéré les objets en eux-mêmes; 
on les a comparés entre eux et avec ceux qu'on a 
eu occasion de reconnoître par la suite. De là est 
née la méthode naturelle qui, quoique très-impar- 
faite encore, corrige chaque jour les erreurs qu’elle 
a pu commettre, et s’efforce de remplir les lacunes 
qu’elle voit indiquées d’avance. 

La méthode naturelle, en suivant la marche 
ordinaire d’après laquelle les idées naissent , se clas- 
sent et se rangent dans notre esprit, en disposant les 
êtres dans la série la plus convenable à leurs rapports , 
ne pouvoit établir cette comparaison, qui, ne lais- 
sant de choix qu’entre deux propositions , fait le 
principal mérite des systèmes. M. Duméril a es- 
sayé de réunir ici les moyens d'étude. La méthode 
naturelle lui a-indiqué les familles et la disposition 
respective des genres, tandis que le système, em- 
ployant diverses marches, établissant les inversions 
nécessaires, lui a présenté continuellement dans les 
objets les plus éloignés, sous certains rapports, 
quelques particularités de conformation absolument 
opposées. 


PAL 


L 


Livres divers. 159 

L'ensemble de tout l'ouvrage forme un vaste ta- 
bleau synoptique où sont exposés, dans une série 
d’embranchemens doubles et successifs, tous les 
genres d'animaux connus. Ainsi un premier tableau 
offre d'un coup-d'œil Ja division générale en neuf 
classes. Chacune de ces classes est ensuite indiquée 
au titre courant des pages, et présente des divisions 
plus ou moins nombreuses en ordres, en sous-ordres, 
en familles et en genres. Pour se faire une idée de 
cet ensemble, on peut consulter d’abord la table 
méthodique qui se trouve à la fin de la préface, 
et parcourir ensuite les titres courans du livre qui 
changent à chaque ordre, les tableaux se trouvant 
constamment placés au recto des pages. 

En supposant, par exemple, que l’on veuille sa= 
voir à quel genre appartient le poisson que l'on 
connoît sous le nom de /imande : par le premier 
tableau ( pag 3), on reconnoît que c’est un animal 
à vertèbres sans poumons, mais à branchies, ou 
un animal vertébré de la classe des Porssons. Le 
tableau général de cette classe ( pag. 97) apprend 
que c’est un poisson osseux à opercules et à mem- 
branes , des branches, de l'ordre des HOLOBRAN- 
cues. Cet ordre ( pag. 111) se divise lui-même, 
d’après la position respective des nageoires paires 

ou latérales, en quatre sous-ordres ; or celui dont 

il est question est un #Loracique ( pag. 119) dont 
le corps est très-long, très- élevé, avec les yeux 
d'un même côté, ou un Hétérosome (pag. 132 ). 
Enfin, on est arrivé au genre, car les nageoires 
pectorales sont très-distinctes, et on peut dès-lors 
assurer que la limande est un poisson du genre 
pleuronecte. 

On arrive dans les autres familles d'animaux, à 
peu près de la même manière, à la détermination 


180 Livres divers. 


.des genres ; mais leur nombre n’est pas toujours 
le même; il varie au contraire beaucoup. Des ta- 
bleaux synoptiques conduisent au nom des genres , 
dont le caractère essentiel réside souvent dans une 
simple note indicative, mais toujours constante et 
facile à apercevoir. 

M. Duméril a téllement disposé ces divisions et 
subdivisions , qu'il est rare que la détermination 
d'un genre nécessite plus de huit observations con- 

.sécutives, quand on!est arrivé à la classe; et le plus 
_souvent 1l y a un des genres qui se trouve indiqué 
dès la première recherche analytique. 

Cependant comme cette note indicative du nom 
de genre ne suffiroit pas pour en faire connoître le 

.caractère, comme elle ne le placeroit pas non plus 
dans l’ordre naturel qui lui est assigné dans l’échelle 
des êtres connus, ni dans le rapport qu’il peut avoir 
avec les autres genres voisins ét de la même famille, 
l’auteur a eu soin de faire toujours précéder le nom 
du genre d’un numéro, qui indique la place où sont 

exposés, dans la méthode, le nom .du genre, ses 

. rapports et ses différences avec les autres, et les 
parücularités de formes et de-mœurs qui ont servi 
à les désigner. 

La nature même du travail ayant forcé M. Du- 
méril d'employer des expressions techniques, il a 
cru à propos, pour l'utilité de l’étudiant, de définir 
une fois pour toutes ces termes de la science sur le 
verso de la page qui est en regard de celle où l’ex- 
pression propre à désigner l'espèce est employée. 
Cette même expression se trouve relevée et indiquée: 


de nouveau dans la table qui est à la fin du volume, 
afin que le lecteur puisse y recourir au besoin, comme 


dans un dictionnaire. L'auteur en prend occasion 
d'entrer dans quelques détails sur chacun des genres 


Livres divers. 181 


en particulier , en répétant dans l’ordre naturel le 
même numéro indicateur de la place qu’il doit réel- 
lement occuper , en désignant les sous-cenres qu’on 
pourroit en former , et en faisant connoître le syno- 
nyme latin , quand il diffère beaucoup du français , 
afin d’être plus facilement compris par les étran- 
gers. 

La plupart des familles indiquées, à l'exception de 
celles de la classe des mammifères, sont publiées 
ici pofffla première fois en un corps complet de 
doctrine. M: Duméril jugeant nécessaire de les faire 
connoître sans périphrases, a formé un assez grand 
nombre de termes particuliers et nouveaux. La plu- 
part de ces nouvelles expressions sont tirées du grec; 
et l’auteur a eu soin d’en indiquer l’étymologie au 
bas du tableau synoptique. » 

M. Dumiéril nous apprend que les premières ébau- 
ches de son livre ont été publiées sous la forme de 
grands tableaux, avec la seule indication des noms 
_des genres correspondant à chaque famille, à la fin 
du premier volume des leçons d'anatomie comparée 
du savant M. Cuvier. Mais ayant été depuis dans le 
cas de se livrer à de nouveaux examens, à des ob- 
servations plus étendues , et de faire des applications 
nouvelles et multipliées, il a repris et travaillé la 
matière plus en grand, et en a composé un corps de 
doctrine parfait. 

Aussi modeste que reconnoissant, M. Duméril a 
regardé comme un devoir de rendre hommage à 
ceux dont il a pu tirer des secours. Il avoue donc 
avoir profité de l’analyse de la méthode publiée par 
MM. les professeurs Cuvier et Geoffroy. Il a seule- 
ment établi quelques modifications qu’exigeoient né 
cessairement la marche du système et l’état actuel 
de la science. 


182 Livres divers. 


Dans la classe des oiseaux, on remarque à peu 
près les mêmes divisions que celles qui ont été éta= 
blies par M. Cuvier , dans son Tableau élémentaire 
de l’histoire naturelle des animaux, auquel il a 
fait aussi subir quelques changemens nécessaires. 

Un mémoire de M. Alexandre Brongniart lui a 
suguéré de partager les reptiles en quatre ordres 
principaux. Il ‘a aussi puisé dans les ouvrages de 
beaucoup d’autres naturalistes , et surtout de Lau- 
renti, de Schneider, de MM. Lacépède , Daudin 
et Latreille. Mais cette partie méthodique de l’ou- 
vrage, vu sa disposition particulière et les connois- 
sances personnelles dont il l’a enrichie, paroîtra 
sans doute beaucoup plus complète que tout ce qu’on 
a écrit jusqu'ici sur celte malière. 

Quant à la classe des poissons , M. Duméril a en- 
tièrement adopté tous les genres publiés par M. La- 
cépède , en indiquant quelquefois les subdivisions 
qu'on pourroit établir parmi eux. Mais ici il a le mé- 
rite d’avoir essayé le premier une méthode nouvelle , 
en disposant les caractères d’une manière dichoto- 
mique. 

Les ordres adoptés pour la classe des mollusques 
ont été déjà faits ou indiqués par M. Cuvier lui- 
même, qui a le premier séparé ces êtres de la classe 
nombreuse des vers de Linné. On sait que tous les 
savans ont adopté maintenant cette classification. 

Il en est de même des vers : mais l’auteur les a 
disposés de manière à comprendre au moins ceux 
des animaux de cette classe qui sont maintenant 
bien connus. 

Les travaux de MM. Latreille et Lamarck, sur 
les cruslacées, sont reproduits presque en entier. 

La méthode d’après laquelle les insectes sont ex- 
posés , est tout à fait nouvelle; elle appartient à 


Livres divers. 183 


l'auteur , qui y a travaillé pendant plus de douze 
ans. Les ordres sont ceux de M. de Géer; quelques 
autres divisions sont empruntées de Geoffroy, de 
Linné, de MM. Fabricius, Olivier et Latreille. 
Enfin la classe des zoophytes se compose des di- 
visions des auteurs les plus estimés , et en particulier 
de celles établies et indiquées par M. Lamarck. 
: M. Duméril a établi aussi beaucoup de divisions 
et de genres qui lui sont propres. La clarté, la fa- 
cilité avec laquelle on est conduit à trouver les genres 
dans cet ouvrage , doivent le faire adopter par tous 
ceux qui veulent enseigner ou étudier l’histoire natu- 
relle. Après avoir donné les élémens de la science, 
rendu plus facile l'étude des genres de la zoologie, 
il est à désirer que M. Duméril traite de même cha- 
cune de ses classes, et qu’il en fasse connoiître les es- 
pèces avec la même clarté. A. I. M. 


MiINERALOGIE. 


JourNAL des Mines, ou Recueil de mémoires sur 
l'exploitation des mines, et sur les sciences et 
arts qui s'y rapportent ; par MM. CoQUEBERT- 
Mongrer, Hauy, VAUQUELIN, BarLLer, Bro- 
CHANT, FREMERY et CocrEeT-Descorirs; publié 
par le Conseil des mines de l'Empire francais. 
À Paris, chez Croulleboïs , libraire , rue des Ma- 
thurins, n°. 17. Juin 1806. 


Ce numéro se compose des articles suivans : Me- 
motre renfermant des détails sur la lithologie de 
l'Auvergne et des environs ; par M. CocQ.— Suite 
de la statistique des mines et usines du départe- 
ment du Mont-Blanc ; par M. Lerrvec. —— Mé- 


184 Livres divers. 


moire Str plusieurs recherches et indices de houille 
dans les départemens de la Manche, du Calvados 
et de l'Orne; par M: FANGNEUx. — Examen chy- 
mique du datolithe; par M. Kraprora.—ÆExtrait 
d'un mémoire de M. N'AUQUELIN ; de à l’Institut 
national, sur les propriétés chymiques de l’oi- 
sanite, comparées à celle du titane. — Rapport 
de l'Institut national, classe des sciences phy- 
siques et mathématiques, sur des observations de 
M. HASSENFRATZ, relatives à la fonte de la mine 
du fer spathique. 

dis BoTANIQUE. 


Les Ziliacées ; par P: J. REDOUTÉ , peintre du 
Muséum d'histoire naturelle. Paris, chez l’au- 
teur, rue del’Oratoire, hôtel d’Angivilliers; et chez 
Treuttel ét Würtz, rue de Lille. 1806. XX V*., 
XXVI°. et XXVII°. livraisons. 


La première de ces trois livraisons offre le Lys 
DES PYRÉNÉES , Zilium Pyrenaicum. — Le Lys 
MARTAGON. — Ja PoirANTHE TUBÉREUSE, Po- 
lianthes tuberosa. — I’ AMARYLLIS JAUNE, Æma- 
ryllis lutea. — Ta SISYRINCHE BERMUDIENNE , Sz- 
syrinchium :bermudiana. — Tia NivÉOLE D’AU- 
TOMNE , Leucoium autumnale. — La NIVÉOLE À 
FEUILLES MENUES, Lencoium tricophyllum. La se- 
c<onde où XXVI°. contient l'HELICONIA DES PER- 
ROQUETS, /Zeliconia psittacorum. — L'TR1IS FRAN- 
GÉE, ris fimbriata. — Le PANCRAGE DE DALMATIE, 
Püancracium Hlyricum.— Le PANCRACE DERIVAGE, 
Pancracium littorale. — Xe PANGRAGE EN DISQUE, 
“Pancratium disciforme. — Lie PANCRACE A BELLES 
FLEURS, Pancratium speciosum.On trouve dans la 
XX VIEIL. livraison le N'ARCISSE OpoRANT , Nareis- 


\ 

Livres divers. 185 
sus odorus.— Le Narcisse Faux-NaARCISSE, Nar- 
cissus Pseudo - Narcissus. — Le NARCISSE JON- 
QUILLE , Narcissus jonquilla. — Le N ARCISSE DES 
POETES, Narcissus poetieus. — Lie TRITOMA IN- 
TERMÉDIAIRE, Zritoma media. — Et enfin la La- 


CHÉNALE A FEUILLES ÉTROITES, Lachenalia an- 
gustifolia. 


Mémoires sur Le lin de Sibérie, sur le chanvre 

- et sur la manière de rendre sa filasse sembla- 
ble aw plus beau lin ; sur l’apocin, ete.; par 
J. P. Buc’noz , médecin-naturaliste. Paris, chez 
l'épouse de l’auteur, rue de l'École de Médecine, 
n°. 20. 1806. In-8°. Prix, 2 fr. 4o cent. 


GENERA Plantarum secundum characteres diffe- 
rentiales ad Mirbelii editionem revisa et aucta, 
edenda curavit Romanus-Adolph. HEDWIG, 
professor botanices Lipsiensis, Societarum bo- 
tanicarum variarum socius. Läpsiæ, 1806. In- 
8°. br. Prix, 7 fr., et 8 fr. 25 cent. par la poste. 


PuHysr10LOGT'E. 


Essar sur une nouvelle théorie de la voix , avec 
l'exposé des divers systèmes qui ont paru jus- 
qu'à ce jour sur cet objet; par R. Joachim 
Henri Durrocner, docteur en médecine. À 
Paris, chez Didot jeune, rue des Maçons-Sor- 
bonne, n°. 13, 1806, 35 pag. in-4°. 


L'auteur commence par quelques réflexions géné- 
rales sur les différentes manières dont le son peut 


être produit et varié. Il donne une description som- 
maire du larynx. 


186 Livres divers. p 


La sensation que nous appelons son, réside dans 
les mouvemens des molécules de l’air. L'auteur exa- 
mine de combien de manières le mouvement peut 
être imprimé à ces molécules , et quels moyens l’art | 
et la nature ont employés pour la production des sons 
comparables et musicaux. 

Après la description de la structure du larynx, il 
recherche comment cet organe produit et varie les 
sons. Il rapporte les observations et les expériences 
de plusieurs physiologistes sur cet objet; et il trouve 
qu'on peut, par deux moyens différens , augmenter 
l'unité des sons rendus par les cordes vocales : 1°. en 
diminuant leur longueur; 2°. en augmentant leur 
tension. 

Il passe à la nouvelle théorie de M. Cuvier sur la 
voix. Il présente les objections qu'on peut faire à ce 
système, et que ce savant lui-même avoit indiquées. 

En suite du résumé de toutes ses observations ; l’au- 
teur affirme que le larynx est un instrument vibrant ; 
que les dimensions du canal vital n’influent point 
sur les tons, que l'organe vocal est un instrument 
vibrant non compliqué d’un tuyau, et que consé- 
quemment les tons sont produits uniquement par 
le larynx. 

C’est après l'exposé de ces principes qu'il cherche 
à découvrir les moyens que la nature a mis en œuvre 
pour donner à cet organe la faculté de produire des 
tons aussi variés. 

Son problème revient donc à ceci: : expliquer la 
formation et les variations de la voix suivant les lois 
connues de la production et de la variation des sons , 
en tenant compte de tous les phénomènes que pré- 
sente le larynx en action. 

Il trouve en récapitulant les causes qui font varier 
les tons produits par le larynx, qu’elles consistent, 


Livres divers. 107 


1°. Dans le raccourcissement des thyro-aryténoi- 
diens par la contraction de ces muscles. 

2°. Le raccourcissement des thyro-aryténoïdiens 
par l’oblitération de la partie antérieure de la 
glotte. 

3°. La tension de ces muscles , résultat de la dimi- 
nution de l'angle du thyroïde. 

4". Leur tension opérée par le renversement en 
arrière des aryténoïdes. 

5°. Leur tension opérée par le renversement en 


avant du thyroïde. 


6°. Leur tension, résultat de leur raccourcisse- 
ment, leurs extrémités étant fixées. 

7°. L'augmentation de dureté des thyro-arythénoiï- 
diens. 

6°. La diminution de grosseur de ces muscles par 
leur contraction partielle. D. 


Cuaymre. 
. 

PairLosopaie chymique ou vérités fondamentales 
de la chymie moderne , destinées à servir d’é- 
lémens pour l'étude de cette science ; par A.F. 
Fourcroy , conseiller-d’état, membre de l’Ins- 
titut national, etc., troisième édition. À Paris, 
chez Bernard, quai des Augustins, n°. 25, 1806. 
Prix, 4 fr. 


Il y a 14 ans que cet ouvrage fut publié pour la 
première fois. La seconde édition, donnée en 1795, 


ne contenoit que de très-lésères corrections. Il n'en 


est pas de même de cette troisième ; l’auteur y a 
ajouté des corrections nombreuses et des additions 
importantes. 


Cet ouvrage est destiné particulièrement à l’ins- 


188 Livres divers. 


truction des élèves. L'auteur a pensé qu’il pouvoit 
être rangé parmi les livres classiques. Il a modifié 
l'ordre de quelques titres , et il l'à rapproché de son 
système des connoissances chymiques. Il a donné à 
plusieurs de ces titres quelques développemens qui 
doivent ajouter à leur clarté; enfin il a fait précé- 
der la philosophie chymique d’une: courte introduc- 
tion, dans laquelle il a inséré les premières notions 
-générales de la chymie , qu'il avoit supposées con- 
nues des lecteurs dans les deux éditions précé- 
dontes, ALIEN 


Corso analitico di Chimica di G. Moson pubbl. 
professore di chimica farmaceutica , e dimons- 
tr. di chimica generale nell imp. Università di 
Genova, ete. 2 vol. in-8°. Genova. 1806. 


La méthode des descriptions linnéenes, a dit M. 
FourGRoY, si uliles à l'étude de l’histoire natu- 
relle par leur précision, leûr clarté, est tellement 
iuportante dans son application à la chymie, que 
cetie science doit en attendre un perfectionnement 
bien désirable dans son étude. Frappé d’une obser- 
vation aussi juste, M. le professeur a mis la main 
à l'œuvre; et ce que Linné a fait pour l’histoire na- 
turelle, ce que quelques auteurs modernes ont déjà 
essayé pour l'anatomie, M. Mojon a voulu le tenter 
pour la théorie et pour la pratique de la chymie. 
Il a la gloire d’être le premier qui ait employé ce 
langage linnéen, ce laconisme descriptif dans cette 
science. 

Quant à la manière dont il a rédigé son cours 
analytique, il a commencé par réunir, rapprocher et 
comparer entre eux les divers systèmes des premiers 
classiques, ainsi que ceux consignés dans les Annales 


Livres divers. 189 
de Chymie, ou dans d’autres collections semblables. 
Il les soumet ensuite à des analyses, à des expé- 
riences multipliées , en combine les résultats, et 
discute principalement ceux qui ont partagé les 
opinions et enfanté’ des hypothèses. C’est donc en 
appuyant tôujours la théorie de la pratique, que 
l’auteur est parvenu à réduire la science à ses vé- 
ritables principes. Il nous paroît avoir donné à son 
travail l’ordre absolument convenable au sujet et à 
l'état actuel de mos connoissances en chymie. Toutes 
les définitions sont courtes, claires et précises. En 
un mot, cet ouvrage. mérite l’attention des savans, 
autant parce qu'il est neuf en ce genre, que par 
plusieurs découvertes singulières qui appartiennent 
au professeur de l'Université impériale de Gênes. 


A D M. 
MépDeEciNE. 


TaBres chronologique et alphabétique des au- 
teurs et'des matières , pour les thèses in-4°. 
soutenues à l'Ecole de médeëine de Paris, 
depuis le-24 floréal an XT, jusqu'au premier 
janvier 1806 ; rédigées par M.'P. Sur, profes: 
seur, bibliothécaire, trésorier de l'Ecole , etc. A 
Paris, chez Didot jeune, rue des Maçons-Sor- 
bonne, n°. 13, 1806, in-4°. 


Des RAPPORTS de la médecine avec la politique ; 
par Eusèble SALVERTE. Paris, 1806, chez Mo- 
reau, rue des Grands- Augustins, n°. 20; XVI 
et 223 pages in-12. Prix, 2 fr., et Do de port 
par la poste 2 fr. 50 c. 


Ce petit ouvrage contient beaucoup d’idées utiles , 
qui méritent d'attirer l'attention de ceux dont le de- 
voir exige de posséder et de pratiquer l’importante 


190 Livres divers. 


science de la politique, dont le nom a malheureuse- 
ment donné lieu ou plutôt le prétexte à trop d'abus, 
trop dechoses déraisonnables, et qui, dans l’acception 
véritable, est la science de faire servir au bien- être 
du plus grand nombre des citoyens , toutes les insti- 
tutions sociales ; toutes les facultés morales et phy- 
siques de l’homme isolé, toute la puissance et toutes 
les inventions des hommes rassemblés en société. 

Pour aiteindre ce but, le magistrat et l’homme 
d'état ont droit de demander à chaque branche des 
connoissances humaines tout le bien qu'elle peut 
produire, et la médecine est, sans. contredit, une 
des premières dont il doit réclamer le secours. 

L’utilité journalière de la médecine pour conser- 
ver à la société des membres précieux et les rendre 
à leurs devoirs et à leurs affections ; l’exercice non 
moins respectable de cet art dans les camps, dans 
les provinces ravagées par des épidémies, dans les 
asyles de l’indigence et du malheur ; enfin la méde- 
cine légale destinée à éclairer l’homme qui fait les 
lois et celui qui en est l'interprète; tels sont les 
points de contacts les plus connus jusqu’à ce jour 
entre la médecine et la politique. Comme ils ont 
été traités avec avantage par d’autres auteurs, M. 
Salverte a discuté dans cet ouvrage quelques autres 
rapports dont on ne s’est guères occupé jusqu’à 
présent. 

L'auteur parle d’abord de l'influence du climat et 
des circonstances physiques sur le caractère des 
peuples, et des moyens de la mettre à profit ou de 
la rectifier ; à ce sujet il fait des réflexions intéres- 
santes sur l'influence morale et physique des grands 
travaux, tels que les défrichemens ; sur celle des 
coutumes et des alimens adoptés dans un pays , lors- 
que le peuple d’une contrée se les approprie ; enfin 


. 


- Livres divers. 191 


sur celle du transport de la population d’un canton 
dans un autre, et du mélange ainsi que du croi- 
sement des races. 

L'influence de l’éducation physique est l’objet d’un 
chapitre particulier de cet écrit. M. Salverte insiste 
sur la nécessité de la varier selon les circonstances 
physiques et selon son but moral, et il fait voir com 
bien de lumières la physiologie peut répandre sur 
les causes et les remèdes de l'excès et de la dimi- 
nulion de la population. 

On ne lira pas sans intérêt ce que l’auteur dit sur 
les lois pénales et les prisons; sur les peines phy- 
siques et l'effet des exécutions publiques ; sur le 
régime physique combiné au régime moral pour 
corriger les coupables détenus , pour empêcher les 
accusés de se corrompre, et pour détruire la men- 
dicité en inspirant aux pauvres l’amour du travail; 
sur les précautions à prendre pour le succès de ces 
mesures et pour la salubrité des prisons; sur les ins- 
taus de relâche que l’on peut y accorder, sur les 
punitions qu’on y décerne , et sur la séparation ab- 
solue des sexes. 

Le chapitre dans lequel M. Salverte fait voir les 
avantages des connoissances physiologiques dans les 
relations avec des peuples étrangers, lui donne oc- 
casion de traiter des précautions relatives au site 
d’une colonie, à la santé des habitans et des troupes 
que l'on ÿ transporte ; de l’étude physiologique sur le 
caractère futur des colons, sur le caractère présent 
des indigènes , sur les usages qu'on peut emprunter 
de ceux-ci, sur les denrées qu’on doit craindre deleur 
fournir, et celles que l’on peut cultiver et importer 
dans la métropole. 

L'auteur consacre ensuite un chapitre particulier 
a développer ce principe, que la loi doit toujours 


192 Livres divers. 
avoir égard aux impulsions de cet instinct physiqué 
que l’homme en général tient de la nature ; et cha 
que peuple, en particulier, du pays qu'il habite. 

M.-Salverte développe également les effets mo- 
raux et physiques que doit produire le mode de cons< 
truction des maisons et des villes ; celui du costume 
et du cérémonial, celui du choix des alimens, et 
celui de la distribution des heures consacrées au 
travail, aux repas (1), au sommeil et aux spectacles. 
Il énonce d’excellentes idées sur l'influence des re- 
présentations scéniques , des spectacles cruels et de 
tout ce qui habitue à la vue du sang; il rappelle à 
cette occasion la question proposée sur ce sujet par 
l’Institut en l’an x1, mais restée sans réponse ; et 
wie autre proposée par la Société d'Émulation de 
Rouen. 

Ce qu'il dit de l’ascendant moral du physique, et 
surtout de l'aspect d’un grand concours d'hommes , 
sur l'individu placé au sein d’une assemblée délibé- 
rante ou devant un tribunal , mérite d’être lu et mé- 
dité. L'auteur rapporte ici fort à propos l’anecdote 
suivante de Skaftesbury , auteur des Characteris- 
sicks. Lorsqu'un jour il parla dans la chambre des 
pairs, en faveur d'un bill qui tendoit à donnér un 
conseil aux-accusés de haute-trahison , il se troubla 
au point d’être quelque temps sans pouvoir conti 
nuer son discours. & Mylords, dit-il ensuite, si moi, 
» qui ne suis point accusé et qui plaide pour des in- 
s térêts qui ne sont pas les miens, je n’ai pu me 
» défendre d’un sentiment de trouble et de frayeur 
» en parlant devant mes pairs, que ne peut-il pas 


(1) Ce que l’auteur dit sur ce point donneroit lieu à beau- 
coup d'observations contraires aux siennes, mais qu’il seroit 
trop long de développer ici. 


ss arriver 


» 
» 


Livres divers. 195 


arriver à des hommes qui parlent devant leurs 
juges pour défendre leur honneur et leur vie. »s 
« Des jurisconsultes ; ajoute M. Salverte à cêtte 


occasion , « ont indiqué le trouble d’un accusé comme 


la plus forte présomption de son crime; cette règle 
a été adoptée dans la pratique par bien des juges, 
et un préjugé presque général la confirme. Mais 
indépendamment de la crainte d'une erreur à l’a- 
bri de laquelle n’est aucun tribunal , indépendam- 
ment de l'agitation que porte dans l’âme une po= 
sition toujours douloureuse , un homme traduit en 
public pour la premmère fois de sa vie, et qui, 
peut-être, se sentiroit intimidé s’il falloit y pro= 
noncer comme juge, sera-t-il calme , impassible, 
quand il doit répondre comme accusé , alors que 
tout, autour de lui, tend à lui inspirer l’inquiétude 
et l’effroi, que nulle voix consolante ne l'invite à 
se rassurer , qu'il ne peut se confier qu'au senti- 
ment de l’innocence, de l’innocence si souvent mé2 
connue par les hommes! Est-il surprenant que sa 
voie s’alière, qu'il bégaye, qu'il pâlisse, qu'il 
tremble, qu’il regarde sans voir, qu'il entende 
sans comprendre, que, dans le désordre de ses 
discours, se fasse sentir l'absence de raison, de 
mémoire, d'idées? Non, sans doute; et c’est au 
philosophe qui étudie l’homme dans l’homme 
même , c’est au physiologiste qui regrette de ne 
pouvoir dissiper ce trouble funeste, à retenir du 
moins notre précipitation injuste, à nous montrer 
dans cette timidité qui enchaîne subitement les 
forces morales et physiques, un effet inévitable de 
la présence des hommes , effet auquel l’homme 
le plus ferme ne peut se soustraire que par l’ha- 
bitude, ou en maitrisant, à un point extraordi= 
naire, les mouvemens de son imagination, » 


T. F. Septembre 1806. N 


194 Livres divers. 

M. Salverte auroit pu ajouter que l’histoire des 
tribunaux ne prouve que trop que les plus grands et 
les plus obstinés criminels conservent le plus sou- 
vent tout leur sang-froid en présence des juges et 
que ce sont les plus innocens au contraire qui se 
troublent le plus facilement. 

Le pouvoir physique de l'imagination et sa réac- 
tion sur le moral produisent les effets les plus singu- 
liers. Ce sujet est fort vaste, et l’on s’attend bien 
que M. Salverte n'a pas prétendu l'épuiser dans le 
chapitre où il en traite. Il existe sur cette matière 
un fort bon ouvrage de Muratori, et la traduction 
allemande que M. Richerz en a publiée est préfé- 
rable à l'original par le grand nombre d’additions 
intéressantes et d'observations curieuses qu'il y a 
_jointes et qui en font pour ainsi dire un ouvrage 
nouveau. 

Ce pouvoir de l'imagination par lequel des ma- 
ladies sont créées quelquefois ou éloignées , qui glace 
tantôt et qui, d’autres fois, enflamme le courage , 
n’est que trop bien connu des imposteurs et des char- 
latans , et malheureusement ils en font trop souvent 
un abus criminel. M. Salverte fait voir que c’est au 
physiologiste à les dénoncer au mépris public et à 
l’animadversion de la loi; il ajoute que quand les 
désordres de l'imagination troublent tout un peuple, 
on ne peut, comme autrefois, les combattre par les 
idées religieuses; il veut que cette tache soit impo- 
sée au médecin qui doit rassurer l'esprit autant que 
guérir le corps ; rechercher les causes qui rendent 
un peuple plus facile qu'un autre à décevoir; et pré- 
voir les erreurs qu'un symbole , un emblème peuvent 
enfanter dans l’espritdes générations à venir. Dans le 
dernier chapitre de son ouvrage, M. Salverte éta- 
blit enfin que la physiologie seule peut fournir à 


Livres divers. 199 


l'homme les moyens d’un perfectionnement indéfini, 


si la possibilité de ce perfectionnement n’est pas un 
rêve. Ta. W. 


\ 


NovuveLrres Recusrcues swr des Rérentions d'u- 
rine, par rétrécissement de l'urètre et par pa- 
ralysie de la vessie; suivies de remarques sur 
la gravelle ; par M. N'AUCHE, médecin , vice- 
président de la Société galvanique, de la So- 
ciété royale de médecine de Copenhague, etc 
Troisième édition. À Paris, chez Croullebois, 
rue des Mathurins; veuve Panckoucke , rue de 
Grenelle, faubourg Si.-Germain, n°. 7; l'Auteur, 
rue du Bouloi, n°. 8. Prix, 2 fr. 25 cent., et 2 fr. 
75 cent. franc de port. 


Nous avons rendu compte des deux premières 
éditions de cet ouvrage. T/auteur a ajouté dans 
celle-ci un précis de ce que nous connoissons de 
plus positif sur la paralysie de la vessie et de nou- 
velles recherches sur la gravelle. Ce dernier tra- 
vail mérite surtout de fixer l'attention des prati- 
ciens. La gravelle, maladie qui donne naissance 
aux calculs des reins, a été confondue mal à pro- 
pos, suivant l’auteur, avec la néphrite ou inflam- 
mation de ces viscères. Elle peut se présenter à 
l’état simple, ou compliquée de spasme, d’inflam- 
mation ou d’un état goutteux des reins. M. Nauche 
indique les symptômes de cette maladie; les cir- 
constances qui y donnent lieu, et le traitement qui . 
lui convient, tant dans son état de simplicité que 
dans celui de complication. Son travail, dégagé de 
toute théorie hypothétique, et fondé sur l’observa- 
tion, ne peut qu'ajouter à l'intérét que présentoit 
l'ouvrage, et lui mériter l'accueil du public. 

Tu. W. 


* 


196 Livres divers. 
\ L'Aur des Malades de la Campagne , où Indi- 


cation des différens remèdes simples, peu cot- 
teux et faciles à administrer, pour guérir Les 
Maladies Les plus communes dans les cam- 
pagnes ; avec la manière de construire un re- 
poussoir ou bouton élastique pour soutenir Les 
hernies ou descentes , etc. etc. ; par PornsorT, 
auteur de l’ Ami des Jardiniers et de l[’ Ami des 
Cultivateurs. Seconde édition , entiérement re- 
fondue èt augmentée de plus de moitié, etc. 
Un vol. in-8°. À Paris, chez l’Auteur, rue Saint- 
Lazare, n°. 32, et chez Lenormant, rue des 
Prètres - Saint-Germain - l'Auxerrois, n°. 7. 
An 1606. 


Cet ouvrage porte come tous ceux de M. Porn- 
soT, un caractère de simplicité , d'ordre, de justesse 
et de clarté, qualités si nécessaires pour tous les li- 
vres qu'on destine à la classe du peuple. L'auteur 
a enrichi cette nouvelle édition d’un vocabulaire 
des formules les plus intéressantes dont le peuple 
ignore la manipulation, et y a joint plusieurs re- 
cettes de sirops, d’onguens, d’emplâtres et autres 
médicamens essentiels. Outre le frontispice dont 
il a orné son Recueil, on y trouve une gravure où 
sont détaillées les différentes parties du ressort ou bou- 
ton élastique propre à contenir les hernies. Elle est 
accompagnée d’une explication qui en développe le 
mécanisme et l’ensemble. J. L. G. 


JournaLde Médecine, Chirurgie , Pharmacie, etc. 
par MM. Convisarr, Leroux et Boyer. Paris, 
chez Méquignon l'aîné, libraire, rue de l'École 
de Médecine. Juillet 1806. 


On lit dans ce Cahier les articles qui suivent ; 


Livres divers. 197 


Observations sur les vers lombrics, par M. Cour- 
BON-PERUSEL, D. M.— Histoire succincte de la cons- 
ütution médicale , observée dans les hospices de 
Langres en 1805 et le premier trimestre de 1806 ; 
par M. Rogerr, D. M. — Constitution médicale, 
observée à Paris depuis novembre 1805 jusqu'en 
juin 1806; par MM. J. J. Leroux, BAYLE, FIZEAU 
et LAENNEC. — Exposé de la mawadie épidémique 
bilioso - catarrhale qui & règnée à Versailles en 
janvier et février 1806 ; par M. Gaupicnow, D. M. 
— Oôservations sur une opération de trachéoto- 
mie faite à un enfant de cinq ans, pour extraire 
un haricot qui s’étoit engagé dans la trachée- 
artére ; par M. GuincourT.— Remarques sur urt 
accident qui peut compliquer l'opération de la 
trachéotomie ; par M. FrzEAu. — Remarques sur 
ur nouveau moyen de faire les sondes dans la 
vessie ; par le même. — Observations météoro- 
logiques faites à Montmorenci pendant avril, 
mai et juin; par M. CorTre. 


MEÉTAPHYSIQUE. 


Essar sur le Monde; par H. Azaïs; 1 vol. in-8°., 
1 fr. 80 cent. pour Paris , et 2 fr. 25 cent. franc de 
port. Paris , chez Arthus Bertrand , libraire , ac- 
quéreur du fonds de Buisson, rue Hautefeuille , 
n°, 29, 1006. 


L'auteur commence par une assez longue intro- 
duction , dans laquelle il discute ces trois questions : 
Qu'est-ce que le monde ? — Quelest son auteur? 
— Quel est son objet? 

L'ouvrage est divisé en quatre parties, dans les- 
quelles il fait successivement l'application des lois 


198 Livres divers. | 


universelles qui régissent le monde, à la formation 
et aux mouvemens des êtres inorganisés ; à la for- 
mation et aux mouvemens des grands corps ; à la 
formation et aux mouyemens des êtres organisés; 
énfin , à la formation, aux mouvemens et à la con- 
servation de l'âme. J. L. M. 


BIo0GRAPHIE. 


à 


GALERIE historique des hommes les plus célèbres 
de, tous Les siècles et de toutes Les nations; 
contenant leurs portraits gravés au trait d’après 
les meilleurs originaux, avec l’abrègé de leurs 
vies, et les observations sur Leurs caractères 
ou sur leurs ouvrages ; par une Société de Gens 
de lettres, publiée par C. P. LaNvoN, peën- 
sre, ete: À Paris, chez Landon, quai Bonaparte, 
n° I. 1806. In-r2. « 


Cette livraison contient les portraits de Jeannin, 
Suger, Titus, Fouquet, Caracalla, L. J. Brutus, 
Clarke, d'Harcourt, La Rochefoucault , Des Jardins, 
Antonin, Commode, Alcibiade, Septime Sévère, 
Regnard , Julien l’apostat, Tillotson, Villars, 
Mayenne, Tibère, Charles-le-Téméraire, François 
de Guise , Luxembourg, Lesdiguières, Laudon, 
Henri ILE, l'abbé Fleury, madame de la Vallière, 
Cowley, Bourdalou, Montausier ; Saint-Vincent de 
Paul, Racine, Mignard , Colbert. 


La Vie de M". de Maïintenon, ornée de son 
portrait. 2 vol. in-12. Prix, 3 fr. 60 cent. pour 
Paris, et 4 fr. 5o cent. francs de port. A Paris, 
chez Ærthus Bertrand, libraire, acquéreur du 
fonds de Buisson, rue Hautefeuille, n°. 23. 


Livres divers. 199 


On lira toujours avec plaisir tout ce qui concerne 
une femme également célèbre par sa haute fortune 
et par ses vertus. 

Cet ouvrage, divisé par chapitres, offre aux lec- 
teurs la commodité de retrouver, au premier coup- 
d'œil, les époques les plus importantes de la Vie de 
M°°. de Maintenon. J. L. G. 


TECHNOLOGIE. 


BuLreTiN de la Société d'encouragement pour 
l'industrie nationale. 


Le numéro de juin renferme cette série d'articles : 

Extrait des séances et de la correspondance du 
conseil d'administration. — Sur La fabrication des 
vis & bois. — Notice sur Le troupeau de mérinos 
et de métis de M. PorTeviN-Maissemy, Préfet 
du département du Mont-Blanc. — Liste des mem- 
ères de La Société admis depuis le premier avril 
1806.— Liste des ouvrages offerts à la Société 
depuis le mois de messidor an XIII. — Liste des 
artistes , fabricans et agriculteurs dont 1l est 


fait mention dans la 4°. année du Bulletin de 
la Société. 


ANNALES des Arts et Manufactures ; par R. 
O’Rerzzy, N°.71 et72. Paris, à l’Imprimerie des 
Annales, rue J. J. Rousseau, n°. 14. 1606. 


Ces deux numéros contiennent les articles dont 
les titres suivent : Haut-fourneau à double coulée. 
— Sur l’aréométrie ; et description d'un nouvel 
aréomètre proportionnel centrigrade. — Mémoire 
sur une nouvelle méthode d'éclairer Les villes.— 
Sur les aluns et sur un préjugé qui existe dans 
le commerce relativement à celui de Rome.— Sur 


200 Livres divers. 


les machines employées à pétrir le pain, et sur cette 
opération de boulangerie. — Sur les moyens d'ôter 
l'odeur désagréable des eaux-de-vie. — Sur Les nou- 
selles cheminées dites calorifères salubfes.— Notice 
surune nouvelle espèce de porcelaine. —Sur divers 
moyens d'augmenter la force motrice dans les ma- 
chines à monter des fardeaux.— Sur le mouvement 
des animaux et sur les transports. — in du Mémoire 
sur le dessèchement et l'irrigation des terres. —Sur 
le sucre de raisin. — Sur des métiers à tisser perfec- 
tionnés. — Nouveaux métiers à bas: — Moulin à 
vent horizontal. — Description d’un bateau à remon- 
ter les rivières par l'effet de leur. .courant. — Liste 
générale des brevets d'invention accordés depuis la 
révolution jusqu’au 31 janvier 1806. 


GEOGRAPHIE. 


ALGEMEINE géographische Ephemeriden, ver- 
Jfasset von einer Gesellschaft Gelehrten und. 
Lerausgegeben von F.J. Berrucu wzd C. G: 
RercnarD; c’est à dire: Éphémérides géogra- 
piques générales, rédigées par une Société 
de savans et publiées par K. J. BerTucu et C, 
.G.-RercHarD ; Huitième année. Cahiers des 
nois de novembre et décembre 1805; Weimar 
au comptoir d'Industrie. 


Ces deux Cahiers fournissent des Mémoires : 
1°. Sur l’origine du Bosphore de Thrace, extrait 
d'un mémoire de M. Choiseuil-Gouffier; 2°. Sur 
l'ile d'Hydra près du Péloponèse et ses habitans; 
3°. Sur l'ile de Madagascar, par M. LESCALIER; 
4. Sur les habitans de l'ile de. Poggy , voisine 
de celle de Sumatra, par John Crisr. 


Livres divers. 20T 

On y trouve aussi les analyses de plusieurs ou- 
vrages. Nous citerons celle d’un ouvrage français, 
publié par le Bureau des longitudes à Paris, sur la 
connoïissance du temps ou des mouvemens cé= 
lestes à l'usage des Astronomes et des Naviga- 
teurs, pour l’an XIV ; celle d’une Aistotre de La. 
Russie sous Le règne d'Alexandre T”, publiée 
en Allemand par Srorcn; du Dictionnaire uni- 
versel , géographique , statistique, historique et 
politique de la France; d'un Voyage en Hano- 
vre, par M. MancouriT; et d'un ouvrage alle- 
mand qui a pour titre : Saint-Pétersbourg, à la 
fin du premier siècle de sa fondation. 

Dans les-analyses critiques des nouvelles cartes 
géographiques qui ont paru, il est question de la 
Carte de la Turquie d'Europe, par C. MANNERT; 
de la Carte de la principauté de Würzbourg , 
par Hammer; des quatre premières livraisons de 
l'excellent Atlas de Bavière, par Adrien dE 
Riez. Cet Atlas donne une description topogra- 
phique et géométrique exacte de toutes les routes 
principales de la Bavière, et des objets intéressans qui 
se présentent sur leurs passages. L'article mélange 
fournit quelques notices sur les mesures des anciens 
Égyptiens, tirées des Mémoires de GIRARD; sur 
plusieurs journaux; et quelques objets de statistique 
et de géographie. 

En tête des deux numéros dont nous parlons, se 
trouvent les portraits de B. F. J. Hermann, chef 
des mines de l'empire de Russie, et d’Ant. DE 


Zac , général-major de l’empereur d'Allemagne. 
VE 


Nouveau TRrAITÉ géographique renfermant les 
productions , les usages, les coutumes de cha- 


202 Livres divers. 


que pays, et:tous Les changemens arrivés sur 
Ze globe jusqu'en 1806; par madame RENELLE. 
Tome I°. Léipsick, 1806. In-8°. br. Prix, 5 fr. x 
et 6 fr. 50 cent par la poste. 


HirsToireEe. 


TABLEAU des Révolutions du système poligÿque 
de l'Etrope, depuis la fin du XV". siècle ; 
Par M. F. ANciLLon. In-12. Paris. 1806. (1). 


L'objet de cet ouvrage est de peindre la nais+ 
sance, les développemens, les variations du sys- 
tème politique qué' les Etats de l’Europe ont suivi 
depuis la fin du XV”, siècle, pour acquérir ou 
conserver une existence indépendante, en opposant 
forces à forces et puissance à puissance. 

À travers une foule de modifications partielles 
et passagères que le système ‘politique lui a offertes 
dans les trois derniers siècles, l’auteur a démêlé et 
fixé trois époques principales. | 

La première, 1492-1618, comprend un espace 
de cent vingt-six ans. Elle s'étend depuis les guerres 
de Charles VIIL en Italie, jusqu’au commencement 
de la guerre de Trente ans. 

Dans cette époque, sous-divisée en gwatre pé- 
riodes , on voit Charles VIIL-et Louis XIT porter 
et faire la guerre en Italie pendant plusieurs an- 
nées, sans beaucoup de succès; les armes et la 
politique de Charles-Quint et de Philippe IT élever 
l'Espagne au premier rang; et le:génie de Henri IV 
préparer à la France cette prépondérance qu'elle : 
a conservée depuis. | 09 10 


(1) I n’a encore été publié que trois volumes de cet 
ouvrage important; quatre autres doivent.élre incessam= 
ment publiés. 


Livres divers. 203 

Seconde époque. Elle court de 1618 à 1715, 
c'est-à-dire, depuis le commencement de la guerre 
de Trente ans, jusqu’à la paix de Rastadt et la mort 
de Louis XIV. 

Quatre périodes divisent aussi cette époque, qui 
s'ouvre par la lutte entre Frédéric V et Ferdi- 
nand IT. C’est là le premier acte de cette longue 
guerre, à laquelle le Danemarck, la Suède, l'Al- 
lemagne et la France prirent successivement une 
. part active. 

Le génie profond et audacieux de Cromwell fonde 
la puissance d'Angleterre. A l’aide de la France, le 
Portugal secoue le joug de l'Espagne; la Suède jouit 
de quelque crédit sous Charles X ; la Hollande, sous 
Guillaume d'Orange, obtient de la considération. 
Par la paix de Westphalie et par celle de Nimègue 
surtout, la France acquiert une supériorité décisive. 
Elle est sans influence à Ryswick, à Utrecht et à 
Rastadt. Cependant, malgré les efforts de Malbo- 
rough et d'Eugène, Louis XIV parvient à faire as- 
seoir son fils sur le trône d’Espagne. 

Trois sous-divisions partagent la sroësième épo- 
que, qui se prolonge de 1715 à 1789. 

La France et la Maison d'Autriche avoient do- 
miné long-temps presque seules. À côté d’elles se 
forment et s'élèvent trois grands Etats. La Russie, 
victorieuse de la Suède, acquiert de l’ascendant en 
Europe. La Prusse sort de son obscurité, obtient 
la dignité royale, et assure sa puissance par le sys- 
tème économique et militaire qu’elle adopte. L’An- 
gleterre devient la reine des mers. Il en résulte que 
la conduite, les ressources et les accroissemens ra- 
pides de ces trois Etats, donnent à la politique eu- 
ropéenne un caractère et une direction nouvelle. 

L'auteur s'arrête au temps où une révolution 


. 


204 Livres divers. 

étrange bouleverse tout en France. Il a jugé les faits 
nombreux que renferme cette période, trop voisins 
de nous pour appartenir à l’histoire. Il dit, avec 
beaucoup de raison, que ce ne peut être que l'essai 
d’un genre tout à fait nouveau, sur lequel le temps 
seul peut et doit prononcer. 


Tel est le plan général de cet ouvrage, dans le- 
quel M. Ancillon n’a pas cherché à donner une 
histoire universelle des trois derniers siècles, bien 
moins encore l’histoire détaillée de chaque Etat de 
l’Europe. Son travail consiste uniquement dans le 
choix, l’enchaïinement et l'exposition des faits qui, 
de près ou de-loin, ont influé sur les phases du 
système politique. 

Le tout est précédé d’une excellente introduction, 
où se trouve un aperçu des principaux événemens 
du moyen âge. Après avoir décrit les causes qui 
amenèrent la chûte de l'empire romain, l’auteur 
retrace rapidement quel fut le sort de l'Asie sous 
Mahomet et les Arabes. S’occupant après cela de 
l'Europe, il expose en raccourci le règne de Char- 
lemagre , et quelle influence il exerça sur son siè- 
cle. Il esquisse ensuite l’histoire du gouvernement 
féodal, celle de la monarchie spirituelle des papes, 
et termine par des détails abrégés sur les croisades. 


L’exactitude des faits, une impartialité rigoureuse, 
une logique saine, une connoissance approfondie des 
hommes et des temps, un style sage ét pur, mais 

noble , entraînant, recommandent le livre de M. An- 


cillon à tous ceux qui aiment la vérité, et qui font 


leur étude principale de l’histoire. J. L. G. 


GALERIE historique des illustres Germaiïns, de- 
puis Arminius jusqu'à nos jours; avec leurs 


Livres divers. 20) 


portraits et des gravures représentant les traits 
principaux dé leurs vies. 4°. et 5°. livraisons. À 
Paris, chez Antoine-Augustin Rezouard. 1806. 


Cet ouvrage qui jouit d’un succès mérité, se fait 
remarquer par la belle exécution des gravures et de 
la partie typographique. De ces deux livraisons, la 
quatrième offre le combat des Germains contre 
des lions. Cette gravure rappelle l’époque où les 
Romains voulant pénétrer dans la Germanie, exer- 
cèrent des lions à passer les eaux à la nage, et en 
firent une avant-garde pour leur expédition (x). 
Maximilien I”. annoncant la paix au peuple ; 
portrait de ce prince; ceux de Maurice de Saxe , 
de G. W. de Leibnitz, de P. P. Rubens et celui 
d'Elizabeth Brantes , une des femmes de ce pein- 
tre. On trouve dans la cinquième livraison les por- 
traits d'Art. Raphael Mengs , et celui de Salomon 
Gessner ; deux estampes, /e Matin et la Nuit, com- 
posées par Ferdinand Kobell dans l'esprit des deux 
petits poëmes de Gessner ; une autre intitulée Zæ 
Solitude, par le même; le sujet de la dernière 
est le monument érigé au chantre ingénieux de la 
mort d'Abel, dessiné et gravé par le peintre de 
paysage Kuwz, de Manheim. 


(1) Aucun historien ancien n’a rapporté ce fait, et les 
modernes qui ont adopté n’ont eu d’auire autorité qu'un 
bas-relief de la colonne Antonine, sur laquelle on voit deux 
lions au milieu du Danube, qui sépare les Romains et les 
Marcomans. Le prestigiateur Alexandre avoit conseillé au 
crédule, Marc Aurele de faire jeter dans le Danube deux 
lions vivans , en lui disant que les Dieux, en faveur de ce 
sacrifice , lui accorderoient la victoire. C’est ce qui est re- 
présenté sur la colonne. Jamais les Romains n’ont. fait alla- 
quer les Germains par des lions. À. L. M. 


206 Livres divers. 


MonuMENs francais inédits, pour servir à l'his- 
toire des arts, et où sont représentés les cos- 
tumes civils et militaires , Les instrumens de 
musique , les meubles de toutes espèces, et Les 
décorations intérieures des maisons ; dessinés, 
colortés, gravés et rédigés par N. X. W1ILLEMIN. 


En annonçant la première livraison de cet ou- 
vrage, nous avons fait connoître le but principal de 
l'auteur , et de quelle utilité il doit être pour les ar- 
tistes français qui voudront puiser dans l’histoire de 
leur pays. 

Des deux livraisons, II°. et IIL°., qu'il vient de 
publier , l’une , composée de six planches, présente 
Charles-le-Chauve assis, quelques z2strumens de 
musique ; et des ornemens tirés tant des Heures que 
de la Bible de cet empereur , manuscrits du 9°. siècle; 
des chapitaux de l’abbaye de Saint-Germain-des- 
Prés ; du commencement du 11°. siècle; Guillaume 
Le Mai, capitaine de six-vingt archers du roi et 
gouverneur de la ville de Paris , gravé sur pierre 
vers 1480; des ordures de tableaux et dessin d’un 
coffre vulgairement appelé bahut; de la fin du 
15°. siècle, et des orzemens dw 16°., qui offrent 
entre autres le couronnement d’une porte de mai- 
son , rue du Cimetière-Saint-André-des-Ârs, n°. 11. 

La troisième livraison, composée de cinq plan- 
ches seulement, contient des costumes du 14°. siè- 
cle; des instrumens de musique du 15°.; la statue 
de la reine Ultrogothe , tirée du portail de l’église 
Saint - Germain - l’Auxerrois de Paris; les figures 
d'Alexandre de Berneval, maitre de maçonnerie 
du roi, et de Witasse de CRT , sergent du roi; 
une figure et des orzemens du château d’ PR , 


Livres divers. 207 


enfin un casque du 16°. siécle, tiré du cabinet de 
l’auteur. 

Ces livraisons ne laissent rien à désirer pour la 
beauté de l’exécution. 


ANTIQUITES. 


GALERIE antique, ou Collection des chefs-d'œu- 
vres d'architecture , de sculpture et de peinture 
antiques. Première division. Monumens de la 
Grèce. II°., ILI<., IV‘. et V°. livraisons. À Paris, 
chez Treuttel et Wurtz, libraire, rue de lille, 
n°. 17; et à Strasbourg, même maison de com- 
merce, rue des Serruriers , n°. 3 (1). 


La II. et IIT°. livraisons se composent chacune 
de huit planches qui offrent les fragmens du grand 
bas-relief du Parthenon, les sculptures des ime- 
topes de la frise extérieure , les détails de la sculp- 
ture du fronton, le plan des propylées , leur élé- 
vation latérale et de face, leur coupe longitu- 
dinale , les détails de leur architecture, et la coupe 
du temple de la victoire sans ailes. Ces planches 
sont accompagnées de la traduction de la préface 
de l’ouvrage sur les antiquités d'Athènes , par James 
Stuart et Revett; de la vie de Périclès ; d’une notice sur 
le Parthénon , et de l'explication des planches re- 
latives à ce temple. 


. (1) La Galerie antique se publie par livraisons de huit 
planches et de quelques feuilles de texte ; il en paroît une 
livraison tous les mois, Le prix de chaque, sur papier or- 
dipaire, 8 fr., et sur papier’ d'Hollande , 12 fr. Il y en a 
quelques exemplaires au lavis à l’encre de la Chine; prix, 
40 fr. la livraison. 


508 Livres divers. 


Quatre des huit planches qui composent la IV*, 
livraison complètent les détails des propylées, et 
donnent des fragmens de bas-reliefs de cette sculp- 
ture grecque où la noblesse et la simplicité des for- 
mes sont unies à cette expression forte et vraie de 
la nature en action dans des figures de combattans 
nuds ou presque nuds. 

Les quatre autres donnent le plan et trois éléva- 
tions des temples d'Érechthée, de Minerve Poliade 
et de Pandrose réunis. 

Le texte est également divisé en deux parties. La 
première donne l’histoire de l'état ancien et mo- 
derne des propylées. 

Pour donner de la variété à cette partie de l’ou- 
vrage et ne pas fatiguer ses lecteurs par d’éternelles 
descriptions d'architecture, l’auteur , qui a donné la 
vie de Périclès dans les précédentes livraisons, a 
enrichi celle-ci d’une partie de la vie de Thémis- 
tocle, dont les victoires et les travaux ont tant con- 
tribué à l'agrandissement d'Athènes. 

La V°. livraison achève de donner la vie de Thé- 
mistocle. À ce morceau de littérature succède la 
description des temples d’Erechthée, de Minerve 
Poliade et de Pandrose , réunis et formant un seul 
monument , dont toutes les parties élégantes et du 
meilleur goût sont détaillées dans huit planches. 
Elles sont principalement consacrées à faire con- 
noître sous tous les aspects les belles caryatides qui 
formoient la décoration de la jolie chapelle de la 
Vierge Pandrose, l’une des filles de Cecrops , pre- 
mier roi d'Athènes ; et ces chapiteaux ioniques d’une 
exécution si riche et si parfaite qu'aucun ouvrage de 
sculpture de ce genre, soit antique , soit moderne , 
ne les surpasse. C’est le dernier terme de la grâce et 


de la délicatesse pour le charme de la composition, 
comme 


Livres divers. 209 


comme pour le fini de l'exécution, et les artistes ne 
peuvent avoir sous les yeux de ;plus excellens mo- 
dèles. 


Les Monumens antiques du Musée Napoléon , 
gravés par Thomas Prrorr, avec des explica- 
ions par M. Louis PeriT-RADEL; publiés par 
F. es P. Prranesr fréres. XX VILL°. livraison. A 
Paris, chez les frères Piranesi, palais du'fri- 
bunat, rue Saint-Honoré, n° 1554. 1806. 


Ce cahier contient les Géries de la lutte ; un 
cadran solaire, accompagné de deux génies; un 
s'ége de bain; un paysan écorchant un daim ; 
un pécheur à la ligne ; l'enfant à l’oie ; un ma- 
riage grec; dermni-figures sépulcrales ; monument 
de deux femmes ; le cippe d Ancemptus. 


HISTOIRE LITTEÉRAIRE. 


Rapport des travaux de la Société libre d’Agri= 
culture, Arts et Commerce du département du 
Doubs. À Besançon. In-12 de 196 pag. 


À en juger par le recueil que nous annonçons, 
il est peu de Sociétés savantes qui fasse moins de 
bruit et plus de bien que celle du Doubs. Fidèle 
au plan qu’elle s’est tracé, elle s’occupe avec per- 
sévérance, depuis l’époque de son établissement , 
de tout ce qui peut améliorer les manufaciures, ali- 
menter et étendre le commerce, perfectionner l’a- 
griculture, exciter l’'émulation pour tous les genres 
d'industrie. 4 La Société, a dit un de ses membres, 
» par la nature même de son institution, n’est point 
» destinée à jeter un grand éclat; la pompe des 


HE 1 Septembre 1806. 


210 Livres divers. 


» phrases, l'éloquence des discours , tout ce qui fait 
» le charme des hommes d’un esprit cultivé ne lui 
» sont pas interdits; mais elle donnera toujours la 
# préférence aux ae d’une utilité générale. Si 
s elle a encouragé les talens et le génie; si, en 
» multipliant sa correspondance » elle a décuplé ses 
# moyens et fait jouir le département des décou- 
» vertes dont les autres s’applaudissent, son but est 
» atteint : cela peut n’être point brillant, mais cela 
> est utile, et là se borne l’objet de la Société. »s 
Que ne peut pas une Société animée d’un aussi bon 
esprit? Ainsi, loin de vouloir ressembler à l’avare 
qui rapporte tout à lui, qui concentre tout en lui ; 
elle ne garde pas pour elle-même les connoissances 
que chaque jour elle amasse. Ces connoissances for- 
ment un riche trésor qu’elle s’empresse de commu- 
niquer et d'ouvrir annuellement à tous. 

Ce recueil; que cinq autres ont déjà précédé, 
offre le rapport des travaux de la Société du Doubs, 
depuis le 15 ventose an x11 jusqu’au 20 prairial de 
l'an x111. Il commence par un discours de M. Bou- 
cHEY, son président , prononcé le jour de sa séance 
extraordinaire et publique. On y trouve des aperçus 
et des observations justes sur plusieurs branches de 
l’économie rurale et domestique, sur l’état de quel- 
ques fabriques et manufactures , enfin sur différens 
objets d’art et d'industrie particuliers au départe- 
ment du Doubs. T’auteur a eu soin de désigner 
ceux à qui la Société a décerné des médailles, et 
dont elle a proclamé honorablement les noms, sans 
oublier ceux qui se distinguent dans un genre et qui 
s'appliquent à le perfectionner. Comme motif d’en- 
couragement et par honneur pour leur mémoire, il 
finit par rappeler au souvenir de ses compatriotes 
les personnages qui ont illustré la Franche-Comté, 


Livres divers. 21£: 


Ce discours est suivi d’'Observations sur la men« 
dicité, par M. Giron-CaanTrans. Cet objet, un. 
des plus importans pour la sûreté publique, a tou 
jours excité la sollicitude des gouvernemens. Il existe 
même sur cette matière beaucoup de plans et de pro- 
jets. Quelques établissemens de l'espèce de ceux dont. 
il s’agit ont été essayés ; mais soit insouciance du 
magistrat, soit vice dans la base, tous, ou presque 
tous ont écroulé. Le petit mémoire en question ren- 
ferme des vues générales présentées avec ordre, et 
appuyées de réflexions exactes et solides. L'auteur, 
y démontre évidemment la nécessité de rallier et 
de discipliner, surtout à la suite d’une tourmente 
révolutionnaire, une multitude d'hommes sans pro- 
priété comme sans industrie; mais il s’est plus par- 
ticulièrement occupé dés mesures à prendre pour 
former des ateliers de travail à Besançon. 

- À ce mémoire succède un Coup-d'æœil rapide 
sur le territoire du département du Doubs, ses 
productions. etc:; par M. VERTEL, 

Après avoir tracé l’aspect général du pays et donné. 
sa position géographique, l’auteur dessine le cours 
du Doubs, et considère ensuite le département sous 
le rapport d'amélioration du produit territorial et. 
industriel, s’arrêtant surtout aux forêts et aux usines. 
Ce coup-d’œil est un excellent supplément à ce qu’on 
a déjà écrit de cette contrée. 

On lit ensuite une Notice de M. DE MonrronD 
sur les Mérinos. Elle contient des détails infiniment 
curieux sur les procédés qu’a employés l’auteur pour 
faire prospérer son troupeau. 

La Suite du mémoire de M. CoSTE, Brbrraliee 
caire de la ville de Besancon, sur la navigation 
du Doubs. 


Cette seconde partie n'a pas moins d’intérêt que 


212 Livres divers. 


la première , qui a été insérée en entier dans ce jour- 
nal (1). L'auteur promet incessamment la fin de cet 
opuscule plein d’érudition, et qui prouve une con- 
noissance exacte de l’histoire du pays. 

L'Extrait, par M. Girod-Chantrans, d’un écrit 
de M. FourMY , ayant pour titre : Mémoire sur 
les ouvrages de terres cuites, et particulièrement sur 
les poteries. 

L’'Extrait du rapport de MM. Isabey, Muguet et 
Bruaud sur un ouvrage intitulé : Zzstruction popu- 
laire sur le blanchissage à la vapeur; par M. 
CADET DE VAUX. )- 

Le Rapport de M. de Raymond, sur Le mémotre 
de M. Droz, concernant le rétablissement des 
Académies. 

La Notice sur des essais de culture de rata= 
baga ; par M. GiroD-CHANTRANS. 

Notice sur le plantage du blé; par M. de Ray- 
MOND. 

Extrait, par M. Girod-Chantrans, des obser- 
vations minéralogiques , agricoles , etc. de M. 
Charles DourcHes. 

Rapport de M. Bouchey sr une notice d'un 
voyage aux glaciers de Chamouny , par M. G1- 
ROD-CHANTRANS. 

Observations météorologiques faites a Besan- 
con pendant l'an x11; par P.C. MarCHANT, doc- 
teur en médecine. 

Rapport sur un nouvel essai de plantage de 
differentes sortes de bles; par M. Grron-Cuan- 


TRANS. 


\ 


(1) De l’ancienne navigation des rivières du Doubs, de 
la Saône et du Rhône, etc. Voy. Magasin Encyclopédique, 
année 1805, tom. ILL, pag. 110. 


Livres divers. 219 


Lettre écrite vers la fin de l'an x11 (1804) à 
la Société d'encouragement pour l’industrie na- 
tionale. 

Elle a pour objet quelques observations sur les 
fabriques de Sainte-Marie-aux-Mines, de Mulhau- 
sen, de M. Jappy, à Bancourt, département du 
Haut-Rhin, et notamment sur celle de Abranc, à 
Montecheroux. 

Notice sur M. Gras, chirurgien et médecin , 
membre ordinaire de la Société; par M. Bou- 
CHEY. 

Notice de quelques mémoires sur l’agriculture, 
Ze commerce et les arts, demandés à La Société. 

Elle offre tous les mémoires fournis au préfet par 
la Société sur l'agriculture en général, sur les ré- 
coltes, les haras, les bois, l'horlogerie , les outils 
d'horlogerie, les fers, les verreries , la farencerie, 
les poteries , tanneries et corroyeries; sur les toiles , 
fils et cotons dits de Morteau; sur la mine de bois 
bitumineux située au Grand-Denis, et sur une fa- 
brique de f romages qui s'étend de Morteau à Mouthe. 

Enfin les Notices, Extraits et Annonces des dif- 
férens ouvrages adressés à la Soctéte. 

On voit, d’après ce détail, que la Société du Doubs 
est plus jalouse de recueillir des connoissances utiles 
et de contribuer à la prospérité territoriale et indus- 
trielle du département , que de briller de quelque 
éclat littéraire. Ce n’est pas, comme on l’a vu plus 
haut, qu’elle renonce ou qu’elle soit insensible aux 
charmes de l’éloquence et de la poésie, et plusieurs 
de ses membres peuvent même avoir des succès dans 
l’une et l’autre. Le recueil dont nous venons de rendre 
compte offre une Épitre à M. l'abbé Delille, par 
M. ARSÈNE FAIVRE, qui nous confirme dans cette 
epinion. Elle ne manque ni d'idées , ni d’imagina- 


LI4. Livres divers. 


tion , ni de grâces. Qu'on nous en permette quelques 
cilalions. 


L'auteur habite au milieu des rochers et des pré- 
cipices. IL nous peint, dans les vers suivans, celte +] 
contrée agresle et sauvage. 


Ici, de plusieurs monis l’entassement affreux 
Betrace à mon esprit celle funeste guerre , 
Que les fiers enfans de la terre 
Osèrent déclarer aux habilans des cieux. 
-Là, d’un antre profond la voûte résonnante 
Me peint ces oracles menteurs, 
Qu’au nom des dieux, des prêtres imposteurs 
Vendoient à la foule ignorante. 
Tandis que sur vos bords chéris 
Le doux zéphir , de son haleine, 
Se plaît à reverdir la plaine, 
Et vole, en se jouant, sur les côtaux fleuris, 
Les sujets révoltés d’Eole, 
De nos hivers prolongent les rigueurs ; 
Le soleil à la fin s’avançant vers le pôle, 
Fait éclore-en nos champs quelques tardives fleurs 


Dont son feu peut à peine animer les couleurs. 


M. Faivre décrit ainsi les excursions auxquelles 
il consacre ses loisirs. 


Que j'aime à parcourir ces monts , 
Séjour éternel des tempêtes, 
Où les vents bruissans rassemblent sur nos lêles 
L'onde qui vient en pluie arroser nos vallons ! 
vente nl Nhiatialonie à oisate bla el Riel ile retste ie ot 


msn ns ns sms te 


Mon esprit dégagé s’éteu d à chaque pas, 


Livres divers. 215 


Et s'agrandit avec l’espace. 
J'arrive au sommet sourcilleux , 
Qui des Helvétiens domine la contrée. 
A peine mon âme enivrée 
Suffit-elle aux transporis qu’inspirent ces beaux lieux, 


CR 
Le soleil de plus près sur ma tête étincelle, 
Que je chéris alors l'ombre de ce sapin, 
Qui debout sur son roc affronte le destin, 
Et semble défier l'Océan qui l'appelle ! 
Assis au pied de ce roi des forêts, 
Je contemple à loisir, dans toute leur parure, 
Ces champs, où de sa main la féconde nature 
Rassemble et confond ses bienfails, 
Ah! si j’avois la palette brillante 
Et les pinceaux dont votre main savante 
Vient d’embellir l'imagination, 
Je n’aurois d'autre ambition 
Que de vous retracer cet objet qui m’enchante: 
Après vous avoir peint ces vallons enrichis, 
Où brille du Léman la mobile surface, 
Je saurois m’élever jusqu’au trône de glace 
D'où l’hiver règne au loin sur des sommets blanchis, 


Dont Bourrit a parlé, que Saussure a franchis. 


Il termine cejte épiître par des vers dont on ap- 
préciera la justesse, et par un éloge aussi naturel 
que délicat du talent de M. Delille. 


On est bien où l’on aime, on est bien où l’on pense ; 


216 Livres divers. 


Entre un site riant et des rochers affreux, 
Pour quiconque sait être heureux 
Je vois bien peu de différence. 
Mais pour opposer aux Destins 
L’illusion d’une aimable imposture, 
Lorsque je veux jouir de la belle nature, 
Je lis un chant de vos Jardins. 


Ludovici Caspari VAYCKENAERIT Diatrihe de 
Aristobulo Judæo , Philosopho Peripatetico 
Alexandrino. — Edidit, præfatus est et lec- 
tionem publicam Petri WESSELINGI: adjunxit 
Joannes TuzAc. À Leyde, chez S. et J. Lucht- 
mans. 1806. In-4°. de 136 pag. 


Il est difficile d'imaginer , pour les amateurs de 
la littérature grecque, une annonce plus intéressante 
que celle d’un ouvrage posthume de VALCKENAER ;, 
et l'on ne peut exciter, dans les disciples de cet hel- 
léniste, un souvenir mêlé de plus de satisfaction et 
de respect que celui de leur illustre maître. Ce dou- 
ble sentiment est celui qu'éprouve éminemment l’au- 
ieur de cet article , en annonçant la publication tar- 
dive du mémoire de Valckenaer sur le juif Aristo- 
bule, publication due aux soins du digne parent et 
successeur de ce grand homme, M. Jean Luzac. 

M. Luzac a enrichi ce volume d’une savante pré- 
face, en forme de dédicace , adressée à MM. Je- 
rome de Bosch et Eric-Hubert Van Eldik , élèves 
comme lui de l’école de Valckenaer, et lun et 
l'autre excellens philologues ; le premier principa- 
lement connu par son édition de l’Anthologie grec- 
que et par ses poésies latines ; le second n'ayant 
publié à notre connoissance qu'un petit volume ou 
plutôt cahier in-4°., sous le titre de Syspicionum 


Livres divers. 217 


Specimen, mais que Valckenaer se plaisoit à comp- 
ter parmi les restituteurs souvent les plus heureux 
et les plus hardis de la véritable leçon des poëtes 
grecs , de Théocrite en particulier, et que M. Luzac 

range aujourd’hui dans le très-petit nombre des vrais 
disciples de Valckenaer encore restans en Hollande, 
nombre qu’il va jusqu’à réduire à trois, savoir M. 
Van Eldik, M. Wassenbergh et M. Ruardi; car 
Valckenaer , mort en 1785 âgé de près de 76 ans, 
a eu le chagrin de survivre à tous ses meilleurs élè- 
ves , tels que Pierson , Higt, Koen, Van Len- 
zep , elc. 

Valckenaer , que, comme philologue (ce mot 
étant pris dans toute la plus honorable latitude du 
seus }, M. Luzac assimile à ses immortels compa- 
triotes Érasme , Grotius et Jean- Gérard Vossius, 
n’a voulu, pour ainsi dire, nous laisser d’autres tra- 
ces de sa mémoire que dans ses écrits, et il a tou- 
jours refusé de se faire peindre, modeler ou graver, 
pour transmettre à la postérité quelque idée de ses 
traits physionomiques. M. Luzac nous donne l’es- 
pérance que nous pourrons devoir un jour. à sa plume 
un élose de Valckenaer, où il ne manquera pas 
sans doute de s'élever à la hauteur de son sujet, 
comme RunnKENIUS l’a fait dans celui d'Æemster- 
huis, et M. W yTTrENg8Acx dans celuide Ruhnkenius. 
Aucun littérateur moderne, dit M. Luzac , à l’ex- 
ception peut-être de Henri Étienne, d'Isaac Cu- 
saubon et de Tibère Hemsterhuis, n’a su le grec 
comme Valckenaer. Il avoit tout lu en grec, phi- 
losophes , orateurs, historiens , poëtes, grammai- 
riens, lexicographes, sophistes, Pères de l’église, 
du bon, du moyen et même du bas âge; il avoit 
pris une connoissance particulière de ce ce qu'on 
appelle le grec helléniste, du style des hagiographes, 


218 Livres divers. 


des juifs d'Alexandrie, de tout ce qui a trait à la phi- 
lologie sacrée. Parmi les livres que les protestans ap- 
pellent apocryphes , ceux des Maccabées avoient 
surtout fixé son attention , et spécialement le 2°., en 
tête duquel sont deux lettres; la 2°. adressée à Aris- 
tobule, qui y est qualifié de précepteur du roi 
Ptolomée , et dit issu de la race des sacrificateurs 
oints. Ce motif est du nombre de ceux qui ont aussi 
porté les recherches de notre Aristarque sur ce per- 
sonnage distingué, et ce sont ces recherches qui se 
trouvent recueillies dans l'écrit que publie M. Luzac. 


On ne se fait d'idée du nombre et de la richesse 
des manuscrits délaissés par Valckenaer; ils of- 
frent, en autant de volumes ou de cahiers séparés, 
des observations , des conjectures, des commentaires 
sur la plupart des écrivains qu’il avoit lus. M. Luzac 
relève » au sujet deces manuscrits, une erreur 
échappée à M. Saxe dans son Ozomasticon. 


: M. Saxe fait M. Luzac héritier ou possesseur de 
tous ces manuscrits, qui cependant appartiennent 
dans le fait au fils et au gendre du défunt, M. Jean 
Valckenaer et M. Étienne Luzac, frère de celui dont 
nous parlons. M. Luzac, à la mort du professeur 
Valckenaer, son parent et son maître, a seule- 
ment acquis de sa veuve ses livres imprimés, en 
grande partie remplis de ses notes marginales , et 
à ce titre, d’une valeur inappréciable. Les livres 
relatifs à l’histoire de Hollande avoient encore été 
exceptés du marché. Ce n’est donc que des com- 
munications libérales de M. Jean Valckenaer et 
de M. Étienne Euzac que l'éditeur a eu les manus- 
crits de l’illustre Louis-Gaspar , prêts ou disposés 
pour l'impression, et nommément son travail sur 
les Fragmens de Callimaque ; son Histoire des 


Livres divers. 219 


Maccabées, contenue dans le second des livres qui 
portent leur nom; sa Dissertation sur Aristobule ; 
et enfin les quatre premiers livres de l'Histoire 
grecque de Xénophon , avec tout ce qui, dans les 
papiers du défunt, pouvoit avoir trait à ces diverses 
entreprises littéraires. M. Luzac a déjà publié, ily 
a six ans, les Fragmens de Callimaque. La Dis- 
sertation sur Æristobule lui a fourni l’occasion de 
porter ses recherches sur trois autres Péripateticiens 
Æameux dans le procès de Socrate , Aristoxene, Hié- 
Tonyme de Rhodes et Saiyre. Ces recheïches ont re- 
tardé la publication du mémoire sur Aristobule , et 
vont paroître à la suite ; après quoi viendra le 2°. Zivre 
des Maccabées, M. Luzac semble craindre que le 
progrès de l’âge et quelques travaux personnels ne 
lui permettent pas de publier la première partie des 
Helléniques de Xénophon. Nous lui en souhaitons 
de tout notre cœur, pour le bien des lettres, le temps, 
Je loisir et la disposition. 

Maintenant, quant au mémoire sur Æristobule , 
il nous suffira de dire à nos lecteurs, que cet ou- 
vrage porte le même cachet d’inépuisable érudition 
et de judicieuse critique dont sont empreints tous 
les écrits de Valckenaer. Il tend à établir que le 
juif Aristobule, qui florissoit à Alexandrie 175 ans 
avant notre ère vulgaire, au commencement du rè- 
gne de Ptolomée Philométor , grand protecteur des 
sciences et des lettres , est véritablement l’auteur des 
“fragimens qui portent son nom dans la Préparation 
Evangélique d'EusÈège, et qui y sont présentés 
comme extraits de son Comméntaire sur la Loi 
Mosaïque ; que ces fragmens ne sont ri pseudo- 
nymes, ni fabriqués seulement dans le second siè- 
cle de notre ère; que l'opinion contraire du savant 
anglais Humfrey Hody me peut soutenir l'épreuve 


220 Livres divers. 


d’un examen sévère et impartial ; et à cette occa- 
sion M. Valckenaer expose tout ce qui est parvenu 
à sa connoissance sur le juif Aristobule, et ce qui 
revient essentiellement à ceci : 

ARISTOBULE, Juif, de race sacerdotale , vivoit en 
Egypte, et étoit considéré à la savante Cour d’Ale- 
xandrie, sous Ptolomée Philométor. Il étoit très- 
versé dans la langue et dans la philosophie des 
Grecs; écrivoit fort bien celle-ci, et dans celle-là 
s'étoit rangé sous la bannière de la secte des Pé- 
ripatéticiens. Ptolomée faisoit de lui beaucoup de 
cas, et se plaisoit à s’entretenir avec lui de la loi 
de Moise, de la religion des Hébreux, de leurs 
livres sacrés. Cette nation, ainsi que son culte, 
étant un objet de profond mépris pour les Grecs en 
général, et surtout pour leurs liltérateurs et leurs 
philosophes, Aristobule prit occasion de la faveur 
dont il jouissoit auprès du prince, pour lui adresser 
un ouvrage destiné à combattre ces opinions dépré- 
ciatives , ouvrage désiré par Ptolomée lui-même ; et 
telle fut l'origine du Commentaire d'ARISTOBULE 
sur la législation mosaique , commentaire étendu 
et divisé en plusieurs livres, mais perdu depuis long- 
temps, et dont il ne nous reste que des fragmens 
épars, principalement dans la Préparation évan- 
gelique »'Euskse, où l’on pourroit bien en recueillir 
pour huit pages d'impression. Aristobule affectoit 
d'établir dans ce commentaire, que ce qu’il y avoit 
de plus estimable dans les écrits des poëles et des 
philosophes grecs, dérivoit des livres sacrés des Juifs 
dontils avoient pu avoir connoissance, et il alléguoit à 
l'appui de cette assertion des vers ou des tirades d'Or- 
phée , de Linus , d'Homère, d’Hésiode, etc. , ou alté- 
rés , ou frauduleusement fabriqués par lui. Il a mis as- 
sez d'adresse dans cette imposture pour avoir séduit 


Livres diverse. 221 


par ce moyen jusqu'à Clément d'Alexandrie lui- 
même, qui, dans ses Sromata, Va copié plusieurs 
fois. Dans le fragment principal, rapporté par Eu- 
sèbe, on lit jusqu’à 41 vers attribués à Orphée. Les 
plus savans des Chrétiens, dans les 2°., 3., 4°. et 
5°. siècles, ont eu connoissance de l'ouvrage en ques- 
tion, et c'est son étendue qui probablement lui de- 
vint funeste. Le goût des explications allécoriques 
de l'Ancien Testament semble avoir en partie passé 
de l'ouvrage d’Aristobule dans ceux de Philon, 
juif, et aussi dans ceux de plusieurs anciens apolo- 
gistes de la religion chrétienne. 

Cet Aristobule est-il le même que celui dont il 
est fait mention au 10°. verset du I‘. chapitre du 
IT°. livre des Maccabées , ou dans la suscription de 
la seconde:lettre des Juifs de Jérusalem à ceux d’É- 
gypte qui y est rapportée? Valckenaer le croit. Il 
déduit ses preuves en faveur de cette supposition ; 
et ici, comme partout ailleurs, il se livre avec com- 
plaisance à son goût pour les digressions savantes, 
plus ou moins directement liées à son sujet. L’ou- 
vrage que nous annonçons en offre un grand nom- 
bre sur le travail de la version des Septante, auquel 
on a mal à propos associé Aristobule; sur le degré 
de probabilité de l'existence d’une traduction plus 
ancienne au moins d’une partie de l’ancien Testa- 
ment; sur Démétrius de Phalère et sur la biblio- 
théque d'Alexandrie; sur le nombre septénaire et 
sur la consécration du septième jour, etc. 

Nous engageons les amateurs de la bonne litté- 
rature ancienne à prendre une connoissance détaillée 
de tout cela dans l'ouvrage que nous nous empressons 
de leur annoncer, et par la publication duquel ils 
- reconnoitront sans doute que M. Luzac à de nou- 
veau bien mérité d'eux. 


222 Livres divers. 


Nous ne devons pas oublier de dire qu’à la suite 
de la Dissertation de Valckenaer sur Æristobule , 
l'éditeur a mis un autre morceau inédit précieux sur le 
méme sujet, communiqué par le savant bibliographe 
de Leyde, M. TYDEMAN, savoir : Petri WV ESSELIN- 
611 Lectio publica de fragmento Orpheiï, quod 
est apud Justinum Martyra , Talianum aliosque ; 
de Aristobulo Judæo ; de versione Græca F. T. 
aulla ante LXX , etc. Wesseling, connu comme 
disne collaborateur de Valckenaer sur Hérodote, 
s’est parfaitement rencontré avec lui dans ses idées 
sur Aristobule. P. H. M. 


BIBLIOGRAPHIE, 


Cours é/émentaire de bibliographie , ou la science 
du bibliothécaire ; par C. F. Acuarp, bibliothé- 
caire de Marseille, etc. Juillet. Numéro I‘'". Mar- 
seille, chez Joseph Æchard fils. 1806. On s’abonne 
à Marseille, chez l’auteur. Le prix est de 9 francs 
pour l’année entière franc de port. Chaque mois 
il paroït un cahier de 48 pag. au moins. 


L'auteur indique, dans cet ouvrage, les connois- 
sances préliminaires qu’exige la bibliographie ; il fait 
connoître l’utilité de cette science ; il en donne la 
définition et les principales divisions ; il parle de 
la typographie et des notions typographiques qui 
sont nécessaires à un bibliographe; il fait connoître 
les divers systèmes de bibliographie, et il démontre 
la nécessité d’une uniformité dans la division des 
livres d’une bibliothéque; il suit les différentes fa- 
cultés, dont l’ensemble réunit tous les livres possi- 
bles; il fait connoître tous les livres usuels, les livres 
rares et précieux ; il enseigne la manière de dresser 


Livres divers. 223 
les catalogues des bibliothéques. A chaque ouvrage 
qu'il cite, il ajoute le prix qu'il a dans le commerce 
et qu’il avoit autrefois. 

L’auteur annonce que le plan de son ouvrage l’oc- 
cupera 3 à 4 années. Il fera entrer dans son Cours 
des fragmens sur les manuscrits de l’abbé Rive, qu'il 
possède depuis la mort de celui-ci. 

Le premier numéro vient de parottre, et traile 
des connoissances nécessaires au bibliographe. 


LITTÉRATURE LATINE. 


Nova Acta Societatis latinæ Tenensis ; edidie 
D.Henr, Carol. Abr. ErcastrÆpr, bzbliothecæ 
academicæ præfectus, Societatis latinæ direc- 
cor. Volumen primum. Lipsiæ , 1806. In-8°. br. 
Prix, 9 fr., et 10 fr. 25 cent. par la poste. 


PoËSsIE FRANÇAISE. 


La VESTALE, poëme en IV chants ; par P. La- 
MONTAGNE DE LANGON, etc. 


SONT . Et me fecere poetans 
Pierides. ..... 


A Paris, chez Cocheris fils, successeur de Ch. 
Pougens, quai Voltaire, n°. 17. 


Dieu merci, nous aurons à la fin quelque beau 
poëme qui ne sera pas entièrement descriptif. Mais 
le devrons-nous à M. Lamontagne? Pourquoi pas. 
Ne sommes-nous pas avertis, dans son épigraphe, 
que les Muses l’ont fait poëte? Je l'en félicite. Mais 
il ne suffit pas de le dire en latin. Voyons la preuve. 

Un soir d'été, Amour volrigeant sur les plaines 


224 Livres divers. 
humides, en jouant avec les Néréïdes , son flam- 


beau échappe de ses mains , il tombe et s'éteint (r); 
mais 


Vous dont la peau d’or et d'azur s’émaille, 
Le trait brûlant pénétra volre écaille. 


Cela fait faire des réflexions aux dieux, et surtout 
aux déesses. Le sénat de l’Olympe se rassemble ; on 
délibère de punir l'Amour, et Vesta se charge de 
ce rigoureux ministère; elle se fait aider par un de 
ses prêtres au cœur inflexible, qui s'empare du petit 
mulin, le saisit par ses ailes, 


Et sans pitié l’élend sur ses genoux ; 


Vesta le frappe et redouble ses coups. 


Tous les frères de | Amour se cachent et frémissent 
de terreur. 


On voit rougir ces demi-globes nus, 
L 


Si doucement carressés par Vénus. 


Ma foi l'on rougiroit à moins! Voilà l'Amour bien 
fustigé et le I‘. chant fini. 

Mais quel rapport a le cul fessé du dieu de Cy- 
thère avec une Vestale ? Je l’ignore. Nous l’appren- 


drons peut-être. 
Le souverain des cœurs , traité comme un écolier 


indocile, jure de se venger. Pour y réussir, il se 
pare aussi bien qu'une jeune vierge, s’introduit au- 
près de la Vestale chargée de la garde du feu sacré, 


(1) Eteint rime avec 
Pour le r’avoir l'Amour plonge et J'atteint. 


Lcs vers s'embellissent de la richesse des rimes. 
éveille 


Liyres divers. 225 


éveille ses désirs, et la jette dans une douce insom- 
nie. O revers ! le feu sacré s'éteint, la Vestale est 
perdue, et l'Amour rit. 

Heureusement César aimoit la Vestale; César 

‘éloit grand pontife; César devoit condamner à 
mort la coupable , après avoir meurtri à coups de 
verges ses charmes nus : car, dans ce poëéme, 
Amour et Vesliale sont continuellement fouettés , ce 
qui me fait craindre que l’auteur ne les ait pris pour 
deux de ses élèves, puisqu’avant d’être é/4 notable 
du département de la Gironde , il avoit été pro= 
fesseur de belles-lettres à L'école centrale du 
méme département. 
- Quoi qu'il en soit, la Vestale est sauvée, Intro- 
duite par César dans sa dernière retraite; César 
la dépouille; Aurélie tremble; elle chérit César, 
mais elle redoute le pontife. Elle se trompoit. Ivre de 
joie et d’amour , César... Mais Vesta paroît; elle 
arrête , dans son entreprise , le téméraire mortel qui 
alloit profaner son temple : au nom de Jupiter elle 
promet Aurélie à César, 


Et de Fhymen attendant les bienfaits, 
César joyeux rentre dans’ son palais, 


Est-ce un poëme érotique? est-ce un poëme élé- 
giaque ? Nous avons une tragédie intitulée Za Fes- 
tale , dans laquelle le poëte nous a fait pleurer sur 
les malheurs d’une vierge trop sensible. Il me sem- 
ble que le projet de M. P. Lamontagne r’étoit pas le 
même. Alors que devoit-il faire ? Placer la punition 
de l'Amour dans l’avant-scène, et commencer par pré- 
senter le tableau de la Cour de Vesta. Aurélie auroit 
été sa favorite ; César l’auroit aperçue, l’auroit dis- 
ginguée entre ses compagnes, l’auroit aimée, l’au- 


T. PV, Septembre 1806. P 


226 Livres divers. 

roit enlevée et séduite. La colère de Vesta, les bra- 
vades de l'Amour protégé par Jupiter, que Vé- 
nus eut imploré, et le triomphe de César, eussent 
donné plus d'intérêt à cette bagatelle. 

Mais je me garderai bien de pousser plus loin 
ma critique et de citer des vers de M. Lamontagne 
de Langon; il faut respecter un auteur qui a com- 
posé la Theätromanie , Enthousiaste , le Café de 
Rouen , la Physicienne, Papelard , et une foule 
d’autres chef-d’œuvres dont je n’avois jamais en- 
tendu parler, ni moi, ni beaucoup d’autres, n’est- 
ce pas ? et puis soyez de ces auteurs qui 


ss... Fâcheux et malfaisans, 
Pour alonger leur gloire accourcissent leurs ans. 
(J. DusezLoy.) 


A quoi cela vous sert-il? à exercer la censure de 
quelque crapaud téméraire qui, 


Secouant l’onde limoneuse 
sette sa bave venimeuse 
Sur un vert et naissant laurier. 


C'est M. Lamontagne, vert et naissant Laurier, 
qui dit cela, à propos d’un M. Camille qui n’avoit 
pas été favorable à son Papelard. M. Camille avoit 
tort. Papelard doit être un bon ouvrage ; n'est-il pas 
de M. Lamontagne, professeur de belles-lettres , 
sans aucune allusion à ce La Fontaine , qui a dit : 


Et la montagne enfante une souris. 


Adicias. Aug. DE L. 


N. B. Dans un avertissement sans titre et. fort 
court, on nous apprend tous les bienfaits de M. Ta- 


_ 


Livres divers. 227 
iontaägne. Ce sage avertissement finit pâr ces pa- 
roles : « L'auteur désavoue tous les ouvrages qui né 
s sont pas signés de son prénom, ou en tappelant 
s quelqu'un de ses oüvrages. » Sans doute il est 
beau d’avoir un prénom ; mais il est bon aussi de 
parler français : c’est une obligation imposée à tout 
le monde, même aux poëtes, 


Srances sur la dernière campagne de $. M. l'Em- 
pereur et Roi, et sur la guerre contre la Grande: 
Bretagne; par M'. C. J. L. D'Avriceny, de la 
Martinique , chef du bureau des colonies occiden- 
tales au ministère de la maïine, À Paris, 1806, 
in-4°. 


Ce poëme , auquel l’auteur a dommé le titre mo- 
deste de Srances, est plein d'enthousiasme, de 
verve et de poésie. Nous félicitons inonsieur d’Avrr- 
Gny d’avoir chanté Napoléon-le-Grand avec autant 
de noblesse et de dignité. Si nous né craignions 
pas de nuire à l’ensemble de l'ouvrage par des 
citations isolées, nous en extrairions ici quelques 
morceaux. Mais nous nous ferons un plaisir de 
mettre sous les yeux du lecteur les vers à S. M. l’Im- 
pératrice, à laquelle M. d’Avrigny dédie son poëme ; 
ils nous ont paru d’un style simple, gracieux, déli- 
cat, enfin, dignes de l’auguste souveraine à laquelle 
ils sont adressés : 


O vous l’ornement et l’amour 

De l'Italie et de la France, 

Paris chante votre retour, 

Et Munich pleure votre absence. 
D'un fils que suivent tous les vœux, 
L'est là que mère fortunée, 


228 Livres divers. 


Pour lui d’un illustre hyménée , 
Votre main forma les beaux nœuds. 
Ah! combien la France attendrie 
Aime à voir cette main chérie 

Qui, du front sacré d’un vainqueur ; 
Toujours maître de la victoire, 
Essuyoit la noble sueur 

Au retour des champs de la gloire. 
Dans les jours plus doux de la paix, 
Des grandeurs oubliant les charmes , 
Parmi nous essuyer les larmes 

Du pauvre heureux par vos bienfaits ! 
Oh! des Grâces touchante image ! 

De ces vers où ma foible voix 

Osa célébrer tant d’exploits, 

C’est à Vous qu'appartient l'hommage. 
Oui, tandis que nos ennemis 
Tomboient sous un bras invincible , 
Vers vous un charme irrésistible 
Entrainoit tous les cœurs soumis. 
D'un héros augusle compagne ; 

Des malheureux auguste appui, 

Par d’autres armes, comme lui, 


Vous avez conquis l'Allemagne. 


ProrANATION des Tombes royales deSaint-Denis, 
ert 1793» par madame DE VANOZ, née Syvri. À 


Paris, chez Giguet et Michaut, imprimeurs- 
libraires, rue des Bons-Enfans, n°. 34. 


La profanation des Tombes royales de Saint- 
Denis, porte un caractère particulier qui la rendra 
à jamais un monument sans exemple, et une leçon 
terrible donnée par la Providence sur le néant des 


Livres divers. 229 


grandeurs et la fragilité humaine. Déjà ce sujet a 
été traité récemment : un nouveau Champion se pré- 
sente dans la lice; c’est une femme, madame 
Vaxoz, née DE Sivry, qui est l’auteur du nouvel 
ouvrage. Si on doit des sentimens d'encouragement 
et de faveur au littérateur estimable et instruit qui 
consacre ses veilles et se dérobe à d’utiles fonctions 
pour élever sur un sujet touchant un beau monu- 
ment de poésie, quel tribut ne doit-on pas à un 
pareil service, lorsque c’est une femme qui se pré- 
sente dans la carrière, et qu’elle joint aux connois- 
sances si rares-et si enviées dans son sexe, celle sen- 
sibilité, ce charme doux et flexible, qui caractérise 
le talent des femmes ? Le nom de l’auteur n’est point 
inconnu aux Muses ; et si les grâces, les lettres et 
les vertus se transmettent comme un héritage dans 
sa famille, elle contribua de bonne heure à ne pas 
laisser interrompre la succession, Née de magistrats 
distingués à Nancy, son père contribua sous Sta- 
nislas le Bienfaisant à établir dans cette ville le 
goût des lettres qui y fleurissent encore. On sait assez 
que, dès l’âge de huit ans, la petite Sivry se dis- 
tingua par une rare facilité à versifier avec grâce ; 
que son esprit la rendit l'admiration des cercles les 
plus brillans de la capitale. On connoît les vers 
charmans que La Harpe a cités d’elle dans son 
Cours littéraire. Les circonstances l’appellent aujour- 
d’hui sur l’ancien théâtre de ses succès ; partout, dans 
son poëme, l’aimable et intéressante auteur se montre 
digne de son sujet par la noblesse des sentimens , 
la justesse des idées , la beauté des images et celle 
de l'expression ; la couleur historique, la teinte ca- 
ractéristique et locale y sont généralement observées 
aussi. Enfin, à côté des agrémens du style on peut 
y remarquer également la marche et l'invention 


230 Livres divers. 

particulière du genre épique avec lequel le poëte 
élégiaque se confond presque entièrement. Ecou- 
tons l’auteur elle-même lorsqu'elle rend compte de 
son voyage à Saint-Denis, de sa marche à travers 
les allées sombres de ce lieu antique et terrible: 


Salut au temple saint, salut, augustes mânes, 

Que de vos monumens s’écarlent les profanes ; 

Je cherche dans ces murs, dernier palais des Rois, 
Les leçons de la mort, dont l’éloquente voix - 

Eclate sur leur tombe en oracles terribles, 

Et fait, parler aux sens les pierres insensibles. 

Je marche en hésitant; le cloître. abandonné 

D'abord soffre à mes yeux de mousse couronné; 
Quelques arbres épars entourent ces portiques, + 
L’orfraie au loin gémit sous leurs rameaux antiques ; 
La plante usurpairice entrouvre ses arceaux, { 
Et le temple ébranlé menace les tombeaux ; 

De son disque attristé, la lune pâlissante 

Laisse à peine échapper un rayon vacillant, 

À travers les vilraux il entre en se brisant, 

Va frapper au hasard, et l’ogive tremblante, 

Et des fréles piliers le gothique ornement, 

Ou quelquefois tombant sur ces arcades sombres, 


Par un trait lumineux semble épaissir les ombres. 


- Ecoutons encore l’auteur, lorsqu'elle suppose ren- 
contrer dans ces lieux mélancoliques un vénéra- 
ble vieillard qui lui rend compte des scènes d'effroi 
dont il a été le spectateur : 


Des monarques proscrits on renverse l’image ; 
Leurs noms à Saint-Denis relrouvoient un hommage, 
Et du-ciel et des morts la sainte autorilé 


Protège leur mémoire en ce lieu respecté. 


Livres divers. 231 


On les bannit : ce temple interdit aux profanes 

‘A vu souiller leur temple et disperser leurs mânes. 
Une profonde nuit obscurcissoit les airs, 

Le sifflement des vents, la foudre menaçante, 

Et le choc redoublé des élémens divers, 
Sembloient dans cette enceinte au loin retentissante, 
Pour des crimes nouveaux évoquer les enfers. 
Seul, ici, je veillais sous ces cloîires déserts : 

Quel tumulle soudain s'élève el n’épouvante ; 

Il s'approche, et bientôt je distingue des cris, 

Une horde étrangère assiège le parvis ; 

Tout décèle à mes yeux sa rage meurtrière, 

Les torches dans des mains qu’agite la fureur, 

En éclairs flamboyans font jaillir la lumiere, 


Et portent sur la voûte une sombre lueur. 


L'intervention de ce vieillard me semble une idée 
bien heureuse. L'auteur met avec art dans la bou- 
che d'un personnage épisodique les détails qu’elle 
ne pouvait raconter elle-même, à cause du trouble 
et de l’émotion dont le spectacle qui était devant 
ses yeux devait agiter son âme; mais c’est surtout 
lorsqu'elle arrive à la description des bienfaits par 
lesquels le grand Napoléon répara nos malheurs, 
et fit luire l’astre de la félicité sur la patrie éplorée , 

-que M"°. Vaxoz a trouvé ce feu poétique, cette 
marche entrainante et rapide si convenable au 
sujet : 


Et toi, peuple égaré, peuple jadis sensible, 
Appaises le courroux de ce juge terrible; 
Mérites, s’il se peut, le règne du vengeur, 

Quà mes derniers momens il révèle à mon cœur ; 
Sur ma tombe doit luire un asire plus paisible, 


Ce-vengeur va paroître, une main invisible, 


252 Livres divers. 
Dans les camps, sur les flots, va guider tous ses pr, 
Pour obéir au eiel, le ciél arme son bras. 
L'hydre de nos partis sous le trône élouffée , 
La victoire en tous Heux reculant nos remparts, 
Et la paix au vainqueur élevant ün trophée ; 
Tel est le grand spéciaclé offert à mes regards. 
À peine il #est montré, la France est délivrée ; 
Il brise dans ses mains la hache des bourreaux ; 
Par le fer des voleurs la terre déchirée 
Se ferme et s’aplanit sur les pas du héros. 
Je vois parlout: sa main instruite à la vicloire , 
Cachant sous des bienfaits la trace de nos maux , 
Effacer, de nos jours l’épouvanliäble histoire. 
Il rend un culte au peuple, il rend un culte à Dieu, 
Et le lévite saint rentre dans le saint lieu. 
Vous tous, enfans proscrits de la France rébelle, 
Accourez dans nos bras, la France vous appelle ; 

‘* Mais l'empire des morts compte aussi sés proscrits, 
Et des mânes errans planent sur Saint-Denis. 
De ces mânes bannis il fait cesser la plainte. 

* Venez, fils de Clovis, des Bourbons, des Valois 1 


Ce héros vous protège et va rouvrir l'enceinte 
P 


Qu’ennoblit si long-lemps la poussière des Rois ; 
* Les autels du repos s'élèvent à sa voix. 

Le Français y revient apporter son hommage, 

Et près de ses aulels il retrouve, en pleurant , 

Les iraces du bienfait, les traces du ravage, 


Les remords du passé, la gloire du présent. 


M°*°. Vanoz reprend ensuite son propre récit, 
et termine avec ces vers : 


Et ieur céleste voix fait retentir ces mots : 
Paix, bonheur à la France, et gloire à son héros, 


Livres divers: 253 


J'aurois cité d’autres morceaux encore ; si je n’a- 
vois éprouvé l’embarras du choix et celle des ri- 
chesses. Le ton simple et élégant de la prose pa- 
roît également familier à l’auteur. Dans une notice 
historique , elle parcourt avec rapidité et précision 
les différentes époques de l’accroissement et de la 
splendeur de l’abbaye de Saint-Denis, et l’histoire 
de sa profanation , dans laquelle le lecteur voit réunis 
avec art et délicatesse les souvenirs les plus inféres- 
sans et les plus analogues au sujet. Bossuet et Chä- 
teau-Brillant, Michaut, dont le Printems d’un pros- 
crit rappelle le charme de la belle saison après celle 
des frimats, comme les douceurs de la paix et du 
calme après les orages politiques qui nous-ont agités, 
Delille, enfin , qui vient d'élever un si beau monu- 
ment à la gldire littéraire de son siècle. C’étoit le 
cas peut-être de dire quelques mots d’un rapport 
connu, sur les sépultures en général, et le respect 
dû aux morts , par un homme dont le nom est jus- 
tement célèbre et estimé coinme moraliste et orateur, 
fait à une époque intéressante par M. Pastoret. Une 
louable modestie ena empêché sans doute madame 
Vaxoz. Déjà ce monument d’éloquence et de pa- 
triotisme a été consacré dans le jolie poëme des 
Souvenirs de M. Legouvé. 

M°°. DE Vanoz a donc rempli les espérances 
qu’il y a vingt années la petite DE Syvet avait à huit 
ans données au monde littéraire. Gloire au talent 
de celle qui honore ses bords paternels, les bords 
de la Meurthe, chers aussi aux lettres et aux arts. 
Il'est beau d'entendre chanter la cendre sacrée des 
morts illustres par la voix des Muses, des grâces 
et de la jeunesse. On aime à voir une femme née 
dans une famille jadis comblée des faveurs d’une 
dynastie antique et déchue , attacher de la même 
main des fleurs funéraires sur la tombe profanée de 


334 Livres divers. 
ses anciens rois, et une branche de lauriers à la 


couronne immortelle qui décore lé trône de Napo- 
léon-le-Grand. ICE 


MÉLANGES. 


ÂTHENÆUM ou Galerie francaise des produc- 
tions de tous les arts; journal entrepris par 
une société d'hommes de lettres et d'artistes , 
n°. VII A Paris, chez les frères PIRANESI, 
place et palais du Tribunat, n°. 1354. Juillet 
1606. 


On trouve dans ce numéro, I. la vue du Wyver 
à la Haye. Le W yver est un large canal qui coule 
au milieu de la Haye, près du Woorhont. Cette vue 
est gravée d’après le dessin de M. Cassas, artiste 
Connu par plusieurs ouvrages pittoresques , et l’un 
des collaborateurs de l'Athenæum. 
® IL Vue d’une partie de la ville et du golfe de 
Naples, prise de Pausilipe. 

III. Vue de la colonnade du temple d’Hercule 
à Milan. Ce monument, que représente cette gra- 
vure, fäisoit partie des bains de l’empereur Maxi- 
mien , qui portoient le nom d’Hercule. C’est sur les 
ruines de cet édifice qu’a été bâtie l’église actuelle de 
Saint-Laurent, qu’on trouve à l'entrée de la porte 
de Milan. C’est le seul ouvrage de l'architecture an- 
cienne , dans cette ville, qui ait échappé à la main 
du temps , ou plutôt peut-être à celle des hommes. 

IV. June d’un pont antique qui traverse la ri- 
sière del Sabato à Bénévent , avec les riches 
campagnes des environs. 

Ces différentes gravures sont accompagnées de 
courtes notices sur la Hollande, sur le pays de 
Naples , sur Milan et sur le duché de Bénévent. 


À 


Livres divers. 305 


JourNaL des Luxus und der Moden : c'est-à-dire, 
Journal du luxe et des modes, n°. 11et12, ou 
les mois de novembre et de décembre de l’année 
1805. Weimar, au comptoir d'Industrie. 


On trouve dans ces deux numéros une /ettre sur 

_ La mimique, d’après La théorie de M. GALL, jointe 
à quelques observations sur sa doctrine du crâne ; 
des détails sur les amusemens publics de Péters- 


bourg et des environs. — Un article de Vienne 
relatif au monument de l’archiduchesse Christine, 
exécuté par CANOVA.— Une notice sur les bains 


de l’ Allemagne et le concours des personnes qui 
les ont fréquentés dans le courant de l’année 
1805. — Extrait du journal d’un voyageur qui a 
parcouru dans les mois de juin et d'août 1805 , 
les bains de Wiesbaden, Schlangenbad, Langen- 
schwalbach, Ems, Aix-la-Chapelle et Spa.— Ur ar- 
ricle sur les bustes de Schiller et Wieland, exé- 
cutés par KLANER. — Sur la mort de Socrate, 
tableau exécuté par DAvin, et gravé par Massarn. 
— Une description de La foire de la Saint-Mi- 
chel à Lérpsick , et des succès qu'y a obtenus le 
fameux danseur de corde , Simon Parr. — Les 
applaudissemens prodigués au Guillaume Tell 
de SCHILLER , représenté au mots d'août sur le 
théâtre de Léipsick. — On trouve à la fin de chaque 
numéro plusieurs articles sur les costumes et les 
modes, et des figures qui représentent plusieurs 
objets de luxe. 


236 Livres divers. 
NumismaATique. 


TRAITÉ des Monnoies d’or et d'argent qui cir- 
culent chez les différens peuples , examinées 
sous les rapports du poids, du titre er de la 
valeur réelle, avec leurs diverses empreintes ; 
précédé du rapport de l'Administration des 
Monnoies à S. Exc. le Ministre des Finances, 
sur l'utilité de cet ouvrage ; par Pierre-Fréderie 
BoNNEVILLE, essayeur du commerce. 


Nous revenons encore sur le Traité des Mon- 
zoies (1) par M. BoNNEVILLE, ouvrage dont nous 
avons rendu compte dans notre numéro de juillet 
dernier, pag. 115. Cet auteur ne néglige rien pour 
donner à son travail toute l'utilité dont il peut être 
susceptible ; le supplément qu'il vient d'ajouter est 
d’une telle importance, que nous ne pouvons mieux 
faire, pour en donner connoissance, que de répéter 
ses propres expressions. 4 Plusieurs motifs m’avoient 
déterminé à ne point donner la valeur en francs et 
centimes de chacune des pièces de monnoiïes qui se 
trouvent dans cet ouvrage. En donnant cette valeur, 
il falloit, 1°. déduire les droits d’affinage pour les 
pièces dont le titre est au-dessous de 900 zil/1èmes, 
et peut-être ce droit sera-t-il quelque jour augmenté 
ou diminué ; 2°. supposer à chaque pièce son poids 


G) Vol: in-fol. cartonné, papier écu fin double. Prix, 72 
fr., 74 fr. avec le supplément, et 81 fr. par la poste. On à 
tiré quelques exemplaires sur papier vélin, dont le prix est 
de 150 fr., et par la poste, 159 fr. À Paris; chez l’Auteur 
rue des Ecrivains, n°. 22, vis-à-vis le cloître Saint-Jacques 
de la Boucherie, division des Lombards ; et chez Duminil- 
Lesueur, imprimeur-libraire, rue de la Harpe, n°. 78. 


Livres divers. 257 


et son titre légal, sans quoi l'évaluation eût été 
fausse; 3°. pour mettre ces valeurs dans les tableaux, 
supprimer les colonnes de l’ancien système des poids 
comparés aux nouveaux : et je tenois d'autant plus 
à les y laisser, qu’ils sont très-commodes pour ceux 
qui ne se sont pas encore familiarisés avec le nou- 
veau système des poids : l'ouvrage est destiné pour 
toute l’Europe ; la valeur du même poids de fz 
varie dans tous les Etats; je ne devois donc don- 
ner que le poids du #z des monnoies, afin que 
chaque peuple puisse l’évaluer d’après son Tarif; 
enfin, l'évaluation en francs et centimes n’appar- 
tient qu'à l’Empire français. 

» Ce silence a été approuvé par les uns, et blâmé 
par les autres. Cependant, quelques personnes re- 
commandables par leurs lumières, et dont je res- 
pecte l’opinion, ont pensé que ce seroit ajouter à 
l'utilité de cet ouvrage, d'y joindre non-seulement 
l'évaluation en francs et centimes de toutes les 
pièces, suivant le prix du tarif, mais encore Zeurs 
valeurs , dans le commerce des échanges, compa- 
rativement aux monnoies de l’ Empire francais ; 
ou, pour m'expliquer plus clairement , Z& valeur 
en francs , sans retenue, C'est-à-dire, sans dé- 
duction des frais de fabrication : déduction qui 
est toujours comprise dans le Tarif. Ainsi le com- 
merçant connoîtra, & la seconde colonne de ce 
Supplément, la valeur d’une pièce étrangère, au 
taux du Tarif français ; et à la troisième colonne 
du même Supplément, sa valeur réelle, suivant son 
poids, et le titre le plus bas que je lui ai trouvé. 

5 Ce double et pénible travail étoit capable de me 
décourager , si je n’avois été soutenu par l'idée que 
ces évaluations donneront encore plus d'utilité à mon 
ouvrage, 


5358 Livres divers. 


» Le public doit donc voir dans l'exécution rapidé; 
et dans le prix modique de ce Supplément; qu'on 
pourra joindre à l'ouvrage après la page 246, non 
pas un motif d'intérêt (puisque je ne retire que les 
frais de l’impression }, mais un vif désir de lui of- 
frir un ouvrage monétaire aussi complet qu'il est 
possible de le donner. 

»# Je profiterai de ce Supplément , pour publier 
quelques instructions sur les monnoies de Naples et 
de Raguse , qui me sont parvenues depuis l’impres- 
sion de cet ouvrage , et sur lesquelles je ne comp- 
tois plus. J’y joindrai aussi une petite planche qui 
représentera les dernières monnoies fabriquées à 
Naples, sous Ferdinand IV. 

» Je pense que le lecteur sera satisfait de les trou- 
ver. à la suite de ces nouvelles évaluations , pour les- 
quelles j'ai suivi le même ordre que pour l'ouvrage, 
en répétant le nom de la puissance, et la pagination 
des tableaux. »s 

Les personnes qui se sont procuré l’ouvrage, soit 
chez l’auteur, soit chez M. Duminil-Lesueur, sont 
invitées à s'adresser chez l’un ou chez l’autre pour 
ce Supplément, composé de 20 pages d'impression, 
même format, et dont le prix est seulement fixé à 
a:fr. Ce supplément ne peut être utile qu'aux per- 
sonnes qui ont l'ouvrage. 


ASTRONOMIE. 


* ASTROSTATIQUE. DÉcOUvERTE DE L'ORBITE 
DE LA TERRE, DU POINT CENTRAL DE L'ORBITE 
pu Sort, leur Situation et leur Forme; de Lw 
Section du Zodiaque par le plan de l'Équa- 
teur , et du Mouvement concordant des deux 


Globes ; par M. C. J. E. H. D'AcuiLa, Ancien 


Livres divers. 33gq 
Elève du Génie. Paris, 1806. De l’Imprimerie de 


Delance.Un volume z-8°.,contenant deux Parties 
et 8 Planches »strostatiques ; avec cette épigraphe: 


Le Soleil s’élance comme un géant  ÆExultavit ut gigas ad 
pour fournir £a carrière. currendam viam. 


Ps. 18. 6. 7. 


Prix : 10 fr. et 11 fr. 60 cent. franc de port. A 
Paris, ‘hez Xœnig , quai des Augustins ; Firmin 
Didot , rue de Thionville, n°. 10; et Delance , 
rue des Mathurins, hôtel Cluny. 


Cette importante Découverte donne, dit l’au- 
teur , le vrai point de l’Equateur , ou partage du Zo- 
diaque par les six grands et six petits Signes ; la 
circonférence combinée par la double organisation 
des deux Orbites de la Terre et du Soleil; le vrai lieu 
en tous temps de ces deux Globes, et la marche 
réelle du Soleil autour de la Terre : bases générales , 
et jusqu’à présent zzconnues , du Système universel 
de la Sphère céleste. »s 

« La Découverte de l'Orbite de la Terre vers le 
centre de l’Écliptique, en dévoilant le PREMIER 
MOBILE des apparences, et détruisant l'hypothèse 
de Copernic , résout tous les systèmes généraux de 
la Sphère céleste. ss 

C’est aux astronomes , aux géomètres, et même à 
une partie du public à juger si l’auteur tient ce qu'il 
promet, puisqu'il déclare qu’il a mis son ouvrage 
à la portée de tout le monde. 


PHysiqQue. 


* Du FLuIDE UNIVERSEL; de son activité, et de 
l'utilité de ses modifications par Les substances 
animales dans Le traitement des maladies ; 
aux Etudians qui suivent les cours de toutés 


240 Livres divers. 
Les parties de la Physique. Paris , 1806, de 
l'Imprimerie de Delance. À Paris, chez 4m. 
Æœnig , quai des Augustins ; Rezouard, rue 
Saint-André-des-Arts; Delance , rue des Ma- 
thurins, hôtel Cluny. r vol. in-8°. Prix, br., 2 fr. 
5o cent., et franc de port, 3 fr. 25 cent. 


PHysto0LocteE. 


* PHYSIOLOGIE INTELLECTUELLE, ou Développe- 
ment de la Doctrine du professeur GALL, sur 
le Cerveau et ses fonctions , considérés sous 
Le rapport de l'anatomie comparée, de l’or- 
ganologie, de la céphalagraphie, de l’anthro- 
pologie, de la physionomie , etc.; suivie du 
Rapport de la Visite de Gall dans les prisons 
de Berlin et de Spandan ; par J. B. DEMANGEON, 
docteur en philosophie et en médecine , etc. 
x vol. in-8°. avec figures et portrait du docteur 
Gall. Prix, br. 4 fr. 5o cent., et franc de port, 
6 fr. Paris, 1806, de l'imprimerie de Delance. 
A Paris, chez Xœnig, quai des Augustins ; 
Firmin Didot,ruede Thionville, n°.10; Delance, 
rue des Mathurins, hôtel Cluny. 


SUPPLÉMENT aux Nouvelles littéraires 
et étrangères. 


ESPAGNE. 


« La gazette de la Cour contient le Prospectus 
d'un Foy age pittoresque d Espagne, qui consis- 
tera en 60 à 70 cahiers, de 6 estampes chacun, 
le tout devant former 4 volumes grand in-folio. 
Les gravures seront exécutées par les plus ha- 
biles artistes de Madrid et de Paris. Le texte es= 
pagnol sera rédigé par le Père Roxas, religieux 
augustin, et le texte français par M. Alexandre 
Laronpe , associé de l'éditeur, M. Boup£viire. 
Le prix de chaque cahier sera de 80 réaux en 
papier fin, ét de 130 réaux en papier vélin. » 


A l'occasion de cette annonce, insérée dans 
quelques journaux , M. de Laborde vient de 
publier l'avis suivant. 


Aux Souscripteurs du VOYAGE P1ITro- 


RESQUE D'ESPAGNE, par M. Alexandre 
DE LABORDE. 


Les Souscripteurs de cet ouvrage sont pré- 
venus que le J’oyage pittoresque, annoncé dans 
la gazette de Madrid du 19 avril, est le méme que 
celui de M. de Laborde, par une suite de sa rén- 
nion à une Société de Madrid, qui avoit com- 
mencé la méme entreprise. 

Lorsque M. Alexandre de Laborde publia la 


description de la Mosaïque d'Lialica et le Pros- 
* 


_— 


242 . Nouvelles littéraires. 

pectus du Voyage pittoresque d’Espagne (*), 
inséré dans le Moniteur du 2 thermidor an 10, il 
apprit que S. M. C. venoit d'accorder à M. Bou- 
deville , peintre de la Cour , un privilège pour le 
méme genre d'ouvrage. Ces deux personnes, 
voyant le tort qu'ils pourroient mutuellement se 
faire, sans aucun avantage pour les arts , se réu- 
nirent, sous la condition expresse , qu’il ne seroit 
rien changé au plan du travail de M. de Laborde, 
ni à la forme de la publication, et que M. de La- 
borde conserveroit toujours la rédaction du texte 
et le choix des dessins. Ainsi les Souscripteurs 
qui auront pu se plaindre de ce retard en seront 
bien dédommagé par les avantages qui résulte- 
ront de cette réunion. Aux longs travaux de M. 
de Laborde en Espagne se trouveront joints de 
nouveaux dessins et plans qu’il n’auroit jamais pu 
se procurer , et les savans espagnols enrichiront 
volontiers de leurs recherches, un ouvrage na- 
tional, que leurs souverains ont encouragé de 
leur protection. Il suffit de citer à leur tête le 
R. P. Fernandès de Roxas, continuateur de l’Æs- 
pagne ecclésiastique , du Père FLorss , qui a bien 
voulu se charger de l'édition espagnole. 

La collection des planches gravées, suffisante 
pour douze livraisons, vient d’être présentée par 
l'éditeur, M. Boupevizze, à LL. MM. le roi et la 
reine d'Espagne , et à S. E. Mgr. le prince de 
la Paix, et a obtenu leur approbation. 

Les deux premières livraisons paroïtront le 
1er. décembre prochain. Un nouveau Prospectus 
annoncera, un mois avant, les conditions de la 


Nouvelles littéraires. 243 


souscription , ainsi que celles de l'ouvrage sui- 
vant, qui servira de complément au précédent. 


BIBLIOTHÈQUE ESPAGNOLE, où Choix des meil- 
leurs morceaux de littérature espagnole , en vers 
et en prose, traduits en français, accompagnés 
du portrait et de la vie des auteurs , de commen- 
taires sur leurs ouvrages , et précédé d’une his- 
toire des sciences et de la littérature en Espagne, 
depuis le siècle d’Auguste jusqu’à nos jours; par 
Alexandre ve Lasorpe. 18 vol. in-8°. de 500 pag. 
chacun. 

Ce recueil paroîtra par livraison de trois vo- 
lumes , il contiendra en totalité la traduction de 
quelques ouvrages du premier ordre, et seule- 
ment des extraits des autres. 

Les commentaires qu’il renfermera auront sur- 
tout rapport au génie de la langue, aux altéra- 
tions qu'elle a éprouvées, à l’origine des expres- 
sions qui lui sont propres, et surtout à l’influence 
qu'ont pu avoir les événemens historiques et les 
usages nationaux sur le style de différens temps 
et des différens auteurs. 


(*) Quoique M. DE LABORDE annonce un nouveau 
Prospectus, nous croyons faire plaisir de donner celui-ci. 


Voyage pittoresque , historique et géographique 
du royaume d’Espagne. 
Les différens ouvrages publiés sur l'Espagne ont 


assez fait connoître son commerce, ses finances , 
ses lois, et son administration intérieure ; il étoit à 


244 Nonvelles littéraires. 

désirer qu'un ouvrage fut uniquement consacré à 
retracer fidèlement les sites pittoresques de la na- 
ture, et les monumens des arts qui ornent ce beau 
pays. Habitée tour à tour par les Carthaginois, les 
Romains, les Goths, les Maures , et depuis gouver- 
née par des souverains puissans et éclairés, l'Espa- 
gne renferme dans les monumens de plusieurs äges 
la gloire de plusieurs peuples; elle conserve les 
traces de toutes les époques brillantes de son his- 
toire dans les lieux mêmes où elles se sont passées. 
Qui ne se plairoit à parcourir les ruines de la fidèle 
Sagonte, de la malheureuse Numance; à errer dans 
ces palais de Grenade et de Cordoue, jadis le séjour 
des sciences et de la civilisation , lorsque l'Europe 
étoit encore barbare; à retrouver enfin dans les mon- 
tagnes des Asturies l’asyle de ces guerriers géné- 
reux, débris d’un grand empire, et fondateurs eux- 
mêmes d’un empire plus grand encore? Ce mélange 
de gloire et de malheurs qui caractérise l’histoire 
de l'Espagne, en rend le voyage plus intéressant ; et 
l'idée de ne point séparer les faits historiques de la 
païtie descriptive et pittoresque a fait adopter à l’au- 
teur la marche et la distribution qui suivent. 

L'ouvrage entier, tant pour le texte que pour les 
gravures, formera quatre volumes in-folio. 

Le premier volume comprendra : l’entrée en Es- 
pagne par les environs de Barrèges, el les parties 
les plus remarquables des Pyrénées espagnoles, les 
sites pittoresques du mont Serrat, les vues de Bar- 
celone, les antiquités de Tarragone, de Sagonte, 
aujourd’hui Murviédo, les environs de Valence, 
Alicante, Carthagène et le royaume de Murcie. 
Cette première partie, remarquable surtout par les 
guerres des Carthaginois et des Romains, les cam- 
pagnes de Jules César, et le grand nombre de mo- 


Nouvelles littéraires. 249 


pumens d’antiquité qu’on y trouve encore, sera pré- 
cédée d’un tableau de l'Espagne ancienne, depuis ses 
premiers habitans jusqu’à la conquête des Goths, et 
d’une carte de la Tarragonaise et de la Bétique, ré- 
digée d’après les auteurs anciens et les nouvelles 
recherches faites dans le pays, et comparée avec 
une carte soignée de l'Espagne moderne. 

Le second volume comprendra le royaume de 
Grenade, Cordoue, Séville, et tout le reste de l'An- 
dalousie, et sera précédé d’un abrégé de l’histoire 
des Maures d'Espagne, d'observations sur leurs 
sciences , leurs arts, leur architecture comparée 
avec l'architecture gothique, et les traces que l’on 
-retrouve encore de leur séjour en Espagne, dans 
les coutumes et le langage. Cette partie sera ter- 
minée par les antiquités de Mérida et de l’Estra- 
madoure. 

Le troisième volume renfermera tout le nord de 
l'Espagne, l’aquéduc de Ségovie, les ruines d'Oxa- 
ma, de Clunia, de Numance; les édifices gothi- 
ques de Burgos, degLéon, Valladolid ; les sites pit- 
ioresques des Asturies, de l’Arragon, d’une partie 
de la Galice et de la Biscaye. Cette partie sera 
précédée d’un examen de l'empire des Goths -en 
Espagne, et de la renaissance de la monarchie es- 
pagnole sous le roi don Pélage, avec un tableau 
comparatif des différens princes qui régnèrent après 
lui, et des différens Etats qui se formèrent depuis, 
et se confondirent successivement. 

Le quatrième volume sera consacré aux vues de 
Madrid et des maisons royales des environs : on y 
trouvera les jardins et les marbres de Saint-Ilde- 
phonse, les vues pittoresques d’Arranjuez, les ri- 

“«chesses de l’Escurial, et des détails sur les princi- 
pales cérémonies religieuses ou coutumes natio- 


246 . Nouvelles littéraires. 


nales , telles que les courses de taureaux, les tour- 
nois, les danses du pays, enfin tout ce qui a rapport 
à l'Espagne moderne. 

Cette partie sera terminée par une histoire de l'art 
en Espagne, depuis Ferdinand et Isabelle, tant en 
peinture qu’en sculpture et architecture; un examen 
abrégé de la littérature espagnole, et les portraits 
et la vie des principaux personnages qui s'y sont 
distingués. 

Par la distribution de cet ouvrage on voit que le 
lecteur suivra l'histoire de l'Espagne, en en suivant 
la description; ce qui rendra l'étude de l’une moins 
aride, et l’autre plus intéressante : il passera du pays 
jadis habité par les Phéniciens , les Carthaginois et 
les Romains, à celui si long-temps ravagé et en 
même temps illustré par les Maures. Quoique l’his- 
toire des Goths dût se trouver avant cette dernière 
époque, on a préféré de la réunir à la troisième 
partie, avec laquelle elle formera le corps d’his- 
toire de la Monarchie espagnole. 

Les trois premiers volumessæyant fait connoître 
ce que fut l'Espagne, le quatrième apprendra ce 
qu’elle est, ce qu’elle pourra devenir : dans les pre- 
miers, les Espagnols retrouveront les souvenirs de 
leur ancienne gloire; dans celui-ci, les moyens d'en 
acquérir une nouvelle, les ressources et les richesses 
qu'ils possèdent ; et ce dernier ouvrage servira au- 
tant de défense pour eux contre les étrangers qui les 
ont calomniés, que ‘d’encouragement à surpasser 


ces mêmes étrangers, dont ils ont été si long-temps . 


les maîtres. 


Chaque volume contiendra quinze livraisons , 


parmi lesquelles il y en aura trois de texte, chacune 
de 70 pages au moins. Chaque livraison de gravures 


” 


Nouvelles littéraires. 247 


comprendra six planches, dont les grandeurs seront 
de trois espèces. Les plus grandes de 24 à 25 pouces 
sur 18; les moyennes, de 16 sur 12; les petites de 
12 sur 8, et 10 sur 7; toutes ces planches étant pro- 
portionnées à la grandeur du format, aucune ne sera 
pliée, ce qui contribue beaucoup à leur conservation, 

t à la beauté de l'ouvrage entier. L'auteur a choisi 
ce grand format, pareil à celui de la Mosaïque d’I- 
talica, afin de donner plus de développement aux 
beaux détails d'architecture, et aux vues générales 
des villes et des ports. 

Les plans d’édifices, coupes de bâtimens, cartes 
géographiques , ou fragmens d’architecture de peu 
d'importance, qui paroîtront dans presque toutes les 
livraisons , ne seront jamais ‘comptés comme des 
planches, dont le nombre sera toujours de six par 
chaque livraison. 


Suivent les conditions que nous supprimons , 
parce qu'elles éprouveront peut-être des change- 
mens dans le nouveau Prospectus. 


fi0) 
ES 


r 
Ra MN. Nauche, 08 | 
Ami de 


“etc; 


“rrhsale les nations, TÉM 3 ; Fr 

par CP, Lendon. "398 
é de madame de Mäinténo , 
or Faée de sonportrait. Ibid. 
Aince 


(e Fe 199 
es . rs et. MEME 


a É LL PReilly. N°.71et72. F5 6 
- Géographie. LS 


Huch et.C. G. Reichard. 8°, année. 
Jahiers de novembre et déc. 
ad Traité géographique ren- 
xmant les productions , les usa- 
es, les coutumes de chaque pays, 

«3 paï madame Renelles 201 

Histoire. 

ibleau des Révolutions du systénie 
politique de l'Europe, depuis la fin 
du xv°.siécle; par M. /rcillon. 202 
rie historique des illustres Ger- 
mdins, depuis Arminins jusqu’à 
s jours, 4°, et 5°. Livraisons, 204 
mens françaisinédils, pour ser- 
vir à l'histoire des arts, etc, ; rédi- 
és pare SH Em. 206 
Antiquités. 

rie antique , oz Collection des 
hefs-d'œuvres d'architecture , de 
ulpture et de peinturé antiques. 
sk A - livraisous, 207 


| 28 Evraison, 


des de la campagne ; |. 

PUÈ 196! 
édecine 5 Chirurgie. sa 
par MM Cor- | 
shad êl Boyer Juillet, 
nt JT 


s géographiques géné- |. 
rales,, SEM par une Société de |” 
? Savans, él publiées par F. J. Ber- 


200. 


\ 


” ua Table du bé see 


Les Monumens. antiques 4 Muséa 

Napoléon, . gravés par Th Prroli, 
3 20 

+ Hisioire littéraire. “ 

Rayport des travaux de la Société 

: bbre. d'Agriculture, Arts et Com 

merce du départem. du Doubs. 78, 

Ludovici Caspari 7’ alckenaerii Dia 
| wibe dé Aristobalo Judæo, Philo= 

:sopho Peripatelico Alexandrino. : 

” Edidit, præfatus est et lectionem 

— publicam Pet. #7 esselingi adjun- 

_ xit Joannes Luzac. 216 

‘Bibliographie. 


: | Cours élémentaire de bibliographie ; 


par CF. Achard.,, FLE 324 

/ Litiéraiure latine. É 

Nova Acta Societatis lafinæ lenensisz 
-edidit D.Hen.C.A. Zischtæ dt. 224 


Poésie française. : 


La Li Vote: poëme en quatre chants; 


“par P. Larmontagne de Langon. Ib. 


} one sur la dernière ie de - 


8. M. l'Empereur el Roi , et sur la 
: guerre contre la Gr ande-Bretagne; : 
par M': C.J. I d’ Ayrigny. 227 
Profanation des Tombes royales de 
“Saint-Denis, en1 799; par madame 
* de Vanoz, née Syvri. ‘228 
= Mélanges. 
Alhenæüm , ou Galerie française des 
productions de tous les arts, 234 
Journal du Luxe et des Modes, 255 
Numismatique. 
Süpplément au traité des Monnoieg 
d’or et d'argent qui circulent chez 
les différens peuples , elc.; par 
Pierre-Frédérie Bonneville. 23G 
Astronomie. 
Astrostatique. Découvertedel'Orbite 
de la terre, du point ceniral de 
YOzbiie du soleil, etc.; par M. C. 


“ 


“LE H d'Aguile. 258 
Physique. ‘e 

Du Fluide universel, ele, 25q 

Physiologie. 


Physiologie intellectuelle, ox Déve= 
loppement de la Doctrine du pro- 
fesseur Gall, sur le Cérvreau et ses 
fonctions , elc;; par J, B, Deman- 
EE07 240 


NO PPADAAPPPDODPDPPO CP ONN 
Drscrverres, Desaurr, Desroxrarnes, Duverrt. ; Fox-. 
rANes, Foureroy, Grorrroy, Hart, Haüy, HérmaNx, 
Lasoutsse, Lacérèng, LAGRANGE ; lALANDE, Lamarok, 
Lanorès, Lrerux, L'Hertrise , Lévenré, Marrow, 
 Menrevxe, Monerzer, Noër , Osénuin , Saivré-Cnorx ps 


SCHWEIGILÆUSER, SICARD, SILVESTRE DE Sacy, Suanp, |E 


Trauzré, Vax-Mons, VENTENAT, Viscowrr, VirLorson, 
Usrert, Wicvemer, Winckzer, et d’autres Sayans ou 


Littérateurs estimables, | Sr PERTE 

On y insère les Mémoires les plus importans sur toutes | 
les parties des Arts et des Sciences; on choisit principa- 
lement ceux qui sont propres à en accélérer les progrès, 

On y publie également les Découvertes ingénieuses, - 
lés Inventions utiles dans tous les genres. On y rend 
compte des Expériences nouvelles. On y donne un pré- 
- eis de ce queles Séances des Sociétés littéraires ont offert 
à! de plus intéressant ; une description de ce que les dépôts 
a}. d'objets d'Arts et de Sciences renferment de plus curieux. 

On y trouve des Notices sur la Vie et les Ouvrages 
des Saväns, des Littérateurs et des Artistes distingués 
dont on regrette la perte; enfin les Nouvelles littéraires 
de toute espèce. 


La correspondance que le Rédacteur entretient avé 


plusieurs Savans étrangers, et principalement en Alle- [fl 


mague, lui pracure beaucoup de Notices qu’on ne trouve 
point ailleurs. Fa 


On s’adresse,pour l’abonnement, à Paris, chez Drraxcr, 
Imprimeur - Libraire, rue des Mathurins, hôtel Cluny. 


chez la veuve Chänguion et d'Henget: 

ARR ÿ chez Van-Gulik. ; 
À Bruxelles, chez Lemaire. 
A. Florence, chez Molini. 
À Francfort-sur-le-Mein , chez Fleischers 

| chez Manget. | 
A GERS ; chez heu 
À Hambourg, chez Hoffmann. 
A Leïpsic,.chez Wolf, 
À Leyde, chez les frères Murray. 
A Londres, chez de Bofle, Gerard Streets 
A Strasbourg, chez Levrault, 
A Vienne; chez Degen. | 
À Wesel , chez Geisler, Directeur des Postes, 


I1 faut affranchir les lettres. 


* (Octobre 1806. } A on | 


MAGASIN 


 ENCYCLOPÉDIQUE, 


ov 


JOURNAL DES SCIENCES, 
DES LETTRES ET DES AREAS 


À ‘RÉDIGÉ 
PAR A. L MILLIN, 


Membre de PIxsrrrur et de la LÉGION D'HONNEUR, Conservateur 

“des Médailles ; des Pierres grivées et des Antiques de la Bi- 

* bliothèque Impériale, Professeur d’Archæolopie, Membre de 
l'Académie de Goettingue , etc, ‘etc: 


Prix de ce Journal, tant pour Paris que pour les 
 Départemens’, franc de port: 


pour trois MOIS, +,4.sessresusi4 Q francs 
pour six MOIS je. leve nées esse 10 francss 
pour un Amréeéss sussssenvisss 00 francs 


EREPETRESLAET. 


1: 
Les hommes les plus célèbres dans er e partie des #2 
Sciences et de :a littérature ; Se sont F ü à coupérer La 


‘à cette entreprise utile, ét la collection des neuf années 
du Magasin Encyclopédique est devenue précieuse, e ce 
qu'elle présente une réunion de Mémoiresi ntéressans, 
“qui ne se trouvent point ailleurs, et dontles Auteurs 
jouissent d’une grande réputation. On y trouve, en et, 

dés Dissertations , des Mémoires, où des Opnseules de 
à! MM. Arisenr, BaRBiEr , Barmié pu Boccace, Bir= 
2} muecemy, Basr, Bicæar, Carsrarp, GCAvanrezrs, 
Caanpon LA “Rocuerre, Cuvien; DAusenrox, TE ser 


D ar re 
RENE 


| 


OX &E CURE he ES CASE hoke op RESF | 


£ 


z 


mp monde TE 


Table He HU contenus dans ce Wim. 


BIOGRAPHIE. 


Notice historique et bibliographique | 


sur Daniel Tilenus, ministre du 
saint Evangile à Sedan, 249 
otice sur Michel Adänson par Le 


Joyand 392: 
MÉDANGES. 
Sür l’Éloquence des Yeux. . 280 


Romans. 

Élisabeth, ou les Exilés de Sibérie; 
par madame Coftin. 288 
LITTÉRATURE SACRÉE, 
Notice littéraire et historique sur Xe 

Livre de Job. : 300 
Tuéatre GRÈC 
£lrtemmestræ , tragœædiæ Sophoclis 

fragmentum ineditum. Ex PRE 
Angastano et apographo Aléxan- 
drino, additis animadversionibus 


et interpretatione latina primum 


edidit Christ, Frider. de Matthærï. 
325 


k 
£nnibal à Carthage à la fin de la 
deuxième guerre punique, 344 
Pofsre. 


HirsTOIR Er 


{nscription en vers pour: Moulin- 
Joli ; par M. Delillé. 415 
Letire à madame de Lignes; par 
Voltaire, 416 
Traduction de Métastase ; par M, 
Aug. de Labouisse. 4317 
& madame de ***; par M. Bou- 


Hern 4. 


Vers ; par tk mêmes 


— des Indes orientales, 


— d'Allemagne. 


À — du Grand Duché de Berg. 426 


Toi. | 


4 


m8 
VARIÉTÉS, NOUVELLES ET : 
CORRESPONDANCES LITTÉRAIRES 
Nouvelles de la Chine, 19 
Ibid. 
422 
42% 
425 
‘Ibid. 


_ d’ Angletërre. UE 
— de Hollande, 


— de Saxe, 


— du Royaume de Bavière. Jbid. 
— du Royaume de Würtemberg. 427 
— du Royaume de Prusse. 429 
— de l'Empire d'Autriches 430 


— de Suède. 432 
— de Danemarck. Jbid. 
— de Russie, 434% 
— du Royaume d'Italie, 456 


—. de l'État ecclésiastique. 


FRANCE J 

Ordré donné au sieur Bond}; d 
; Turin, de se rendre dans les États 
ex-véniliens ét dans le Tirol, poux 
dessiner toutes les affaires qui ont 
eu lieu pendant la dernière cam= 
pagne. | 437 
Buste terminé de S. M: TÉimpéreut 
et-Roi, parle sculpteur Barthélemi 
Carrea, à Gênes, Ibid 
Lettres dé maitre des Jeux floraux 
envoyées par l'Académie de Tous 
louse à $ Em. Mgr. le cardinal 

+ Maury. Ibid. 
Trois prix proposés par la Société des 
sciences el arts du département du 
Lot, séant à Montauban.  4bid 


_ 


BIOGRAPHIE. 


NoTrce historique et bibliographique 

sur Daniel TILENDS, ministre du saint 
Evangile à Sedan, professeur à l’Aca- 
démie de cette ville, et précepteur dé 
Turenne (1} 


Tirenus (Daniel), professeur et ministre à 
Sedan , et l’un des plus célèbres et des plus sages 
théologiens de la réforme, naquit en Silésie , le 
4 février 1565, de George Tilenus et de Marthe 
Lubelian. 

Les Bibliographes taisent le lieu de sa nais- 
sance ; mais nous croyons qu'il vit le jour à 
Goldberg : et c'est surtout à Melchior Adam que 
nous sommés redevables de cette découverte. Ce 
savant bibliothécaire parle d'un George Tilenus , 
né dans cette ville en 1557 ; il le signale même 

comme un poëte excellent (2). Cet éloge ayant 


(1) Cette nolice est uñ fragment de l'Histoire du dépar- 
- tement des Ardennes, que l’auteur se propose de donner àu 
public. 

(2) Il étoit conseiller du duc de Monsterherg ; et mourut 
dans cette ville, le 4 mars 1590, âgé de 33 ans. Son épi- 
taphe est dans le Theatrum de FREHER , tom. IL, pag. 917. 
. Ses Œuvres ont été publiées par MELHIUS, en 1591, et in- 
. Sérées depuis dans les Deliciæ Poetarum Germanorum de 
. Grurer, part. VI, pag: 690-870. C’est à la page 840 que 
T, F, Octobre 1806. 


£90 Biographie. 

piqué notre curiosité, nous avons parcouru les 
œuvres de ce poëte silésien; et parmi les pièces 
diverses dont elles se composent, nous ayons 
remarqué celle que cet ami des Muses adresse à 
ses frères George et Daniel , Georgio et Danieli 
Tilenüs, fratribus germanis. Daniel Tilenus étoit 
donc frère du poëte de ce nom; et comme celui- 
ci est né à Goldberg, il est naturel de conclure 
que l’autre a eu cette ville pour berceau. 

Après avoir terminé ses classes dans son pays, 
et peut-être à Brieg, où les ducs de ce nom fai- 
soient alors fleurir les études, Tilenus vint en 
France, vers l'an 1590; et c’est de lui que nous 
tenons cette particularité de sa vie : il nous ap- 
prend qu'honoré, par Henri IV , de lettres de 
naturalité , qui le constituoient français en titre , 
il l’étoit d'affection depuis 30 ans et plus, en l’an- 
née 1622. (Examen des vrayes raisons , p. 9.) 

L'on peut présumer que son but principal en 
venant se fixer en France, étoit d'augmenter le 
trésor de ses connoïssances littéraires ; car il n'y 
a guère qu'un amour passionné pour les lettres 
qui puisse porter un savant à abandonner sa pa- 
trie spontanément et sans retour. Quel autre 
charme seroit assez puissant pour commander 
un sacrifice aussi pénible ? 

Son premier emploi à Paris fut d’être pré- 
cepteur du jeune de la Rocheposay , parvenu à 


sont les vers adressés à George et à Daniel Tilenus. ( Mel- 
chior ADAM, vitæ erudit, German. , tom. M, pag. 164, edit. 
1706.— de SOMMESBERC, Silesiacarum Rerum scriptorés , 
tom. LL, p. 456.— Kenic, BB. vet. et nov., p. 808.) - 


Tilenus, 851 


J’évèché de Poitiers, en 1611, Il eut énsuite M 


de Laval pour élève. 

Si l’on juge de Tilenus par ses premiers ou+ 
vrages, on voit qu'il avoit tourné de bonne heure 
ses principales études du côté de l’Ecrituré 
Sainte , des Pères et de l'histoire ecclésiastique , 
et que les langues orientales , si nécessaires à qui 
veut remonter jusqu'aux premières sources dé 
la théologie, avoient fixé son attention. Son dé: 
but dans la carrière des lettres chrétiennes , fut 
la publication d’une conférence sur les traditions 
apostoliques, qu'il eut à Paris en 1597, avec 
Jacques Davy du Perron, évèque d'Evreux (3) # 
elle contribua principalement à le faire connoi- 
tre. Pouvoit-on en effet ne pas concevoir une 
idée très-avantageuse d’un jeuné étranger , qui 
osoit se commettre avec un prélat regardé dès 
lors comme le plus redoutable adversaire de la 
réforme , dont il avoit désérté les drapéaux ; car 


_ilétoitné, et avoit été élevé dans là religion pro: 


PA 


(3) Du Perron est le premier catholique qui ait écrit en 
français sur les matières de religion : usage qui, avant lui, 
étoit tellement propre aux Huguenots, qu’on le regardoit! 
comme un caractère d’hérésie (Longueruana, 1 part. p.14). 
Son zèle contre le protestantisme, et notamment la confé= 
rence qu'il eutavec du Plessis-Mornay, qu’on nommoit alors 
le Pat des Huguenots , décidèrent sa fortune. Henri IV 
dit, à propos de cette conférence, au duc de Sully qui étoit 
protestant : Votre Pape a été terrassé. Sire, lui répondit 
le duc, Vous l’appelez Pape en riant ; preuve qu’il l’est 
réellement , c’est qu'il fera l'abbé du Perron cardinal. En 
effet, la victoire qu’il remporta sur du Plessis Lui valut le 
shapeau de cardinal: 


292 Biographie. 


testante ; et depuis son abjuration , l’on signaloit 
parmi he conquêtes nombreuses de son zèle, Le 
savant Henri Sponde , et le roi Henri IV? 

Voici ce qui donna lieu à cette conférence. 
L'évèque d'Evreux se rencontroit quelquefois 
avec Tilenus. « Il le trouva un jour chez deux 
» femmes protestantes , dont l’une venoit de 
» perdre son mari. On parla de la prière pour 
» les morts, et ensuite des traditions apostoli- 
» ques ; et comme il s’en falloit bien qu'ils 
» fussent d'accord , ils convinrent que le lende- 
» main ils auroient une conférence sur ces ma- 
» tières. Tilenus auroit souhaité qu’elle se fit en 
» latin; mais l’évêque d'Evreux voulut absolu- 
» ment qu'on disputât en français. Tilenus a 
» insinué que le refus que du Perron avoit fait 
» de parler latin, venoit de ce qu'il étoit peu 
» versé dans l’usage de cette langue, ec qu’il 
» s’étoit principalement proposé de charmer par 
» la pompe de ses grands mots, et d'un galima- 
» thias français, les dames qu’il avoit fait in- 
» piter à cette dispute (4). 


L'auteur du discours - sommaire , imprimé à 
la tête des ouvrages de du Perron, et qui est 
très-prévenu en faveur de ce cardinal, assure 
« que l’évêque d'Evreux embarrassa si fort Ti- 
» lenus dans cette conférence, qu’il souhaita 
» que la dispute continuât par écrit, et qu ‘il 
» remporta une victoire si complète, que non. 
» seulement les deux dames se firent catholiques, 


(4) Ds Buriony, Wie de du Perron, p. 192. 


Tilenus. 253 


» mais aussi dix-sept personnes de leur famille, 
» et même Prevôt, assistant de Tilenus (5). » 

Deux ans après cette conférence , c’est-à-dire 
en 1599 , Tilenus fut appelé à Sedan , en qua- 
lité de ministre et de professeur en théologie ; 
et comme il renonça volontairement à sa patrie, 
pour consacrer les fruits de ses veilles à cette 
ville, où, pendant 5o ans, il jouit de fous les 
droits de cité, on est autorisé à le ranger au 
nombre des sedanois illustres ; d’autant plus que 
les Silésiens ont renoncé à le regarder comme 
un des naturels de leur pays , en négligeant de 
nous faire connoître le lieu de sa naissance , et 
laissant même écouler deux siècles , sans penser 
à transmettre son nom à la postérité. 

Le duc de Bouillon , Henri de la Tour, qui 
se connoissoit en mérite personnel , honora Ti- 
lenus d’une estime particulière ; et lorsqu'il fonda, 
en 1602 , l'Académie de Sedan , il le jugea digne 
d’être mis au rang des professeurs en théologie, 
et des conseillers modérateurs de ce bel établis- 
sement, qui devoit fixer un jour les regards de 
l'Europe savante. 

Quoique indifférent pour les opinions reli- 
gieuses , ce prince voulut que ses enfans fussent 
élevés dans la religion protestante. Il donna pour 
instituteur à Frédéric-Maurice ‘son fils aîné , le 
ministre du Moulin, calviniste rigide; et au 
grand Turenne , le professeur Tilenus , parti- 
san déclaré dela tolérance universelle. « Ce 
» sage, dit Turpin, précautionna son élève con- 


(5) Ibid. 


294 Biographie. 
» tre le zèle amer des docteurs de sa secte, qui, 
» confondant les abus de la religion âvec ses prin- 
» cipes , mettoient la coignée dans un tronc dont 
» ils devoient ( seulement) élaguer quelques ra- 
» meaux superflus. La modération du maître 
» prépara sans doute dans la suite le retour du 
disciple au culte de ses ancêtres (6). » 
Henti IV désirant que sa sœur , la prin- 
cesse Catherine |; femme du duc de Bar, se 
réunit à l’église catholique, engagea du Per- 
ron à lui parler de religion. Le 7 mars 1601, 
ce prélat eut à Fontainebleau une conférence 
avec elle sur la messe. Elle le chargea de mettre 
ses réponses par écrit ,. afin de pouvoir les com- 
muniquer à ses ministres; et c’est ce qu'il fit 
dès le lendemain. Ils le réfutèrent ; et le 17 du 
méme mois, la princesse fit voir à du Perron 
l'écrit des ministres. Il lui représenta qu'il se- 
roit à propos que les pasteurs et lui exami- 
nassent en sa présence les deux écrits. Ces pas- 
teurs étoient au nombre de cinq, savoir : de 
Feugerai, de Beaulieu, du Moulin, Gordon et 
Tilenus. Ils refusèrent d'entrer en conférence 
avec l’évêque d'Evreux. La dispute se passa par 
écrit de part et d’autre ; la duchesse de Bar pro- 
fessa jusqu’à sa mort, arrivée en 1604, la reli- 
gion calviniste, dans laquelle elle étoit née (7). 
En 1605, Tilenus , de concert avec les mi- 
nistres de l’église de Sedan , envoya huit articles 


L1 


(6) Vie de Turenne, p. 5, n°. 12 du Plutarque français. 
(7) Vie de du Perron, p. 200, 


Tilenus. 255 


au duc de Laval (8), pour empêcher sa con- 
version à la foi catholique. Tristan de Villelongue, 
ardennois, et successivement abbé régulier de 
Lavaldieu et de Bucilly, ordre de Prémontré, 
fit une réponse à ces huit articles , imprimée à 
Reims, la même année, chez la veuve de Foigny. 

La discorde entre deux sectes fameuses en 
Hollande, celle des Gomaristes et des Arminiens, 
ayant éclaté en 1609, notre professeur sedanois 
écrivit d’abord contre la doctrine d’Arminius ; 
mais il changea ensuite de sentiment , après 
lu les écrits de Corvin, et se dl ouverte= 
ment contre les nes , quoique leur nom- 
bre l’emportât de beaucoup sur celui de leurs 
adversaires. Ce parti honore tout à la fois son 
esprit et son cœur ; car l’on sait que les Goma- 
ristes, sectateurs rigides de la doctrine de Cal- 
vin, faisoient de l’homme une machine et de 
en un tyran, et que les Arminiens ou Remon- 
trans (9) ne pouvant concilier avec la bonté, la 
sagesse et la miséricorde divine le dogme k la 
prédestination absolue , et de la fatalité à laquelle 


(8) Converti depuis par le cardinal de Berulle, 

(9) Ainsi nommés pour une Requête ou Remontrance qu’ils 
adressèrent aux Etats de Hollande el de West - Frise en 
1611, el dans laquelle ils exposoient en cinq articles toute 
leur croyance. Cette, remontrance écrite en hollandais, eut 
pour vérilable auteur Uytenbogard, qu’on croit pourtant 
avoir eu recours aux conseils de Grotius. Les Gomaristes 
opposèrent à cet écrit une contre-remontrance, qui leur 
fit donner le nom de contre -remontrans. Les premiers 
avoient Armimius pour chef, qui trouva dans Gomar un 
adversaire des plus ardens, 


256 Biographie. 

Calvin assujétissoit l’homme , interprétoient ce 
que l'écriture dit sur la grâce et la prédestina- 
tion , conformément aux principes d’équité et 
de bienfaisance qu’ils portoient dans leur cœur 
et dans leur caractère , et que, par une suite de 
leurs principes, ils enseignoient qu'on devoit 
tolérer toutes les sectes chrétiennes pour ne com- 
poser qu'une même église, et laisser à chacun 
la liberté d’honorer Dé de la manière dont u 
croyoit que l'Ecriture le prescrivoit. . 

Cette conduite de la part de Tilenus excita 
l'humeur des Gomaristes : il eut avec eux plu- 
sieurs démélés assez vifs, dans lesquels il tâcha 
de leur démontrer que leur système n’étoit ni 
philosophique ni consolant. Ceux-ci ayant triom- 
phé au synode de Dordrecht, tenu en 1618 et 
1619, la doctrine de Calvin fut déclarée la 
croyance dominante des églises réformées , celle 
des Arminiens y fut lennellement condamnée : 
eux-mêmes furent exclus de toutes les fonctions 
ecclésiastiques et académiques , et retranchés de 
la communion , comme des maîtres d'erreur et 
des corrupteurs de la Foi; et il fut décidé qu’à 
l'avenir personne ne seroit admis aux fonctions 
du ministère et de l’enseignement, sans avoir 
souscrit à cette condammation. 

La haute considération dont Tilenus jouissoit à 
Sedan, sembloit devoir Le soustraire à la sévérité de 
cette décision. Mais le fanatisme , de toutesles pas- 
sions la plus violente et la plus féroce, n’épargne 
rien ; vertus, mérite, talens , patriotisme , etc., 
tout doit tomber sous ses coups. Le grand pen- 


Tilenus. 207 


sionnaire Barnevelt, protecteur zélé des remon- 
trans , avoit été TRE de son glaive, avant la 
clôture même du synode de Dordrecht (10). Le 
tolérant, le pacifique Tilenus pouvoit-il échap- 
per à ses persécutions? Ce monstre , après avoir 
épuisé toutes ses fureurs sur la Hollande, pé- 
nétra dans les Ardennes. Glissé dans la ville de 
Sedan , bientôt il chercha une nouvelle victime 
au sein même de la cour du duc de Bouillon. 
Ce prince , devenu Gomariste, depuis que sa 
politique lui avoit suggéré de prendre ce parti, 
« harcela fort Tilenus. Celui-ci lui reprocha 
» qu'il avoit tort de l’inquiéter pour une doctrine 
» qu'il avoit lui-même autrefois suivie etapprou- 
» vée. Le duc de Bouillon lui dit qu'il avoit 
» changé à la prière du roi d'Angleterre , avec 
» lequel il vouloit demeurer en bonne intelli- 
» gence. Tilenus lui répondit que les rois ne pou- 
» voient rien sur $& conscience ; mais qu’il vou- 
» loit demeurer et mourir Arminien à cause de 
» Dieu. » (Joly, Borboniana, t. Il, p. 272 
des mémoires de Bruys.) 

Cette fermeté déplut, et le sage et vertueux 
instituteur de Turenne fut dépouillé de tous ses 
emplois. La peine ne parut pas assez rigoureuse 
à ses intolérans adversaires. Ils manœuvrèrent 


+ (ro) Ce qui fit dire au cardinal Noris, dans sa préface de 
son Histoire pélagienne, que l’on avoit fait aux mânes de 
Calvin un sacrifice du sang des Arminiens , Ærminiano 
sanguine diris Calvint manibus parentatum ; el à Droparrt, 
théologien de Genève, que Les Canons du synode de Dor- 
drecht avoient emporté la tête de Avocat de Hollande. 


258 Biographie. 

si bien, qu'ils le forcèrent à quitter sa patrie 
adoptive, où de longs et utiles travaux sem- 
bloient devoir lui assurer une existence à l'abri 
de tous les événemens. C’est au milieu de l’hi- 
ver de 1619 , quoiqu'il eùt la goutte, qu'il fut 
contraint d'abandonner Sedan. IL se réfugia à 
Paris, où il vécut de ses rentes. 

L'on aime à entendre Tilenus s'exprimer lui- 
même sur cet événement important de sa vie : 
Cüm sordidæ illæ , dit-il, quas Calviniani fati 
propugnatores coegerant nubes , post Dordrace- 
nam synodum, nimbum suum in pietatis adser= 
tores profudissent ; ego statione Sedanensi eodem 
turbine excussus , quæ frustrà inter novos Ma- 
netis pullos quæsivissem alcedonia , Lutetiæ , 
tanquam in vastissimo oceano , Dei beneficio re- 
peri (11). 

Les contre - remontrans, peinés de ce qu'un 
homme du mérite de Tilenus persistât, malgré 
la décision du synode de Dordrecht , à abandon- 
ner les opinions rigides de Calvin au point de les 
rapprocher, à quelques égards , des sentimens 
de l’église romaine, firent tous leurs efforts pour 
le ramener à leur système de la prédestination 
absolue et uniquement fondée sur le bon plaisir 
de Dieu, et pour le faire renoncer à la doctrine 
d'Arminius qui établissoit la prédestination et l’é- 
lection faite de toute éternité, en conséquence 
de la prévision des mérites. 


A cet effet, la Milletière , l’un des chefs des 


(11) Canones synodi Dordracenæ , Paralipomena, p. 186. 


Tilenus. 259 


Gomaristes, fut chargé de ménager une confé- 
rence entre Tilenus et Jean Cameron, profes- 
seur en théologie à Saumur , touchant la coo- 
pération de la grâce avec la volonté de l'homme. 
On convint du lieu et du jour où l’on disputeroit; 
et, selon cette convention , la Milletière se ren- 
dit avec Tilenus au château de l'Isle, près d’Or- 
léans, et y trouva Cameron et Louis Cappel, 
de Sedan, son collègue à l’Académie de Saumur. 
La conférence, dont la Milletière fit l’ouver- 
ture, et dont Cappel fut secrétaire , commença 
le 24 avril 1620, et dura jusqu'au 28 du même 
mois. Elle eut l'issue ordinaire : chacun de- 
meura dans ses sentimens , et s’attribua la vic- 
toire. Les deux champions rendirent compte, 
chacun à leur manière, des motifs qui ame- 
nèrent cette dispute; le premier dans sa préface 
des Paralipomena ; le second, dans celle de son 
Amica Collatio. 

« Peu de temps après, Tilenus adressa un 
» discours aux Ecossois (12). Il y disoit que l’on 
» avoit fait un trop grand changement dans la 
» religion; que l’on avoit cru que l'église ne pou- 
» voit être bien réformée, à moins qu'on ne lut 
» donnét une forme inconnue à l'antiquité ; que 
» l'on avoit supprimé les différens degrés du 
» ministère évangélique, et foulé aux pieds l’an- 
» cien gouvernement de l’église. 11 loue la réfor- 
» mation d'Angleterre , et il fait voir que les pra- 
» tiques de l’église anglicane sont conformes à 
» celles des anciens chrétiens. 


(12) Parænesis ad Scotos Genevensis disciplinæ Zelotas. 


260 Biographie. 


» 


» 


» Un Anglais présenta le discours de Tilenus 
au roi de la Grande-Bretagne. Ce prince en 
fut si satisfait, qu’il ordonna qu'on l'imprimt 
incessamment, quoique l’auteur n'y eùt pas 
mis la dernière main. Le roi souhaita même 
de voir Tilenus , et l’invita par une lettre fort 
obligeante à venir en Angleterre. Tilenus y 
étant arrivé, le roi le reçut d’une manière 
très-gracieuse , et lui promit une pension, s’il 
vouloit s'établir dans son royaume. Tilenus 
remercia très-humblement Sa Majesté , et de- 
manda quelque temps pour mettre ordre à 
ses affaires, Il déclara au roi ses sentimens sur 
le dogme de la prédestination. Le roi approuva 
ce qu'il dit sur cette matière; et cette appro- 
bation porta Tilenus à faire imprimer, lors- 
qu'il revint en France , un ouvrage qu'ilavoit 
écrit en français , touchant /a cause et l'origine 
du mal moral ( Voyez N°. IX). Il dit qu'avant 
la publication de ce livre, quelques Théolo- 
giens protestans de France formèrent un parti 
contre lui; qu'ils mirent tout en œuvre pour 
prévenir son retour en Angleterre ; qu’ils ta- 
chèrent de le rendre suspect d’hérésie ; et que 
par cet arüfice ils lui attirérent la haine de quel- 
ques théologiens d'Angleterre : de sorte qu'il 
jugea à propos de n'avoir plus aucune corres- 


pondance avec le roi de la Grande - Bre- 


tagne (13). » 
Le 25 décembre 1620 , se fit l'ouverture de 


(15) Braxpr, tom. Il, p. 250 et suiv. 


CE 


Tilenus. 26% 


la fameuse assemblée de la Rochelle, malgré 
là déclaration de Louis XIII, du 22 octobre pré- 
cédent, portant défense à tous ses sujets de s’y 
trouver. 

Quoique le duc de Bouillon fût un des prin- 
cipaux chefs de la confédération calviniste , néan- 
moins il étoit d'avis que l'assemblée de la Rochelle 
se désistät de ses prétentions , et se soumit. IL 
avoit appris sous le règne d'HenriIV, combien il 
est dangereux pour un sujet de vouloir contre- 
balancer la force de l'autorité légitime. Il croyoit 
avec raison qu’au lieu de détourner les malheurs, 
c’étoit les provoquer par une conduite impru- 
dente ; que le parti protestant, dans ces conjonc- 
tures, devoit s'arrêter, de peur de passer les 
bornes , et recevoir des conditions loin de vou- 
loir en imposer, et se défier moins d’une ti- 
mide prudence qui appréhende trop, que d’une 
aveugle présomption qui ne craint pas assez. 

Dans cette vue, il chargea Tilenus d'écrire 
contre cette tumultueuse assemblée , dont les 
membres , par leurs démarches , s’érigeoient en 
souverains , contre l’autorité de l’Ecriture et les 
maximes de leur religion, et vouloient, à l’imi- 
tation des protestans d'Allemagne, établir dans 
le sein du royaume une république fédérative , 
dont la Rochelle devoit être le chef-lieu (14). 

Quoiqu’indignement traité par le due de Bouil- 
lon, Tilenus, qui se piquoit d’être généreux, 
. (14) Ts avoient ce projet depuis Ieng-lemps ; et l’avoient 


déclaré dans les assemblées tenues à Milhaud en 1573 et 
2574. 


262 Biographie. 

n'avoit manqué aucune occasion de lui donneÿ 
des preuves du plus parfait dévouement. Il prit 
la plume pour seconder le vœu de ce prince, 
et fit paroître , au commencement de mars 1621, 
un Avertissement à l'assemblée de la Rochelle, 
par lequel ceux de la religion étoient fortement 
exhortés à se soumettre à leur souverain, ét à 
ne- point entreprendre de se conserver, par la 
guerre, la possession des édits. 

La Milletière |; député de Paris à l'assemblée 
de la Rochelle , répondit à cet Avertissement 
par un Discours , divisé en trois parties. Dans 
la première , il tâche de persuader que le seul 
but de cette dernière guerre étoit d’exterminer 
entièrement la religion réformée : dans la se- 
conde, il veut prouver la justice de la prise 
d'armes ordonnée par l'assemblée de la Rochelle : 
dans la troisième, il tient la paix désespérée, 
si lon ne chasse les jésuites, et il propose un 
concile national. 

Tilenus répliqua par un Examen de cet Ecrit, 
où il démontre que la plupart dés preuves pro- 
duites par son adversaire ne sont appuyées que 
sur des contes ou sur des faits controuvés. Le 
jugement qu'on en porta alors, étoit que Tile- 
nus, quoique Silésien, parloit mieux français 
que La Milletière, et qu'il en savoit beaucoup 
plus que lui (15). 

L’avertissement de Tilenus à la confédération 
de la Rochelle, dont on verra ci-après l’analyse, 


(5) FonTerte, BB. Hist., tom. I, p. 390. 


Tilenus. 263 


est écrit avec une mâle énergie, et lui a fait 
beaucoup d'honneur. « Il y avoit long-temps, 
» remarque Fontette, qu’il n’avoit rien paru de 
» plus sensé, de plus modéré, et de plus capa- 
» ble de porter les esprits à la paix, que cet 
» écrit (16). » 

On ne peut cependant se dissimuler qu'on y 
aperçoit quelques saillies caustiques, et la mau- 
vaise humeur d’un Arminien , qui ne pouvoit par- 
donner aux calvinistes de France leur parfait ac- 
quiescement aux décisions du synode de Dord- 
recht : la passion nuit toujours au bon droit 
d’une cause. 

Ici finit la vie publique de Tilenus. Il passa 
le reste de ses jours à Paris, non ignoré, il ne 
pouvoit pas l'être, niais éloigné des sociétés 
bruyantes , renfermé dans le cercle étroit de 
l'amitié, jouissant de lui-même, peu occupé des 
chagrins du passé, et des craintes de l'avenir. 
On ne voit pas qu’il y ait exercé les fonctions 
de son. état, même antérieurement au synode 
national tenu à Charenton en 1623, où les dé- 
ærets de Dordrecht furent reçus et approuvés 
par les calvinistes de France. Fidèle à la cause 
qu'il avoit épousée, il n'employa plus guère les 
armes de son profond savoir, qu’en faveur de 
lArminianisme , qu’il continua de défendre avec 
beaucoup d'esprit, de courage et d’éloquence ; 
mais en mettant , selon l'usage des écrivains du 


temps, un grand appareil d’érudition dans ses 
ouvrages. 


v 


(16) BB. Hist., tom. I, p. 407. 


264 Biographie. 

Il mourut à Paris le rer, août 1633. On ignore 
si sa femme, dont il parle à la page 188 de ses 
Paralipomena, lui a survécu. 

« M. le procureur général disoit un jour en 
parlant de Tilenus et de Grotius, qu’il ne sa- 
» voit où on enterreroit ces deux hommes, qui 
» étoient d’une religion différente des luthériens 
et des calvinistes. (17) » 

Gérard Vossius dans une lettre à Grotius da- 
tée de Leyde , le 13 avril 1622, s'exprime ainsi 
sur Tilenus : Sanè video esse , qui summum vi- 
rum Tilenum theologum esse negent : quem tant- 
opere Palatinorum Theologorum elogiis cele- 
bratum ante annos aliquot vidimus.( Limborch, 
præstant. viror. Epistolæ , Epist:415 , p. 678 a, 
et 679 b.) George-Michel Zingelsheim écrivant 
au même Grotius, de Strasbourg , le 12 jan- 
vier 1626, dit : Nec præterire possum clarissi- 
mum et summum Theologum Tilenum.(Ibidem, 
Epist. 631. p. 955 b.) Abraham Scultet, Savant 
Silésien , qui fit d’abord une exhortation à la paix, 
dans la 33°. session du synode de Dordrecht, 
et qui se déchaîna depuis contre les remontrans, 
a écrit plusieurs lettres à Tilenus. 

Le croiroit-on? les Allemands si attentifs à 
recueillir les plus petites particularités de la vie 
des écrivains, même assez obscurs de leur na- 
tion , ont négligé de nous transmettre le moin- 
dre détail sur cet homme célèbre (18). Une sem- 


w ! 
Ÿ 


Ci 
LA 


(17) Borboniana , p. 272. 
(18) L'ouvrage de SomMesBERG sur les Silésiens, ne xa 
que jusqu’en 1612. Ou regrette que le sayant Martin Hax- 


blable 


- Tilenus. 265 


blable omission surprendroit moins de la part 
des Français; car pour peu qu’on soit versé 
dans la connoissance de notre histoire littéraire , 
on sait que l’on est quelquefois: obligé d'aller pui- 
ser la vie de nos écrivains dans les biographes 
d'Allemagne ; et qu’il n’est pas mème sans exem- 
ple, que leurs bibliothécaires nous aient appris 
l'origine , la patrie , les époques de la nais- 
sance et de la mort, la date et le lieu de la 
publication des écrits 4 nos litérateurs Fran- 
çais. 


Ses Ouvrages. 


IL Défense de la suffisance et perfection de 
l’escriture sainte : contre Les cavillations du sieur 
du Perron, évesque d'Évreux : par lesquelles il 
s'efforce de maintenir. son traité de l'insuffi- 
sance et imperfection de l’escriture. La Rochelle, 
1598,in-8°. Z4., Sedan, Jacob Salesse, 1607, in-8°., 
aug. de quelques observations de l’auteur. Zz., ibid., 
1602, in-8°., pp., 254, 3°. édit., dédiée à Henri de 
la Tour, duc de Boullion ( BB. 4 nat., 26449). 

Du Perron a répliqué par : Réfutation de l'écrit 
de maistre Daniel Tilenus contre Le discours de 
M. l'évesque d'Evreux, touchant les traditions 


KIUS n’ait poussé que jusqu’en 1550 son livre De Silesiis 
indigenis eruditis. Léipsick, 1707, in-4°. ZEILLER, dans 
lhistoire de la ville de Goldberg el de ses malheurs (Siles. 
topog. p. 147), ne parle point de Tilenüs; et Joachim Cu- 
reus, qui étoit mort en 1558, ne pouvoil en rien dire 
dans ses Annales de Silésie et de Breslaw. Quanr à Melchior 
Adam, il sétoit PART la Pers de ne pas consacrer d'articles 
aux auteurs vivans. 


TZ, F. Octobre 1806. R 


266 Biographie. 

apostoliques. Evreux, Antoine le Marié, 16ot, 
in-8°., pp. 282., dédié à M. de vor A BB. Imp., 
D. 7703.) 

Tilenus suppose, dans sa Défense , qu'il existe 
un Traité de l'insuffisance et de l’imperfection 
de l'escriture , composé par du Perron. Ce livre 
n’a jamais existé sous ce litre. Voici ce qui a donné 
lieu à cette supposition. En 1597, quinze jours après 
la conférence entre du Perron et Tilenus , sur l’au- 
torité et la nécessité des traditions apostoliques , M. 
de Sanci (Nicolas de Harlay }, qui en avoit oui 
parler , pria Beaulieu , secrétaire de la chambre du 
roi, son ami et celui de du Perron, de lui com- 
muniquer ce qui avoit été dit dans cette dispute, 
Beaulieu alla trouver l’évêque d'Évreux , qui lui 
répéta les argumens dont il s’étoit servi, et Beau- 
lieu les écrivit. Le prélat ne mit aucun titre à son 
manuscrit, s'étant contenté , dit-il, gue la thèse 
de l’exorde lui servit de sujet et d'inscription 
tout ensemble. 

L'intention de l’auteur n'étoit point que cet ou- 
vrage füt rendu public; mais Tilenus ayant trouvé 
moyen d’en avoir une copie, le fit imprimer à la 
Rochelle l’année suivante, en avril 1598, sous le 
tre de Traité de l’Insuffisance ; ete., avec une 
réponse d’environ deux ou trois feuilles: L'évèque 
d’Evreux , surpris de cette publication furtive, se 
hâta de répondre à ce que lui avoit opposé l'édi- 
teur , faisant imprimer sa réplique à fur et à me- 
sure qu'il la composoit; mais ayant été obligé de 
l'interrompre pour écrire contre du Pléssis Mornay, 
Tilenus profita de cet intervalle pour donnér une 
seconde édition de sa Défense , où il ne craint pas 
d'avancer que l’évêque n'a osé lui répliquer; mais 
même qu'il a supprimé ce qu'il avoit écrit contre. 


Tilenus. 267 


lui (19). Ce fut alors que du Perron mit au jour sa 
Réfutaton de l'écrit de Tilenus , d'où l’on a tiré 
cet historique. L'auteur a joint à son ouvrage le 
Discours touchant les traditions apostoliques , 
qui y avoit donné naissance. 

IT. Exégesis Aphoristica in trigesimum fidei , 
quem orthodoxæ in Galli& profitentur ecclesiæ 
articulum , qui est de Antichristo (seu Pap ). Se- 
cunda editio ab auctore recognita, et 76 Apho- 
rismorur apolegeticorum accessione aucta. Se- 
dan ( 5. n. d’Inpr. ), 1604, in-4°., pp. 58 (BB. 
4 nat., c. 13205). It. Jutta secundam editionem. 
Asmst., Jean Jansson, 1640, in-4°., pp. 64 ( BB. 
Imp. , D. 2. 1008-—4 nat., c. 26335). [t. Juxta pri- 
mam editionem , réimprimé dans lÆrrichristus, 
p- 3—43 de Louis Lucius. Ambergæ, Joan. Schon- 
Jfeldius ; 1610, im-8°, pp. 259 ( BB. 4 nat. , 26450), 
dédié à J. du Perron , évèque d’Evreux. 

IT. Syrragma Disputationum Theologicarum 
in Academià Sedunensi labitarum. Sedan, 1607, 
in-8°. Jr. Herbon., 1607, in-8°. 74. Sedan , 1611, 
in-8°. Zr. Tbid., 1614 , in-8°. Z4 Genève, Prerre et 
Jacques Chouet, 1618, in-8°., pp. 1000. Zr. Genève, 
ibid. 1622, in-8°., pp. 1090, sous ce titre : TrE£ENX 
Syntagma tripartitarum Disputationum Theol. ir 
Acadernié Sed.habitarum, et Theologiæ systema. 
Editio postrema , cui tertia pars accessit ( BB. 
Imp. D. 2. 1689 }. Cette édition contient 68 thèses. It. 


Editio omnibus aliis, etiim Sedanensi, ab auc- 


(19) Le cardinal du Perron faisoil toujours imprimer ses 
œuvres deux fois; la première , pour en distribuer quelques 
exemplaires à des amis particuliers, sur lesquels ils pussent 
faire leurs remarques ; la seconde, pour les livrer au pu 
blic dans la dernière forme où il avoit résolu de les mettre. 


268 Biographie. 
tore 1ps0 correcta et infinitis pene mendis subla- 
tis emendatior ; accessit Theologiæ systema,, 
eodem auctore. Harderwick , 1656. Plusieurs des 
thèses contenues dans ce livre avoient été impri- 
mées chez Jean Jannon. : 

Tilenus , dans la préface de son Hypotyposis , 
se plaint de ce que cet ouvrage a été réimprimé 
sans sa participation. Il avoue qu'il renferme, dans 
quelques endroits , une doctrine qui ressemble plus 
à celle des Stoïciens et des Manichéens qu’à celle 
de J. C. et des Apôtres. Son intention étoit, dit- 
il, de le revoir, et de le purger des maximes des 
théolosiens de Genève; mais son âge et ses infir- 
milés y ayant mis obstacle, il abandonna ce Syz- 
Lagma comme une production à laquelle il regret- 
toit d’avoir donné le jour. 

IV. Consideratio Sententiæ Jac. Arminii de 
Prædestinatione, Gratià Dei et Libero Arbitrio. 
Francfort, 1612, in-8°. ( Lire, BB. Th., T.1, 
p. 96 ); ouvrage anti-arminien, dont Cattenburgh 
ne fait pas mention. 

Jean-Arnould Corvin , remontrant, docteur et 
professeur en droit, et pasteur de l’église de Leyde, 
a réfuté Tilenus dans le livre suivant : Defensio 
Sententiæ J. Arminii de Prædestinatione ; Gra- 
tia Dei, libero arbitrio, etc. adversuüs D. Tileni 
theol. Sedanensis editam considerationem. Leyde, 
Jean Patius, 1613, in-8°., pp. 533 (BB. 4 nat., 
26445 ). Guillaume Twisse a fait un ouvrage qui a 
trait à celui-ci; il est intitulé : Ærimadversiones 
ad J. Arminii collationem eum Francisco Ju- 
nio , et Joan. Arnoldi Corvini defensionem ad- 
versus Danielem Tilenum. Amst.,Jansson , 1649, 
in-fol 

V. Examen Dogmatis P. Molinæi, de dua- 


Tilenus. 269 


ram in Christo Naturarum unionis hypostaticæ 
effectis ( sine loco ). 1612, in-8°., pp. 117 (BB. 
4 nat., ce. 26445 ). 

VI. $. Theologiæ Systema in Academia Se- 
danensi explicatum. Sedan, Jean Jannon, 1617» 
in-12, pp. 183 (BB. 4 nat., 26448 ). It. réimprimé 
dans le n°. IIL, édit. de 1622 et 1656. 

VII. Disputationes tres R. Bellarmini : prima, 
de verbo Dei sertpto et non scripto : secunda , de 
Christo capite ecclesiæ : tertia , de summo Pon- 
tifice ; cum notis et animadversionibus D. Ti- 
lent. Sedan, ibid. 1618 et 1619, 3 vol. in-4°. ( BB. 
4 nat., 13125 et c. 13164 ). Les notes de Tilenus 
ont au moins autant d’étendue que le texte de Bel- 
larmin. 1l trouve étrange que Saint- Augustin , écri- 
vant sur le psaume 126, pense que Salomon soit 
damné. Æugustini de Salomone reprobato in ps. 
126 atrox est sententia, quæ non solum Hiero- 
A2Yrmi sed scripturæ Testimontio refellitur ( Lib. I ). 

VIIT. Controversiarum in Belgicis ecclesiis Lo- 
die ferventium Hypotyposis Dialogistica , cui 
adjecta est Parenesis ad scotos Genevensis dis- 
ciplinæ zelotas. Londres, Guillaume Stanby, 
1620, in-8°., pp. 72 ( BB. 4 nat., c. 26652). It. 
Horne , 1659, in-8°. Tilenus avoit envoyé son ma- 
nuscrit à Jacques [°'., roi d'Angleterre; et ce mo- 
narque, qui aimoit passionnément la controverse et 
s’y croyoit un grand maitre, fit imprimer ce livre, 
quoiqu'il se füt ouvertement prononcé contre l’Ar- 
minianisme dès 1612, et qu'il se fut montré un des 
plus zélés promoteurs de la condamnation de Con- 
rad Vorstius au synode de Dordrecht. Mais Tile- 
nus avoit combattu du Perron, et celui-c avoit 
écrit contre Jacques I‘. ; il n’en falloit pas davan- 


270 Biographie. 
tage pour que ce MORE prolégeät notre mi- 
nistre arminien. 

IX. Traité de la cause et de l’origine du pé- 
ché, où sont examinées Les opinions des Philo- 
sophes payens, des Juifs, des autres Hérétiques , 
des Libertins, Luther, Calvin et autres nouveaux 
qui ont traité cette matière. Paris, Fr. Jalliot, 
1621, in-8°., pp. 88 ( BB. Imp. D. 2, 1241). Ti- 
lenus écrivit ce Traité en faveur de quelques amis 
qui éloient scandalisés de ce qu’il n’assistoit point 
aux assemblées des Réformés à Charenton. Il y ré- 
proche aux Gomaristes de s'être séparés du pape, 
qu’ils accusent de s’attribuer ce qui ne convient qu’à 
Dieu, quoique par une inconséquence frappante, 
ils se permettent d'attribuer à la Divinité ce qui ne 
convient qu'à Satan, c’est-à-dire d'être auteur du 
péché. Il y expose les motifs qu'il a eus de se sé- 
parer de la communion des Calvinistes rigides , et 
consacre le 7°. chapitre de son ouvrage à la réfu- 
tation de l’Æzatome Arminiasmi de du Moulin 
(Leyde, 1619, in-4°.); livre qui provoqua la con- 
damnation des Remontrans au synode de Dordrecht, 
le 19 mai 1619; car l'on sait que Louis XIII ayant 
empêché qu'aucun ecclésiastique Réformé de ses 
états se rendit à cette assemblée, du Moulin, mi- 
nistre de l’église de Paris, qui s’étoit flatté d’acqué- 
rir beaucoup de gloire dans ce synode , conçut tant 
de chagrin de ne pouvoir y assister, qu'il fit par 
écrit ce qu'il ne pouvoit faire de bouche, en com- 
muniquant ses sentimens au concile de Dordrecht, 
dans son Anatomie de l’ÆArminianisme. 

La conclusion de l'ouvrage de Tilenus est que 
l'évangiie consiste en deux points, Ze commande- 
ment de croire et de s’amender , et la promesse 


 Tilenus. 27I 


de vie à ceux qui obéissent , avec menace de 
mort aux réfractaires. Or, dit-il, si Dieu, par un 
décret absolu et précis , veut sauver les uns, dam- 
ner les autres; si pour exécuter ce décret, il donne 
à ceux-là la foi par une force irrésistible, impo- 
sant à ceux-ci une nécessité inévitable pour demeu- 
rer rebelles, en vain les prédicateurs prêchent le 
commandement ‘et provoquent son exécution par 
des promesses et des menaces; leur ministère est 
illusoire et ridicule : ils ressemblent à celui qui, 
dans le milieu d’un cimetière, exhorteroit les morts 
à sortir de leurs tombeaux. La Milletière accuse 
Tilepus, dans son Discours des vrayves raisons, 
d’avoir noirci dans ce Traïté les plus grandes lu- 
mières de la Réforme, et il le qualifie de Hercc- 
aaire des Jésuites. 

X. Advertissement à l’Assemblée de la Ro- 
clelle ( s. loc. ). 1621, in-8°., pp. 30, rar. (BB. 
4 nat., c. 25583). Ir. inséré dans le Mercure fran- 
cais , 1621,t. VII, p. 223—243, où il s’agit aussi, 
t. VIIT, p. 156 —216 des Discussions de Tilenus 
avec la Milletière sur l’Assemblée de la Rochelle. 
Ce dernier observe, dans la préface du Discours 
des vrayes raisons, que Yon a d’abord distribué 
quelques exemplaires anonymes de l_Ædvertisse- 
ment , et qu'ensuite on l’a fait paroiître sous le nom 
d'Abraham ÆElintus (anagramme de Tilenus ), 
docteur en médecine. Tilenus , à la page 10 du w°. 
suivant, dit que ce n’est pas lui qui a publié Fou- 
vrage, ni qui a déguisé son nom. 

La Milletière crut devoir répondre à cet Æver- 
tissement par : « Discours des vrayes raisons pour 
» lesquelles ceux de la religion en France peu- 
» ventet doivenŸ, en bonne conscience , résister 


272 Biographie. 

» par armes à la persécution ouverte que leur 
» font les ennemis de leur religion et de l’estat; 
» par un des députez de l’Assemblée de la Ro- 
» chelle (sine loc. ). 1622, in-8°., pp. 70, ra- 
» rissime. » (BB. Imp. D.2, 1241 )it. la Rochelle, 
1622, in-8°., pp. 96 (20). 

Quoi qu’ait fait la Milletière, sa réponse choqua 
toutes les personnes modérées de son parti. La 
chambre de l’Édit, séante à Béziers, fit brûler l’ou- 
vrage par la main du bourreau, et ordonna qu'il 
seroit enquis du nom de l’auteur. Son arrêt est du 
6 octobre 1626 ( Merc. Fr., & XIT, p.607). Gro- 
tius, remarque Bayle, désapprouva la Milletière 
d’avoir publié un livre si propre à rendre odieuse 
aux puissances la cause des Réformés ( Grotius , 
Æpist. 174 et 1795, part. I, p. 65. — Bayle, art. 
la Milletière , À. a). 

Voici le précis du bel Ædvertissement de Tile- 
nus à l’Assemblée de La Rochelle , que nous avons 
promis à nos lecteurs. 


Le docteur établit d’abord , sur l’autorité des livres 
saints, l’obligation d’obéir aux puissances de la terre. 
Après l'exemple de J. C., qui se soumit au juge- 
ment inique de Pilate, il retrace la mémoire de ces 
premiers Chrétiens, souffrans tout à la fois et do- 
ciles, dépouillés de leurs biens et toujours soumis, 
jusqu’à laisser couler , au gré de la barbarie, le sang 
qu’elle leur demandoit et qu’ils auroient pu défendre 
les armes à la main, au rapport de Tertulien (4pol., 
e. 37), puisqu'ils étoient en assez grand nombre pour 


(20) Tilenus, à la page 10 du n°. x1, dit que cet ouvrage 
r’a pas été imprimé au lieu Qui se voit au frontispice. 


Menns 279 
former des armées; mais qui se faisoient un devoir 
de respecter le sceptre , même dans les mains pro- 
fanes et idolâtres. Il n’oublie pas la belle réponse 
de Saint- Ambroise, qui, se voyant persécuté par 
Valentinien, déclara que de mauvais traitemens ne 
le contraindroient jamais à une démarche peu res- 
pectueuse à l'égard de l'Empereur; qu'il ignoroit 
l'art de se défendre, et qu'un Chrétien ne savoit 
que souffrir. : 

Tilenus rappelle aux Pretestans les faveurs qu’ils 
avoient reçues des rois de France, entretien de gar- 
nisons, d'Académies et de pasteurs, admission aux 
charges civiles et militaires, villes de sûreté, érec- 
tion de chambres mi-parties dans les huit Parle- 
mens, du royaume ; il leur reproche d’avoir perdu 
de vüe les antiques maximes de leurs pères, qui 
soutenoient que la religion ne doit étendre ses con- 
quêtes qu'avec le glaive spirituel, et que c'est par 

la croix et non par l'épée qu’elle triomphe; que la 
vertu s’épure dans les disgraces, et qu’elle s’amollit 
et se perd au milieu des délices. 

Les moyens de l’Assemblée fondés sur l’inexécu- 
tion des édits et des promesses, sont ensuite réfu- 
tés par le ministre. Cyrus, dit-il, ayant rendu la 
liberté aux Juifs, avoit consenti à la réédification 
du temple ; l’entreprise fut traversée et l'ouvrage 
demeura suspendu. Daniel, loin d’abuser de son 
crédit et de l’autorité de sa place, n’employa que 
les jeûnes , la prière et les larmes. Le peuple de 
Dieu, sous la conduite de Zorobabel, respecia la 
déclaration d’Artaxercès, qui défendoit de rebä- 
tir Jérusalem. Vous faites trop valoir, ajoutoil-il, 
les édits donnés en votre faveur. Songez qu'un prince 
ne peut pas tout accorder; le bien de l'état arrête 


} 


274 Biographie. 

quelquefois les mouvemens généreux de son cœur. 
L'inexécution d’une promesse n’est pas toujours une 
injustice ; si elle en a l'apparence, elle est souvent 
le résultat d’une raison supérieure qui domine sur 
les motifs d'une moindre importance. Il n’est point 
de loi politique dont la nature soit de ne varier ja- 
mais. Des circonstances imprévues exigent quelque- 
fois des changemens; et dans ce cas, un souverain 
a autant de pouvoir pour modifier une loi, que son 
prédécesseur en a eu pour l'établir : ainsi le pilote 
qui tend toujours au même but, change toutefois de 
route et de voilure au gré des différentes aires de 
vent qui le maîtrisent, et auxquelles il est forcé 
d’assujétir son art. 

Votre roi vous permet de temps en te: des 
assemblées ecclésiastiques et politiques. Pôurquoi 
prendre ses grâces pour un droit et vous rassem- 
bler contre ses ordres? Conduite audacieuse, con- 
damnée par l’évangile et notre confession de foi ; 
d’ailleurs, à ‘quels périls n'exposez-vous pas les 
églises protestantes ? L’orage qui s'élève contre la 
Rochelle s’étendra bientôt pour les envelopper. 

XI. Examen d’un escrit intitulé : Discours des 
vrayes raisons pour lesquelles ceux de la reli- 
gton prétendue réformée en France peuvent, en 
bonne conscience, résister par armes à La persé- 
cution ouverte que Leur font les ennemis de leur 
religion et de l’estat : où est respondu à l’Ad- 
vertissement à l’Assemblée de la Rochelle; par 
un des députéz en La dite Assemblée. Paris, Nic. 
Buon, 1622, in-8°., pp. 86 (BB. 4 nat., C. 25583). 

XIL Considerations sur Le canon et serment 
des églises réformées , conclu et arreste au sy- 
node national d'Alez ès Cevennes ; le 6 d’oct. 


Tilenus. 279 


1620 , pour l'approbation du synode tenu à Dor- 
drecht en Hollande les ans 1618 et 1619 ( 5. 
loco ), 1622, in-8°., pp. 24 (BB. Imp., D. 2 
1241). (27). 

Le but de Tilenus est de prouver ici que le nou- 
veau serment exigé de toutes les églises réformées 
de France par le synode national d’Alais, pour 
donner force de loi aux canons de Dordrecht, est 
Vain , faux, calomnieux , cmpie, imprudent, in- 
solent, téméraire et présomptueux. I| y blâme 
surtout la précipitation du synode d’Alais, qui ap- 
prouva les canons de Dordrecht, après une simple 
lecture, sans aucun examen. 

XTIT. Canones synodi Dordracenæ : cum no- 
tis et animadyersionibus Tileni : adjecta sunt ad 
calcem Paralipomena ad amicam collationem 
quam cum Tileno, ante biennium tnstitutam , 
nuper publicavit Jo. Camero. Paris, Nic. Buon, 
1622, in-8°., pp- 228 (BB. 4 nat., c. 26652 ); dé- 
dié à Jacques [*., roi de la Grande-Bretagne. 

M. le Clerc s'exprime ainsi sur cet ouvrage : — 
& Tilenus dédia, en 1622, des remarques qu’il fit 
sur le synode (de Dordrecht) au roi Jacques, à 
»* qui il avoit dit que si le Diable, prince des 
Æsprits immondes, eût demandé aux Anges 
» de son parti par quel mensonge il pourrott 
» rendre Dieu odieux aux hommes , il n'en pou- 
» voit employer de plus propre que les dogmes 


vw 
+ 


“” 
+ 


v 


(21) Le synode d’Alais fut présidé par du Moulin, en- 
nemi déclaré de Tilenus. On a de ce ministre : Copie de 
la lettre écrite par M. du Moulin contre le sieur Tilenus, 
aux ministres de France: Paris, Chappellain , 1613,1in-6°. 
PP: 16. (BB. du Panthéon, 7210.) 


276 Biographie. 
ss de Dordrecht. T| l'en fait ressouvenir dans sa 
» dédicace, et.lui dit: ous en lombätes d’ac- 
» cord, Prince sérénissime , et vous m'exhor- 
» tâtes à publier un petit livre que j'avois fait, 
» de la cause du Péché. Tilenus n’auroit osé dé- 
» biter cela si c’eût été un mensonge; et si cela est 
# vrai, le roi Jacques étoit bien changé. Les ex- 
» pressions de Tilerüs étoient sans doute violentes 
» mais il faut qu'on eût trompé le roi au sujet du 
» synode. ss (His. des Prov. Unies, t. IT, p.48). 
Les Paralipomènes contiennent Ja conférence 
que Tilenus eut avec Cameron en 1620, et font 
d’ailleurs connoître les causes qui l’amenèrent, ce 
que la Milletière avoit, selon Tilenus, assez infi- 
dèlement rendu dans le livre suivant, dont il fut 
l'éditeur : Æmica collatio de gratià et voluntatis 
concursu in vocatione , et quibusdam annexis , 
institutam inter D. Tilenum et Joh. Cameronem. 
Leyde, Benoit Mignon, 1622, in-4°., pp. 315. 
(BB. 4 nat., 13114 ). Cette relation de Cameron fut 
imprimée sans approbation de la Faculté de Théo- 
logie, qui, au contraire, y désapprouva certaines 
choses. ( Voyez Rivet, Oper., &. LIT, p. 845, et 
les Œuvres de Cameron, p. 709, édit. de 1692). 
XIV. La Doctrine des synodes de Dordrecht 
et d’Alez, mise à l’épreuve de la practique ; où, 
entre autres mystères , se découvre un moyen trés- 
aisé pour rendre l’homme immortel en ce monde. 
Paris (s. n. d’Imp.}), 1623, in-8°., pp. 32 ( BB. 
Imp. D. 2. 1459. A. ). It. traduit en anglais sous ce 
titre : D. Tileni the Doctrine of Dort and Alez 
reduced to patrice. {n-4°. ( Lipen, 1. I, p. 545). 
XV. Lettres à un Amy, touchant la nouvelle 
confession de foy de Cyrille, soi disant patriar- 


Tilenus.. 277 


che de Constantinople , nouvellement publiée, 

tant en latin qu'en francais (.s. loco ); 1629, 
in-8°., pp. 32 ( BB. Imp. D. 2. 1241 ). Ces lettres, 

au nombre de trois, sont datées de Paris, les 27 

juin, 1°. et. 10 juillet 1629; elles roulent sur les 

matières de la prédestination et de la grâce. 

XVI. Réponse aux articles proposes par quel- 
ques ministres de Hollande. 1630, in-8°. It. trad. 
en bas allemand, par J. UYTENBOGARD. 

XVII. Cattenburgh lui attribue encore : Préser- 
vatif contre Les Lettres des docteurs et professeurs 
de la Suisse. Cet ouvrage, écrit en hollandais, a 
paru sous ce titre? Æzridote tegens de Myssive 
der Leeraren en Professoren in Switserlant. 

XVIII. Cinq Lettres de Tilenus , insérées dans 
le livre suivant : Limborch, Præstantiorum vi- 
rorum ÆEpistolæ Ecclestasticæ et Theologiceæ. 
Amst, Fr. Halma, 1704, in-fol. — TI. Sranislao 
Podlovio. Paris., 9 nov. 1623. Epist. 427, p. 698 b. 
— IL Simoni Episcopio. Paris., 1 maïi 1625. he 
437, p. 718 b. — TILL. Hugoni Grotio. Paris., 
aprilis 1632. Epist. 509, p. 768 a. — IV. Fa 
Uytenbogardo. Paris, 20 juillet, Lettre 512, pag. 

770 (écrite en français). — V. Hugoni Grotto. 
Paris., 15 augusti 1632. Epist. 515, p. 768 a. 

Tilenus joint à sa lettre à Uytenbogard deux co- 
pies de son testament ; l’une en latin, pour être 
remise à l’exécuteur testamentaire, l’autre en fran- 
ais, pour être communiquée à ceux qu’il convien- 
dra , « pour servir, dit-il, à faire voir la rétracta- 
» tion de la doctrine contenue en mon Sy2tagma. 
 ....... Je composai, en parlant de “AR un 
ss autre Traité en forme -de dialogue; si vous dé- 
# sirez, je vous le pourrai envoyer. Je l’avois fait 


278 Biographie. 

»# en intention de le faire servir, non-seulement dé 
» palinodie, mais aussi d’un essai de réconcilia- 
» tion, auparavant ce malheureux synode de Dor- 
» drecht, que la plaie de l’église n’étoit pas encore, 
» à mon opinion, devenue fistule et ulcère incu- 
rable , telle que je la vois maintenant....... Je 
» n’apprends plus rien de l'état de nos frères ( les 
5 Arminiens) près de vous. Ce nombre est si pelit 
s# ici, que nous pouvons bien dire : Ubi duo vel 
» Lres ; ibi ecclesia , etiamst sint Laïct. 

XIX. In wiri clariss. Sc. Sammarthani obi- 
tum ; pièce de 22 vers latins , imprimée à la pagé 
44 du Tuimulus Scævolæ Sammarthant, joint au 
livre intitulé : Scævolæ Sammarthani Poemata. 
Paris, Jacques Villery , 1629 , in-{°. (BB. 4 uat., 
11270 ). 

On a soupçonné Tilenus d’être l'auteur de l’Ærztr- 
Coton, 1610 in-8°.; ouvrage sorti de la plume de 
César de Plaix, et faussement aftribué à Pierre du 
Moulin, à Casaubon et à Pierre du Coignet (Fabre, 
Catalog. de la BB. d'Orléans, p. 311). 

Du Pin attribue en outre à Tilenus : Ze Miroir de 
l'Antechrist. Sedan, 1602, et Relation d'une 
dispute. Harderwick, 1656. ( BB. Des auteurs héré- 
tiques , p. 1069.) Il est à présumer que ces deux 
écrits sont l’exegesis aphoristica, et les paralipo- 
mena. Voy. les n°. I et XILL. 

Les auteurs qui ont servi à composer cette notice 
sont : LIPEN, BB. Theolog., t.1, p.65, 139, 290, 
532, 745. — BB. Barberina,, p.464. — BB. J.R. 
Impertazr, Card., p. 493.— BB. Bazuz., t. IL, 
p. 917.— BB. Telleriana ; p. 74 , 138. — Grono- 
vius et Havercamps, Catal. BB. Lugd. Batavæ , 
P- 78: 84: 97. — CATTENBURGH, BB. Script. re- 


Le à 


» 


LA 


Tilenus. 279 


monstrantium. , P. 130—133 (22). — D'AUBIGNÉ, 

. Notes sur la Conf. de Sancy , ch. VHI et IX. — 
Bayce, Dict. crit., art. CAMERON. À. a. b. — Ælie 
Benoîr, Hist. de l’Edit de Nantes , t. IL, p"132, 
368, 422 et suiv. — NiceroN , t. XLI, p. 313 et 
317, art. LA MiLLETIÈRE. — ARCÈRE, ist. de la 
Rochelle, t. IT, pag. 159. — Le Lonc, ÆHist. du 
Laonnois , p. 487. — P. NoRgERT, ist. chron. 
(mss°.) de Sedan , ann. 1509, 1602, 1611, 1617 et 
1619. — Prosper MarcHAND, Diet. hist, t. IT, 
153 a. — LAROCHE, Mémn. lit. de la Grande-Bré- 
tagne, t. XV, p. 177. — Ger. BRANDT, Hïst. dé 
la Réformation des Pays-Bas(trad.)t. I, p.426; 
t. IL, p. 228, 229, 265, 325, 340, 396. BARBIER; 
Dict. des Anonymes, t. 2,p. 563. 


BouLrior. 


(22) Amst., Balthazar Lakeman, 1728 ; in-8°., pp. 164. 

. L'auteur donne une notice assez complèté, mais peu soignée 

des ouvrages de Tilenus ; ce qu’il dit d’ailleurs de la per- 
sonne de ce professeur , se réduit à sept lignes. 


MÉLANGES. 


SUR l’Éloquence des Feux. 


Ds que les yeux sont le miroir de l'âme, n’est- 
ce pas indiquer que les plus secrètes opérations 
de cette belle partie de nous-mèême se peignent 
sur ces Organes extérieurs, qui nous les trans- 
mettent sous leurs diverses couleurs? Le mora+ 
liste, dont l'attention se borne aux simples phé- 
nomènes que lui offre l'observation dans la plu- 
part des cas de son ressort, admire le pouvoir du 
génie créateur qui forma une correspondance si 
intime entre le foyer du sentiment et cette faculté 
extérieure qui le met en évidence. Satisfait des 
apparences qu'il peut découvrir, il Les fait servir à 
ses vues ; et empruntant alors ses matériaux de 
l'histoire du cœur humain , il forme une doctrine 
qui ne peut qu'avoir ses avantages dans la mo- 
rale. Le scrutateur des phénomènes de la nature 
vivante va plus loin; tout occupé de trouver les 
causes qui animent des organes si éloquens, il 
développe , à l’aide de son scapel, ces filamens 
nerveux dont les dernières ramifications dispa- 
roissent dans leur intime structure , et par une 
marche rétrograde , il les suit jusqu’au centre 
de cette moelle pulpeuse que renferme le crâne, 
et que se laissent à examiner d'âge en âge les ana- 
tomistes, si peu heureux jusqu'ici, pour en cons- 
tater l’intime organisation. Il voit un commerce 


plus 


Eloquence des yeux. 261 


plus ou moins actif, établi non-seulement entre 
les organes qui perçoivent du dehors et ceux qui 
au dedans modifient la perception ; mais encore 
l'émotion secondaire que le cœur en éprouve, 
lequel, par une sorte de réaction, manifeste la 
part qu’il a dans ces étonnantes opérations. Sans 
avoir examiné les ressorts cachés dont le jeu 
produit d'aussi singuliers effets, les favoris des 
Muses n’en furent pas moins portés à les exprimer 
dans les divers tableaux où ils représentent les 
hommes agités de quelques passions propres à 
donner une grande énergie à leurs pinceaux. 
Que d’épithètes brillantes la poésie ancienne et 
moderne ne nous offre-t-elle pas pour caracté- 
riser cet état paisible de l’âme qu’on remarque 
chez l’homme probe en n'interrogeant que ses 
yeux ? Et lorsqu’au milieu des orages de la vie 
le destin s’appesantit sur lui, l'espérance qui luit 
encore sur eux , n'offre-t-elle pas les agréables 
expressions d’un sage dévoüment au malheur 
qu'il ne peut éviter. L’orgueil, la colère, l’en- 
vie et la crainte ont choisi ces organes pour offrir 
des indices auxquels on puisse les reconnoitre. 
Quel auroit été la force du guos ego dans l'E- 
néide , si les yeux du Dieu courroucé qui le pro- 
nonce n’avoient eu aucune part à la passion 
qui l’agitoit. Homère, malgré toute sa divine 
éloquence , est moins expressif lorsque dans son 
Odyssée il fait parler le furieux Antinoüs comme 
il suit : 


” SD / 5} ‘ 
Toïoiy de ‘Avrivoos periQn Eumulos vis 


T. F. Octobre 1806. S 


282 Mélanges. 
’Aspyugesvos" Méveos dE piye Qpéves auQiuEthavat 
Déurnor , droit dé oi muph Aopémérouvré ti Tyve » 
Le fier Antinoüs, le désespoir dans l’âme, 


Se lèvé, et de ses yeux lancé des traits de flamme. 


Ovide, ce peintre fidèle des passions humaines, 
ne peut mieux caractériser dans son premier livre 
De amoribus, les effets de la colère ,qu’en disant : 


.......... Oculis quoque pupula duplex 
Fulminat, et geminum lumen, ab orbe redit. » 


Et cette douce passion qu'un Dieu bienfaisant 
renferma dans le fond de nos cœurs, pour exciter 
tout ce qui jouit de la vie à se reproduire à 
l'époque où les organes ont acquis toute leur 
perfection , l'amour , ne se manifeste-t-il pas 
plus encore par le langage des yeux que par 
celui qu'articuleroient les organes de la parole? 
Lorsque Antiochus, desséché par le feu que fait 
naître en lui la beauté de Stratonice , est sur le 
point de descendre dans la nuit du tombeau, 
n'est-ce point dans ses yeux que le médecin 
Erasistrate commence à découvrir la source des 
maux de ce jeune prince et le seul remède qui 
puisse le sauver? L'auteur de l’Eclésiaste n’igno- 
roit pas sans doute le pouvoir de ce double or- 
gane , au milieu de l’extase que procure la jouis-. 
sance de l’objet qu’on aime tendrement , et les 
épithètes d’oculi pleni, putres, adulterii, oculi 
fornicantes , oculi columbarum , etc., etc.... 
désignent-elles autre chose, sinon que c’est par 
eux que le feu de l'amour se manifeste? Le 


Eloquence des yeux. 283 


charmant Anacréon , en commandant le portrait 
de sa maitresse, n'oublie pas cette intéressante 
partie : Quant à ses yeux, dit-il, qu'ils soient 
tout de feu, brillants comme ceux de Minerve 
et humides comme ceux de Vénus. 


To dE Bain v0y &Anb@s 
Aa TÔV TUPOS Togo, 
Aub yaauxoy ds Alme, 
Apa à dypo ws Kulypne. » 
Le Tasse, qui a fait un si bel usage de nombre 


de beautés de Virgile, en offrant Renaud aux 
pieds de la belle Armide, dit : 


Ei famelici sguardi avidamente, 


In lei pascendo si consume e strugge. 


_ Un poëte français du dernier siècle dit à ce 
sujet : 


* Le langage des yeux est d’un charmant usage; 
À deux cœurs bien unis il offre mille appas ; 
.-Mais à quoi sert ce jangage, 


Si l’un des deux ne l'entend pas? 


Ces divers phénomènes qui se manifestent ainsi 
dans les yeux que la passion anime, dérivent 
d'une intensité plus grande de vie dans leur tissu 
nerveux , et dans les muscles qui servent à les 
mouvoir. Ces muscles, en effet, ont une bien 
plus grande quantité de ramifcations nerveuses, 
proportion gardée quant à leur volume, que 
toute autre partie musculaire, Ici l'énergie sensi- 
üve et locomotive agit de concert pour modifier 
les opérations de la vie, en élever ou en abais- 


284 Mélanges. 


ser le ton, de manière à répondre aux impressions 
premières du sentiment, et laisser en quelque 
sorte apercevoir l'âme toute nue à travers ce 
transparent. Le plus grand nombre des obser- 
vateurs a bien remarqué que les yeux avoient 
aussi leur part dans l'expression du langage or- 
dinaire, mais ces observateurs ont moins été que 
les médecins à même d’en sentir toute l’élo- 
quence. L’unique étude de ceux-ci étantl'homme 
et les modifications que les : passions impriment 
sur son visage : ils ont mieux apprécié les chan- 
gemens qui lui survenoient que les premiers, qui 
n’ont donné qu'une foible attention à ces phéno- 
mènes particuliers ; j'en excepterai cependant le 
Spectateur anglais , dont la doctrine est si agréa- 
blement assaisonnée de sel attique , qu’on le lit 
toujours avec un nouveau plaisir. Je crois ne 
pouvoir mieux appuyer ce que je viens de dire 
sur cet intéressant objet qu'en rapportant une 
lettre extraite d’un numéro de cet ouvrage, où la 
vérité va de pair avec l’observation. Ce morceau 
n’a point encore été traduit , et c’est par lui que 
je terminerai. 


A M. LE SPECTATEUR. 


« Je suis fâächée, car c’est une femme qui 
parle , de voir dans ce que vous nous avez déjà 
dit sur les yeux, que vous n’ayez pas profondé- 
ment étudié la nature et le pouvoir de ces or- 
ganes chez les personnes douées des inapprécia- 
bles avantages de la beauté. Si vous aviez res- 


Eloquence des yeux. 299 


senti les feux de l'amour, vous auriez eu mille 
choses à dire auxquelles vous n’avez vraisembla- 
blement point pensé ; mais fixez un moment vo- 
tre attention sur les nuances que chacun d’eux 
peut produire dans les affections que l'état so- 
cial multiplie à l'infini ; considérez les flammes 
qu'ils allument chez la plupart des hommes, les 
transports qu'ils excitent en eux , l'abattement 
où ils jettent les ‘plus braves, et si vous croyez 
alors que les choses vont jusqu’à l’extravagance , 
vous n’en ayouerez pas moins que leur influence 
est bien grande pour porter jusqu’à la déraison 
l'étre le plus sensé. Il est certain que toute la 
force de l’âme semble se concentrer sur ces 
organes ; et qu'un doux regard offre en un mo- 
ment tout ce que le discours d’une année ne 
sauroit développer. Quelque chose que vous dise 
-une belle , voyez comme elle vous ‘regarde , tel 
est le langage de ceux qui ont connu l'amour. 
Quand âme revient ainsi sur elle-même pour 
manifester ses intentions par l'expression des 
yeux , n’avez-vyous jamais observé quelle joie 
subite anime tous les traits d’un amant? N’avez- 
vous pas remarqué comme la servitude de plu- 
sieurs années est récompensée et plus que ré- 
compensée en un instant? Vous êtes observateur, 
et vous ignoriezqu'une aflection intérieure puisse 
- se reconnoitre par le seul état des yeux ? L’édu- 
cation à pu falsifier à la longue les sentimens du 
cœur; mais la nature s’est réservé l'œil, pour 
qu'on ne puisse pas entièrement la représenter 
sous des traits qui lui seroient étrangers. Une 


286 Mélanges. 

jeune personne à l'autel de l'hyménée , peut ten- 
dre d’un air languissant la main à l’homme à 
qui la livrent des parens avares ; mais quand elle 
prononce : Je vous la donne, que son regard 
est différent de celui qu’elle manifesteroit si elle 
l'offroit à son bien aimé : le chagrin siége alors sur 
ses yeux , et la répugnance se peint sous le voile 
humide dont ils se couvrent en ce fatal moment. 
Si vous allez quelquefois à la comédie , n’avez- 
vous pas remarqué une grande différence dans 
les yeux des gens qui ne sont venus que pour voir, 
d'avec ceux des personnes qui ne s’y trouvent 
que pour être vues? Je suis une femme d’envi- 
ron trente ans, peu faite pour observer ; cepen- 
dant si vous m'aviez consulté sur ce que vous 
avez dit relativement aux yeux, j'aurois pu ajou- 
ter que ceux de Léonore se tiennent finement 
sur leur garde, au moment même où ils sem- 
blent être dans la plus grande indifférence; leur 
attention se dirige sur tout ce quientoure cette 
belle, sans qu’elle emprunte le secours du verre 
dont vous vantez le pouvoir; cependant à en 
juger d’après leur mouvement,on ne les croiroit 
fixés que sur les objets qui sont devant elle. Ceux 
de Lusitanie sont des armes propres à donner 
la mort; mais leur dessein étant trop évident, 
l'effet en devient nul, malgré la possibilité pour 
elle de s’en servir beaucoup mieux que ILéo- 
nore, qui sait, avec moins de beauté, faire 
un meilleur usage des dons de la nature. Notre 
ville renferme dans ses murs la fille d’un brave 
soldat, dont les yeux ont fait plus d’homicides 


Eloquence des yeux. 287 


que son père ne fit fuir d'ennemis. Deux beaux 
yeux donnent une bien grande éloquence au 
silence , la douceur dans ces interprètes du sen- 
timent , fait qu'un refus a la force de l’acquies- 
cement. Cette petite partie de nous - mêmes 
donne de la vie à tout ce qui nous entoure ; 
aussi suis-je persuadée que l'histoire d'Argus 
ne signifie rien autre chose, sinon que les yeux 
reçoivent les influences de toutes les parties 
du corps; c'est-à-dire que toutes les parties 
seroient nulles si leur pouvoir n'étoit pas mieux 
représenté par l'énergie des yeux que par celle 
qui leur est propre. Mais ceci est inintelligible 
à ceux qui ne connoissent point le langage que 
peuvent tenir les organes qui fixent notre atter - 
tion. Dans ceux-ci, Monsieur, il n’y a aucune 
erreur à craindre, et jamais un bon observateur 
ne se laissera tromper à cet égard, fût-ce par 
les politiques , ou même par les courtisans. 


Pr. Perir-Rapez , Prof. en médecine. 


ROMANS. 


ÊLISABETEH, ou les Exilés de Sibéries 
par Mme. CoTTIN. À Paris, chez Giguet 
et Michaud, rue des Bons-Enfans. 


Dicranons respectueusement à Mme, Corrin 
que , si quelques critiques minutieux se permet- 
tent, ouse sont permis , de ne pas tout admirer 
dans ses écrits; s'ils y ont quelquelois relevé de 
légères incorrections; s'ils eussent désiré qu’elle 
ne cédât pas à la mode éphémère des romans dé- 
vots , au-dessus de laquelle la nature , sa raison, 
son éducation l'ont placée ; c’est principalement 
parce qu’ils voudroient que tout ce qui sort de 
sa plume füt entièrement digne d’elle. 

Il faudroit être de bronze pour ne pas éprouver 
une vive émotion aux beaux passages de Claire 
d’Albe , de Malvina, d'Amélie de Mansheld sur- 
tout, et de Mathilde. Il faudroit être de roche 
dure pour ne pas verser vingt fois des larmes à 
la lecture d'Elisabeth. 

C’est en s’essuyant les yeux que la plus grande 
sévérité peut remarquer les trois ou quatre im- 
perceptibles taches de cet aimable ouvrage. 

Une jeune et pauvre fille, de moins de 18 
ans , part des exirémités reculées de la Sibérie , 
fait huit cent lieues seule , sans secours, pour 
demander la liberté de son père exilé dans ces 
affreux déserts. Elle arrive à Pétersbourg , se 
jette aux pieds de l’empereur Alexandre , et en 


Elisabeth. 269 


! obtient la grâce qu’elle implore. Voilà le fait : il 
est vrai. 

Mme, Cottin convient qu’elle a plutôt affoibli 
que relevé ce sujet si touchant par lui-même , 
en donnant à Elisabeth une grande naissance , 
un amant, des protecteurs, quelque assistance 
au Comniencement de son MOTÉS ,etren plaçant 
le dénouement à Moscou , ce qui abrège la route 
de deux cents lieues. 

D'où vient donc le charme de ce roman, dont 
l’auteur reconnoît qu'il n'a pas embelli le fonds 
que lui donnoit l’histoire ? 

Il vient de la parfaite vérité, de l’exquise beauté 
des détails. 

Quelques auteurs croient montrer de l’imagi- 
nation en compliquant des événemens extraordi- 
naires et des circonstances bizarres. 

Ce n’est point avec ce genre d'imagination 
qu'on passe à la postérité. Mais deviner et peindre 
ce que dans un petit nombre de situatioñs inté- 
ressantes penseront, sentiront, diront, feront 
des âmes très-nobles et très-sensibles , ne pas 
s’y tromper d'un mot, voilà l'imagination que le 
cœur inspire et qui parle au cœur, l'imagination 
qui touche les hommes vertueux , les femmes 
tendres, les esprits justes, les caractères élevés, 
quienchaîne tous les suffrages dignes d’être comp- 
‘tés pour quelque chose.’ 

Mme. Cottin suppose que Pierre Springer , 
père d'Elisabeth , étoit Stanislas Potowsky, ma- 
gnat polonais , envoyé en Sibérie par un mo- 
narque russe, absolu et soupçonneux. 


290 Romans. 


I! y a quelque inconvénient dans les romans 
qui se lient à l'histoire, d'employer des noms 
connus et des époques remarquables. 

La famille Potowska, ou, selon la véritable or- 
tographe de son nom, Potocka , est bien une des 
plus illustres de la Pologne ;et un membre de cette 
famille a effectivement été victime en Russie de 
son courage patriotique ; mais c’étoit le comte 
Jgnace Potocky , et non pas Stanislas. I ne fut 
pomt envoyé en Sibérie ; mais dans les cachots 
d'une très-dure prison d'état, avec le brave Kos- 
ciusko et l'aimable Niemscewicks ; et ce ne fut 
pas un monarque, c’étoit l'impératrice Cathe- 
rine seconde, aux vertus théâtrales, à l'immora- 
Jité réelle, qui l'y avoit plongé. Il.en a été déli- 
vré, ainsi que ses compagnons d’infortune, par 
le fils de cette souveraine , l'empereur Paul, qui, 
dès les premiers jours de son règne , fut visiter 
ces nobles martyrs de la liberté polonaise , .et 
brisa leurs fers, 

Mme, Cottin tire dans ses descriptions un heu- 
reux parti de quelques connoissances botaniques ; 
et, ce qui vaut mieux , elle n’en abuse pas ; elle 
ne suspend point par le tableau des choses, la 
peinture des sentimens : ce qui indique le site 
lui suffit ; elle a saisi la juste proportion de poësie 
descriptive que le roman exige ou permet. 

Quelques négligences bien rares s’y trouvent 
mélées. On me rrisse point des étoffes avec des 
peaux de rennes. On ne trouvera ;pas dans la se- 
conde édition guand et que, malgré l'exemple 
de cette locution donné par des écrivains d’ail- 


Elisabeth. 291 


leurs excellens. Le jeune Smoloff n’y dira point 
à la même page : « Il est impossible que vous 
» songiez à une telle entreprise avant les beaux 
» jours. Je vous reverrai dans guelques jours. 
» Mon père ne punira pas le vôtre d’avoir donné 
» Le jour à une fille si vertueuse. » 

Mais on y admirera encore cet abrégé del’édu- 
cation d'Elisabeth. « Souvent assise entre ses pa- 
» rens, elle leur lisoit tout haut des passages 
» de l’histoire. Springer arrétoit son attention sur 
tous les traits qui ponvoient élever son âme, 
» et sa mère Phedorffsur tous ceux qui pou- 
» voient l’attendrir. L’un lui montroit toute la 
» beauté de la gloïre et de l'héroïsme; l'autre 
» tout le charme des sentimens ‘pieux et de la 
» bonté modeste. Son père lui disoit ce que la 
» vertu à de grand et de sublime; sa mère ce 
» qu’elle à de touchant et d’aimable. Le pre- 
» mier lui apprenoit comme il l’a faut révérer, 
» celle-ci comme il l'a faut chérir. — De ce 
» concours de soins, il résulta un caractère cou- 
rageux et sensible, qui, réunissant l'extraor- 
naire énergie de Springer à l’angélique dou- 
»-ceur de Phedora , fut tont à la fois noble et 
» fier comme tout ce qui vient de l'honneur, 
» tendre et dévoué comme tout ce qui vient de 
» l'amour. » 

La famille habite, sur le bord d’un lac, une 
cabane , où il lui est défendu de recevoir per- 
sonne, dont il est défendu à tout le monde d’ap- 


procher. 
Là, Springer disoit : «Ces vertus qui devroient 


» 


» 


» 


292 Romans. 

» faire ma joie font mon désespoir, quand je 
» pense qu'à cause de moi elles demeuréront en- 
» sevelies dans ce désert; qu'à cause de moi mon 
> Elisabeth ne sera point connue , ne sera point 
» aimée. » La jeune fille l’interrompt vivement 
par ces mots : « O mon père! mme voici entre ma 
» mére et toi, et tu dis que je ne serai point 
» aimée ! » 

Peut-être le père se reproche-t-il trop d’avoir 
causé les malheurs de sa femme et de sa fille. 
Quelque infortune qui puisse en être la suite pour 
soi, pour les siens, on rêve repent point d’avoir 
aimé sa patrie, d’avoir combattu pour elle. 

Springer a deviné le projet héroïque de sa fille, 
qui le presse de lui apprendre son véritable nom , 
Sa patrie, ses malheurs. — « Mes malheurs! je 
» n'en ai plus ; ma patrie, où je vis près de toi ; 
» mon nom, l’heureux père d’Elisabeth. » — 
» O mon enfant ! » s’écrie Phedora, « je pourrai 
» donc t'aimer davantage, tu viens de consoler 
» ton père. » 

En combattant un ours il court un grand dan- 
ger. Le fils de M. de Smoloff, gouverneur de 
Tobolsk, lui sauve la vie. Quoiqu'elles ne l’aient 
jamais vu, Elisabeth et Phedora ont pour ce 
jeune homme la reconnoissance exaltée que mé- 
rite un si grand service. 

Un soir Springer rentre plus tard que de cou- 
tume. Les deux femmes s’alarment; la mère 
gémit à la porte de sa maison, la fille court le 
chercher dans la Steppe et dans les bois. Elle y 
rencontre un homme qu’elle prend d’abord pour 


2 


Elisabeth. 295 


lui, mais qui est Smoloff. Elle demande s’il a vu 
son père, l’exilé de la cabane du lac. À peine 
a-t-il répondu qu'il le quitte depuis peu de temps, 
et qu'il doit être de retour chez lui, qu'Elisabeth 
part comme un trait pour le rejoindre. Smoloff 
la suit, et la trouve dans les bras de ses parens. 

La nuit et la route sont périlleuses. Les loups 
sont en grand nombre ; Springer veut reconduire 
son bienfaiteur. Phedora s’y oppose; on lui donne 
asyle jusqu’au lendemain. En les quittant, il les 
prie de lui dire s’ils n’auroient pas quelque chose 
à obtenir du gouverneur; la pieuse Phedora dé- 
sire qu’on lui permette d’aller le dimanche à l’é- 
glise dans le bourg le plus voisin. Springer ne 
veut rien. Elisabeth demande : « Ne reviendrez- 
» Vous pas nous voir ? » 

Elle a déjà jugé que, puisqu'il est si bon, il 
pourra lui donner au moins les instructions né- 
cessaires à son voyage. 

Il revient en effet apporter à Phedora et à Eli- 
sabeth la permission d'assister au service divin. 
Mais il n’a la liberté de retourner à leur cabane 
que cette seule fois. 

« Cette visite devoit être la dernière. Le jeune 
» homme l'avoit juré à son père. IL étoit cruel- 
» lement affligé de tant de rigueurs. Mais en s’a- 
» yançant vers la demeure d'Elisabeth , insensi- 
» blement sa tristesse se changeoïit en joie ; et 
» il sentoit moins le chagrin qu'il auroit à s’en 
» éloigner, que le charme qu'il alloit goûter à la 
» revoir. Dans la première jeunesse, dans la pre- 
» mière passion , la jouissance du bonheur pré- 


294 Romans. 


» sent a quelque chose de si vif , de si complet, 
» qu’elle fait oublier toute autre pensée, On est 
» alors trop occupé d'être heureux pour songer 
» si Ole sera toujours; et la félicité remplit si 
» bien tout le cœur, que la crainte de la perdre 
» n’y peut trouver place. » 

Elisabeth n’est point à la maison ; elle exerce 
ses forces dans le désert pour se préparer à son 
voyage. 

Smoloff pälit,. rougit ; il ne peut s'empêcher 

de parler d’elle à tout moment. « Son trouble ré- 
» vèle aux exilés une partie de son secret. Peut- 
» être éñ devient-il plus cher à Phedora. Cet 
» amour, dont sa fille étoit l’objet , flattoit vive- 
» ment son orgueil, et ce n’est pas un foible 
orgueil que celui d’une mère. » 
Une tempête effroyable s'élève. Springer et 
Smoloff vont à la recherche d’Elisabeth. Ils di- 
rigent leurs pas vers un village ruiné dont il ne 
reste que le cimetière et une petite chapelle de 
bois, terme ordinaire de ses courses; elle s’y 
étoit réfugiée et endormie pendant l'orage, après 
avoir prié Dieu pour le succès de la grande en- 
treprise dont elle est sans cesse occupée. 

Elle se réveille et voit son père : Vous veilliez 
donc sur moi ? Elle se lève et aperçoit Smoloff. 
« Ah! dit-elle, tous mes protecteurs veilloient 
» sur moi : Dieu, mon père et vous !» Ils la ra- 
mènent malgré l'ouragan qui dure encore , et 
dont elle se plaît à montrer à son père qu'elle 
sait braver la fureur. 

On revoit Smoloff à l’église. Il reconduit les 


M 
> 


Elisabeth. 299 


deux exilées jusqu’à la distance où il lui est per- 
mis d'approcher de leur maison ; et il demande 
timidement à Elisabeth si elle ne vient pas quel- 
quefois se promener sur le bord du lac. Elle lui 
donne rendez-vous dans la chapelle déserte du 
village abandonné. 

Smoloff alors croit être aimé : il ne l'est pas 
encore ; elle ne voit encore en lui qu'un pro- 
tecteur qui a sauvé Springer , qui a consolé Phe- 
dora , qui pourra l'aider à les retirer de leur 
exil. « Elle l’aimeroit peut-être si le cœur hu- 
» main étoit assez vaste pour contenir à la fois 
» deux passions. » 

Dans cette chapelle , où il a espéré un plus 
doux entretien , elle ne lui parle que du dessein 
d’aller à Pétersbourg supplier l'empereur de ter- 
miner les malheurs de ses parens. Elle ne lui 
demande à lui-même que les instructions néces- 
saires pour sa route. 

Smoloff contient l'expression de sa tendresse ; 
son respect et son amour augmentent. Il promet 
les instructions désirées. Mais au bout de deux 
jours il disparoiît , et l’on est deux mois sansavoir 
de ses nouvelles. 

Elisabeth en est affligée , non point découra- 
gée.—Au moment où elle vient d’avouer à son 
père la résolution qu’elle a formée, et où il va 
lui confier son véritable nom , son rang, ses 
imfortunes , on annonce M. dé Smoloff. 

Ce n’étoit point le fils comme tous les cœurs 
Pavoient cru. C’est M. de Smoloff le père , gou- 
Yerneur de Tobolsk. Il renvoie sa suite : il con- 


296 Romans. 


sole les exilés. Il sait tout. Son fils , en partant 
pour l’armée de Livonie, par ordre de l’empe- 
reur, et sans pouvoir se permettre aucun délai , 
lui a fait part du projet d’Elisabeth, lui a dit à 
quel point il la révère et l'adore, lui a remis une, 
lettre pour elle. 

Le gouverneur, en, recommandant le plus 
profond secret , dont la violation le perdroit lui- 
même , approuvant l’amour de son fils, admirant 
le courage de la jeune personne , lève, enfaveur 
des missionnaires qui viendroient de la Chine, 
la défense faite à Springer de recevoir personne 
dans sa chaumière. 

Quelques jours après un vieux missionnaire 
se présente. Il écoute Elisabeth ; il promet de 
lui servir de guide. Il a reçu de M. le gouverneur 
des instructions et une bourse suffisamment rem- 
plie. 

Springer ne peut pas douter de ce qui va se 
passer. Phedora, qui n’y consent point, le craint 
et s'efforce d’en éloigner l’idée. 

Tous les détails relatifs à cette séparation sont 
vrais comme la nature, beaux comme la belle 
nature. 

Elisabeth part dans la nuit avec le saint vieil- 
lard. Voulant donner un dernier regard à la mai- 
son paternelle , et invoquer de nouveau pour ses 
parens les bénédictions du ciel, elle se retourne 
et voit son père derrière elle : « O mon père ! 
» vous ici! pourquoi, mon père, pourquoi ve- 
» nir ici? — Pour te revoir, t'embrasser , te 
» bénir encore une fois ; pour te dire : Mon Eli- 

» sabeth, 


Elisabeth. 297 


-» sabeth , si durant les jours de ton enfance j'en 
» ai passé un sans te montrer ma tendresse , si 
» une seule fois j'ai fait couler tes larmes , st une 
» parole, un regard sévère ont affligé ton cœur , 
»: apant de l'éloigner, pardonnes, pardonnes à 
» ton vieux père , afin que, s'il n'est plus des- 
» tiné au bonheur de te voir, il puisse mourir 
» € paix. » 

Les commencemens du voyage sont assez heu- 
reux. Les soins du digne missionnaire et l’ar- 
gent dont il est porteur lèvent bien des difficultés. 
Mais aux deux tiers de la route il tombe malade, 
et meurt dans une auberge. [hôte prend la 
bourse du moine , lui fait des obsèques magni- 
fiques , et remet à la jeune fille trois roubles , 
comme le seul reste de ce qui avoit appartenu à 
son protecteur. 

Ici commencent pour Ælisabeth Potocka les 
grands embarras que la véritable Elisabeth à a eu 
à vaincre. 

À Kasan elle trouve le Volga presque entière- 
ment couvert de glaces. Les bateliers ne veulent 
point hasarder le passage. Ils disent qu’il ne sera 
possible que dans quinze jours. «Je vous en prie, 
» au nom de Dieu , leur répond Elisabeth , ardez- 
» moi à traverser le fleuve. — Je viens de par 
» delà Tobolsk; je vais à Pétersbourg demander 
» à l’empereur la grâce de mon pére exilé en 
» Sibérie; et j'ai si peu d'argent , que si je de- 
» meurois quinze jours à Kasan, il ne me reste- 
» roit plus rien pour continuer ma route.» Ces 
paroles touchèrent un des bateliers ; il prit Ehi- 


T. F. Octobre 1806. 


298 Romans. 


sabeth par la main : « Venez, lui dit-il, vous étes 
» une bonne fille, craignant Dieu , aimant votre 
» père : le ciel vous protegera. » 

Il passe , partie dans son bateau; partie en la 
portant de glaçon en glaçon. Elle veut le payer: 
il refuse , et lui donne au contraire une petite 
pièce de monnoie qu’elle reçoit et garde pour 
faire voir à sa mère qu'elle n’a pas été sans 
appui. 

Elle rencontre un exilé qui se désole de n'avoir 
pas un rouble pour faire parvenir une lettre à sa 
fille ; et elle lui donne son dernier rouble. 

Elle trouve des brigands qu’étonne sa formule: 
» Je viens de par delà Tobolsk; je vais à Pé- 
» tersbourg demander la grâce de mon père, » 
et qui, ne lui trouvant que le petit copek du ba- 
telier Kisoloff, la laissent aller en lui témoignant 
‘une sorte de respect. 

Elle arrive à Moscou la veille du couronne- 
ment. On ne veut l'y recevoir nulle part. Elle y 
mendie en vain. Plus délaissée, plus seule dans 
une grande ville que dans les déserts, elle souffre 
la nuit, de la faim, et du froid. La garde l’arrète. 
Ses larmes, et ce qu’elle dit pour sa défense, 
attirent un groupe du peuple que les préparatifs 
de la fête font courir les rues. Un pauvre auber- 
giste prend pitié d'elle, la réclame, la mène à 
sa femme , et le lendemain la conduit à l’église 
métropolitaine où , lorsque Alexandre a prété 
serment de rendre son peuple heureux, elle 
perce la foule en criant : Grace ! grâce! L’em- 
pereur envoie un officier savoir la cause de ce 


Elisabeih. 299 


bruit. Cet officier est justement le jeune Smo- 
loff qui la présente au monarque , et la grâce est 
accordée. On devine le reste. 

Il est facile de voir que la passion de Smoloff, 
placée sur le second plan de cette histoire , le re- 
tour ignoré d'elle-même que lui accorde Elisabeth, 
la haute naissance de celle-ci qu'on dit descendre 
par son père des rois de Pologne , par sa mère 
des princes de Sibérie, et les grandes richesses 
dont elle va rentrer en possession, ont été des 


tributs payés par l’estimable auteur à la foiblesse , 


aux habitudes des lecteurs et des lectrices ordi- 
naires de romans, qui n'y cherchent guère que 
des amours entre d’illustres personnages. Mme, 
Cottin s’en excuse avec raison. Ces mœurs de 
convention affoiblissent la gloire de lhéroïne. 
Mais sans elles le roman eût été bien difficile à 
faire, et n’auroit peut-être pas été lu par vingt 
personnes. Il le sera par vingt mille ; et l’on 
doit pardonner des défauts qui ont mis à la por- 
tée du vulgaire tant de tableaux touchans de la 
piété filiale et de l'amour maternel, propres à 
ranimer tant de vertus domestiques. 


PEN 


D 


LITTÉRATURE SACRÉE.. 


NoTiceE liliéraire et historique sur le 
Livre de Job. 


D: tous les monumens littéraires de l'antiquité 
qui nous sont parvenus à travers les révolutions 
des siècles et les ravages du temps, le Livre de 
Job est incontestablement celui qui remonte à 
l'antiquité la plus reculée. Cette opinion possède 
en sa faveur un degré de probabilité qu’on ne 
peut, selon les règles générales qui déterminent 
nos jugemens , s'empêcher de regarder comme 
équivalant à une certitude morale à toute épreuve. 
Les recherches faites à ce sujet par un gran 
nombre d'hommes dont l'érudition est célèbre, 
tendent toutes à prouvèr que cet ouvrage fut 
écrit environ 2400 ans après l'époque que, suivant 
la tradition presque universellement reçue , nous 
regardons comme celle de la création du monde. 
On ne peut y lire une page sans se sentir pé- 
nétré de cette vénération qu'inspire toujours le 
souvenir des siècles écoulés depuis long-temps; 
on y retrouve à chaque ligne les vestiges de la 
simplicité primitive et patriarchale de ces temps 
de l'enfance de Ja nature, où chaque famille étoit 
un état, dont le père étoit souverain ; où les 
richesses ne consistoient encore qu'en troupeaux 
et en champs; où celui dont les prés s’éten- 
doient au loin, dont les brebis couvyroient le 


Job. 301 
pays, et dont les largesses se répandoient sur les 
malheureux qui l’entouroient, étoit le prince et 
le chef de la terre qu'il habitoit. La haute an- 
tiquité auquel il remonte , suffiroit donc pour 
rendre la lecture et l'étude de ce livre intéres- 
sante et utile; mais outre cet avantage précieux, 
il fournit aux savans de tous les genres une mine 
inépuisable d'observations et de découvertes sur 
les mœurs des arabes , et en général des peuples 
Nomades de l'Orient; sur le degré qu'avoient 
atteint les connoissances humaines , à l'époque où 
le Livre de Job fut écrit, principalement la phy- 
sique, la géographie et l'astronomie ; sur le génie 
de la langue hébraïque , de quelques autres lan- 
gues orientales , les liaisons qu'elles ontensemble ; 
enfin sur un grand nombre de questions d'his- 
toire naturelle et d'antiquité , qui , depuis long- 
temps , font l'objet des plus savantes recherches, 
et dont là seulement on pourroit trouver la so- 
lution. Mais bien plus encore que le savant et 
l'antiquaire, celui qui aime la poésie et l’éloquence 
peut, dans cet excellent ouvrage , trouver de quoi 
contenter son imagination toujours éprise des 
belles descriptions de la nature et son âme tou- 
jours avide d'admirer; tout ce que la passion 
iriste , sombre et déchirante, l'horreur et l'effroi, 
l'indignation , le dépit, le délire de la douleur 
peuvent fournir d'images fortes et lugubres ,; s’y 
trouve épuisé pour ainsi dire; jamais l'athée 
au désespoir ne s’exprima avec autant de force 
et d'énergie; jamais aussi les beautés sublimes 
de la création , la puissance et la bonté divine 


302 Littérature sacrée. : 


qui se répandent sur l'univers ne furent procla- 
mées avec plus de pompe et de grandeur. Dans 
aucun autre ouvrage on ne pourroit citer une 
description des plus belles parties de la nature 
comparable à celle que l’auteur du Livre de Job 
suppose dans la bouche de Jehovah, se décou- 
vrant au milieu d’une nuée éclatante, et repro- 
chant à la créature insensée , qui ose douter de 
sa bonté ou méme de son existence , sa témé- 
rité et son ingratitude. Toutes les images poé- 
tiques de ce Livre sont fortes, hardies , et sur- 
tout puisées dans la nature. La raison en est 
simple; il fut écrit dans un temps où les hom- 
mes, pour ainsi dire, sortoient de ses mains : 
alors ils étoient encore vivement frappés de ses 
beautés ; elles agissoient fortement sur eux. Si 
nous ouvrons l’histoire, nous remarquons en 
effet que si toutes les bon toludes humaines, 
tous les arts qui demandent, pour se perfection- 
ner, les lecons de l’expérience et du temps, ont 
fait d'immenses progrès en traversant les siècles 
de la civilisation, la poésie, enfant de l’imagi- 
nation et de la nature, ne s’est jamais élevée 
aussi haut qu'elle le fit dans les temps qui sui- 
virent immédiatement les premiers jours de sa 
gloire; le génie, pour produire ses chefs-d'œu- 
vres, semble n'avoir besoin que de l'impulsion 
puissante qu'il recoit de la nature : sur les bords 
du temps, et seul au milieu de la création, il 
l'eùt peut-être chantée dans toute sa grandeur ; 
il crée ses richesses plutôt qu'il ne les trouve ; 
il voit et sent tout plutôt que d'apprendre quel- 


Job. 303 


que chose; enfin jamais aucun homme n’en com- 
muniqua une étincelle à son semblable. Le goût, 
au contraire ; qu'on oppose si souvent au génie, 
plus craintif et plus timide, aïme à marcher où 
d’autres ont marché avant lui, à se servir de se- 
cours et de modèles. Les grands maîtres dans 
l'art de penser, de sentir et d'écrire, semblent 
avoir pour lui consacré le fruit de leurs veilles, 
et c'est par la réunion et la comparaison de ce 
qu'ils ont produit, qu’il se forme une règle gé- 
nérale dont il cherche à ne jamais s’écarter. C'est 
le génie qui semble être l'apanage des Anciens ; 
c'est lui qui enfanta la poésie; et plus on re- 
monte vers son origine , plus on la trouve dans 
tout son éclat et toute sa grandeur. L'homme 
placé, en naissant, sur le globe , dut être vivement 
frappé de la sublimité de la création; étonné de 
nen jamais être abandonné, l'ordre constant 
qu'elle continua d'observer envers lui devoit le 
remplir d'admiration. Il concevoit des idées plus 
grandes par la vue même de sa foiblesse et par la 
comparaison qu'il en faisoitavec la grandeur de la 
nature ; et c'est dans ces premiers âges du monde 
que la poésie devoit suriout respirer l’enthou- 
siasme et être animée par l'imagination. La poé- 
sie des Hébreux, la plus ancienne parmi toutes 
celles que nous connoissons , l'emporte aussi à 
mon avis sur toutes les autres pour la force des 
idées , la grandeur des images, l'énergie des sen- 
. timens ; il faut sans doute, pour en apprécier 
les beautés , une connoiïssance approfondie de la 
langue kébraïque , laquelle devenue universel- 


504 Littérature sacrée. 

lèment rare, l'est surtout parmi les littérateurs 
et même les savans français. Cette partie de la 
littérature ancienne a été presque totalement 
négligée parmi nous. En exceptant quelques 
imitations en vers des cantiques Saints, par 
Racine , Rousseau et Pompignan, nous ne pou- 
vons citer un seul homme de lettres qui ait tra- 
duit , avec une apparence de succès, les endroits 
poétiques et les morceaux oratoires de la Bible; 
car dans les traductions informes et rampantes 
qu'on nous en a données , à peine peut-on recon- 
noître, à travers un style plat et des explica- 
tions fausses, quelques faibles lueurs du feu 
dont brille l'original. Cela vient sans doute 
de ce que l'on a tour à tour regardé la Bible 
parmi nous comme dépôt d'une révélation di- 
vine, où comme un objet d’animosité ou même 
de dérision , et presque jamais comme un chef- 
d'œuvre immortel de poésie, d’éloquence et de 
sagesse. Chez nos voisins, au contraire, l'étude 
de la langue et de la poésie des Hébreux suit 
toujours immédiatement celle des Latins et 
des Grecs ; on y admire également , dans leurs 
langues originales , l'impétuosité de la lyre de 
Pindare et la grandeur des images de David ; les 
vers harmonieux d'Anacréon et les doux ac- 
cords d'Asaph; la sensible Sapho et l’altière 
Debora ; le tendre Sophocle; le terrible Euri- 
pide et ANT brülante d'Isaïe ; la sagesse 
et l'esprit de Salomon et les passions Dnbres de 
Jérémie et de Job. En Angleterre et en Alle- 
magne ; les hommes de lettres les plus distingués 


Job. 305 
se sont occupés à traduire ou à imiter les poé- 
sies sacrées. Le célèbre Herder , dans un ouvrage 
intitulé : Sur le génie de la langue hébraïque, en 
développe une profonde connoissance et démon- 
tre , en poëte et en philosophe , les beautés su- 

-blimes dont elle étincelle. Abbt , dont les lettres 
et les sciences ont déploré la mort prématurée , 4 
laissé une traduction pleine de feu et de verve 
des prophéties d'Isaïe , et des notes remplies d’é- 
rudition sur le même Livre. Voss, un des plus 
grands poëtes dont s’honore l'Allemagne , et qui 
vient de l’enrichir d'une traduction en vers d'Ho- 
mère et de Virgile, a fondé les premiers titres de 
sa gloire sur une autre traduction, en vers aussi, 
des psaumes de David, dans laquelle il lutte 
avec avantage contre celle qu’en a laissé Men- 
delssohn , l'immortel auteur du Phédon allemand. 
Mais l'ouvrage qui est l’objet de cette notice à 
toujours eu les premiers droits aux travaux et 
aux recherches des savans et des hommes de 
lettres ; il leur offre d’abord l'avantage de n'avoir 
aucune liaison avec la tradition de la religion 
révélée , et d'être comme exclusivement du res- 
sort de la poésie. Parmi les traductions nom- 
breuses qu'on en a, s’il en est peu qui approchent 
de la sublimité de style qui règne dans l'original, 
on a été plus heureux dans les recherches qui 
ont été faites sur le but que ce livre devoit rem- 
plir, le temps dans lequel il fut écrit, l'auteur 
qui le composa. Mais avant de donner, sur ces 
Gifférentes questions, l'opinion à laquelle je me 
suis moi-même arrêté, je vais exposer le plan 


306 Lillérature sacrée. 


de l'ouvrage , tracer le caractère des person- 
nages principaux, et enfin pour donner une idée, 
quoique bien foible, de cette sublimité de style 
que je trouve dans l'original, je donnerai la tra- 
duction ou plutôt limitation des chapitres les 
plus poétiques. Beaucoup de personnes se refu- 
sent encore à regarder le Livre de Job comme 
une allégorie entièrement de l'invention de l’au- 
teur, et pensent que le héros principal du poëme 
a en effet existé ; qu'on n’a ajouté à la réalité 
des événemens, que l'intervention physique de 
la Divinité, celle de Satan, et la poésie des dis- 
cours de Job et de ses amis, qui en effet se- 
roient venus des différens coins de l'Arabie pour 
le plaindre et le consoler. Mais le plan de l’ou- 
vrage est si grand et en même temps si simple, 
les caractères en sont si heureusement inventés x 
il résulte du tout une morale si touchante et si 
vraie, qu’il est impossible de ne pas y recon- 
noître le seul fruit de l'imagination du génie. 
L'auteur a créé pour personnage principal un 
prince arabe qu'il suppose être comblé de tout 
le bonheur qui peut être le lot d'un mortel. Des 
fils vertueux, des filles chastes et remplies de 
charmes lui faisoient savourer à longs traits le 
bouheur de la paternité. Ses champs s’étendoient 
däns l'Arabie, dont les prés étoient couverts de 
ses troupeaux ; il étoit le .père des malheureux. 
Le voyageur , après avoir parcouru des déserts 
brülants , venoit se désaltérer du lait de ses bre- 
bis, dont la toison couvroit celui que la misère 
avoit dépouillé de ses vétemens. La vertu étoit 


Job. 307 


son idole; son cœur en étoit le temple. Il n'a- 
doroit que le vrai Dieu , le servoit de toute son 
âme : l'infortune devoit être la récompense de 
sa droiture, et son bonheur alloit disparoître 
comme l'ombre fugitive. L'être mystérieux que 
l'antique croyance des peuples nous peint comme 
l'ennemi du genre humain, après avoir par- 
couru la terre, vient de nouveau se présen- 
ter devant le trône de Dieu. » As-tu remarqué , 
dit l'Éternel , mon serviteur Job? comme il est 
inébranlable dans le chemin de la vertu ; avec 
quel soin il évite les sentiers du vice ! L’ennemi 
du genre humain répond, une prospérité sans 
exemple a été répandue sur les jours de ce for- 
tuné mortel; est-il étonnant qu'il suive tes lois : 
mais Ôte un instant de dessus lui ta main pro- 
tectrice, ce cœur aujourd'hui le temple de la 
vertu deviendra celui de la rébellion et du crime. 
Et l'Eternel répondit : Je livre entre tes mains 
son bien et sa fortune ; que sa piété soit mise à 
l'épreuve. 
Et un jour que les enfans de Job, pour en- 
tretenir la douce concorde qui régnoit entre 
eux, s'étoient réunis dans un festin, et qu'ils 
s'abandonnoïent à la joie et aux plaisirs, Job, 
selon l’usage que depuis long-temps il avoit 
contracté, offrit un sacrifice d’expiation, pour 
les fautes qu'à son insu , peut-être, ses en- 
fans avoient pu commettre ; pendant ce temps 
des ravisseurs vinrent enlever les troupeaux de 
Job , le feu du ciel consuma ses chameaux 
et les pasteurs qui les gardoient, un violent 


308 Littérature sacrée. 


orage saisit par les quatre coins la maison dans 
laquelle ses enfans étoient réunis , la renversa 
de fond en comble et les écrasa sous ses ruines. 
Voilà, par un arrêt de la providence, cet 
homme, d'abord au comble du bonheur, dé- 
Pouillé de ses richesses, de ses enfans. .… Il avoit 
appris, comme avec indifférence , la perte de 
ses biens; mais lorsque le troisième messager 
du malheur vint annoncer à ce père infortuné 
la mort funeste d'enfans qu'il chérissoit, il dé- 
chira ses vétemens et répandit des cendres sur 
son front, se roula dans la poussière ; mais 
toujours ferme dans le chemin de la piété et de 
la foi , il proféra ces paroles qui sont encore la de- 
vise de la résienation : « Nud je suis sorti du sein 
» de ma mère, nud je retournerai; l'Eternel le 
» donna, l'Eternel le reprit; qu'il soit toujours 
» béni le nom de l'Eternel. » Mon serviteur Job 
est toujours le plus juste des hommes, dit Jehovah 
à Satan , qui vint de nouveau devant son trône, 
tu me l'as fait injustement accabler de malheurs. 
Si ton bras s’'appesantissoit sur lui-même, il 
changeroit de conduite, dit alors l'ennemi des 
hommes , qui aussitôt obtint le droit de mettre, 
par des fléaux personnels, la piété de Job à de 
nouvelles épreuves. Satan l’accabla de maux, il 
ne put supporter, sans murmure, son funeste 
sort; il osa enfin accuser cette providence qu'il 
avoit révérée toute sa vie, et qui l’abreuvoit 
d'amertume ; et c’est ici que commence la partie 
poétique de l’ouvrage. 


Job. 309 


CHAPITRE 3. 


» Job enfin rompit le silence; il maudit le 

» jour qui lui donna la lumière. Périsse, s'écria- 
» t-il, le jour qui me vit naître, Î1 nuit où 
» retentit l'arrêt de mon existezce! Ténèbres, 
» couvrez-la de vos horreurs! que du haut de 
» son séjour le Tout-nuissant ne jette sur elle 
» aucun regard favorable, qu'aucun rayon de 
» lumière ne lu’ parvienne ! Puissent les noires 
» ténèbres , les pâles ombres de la mort la ré- 
» clamer dans leurs seins , un épais nuage s’ap- 
» pesantir sur elle, et les vapeurs pestilentielles 
» du jour la remplir de leur effroi!... Oui, que 
» l'obscurité s’en empare toute entière ; parmi 
» les jours de l’année, parmi les mois s'écoulant 
» dans le fleuve du temps, que son nom à ja- 
» mais disparoisse. Dans cette nuit d’affreuse 
» stérilité, aucun cri d’allégresse ne doit se faire 
» entendre......O vous qui savez rendre-les 
» temps sinistres, vous toujours prêts à susciter 
» du fond des flots le terrible Léviatan , acca- 
» blez-la cette nuit de vos malédictions toutes 
» entières, ou plutôt perdez votre clarté, astre 
» resplendissant de son aurore ! Qu'elle espère 
» de revoir la lumière......vainement.... et 
» que l'œil éclatant du matin jamais ne brille 
_»_ pour elle; car elle ne ferma pas le sein qui 
# me donna l'existence , elle ne cacha pas devant 
» mes yeux cet affreux séjour de misère. Mal- 
» heureux! en recevant le souffle que n'ai-je 


510 Littérature sacrée. 


» 
» 
» 
» 
» 
» 
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» 
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2) 
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» 
» 
» 


» 


aussitôt cessé de vivre! que n’expirai-je après 
les premières carresses de celle qui me donna 
le jour! Falloit-il qu’ils vinssent au-devant de 
moi , ce sein, ces genoux maternels qui m'ont 
élevé et nourri ? Hélas ! tranquille et en repos, 
la paix seroit avec moi. . ..Je dormirois en- 
core dans le vaste néant , à côté de ces rois, 
de ces juges suprêmes de la terre, qui ont 
élevé des ruines pour monumens de leur 
grandeur , de ces princes avides d'or, rem- 
plissant de richesses leurs palais. ... Ou sem- 
blable à l’avorton chétif, privé de la lumière 
avant d'en être frappé, je n'aurois jamais 
vécu. Là, dans ce sombre royaume, cesse 
la fureur des méchans et les efforts infatiga- 
bles de l'ambition : tous les captifs enchai- 
nés y trouvent le repos.... sous ces voütes 
éternelles , la voix effrayante de l'oppresseur 
jamais n'a retenti. Les foibles et les puissans 
s'y trouvent ensemble. C’est là seulement que 
les fers tombent devant le tyran des mains 
de son esclave. Et pourquoi accabler l'infor- 
tuné des funestes dons de la lumière; du 
fardeau de la vie, celui dont l’âme ne se 
rassasie que d’amertume, dont la mort, la 
mort seule est l'espoir, l’inutile espoir, qui 
plutôt que les trésors les plus précieux, la 
creuseroit du fond des abimes, et dont le cœur 
à l'aspect seul des tombeaux peut encore 
tressaillir de joie ? Pourquoi la donner cette 
vie malheureuse à l’homme destiné à errer 
toujours dans un chemin ténébreux dont l'E- 


Job. 511 


» ternel lui-même ferma l'issue , et qu’il hérissa 
» de ronces? Des gémissemens sont devenus 
» mon unique nourriture ; comme les flots des 
» torrens qui se précipitent, mes soupirs , les 
» cris de mon désespoir ne cessent de se faire 
» entendre; à peine une terreur s'est-elle em- 
» parée de moi, que le malheur est devant mes 
» yeux; mon âme n'a pas COncu une crainte, 
» que ce que je redoutois ne me saisisse. Re- 
» pos, paix, bonheur, je les ai perdus ; rage et 
» désespoir me restent. 

Mais les amis de Job ayant appris le funeste 
sort qui soudain était venu fondre sur lui, arri- 
vent des différens coins de l'Arabie pour le 
plaindre et le consoler. Ils s’assirent avec lui sur 
la cendre, et comme lui vaincus par la douleur, 
restèrent trois jours et trois nuits sans proférer 
une parole; mais lorsqu'ils virent que Job mau- 
dissoit le jour qui l’avoit vu naître, qu’il repro- 
choit à la providence de ne l'avoir tiré du néant 
que pour l’accabler de malheurs , ils rompent le 
silence , lui reprochent sa lâcheté et sa foiblesse, 
lui rappellent son ancienne piété, lui parlent 
de la sagesse de Dieu qui souvent d’un bras 
frappe, pour guérir et donner de l'autre, dont 
les récompenses et les châtimens sont peut-être 
cachés dans un autre monde, qui souvent n'ac- 
cable le juste que pour mettre sa piété au jour, 
ne fait durer la prospérité du méchant que pour 
rendre sa chüte plus éclatante. Les discours que 
l’auteur met dans la bouche de ces personnages 
secondaires , offrent aussi des descriptions et 


312 Littérature sacrée. 


des peintures poétiques. Plusieurs de ces chapi- 
tres pourroient être traduits comme faisant partie 
des plus beaux morceaux de l'ouvrage ; mais les 
bornes de cette notice me forcent d’être difficile 
dans le choix des morceaux. Les consolations des 
amis de Job ne mettent pas fin à ses plaintes. En 
comparant la vertu et l'équité qui dirigèrent sa 
conduite avec là cruauté de son destin, il s’écrie 
que la vue bornée des chétifs mortels est aussi 
celle de Dieu, que ses années coulent comme 
. celles de l'homme, que l'injustice est dans son 
cœur, la vengeance sa passion. 


CHAPITRE ©. 


« Je le sais trop hélas que la vérité est dans 
» votre bouche. Un foible mortel en effet com- 
» mentse justilieroit-il devant Dieu ; devant ce 
» juge redoutable qu'oseroit-il répondre? Devant 
» Dieu dont la sagesse est infinie , dont la force 
» est irrésistible! Tantôt il transporte insensible- 
» ment et fait vieillir les plus hautes montagnes. 
» Tantôt par le souffle de ses narines il les anéan- 
» titen un clin-d’œil ; ses mains ont touché la 
» terre...elle s’ébranle sous ses fondemens , et 
» ses colonnes chancellent. À peine sa voix s’est- 
» elle fait entendre au soleil qu’il cesse d'éclai- 
» rer: souvent il imprime son sceau sur les 
» étoiles du firmament ; son bras seul étendit 
» dans l’espace l'immense rideau des cieux ; 


» sous ses pieds il presse les montagnes liquides 
» des 


v 
ce 


Job. 313 


des vastes mers ; les constellations de l’orion, 
celles du midi et de l’ouest sont l'ouvrage de 
ses mains ; foible créature, il passeroit devant 
moi, je ne l'aurois pas apercu, et déjà je ne 
serois plus. .... Les arrêts de sa colère sont 
irrévocables , les soutiens des vaines idoles 
écrasées sous sa puissance. Et j'oserois ré- 
pondre à ses arrêts, pour me justilier, pa- 
roître devant lui! En vain la droiture seroit 
avec moi, il ne me répondroit pas; quand 
il écouteroit un instant les gémissemens de 
ma douleur, je ne pourrois croire que ma 
voix soit parvenue à ses oreilles. Ne m'a-t-il 
pas écrasé comme un ver dans l'orage suscité 
contre moi? Ne m'a-t-il pas accablé sans crime 
d'innombrables blessures ? Il ne souffre pas 
que mon âme un instant respire , et ne cesse 
de m'abreuver d'amertume tous les jours. Si 
la puissance doit décider , c’en est fait de ma 
cause....Si la justice doit être l'arbitre, qui 
osera s'élever contre lui’... La piété cepen- 
dant étoit dans mon cœur ; indifférent à moi- 
même, je méprisai la vie.... Non, non, ilne 
reste plus qu'à m'écrier : [1 extermine à la 
fois et le juste et l'impie. Quand soudain la 
verge de la mort frappe partout, il sourit en- 
core à l'oppression de la vertu. Souvent entre 
lés mains des tyrans la terre entière est livrée, 
et la corruption couvre les yeux des instru- 
mens de la justice. :.. N'est-ce pas alors lui 
qui le voulut ainsi ? Hélas! plus légers que Les 
T. F. Octobre 1806. V 


1 


914 . Littérature sacrée. 


» 


» 


» 


» 


» 


» 


» 


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3 


» 


» 


» 


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n 


» 


» 


» 


» 


» 


» 


» 


» 


coursiers du désert, mes jours ne se sont-ils 
pas enfuis sans à peine avoir vu le bonheur. … 
Ils ont fui comme les vaisseaux sur les flots 
du Tigre, ou comme l'aigle plane sur sa 
proie et bientôt disparoït. Quelquefois je 
me dis, oublions les malheurs qui m'acca- 
blent ; reprends , d mon âme , du courage , et 
mes souffrances aussitôt me saisissent de nou- 
velles terreurs. A tant d’inimitiés je ne pour- 
rois échapper : je dois être criminel , tu le 
veux..... Et pourquoi d'inutiles efforts ?... 
En vain j'aurois rendu la pureté de mon 
cœur, de mes mains resplendissante comme 
la neige, tu me plongerois dans de nou- 


veaux abimes , jusqu'à ce que les vêtemens qui 


me couyrent soient pour moi saisis d'horreur. 
Est-ce donc à un être qui me ressemble , à un 
homme , que je dois ici répondre ? Quel sera 
le juge entre nous? qui osera donc venir sou- 
tenir l'équité, employer son bras pour en 
remplir les lois? Ah, qu'il ôte seulement de 
dessus moi le sceptre de sa tyrannie ; que par 
son effroi il cesse de m'inspirer les angoisses 
de la mort : je répondrai alors, je n'aurai plus 
de crainte , la droiture seroit avec moi. 

Le chapitre 21 offre une peinture de la fa- 


talité qui, selon Job, égaré par le désespoir , 
domine dans le monde, de l'oppression des jus- 
tes, du bonheur éclatant et durable dont par- 
tout jouissent les pervers. . 


Job. ; DES 


CHA P T'IR EN "2 1. 


« Ô més amis, écoutez les paroles qui vont 
sortir de ma bouche, et du moins par là sou- 
lagez ma douleur. Écoutez-les, attentifs ; que 


vos ironies m'accablent quand j'aurai repris 


le silence; ce n’est pas contre les mortels 
que mes plaintes se répandent ; sur moi tour- 
nez vos regards et frémissez. — D'horribles 
convulsions , les terreurs de la mort me sai- 
sissent, quand je jette les yeux sur cette val- 
lée de misère, Pourquoi, me dis-je alors, 
est-elle donc si brillante la vie hideuse des per- 
vers ! Comme leur force est puissante , comme 
leurs biens sont innombrables! Déja devant leurs 
yeux leurs descendans les entourent; une 
nombreuse postérité les quitte pour se répan- 
dre sur la terre : la terreur de la mort est 
loin de la demeure des perfides; ce n'est pas 
sur leurs tètes que frappe le sceptre sanglant 
de l'Eternel. . .. Non, leurs troupeaux prépa- 
rent de riches toisons , et jamais ne les trom- 
pent : leurs fruits se multiplient, et jamais ils 
n’avortent : nombreux comme des essaims 
d’abeilles, leurs adolescens vont couvrir J’a- 
syle du juste. — Animés par la joie, leurs 
enfans bondissent et tressaillent; le son des 
lyres et des timbales les transporte. A la voix 
des harpes qui résonnent, ils poussent des 
cris d’allégresse. Dans un bonheur sans trou- 
ble, ils coulent légèrement leurs jours, et 


516 . Littérature sacrée. 


» 


4 


)] 


» 


» 


» 


» 


» 


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» 


» 


» 


» 


» 


dans un seul instant. ...l’abime s'ouvre... s; 
les engloutit. Loin de nous les chemins de 
l'Eternel, s’écrient-ils dans leur ivresse , nous 
ne cherchons pas à les savoir ; qu'est-il, cet 
être que nous devons servir, et de suivre ses 
lois quel peut être l'avantage ? Ce bonheur, 
sans doute, de leurs mains peut échapper. 
Je les abhorre toujours les conseils heureux 
des méchans; mais quand s’éteindra-t-elle 
donc enfin la lumière éclatante de ces pervers? 
quand viendra le jour de leur malheur!... 
Quand l'Eternel partagera-t-il entre eux les 


fléaux de son courroux ! quand seront-ils 


comme la paille légère devant l'ouragan ter- 
rible, comme la poussière enlevée par l'orage 
qui gronde dans les airs? Mais l'Eternel, direz- 
vous, réserve à leurs descendans le malheur 
qu'ils méritoient ! Que ne le leur envoie-t-il 
plutôt? ils le sauroient du moins. De leur 
propre chüûte, leurs yeux seroient frappés ; ils 
boiroient dans la coupe empoisonnée de la 
vengeance céleste. 

» Celui-là meurt dans la fleur d’un bonheur 
sans trouble, au milieu d’une profonde paix; 
il semble s'endormir ; des ruisseaux de miel 
couloient autour de lui, un suc nourricier 
répandoit dans son corps la force et la vi- 
gueur, et cet autre.... expire dévorant jus- 
qu’à la fin l’amertume de son âme, sans avoir 
goûté la joie. — Ensemble ils sont étendus 


1 


sur la poussière, et l’insecte également les. 


couvyre et les dévore.... » 


Job. 317 


Une méditation poétique sur la source de la 


sagesse , des idées sur l’immortalité de l’âme, 
répandent sur les autres chapitres le même inté- 
rêt. Pour dénouement de l’action, l'Eternel se 
découvre au milieu d’un orage ; il va annoncer 


à 


l'insensé qu'il le méconnoît, qu'il domine par 


de-là les monts et les siècles, que sa bonté 
s'étend sur l’homme, créé à son image, sur les 
lions rugissant dans le désert et sur les corbeaux 
errant dans le creux des montagnes. 


CHAPITRES 58, 39. 


« Du milieu d'un orage violent , envoyé dans 
le tourbillon du désert, Jehovah répondit à 
Job : Quel insensé veut obscurcir les arrêts de 
la sagesse immortelle ? Maintenant, comme un 
guerrier lève-toi et ceins tes reins: je veux 
t'interroger et tu dois me répondre. Où étois- 
tu quand ma main posa les fondemens de la 
terre? Sila sagesse est avec toi, fais-le moi 
connoître. Sais-tu quel fut celui qui en ré- 
gla les bornes , qui fit tomber sur elle la ligne 
destinée à en fixer l'étendue ? quels sont les’ 
fondemens de ces innombrables colonnes , et 
sa pierre angulaire sur quoi repose-t-elle ? Le 


, jour où les astres ‘innombrables se levant avec 


l'aurore entonnèrent leur concert, quand des 
millions d’anges firent retentir de leurs can- 
tiques les plaines de l'éternité, j'enfermai 
dans un cercle l'océan prêt à s'élancer avec 
furie de son lit humide et large; je lui donnai 


“ 


918. Littérature sacrée. 


» 


» 


\ 
les nuages pour vêtemens, les brouillards de 


la mer pour le couvrir : à mes lois éternelles. 
je l’assujétis ; dès lors, de portes de fer, 
d'indestructibles verroux je lui fis une cein- 
ture. Jusqu'ici, lui dis-je, tu oseras parve- 
nir ; ici tu t’arrèteras ; c'est ici que tes flots 
orgueilleux viendront expirer. A l'aurore ma- 
tinale ordonnas-tu jamais de luire sur laterre, 
et des rayons du ciel quel est la retraite ? 
Est-ce toi, peut-être, qui d'un bras nerveux 
pourroit saisir les coins de la terre , en se- 
couer avec force les pervers qui la souillent, 
priver les méchans de la lumière, et briser 
le bras oppresseur du plus fort? Les secrets 
des tombeaux te sont-ils dévoilés ; les portes 
de l'empire des ténèbres et de l'horreur s'a- 
baissent-elles devant toi ? Est-tu parvenu jus- 
ques sous les voûtes de la mer profonde ; ose- 
rois-tu parcourir le fond des abimes? Ou sais- 
tu seulement quelle est. l'étendue de la terre , 
pourrois-tu nous dire quelles en sont les bornes ? 
Où est le séjour de la lumière, où est celui des. 
ténèbres? Puisque tu sais la prendre dans sa, 
source, deviner les sentiers qui conduisent 
vers sa demeure. Car depuis long-temps tu 
naquis, et tes jours te paroissent innombra- 
bles comme les étoiles. .... tu es venu sans 
doute jusqu'aux trésors de la neige , et ceux 
de la grêle se sont découverts devant toi : 
amas formidables réservés par moi pour 
les temps de vengeance , pour les jours 
de guerre, de sang et de carnage... Dans 


» 


Job. 319 


combien de parties se divise la lumière quand 
du fond de lorient elle vient se disperser 
sur la terre? Qui règle la marche des éclairs 
de la foudre tonnante, et le cours d’un tor- 
rent qui, tout en se débordant et parcourant 
d'immenses solitudes, y dépose un limon 
salutaire , et fait naître l’abondance dans les 
champs de la stérilité? Du sein de qui s’élè- 
vent les pluies qui inondent la terre, lhu- 


“ride rosée du ciel, la neige et les frimats 


» 


» 


» 


2 


» 


» 


> 


» 


» 


» 


» 


» 


» 


» 


» 


» 


qui changent en pierres les flots de la mer, 
“en. épaississent les abimes ? T'es mains ont-elles 
formé un seul tout de la constellation des 
étoiles, pourroient elles rompre les liens qui 
unissent celles de l'ourse? Ta sagesse règle-t- 
elle la marche des satellites, consoleroit-elle 
l'étoile solitaire de la nuit, quand ses en- 
fans semblent la quitter pour errer dans l’ho- 
rison? Si tu connois les lois du ciel , si tu 
saisles effetsqu'elles produisent sur la terre ?.. 
Eh bien, être superbe et grand! du milieu 
des immenses plaines liquides oses donc élever 
ta voix vers le royaume des nuages! ordonnes 
aux foudres du ciel de marcher et qu'elles 
marchent, que pour remplir tes lois elles 
accourent et s’écrient : Nous voilà. 

» Au coursier redoutable donnas-tu la vigueur 
‘et la force? Est-ce pour toi que d’un orgueil 
foudroyant son col füt revétu? Dans son im- 
patience il bondit comme la sautereile légère : 
un torrent de terreur s'écoule avec le souffle 
de ses narines : le voyez-vous du pied creuser 


. 


520 Littérature sacrée. 


» la plaine, se réjouir de sa force , et soudain 
» s’élancer au-devant du carnage? Il sourit à 
» la terreur commune , pour lui point d’effroi: 
» le fer brille, il couri toujours ; à l’envi tombent 
» sur lui, le javelotempoisonné, la fléche agile, 
» les dards, les lances et les piques;...mais 
» dans sa fureur il frappe et fait frémir la 
» terre! La trompette se fait entendre; est-ce 
» bien elle? C’est elle qui retentit ! au carnage, 
» s’écrie-t-il; de loin déjà il en respire l'odeur 
» avant d'entendre la voix du tonnerre, les 
» cris de batailles et les princes de la guerre. » 

Et Job , prosterné dans la poussière, reconnut 
son crime. Mes yeux ont vu, dit-il, et mes 
oreilles ont entendu : étendu sur la cendre , je 
me repens et me méprise. 

Et après cela, continue l'historien , l'Eternel 
se reconcilia avec Job et ses amis, à qui il avoit 
reproché de ne lui avoir offert que de vaines 
consolations, et de ne pas étre venus l'implorer 
en sa faveur. Il lui rendit tout son ancien bon- 
heur : ses frères , ses sœurs, tous ses amis d'au- 
trefois vinrent à l’envi pour le revoir et le con- 
soler des maux que Jehovah avoit accumulés sur 
sa tête ; et les derniers jours de Job devinrent 
plus heureux que les premiers ; il eut encore de 
grandes richesses; il lui naquit des fils et des 
filles; ces filles étoient les plus belles de toute 
l'Arabie : il vit ses descendans jusqu’à laquatrième 
génération , et mourut âgé et rassasié d'années. 


Les auteurs sont divisés sur le temps dans 


Job. 521 
lequel ce livre fut écrit. Quelques-uns , pour se 
distinguer sans doute de l'opinion commune , le 
regardent comme plus moderne , et l’attribuent 
à David, à Salomon, ou même à Isaïe, mais 
sans donner des preuves solides de leur assertion. 
Il suffit d’une connoissance superficielle du génie 
de la langue hébraïque, pour distinguer dans le 
style du Livre de Job, non-seulement l'enfance 
de la langue, mais même celui de la nature et 
de la société ; et d’ailleurs il faudroit dans cette 
hypothèse supposer un homme qui, en écrivant 
au milieu de la Palestine , eût eu une connois- 
sance assez approfondie des mœurs des Arabes, de 
la nature, de la situation, des qualités de ce pays, 
pour pouvoir , en composant ce Livre, s’identi- 
fier entièrement avec la terre et les hommes au 
milieu desquels il suppose vivre le héros de ce 
poëme. Car dans Job tout annonce ce peuple 
nomade et vagabond qui seul pourtant a su con- 
server un caractère perpétuel, et ce pays où 
l'invariabilité des mœurs et de la nature semble 
être de nos temps encore une espèce de tradition 
perpétuelle des événemens les plus reculés : or, on 
peutcroire que , quel qu'ait été le génie et l'imagi- 
nation de quelques poëtes de la Palestine, il y 
avoit entre ce pays et l'Arabie trop peu de com- 
munication, et la connoissance des pays étran- 
gers étoit trop peu perfectionnée pour que cette 
opinion puisse être adoptée par une critique ju- 
dicieuse. Quelques auteurs ont avancé que le 
Livre de Job étoit une traduction de l'arabe ; 
mais comme ils n’apportent presque rien à l'appui 


522- Littérature sacrée. 


de leur assertion, on est dispensé de la réfuter, 
C'est donc en Arabie même, et comme le prou- 
vent toutes les recherches. historiques , environ 
2400 ans après la création du monde , que cette 
allégorie morale et ingénieuse fut composée. 
Cette époque se rapproche également des pre- 
mières années de la vie de Moïse ; plusieurs sou- 
tiennent que cet immortel législateur, dont les 
lois bravent le temps, est aussi l’auteur du 
plus ancien monument littéraire qui ait échappé 
à ses ravages. L'étonnante ressemblance qui se 
trouve entre le style de la partie prosaïque de 
ce Livre et celui du Pentateuque., entre sa 
poésie et celle de quelques psaumes: que. nous 
savons être de Moïse , en fournissent des preuves 
entrainantes. On y remarque la langue hébraïque 
dans toute la pureté de son âge d'or, tandis 
que dans les ouvrages qui ont suivi le Penta- 
teuque on la trouve plus ow moins altérée ; 
on ne peut s'empêcher d'ailleurs de reconnoitre 
dans cet ouvrage une étendue. prodigieuse de 
connoissances; et dès qu'une fois, on est d’ac- 
cord sur le temps où il fut écrit, dans cet âge. 
primitif quel autre pouvoit réunir tant de sciences. 
et tant de génie?,..... Astronomie, histoire na- 
turelle, navigation, rien ne semble étranger 4 
l'écrivain. On y trouve ; chose remarquable, une 
description pleine de feu et de vérité du coursier 
de bataille ( et cependant l’histoire nous apprend 
que 5000 ans après la création du monde, l'Esypte 
étoit le seul pays auquel cet animal guerrier füt: 
connu ); l'image anticipée d’un pays où couloient 


Job. 323 


des ruisseaux de lait et de miel, la description 
d'un passage sur l’eau dans l'empire des morts, 
et qu'on retrouve dans le 10m, verset du gome. 
psaume, qu'on sait être de Moïse; cet ouvrage 
donc a dù être écrit par celui qui étoit si bien 
instruit dans la science des sages de l'Egypte , 
alors habitée par le premier peuple de la terre. 
II le composa apparemment après sa fuite, dans 
sa retraite chez le grand prêtre Jéthro, qui de- 
meuroit dans une partie de l'Arabie, Là, se 
préparoient les grands événemens qui alloient 
arriver ; ce livre devoit être pour les Israélites, 
gémissant sous le joug des Égyptiens , une espèce 
de prédiction du secours inattendu qui devoit 
leur arriver ; il devoit lui frayer un chemin vers 
les cœurs de ceux dont il alloit être le chef. 
Mendelssohn , dont Le nom est devenu si célè- 
bre dans les lettres et la philosophie, avoit tra- 
duit Job et fait des notes sur cet ouvrage. Le 
manuscrit lui fut enlevé, et il recommençoit cette 
intéressante traduction lorsque la mort vint le 
surprendre: Peut-être trouvera-t-on qu'un génie 
aussi supérieur que le sien ne devoit pas s’abais- 
ser jusqu'à la traduction, que quelques hommes 
regardent comme indigne d'occuper les momens 
d’un grand écrivain. Sans doute, celui qui se con- 
tente de traduire, souvent sans goût et sans art, 
dés ouvrages presque généralement compris, Où 
du moins dont les beautés peuvent être gottées 
partout, mérite bien d'être mis à côté du froid 
compilateur; mais pour traduire en savant et en 
poëte un ouvrage à la fois un monument d'an- 


324 Littérature sacrée. 

tiquité et de littérature , et pris dans une langue 
presque universellement ignorée , dans une autre 
dont le génie est essentiellement différent, il faut 
d'abord la connoissance approfondie des deux 
langues à la fois, avoir fouillé ayec succès dans 
les trésors de la science, et cependant être doué 
d’une imagination vive, savoir consulter le gé- 
nie des langues des nations , les traditions de 
l'histoire, avec la maturité de l’érudition, la froi- 
deur de la logique ; et un moment après s’iden- 
tifier avec l'auteur que l'on traduit, s’enflammer, 
s'attendrir avec lui, faire passer enfin dans son 
style propre, la vie et le mouvement qui animent 
celui de l'original. La traduction de certains ou- 
yrages, ou plutôt limitation, devroit pour ainsi 
dire être faite par deux hommes de lettres, dont 
l'un auroit la critique , l'érudition vaste d’un Dom 
Calmet ; l’autre, le goût, la chaleur et le sen- 
timent d'un Huber , d'un Letourneur, d'un 
Delille. 

Si ces réflexions paroissent vraies, On jugera 
peut-être que l'ouvrage auquel Mendelssohn avoit 
consacré ses dernières veilles , peut encore deve- 
nir le champ de quelques lauriers pour l'homme 
de lettres qui tenteroit de le remplacer, et qu’il 
pouvoit ajouter quelque chose à la gloire de l'au- 
teur de Jérusalem et de Phédon. N. B. 


a ——— 


THÉATRE GREC. 


CILYTÆMNESTRÆ, Tragædiæ Sophoclis 
Fragmentum ineditum. Ex Codice Au- 
gustano et apographo ÆAlexandrino , 
additis animadyersionibus et interpreta- 
tione latina primum edidit Christ. Frider. 
DE MATTHÆI, Cœs. Mosqv. Univers. 
Literar. grœcar. et latinar. Prof. P. O. 
Consiliar. Aul., etc. etc. Mosquæ, 1605. 
vi} et 55 pag. in-4°. 


Ïz est reconnu. que d’un très-grand nombre de 
drames tragiques et satyriques, cités souvent par 
les auteurs anciens sous le nom de Sophocle, il 
ne nous reste maintenant que sept tragédies en- 
tières , les deux OËdipes, Antigone, Ajax, 
Electre, les Trachiniennes , ou la Mort d'Hercule, 
et Philoctète. Quant aux autres, les titres et des 
fragmens peu nombreux sont tout ce que le temps 
nous a laissé d'un poëte qu'on regarde à juste 
titre comme un modèle souvent imité , rarement 
atteint et jamais surpassé. 

Le fragment considérable de 340 vers que nous 
ahnonçons, vient d'être recueilli par M. le con- 
seiller de Marraart, savant célèbre , auquel nous 
devons déjà la première découverte d’un des plus 
beaux hymnes homériques, consacré à Cérès, 
et qui nous fait espérer ( Voyez préface, pag. 


526 Théâtre grec. 


vj) d'enrichir la littérature grecque de plusieurs 
morceaux inédits tirés de deux bibliothéques du 
Saint-Synode à Moscou, dont l'usage , ainsi que 
la publication des manuscrits qu'elles contiennent, 
lui ont été permis par ordre de Sa Majesté l'Em- 
pereur. 

_ Quant au fragment que M. Matthæi a publié 
pour la première fois comme un ouvrage de So- 
phocle , nous avouons franchement l'avoir lu d'a- 
bord avec cette prévention favorable qu’inspire 
naturellement le désir de trouver en effet ce qu'on 
souhaite, prévention qui n'étoit que trop justi- 
fiée par l'autorité bien fondée du savant éditeur. 
Loin de douter si ce morceau de poésie drama- 
tique pourroit être, véritablement attribué à So- 
phocle , il paroît même, dans un endroit de ses 
notes { p. 47; V. 198), montrer quelque aigreur 
contre ceux qui voudroient s’aviser d'être d'un 
avis différent du sien. 

Cependant l'autorité , dans la république des 
lettres , doit avoir des limites bien circonscrites, 
et il nous sera permis, après ayoir repris plu- 
sieurs fois la lecture de ce prétendu fragment 
d’une tragédie de Sophocle , de déclarer que, 
selon notre conviction , on ne sauroit l'attribuer 
à ce grand poëte sans faire un tort visible à sa 
gloire. Voici les motifs qui nous ont déterminé 
malgré nous à faire un aveu qui paroîtra du moins 
d'autant plus impartial, que, jusqu'ici, aucun 
jugement étranger touchant cette découverten’est 
parvenu à note connoissance. 

Les raisons qui dirigent l’opinion du critique 


Clytemnestre. 327 


sur l'authenticité d’un ancien ouvrage de litté- 
rature, portant le nom d’un auteur d'ailleurs 
connu par ses productions , sont d’une double 
espèce; les unes concernent et les circonstances 
sous lesquelles il a été trouvé, et les témoignages 
que les auteurs contemporains ou postérieurs en 
ont ou n’en ont pas donnés; les autres , beau- 
coup plus importantes et décisives , sont puisées 
dans l'ouvrage lui-même, et reposent sur une 
comparaison soigneuse qu'on en fait avec les écrits 
avérés du même auteur , comparaison qui, quoi- 
que résultant d'un grand nombre d'observations, 
isolées , quelquefois même de sentimens indivi- 
duels, forme pourtant, au moyen d'un résumé 
complet de tous ces indices particuliers, un en- 
semble de preuves, propre à revêtir l'opinion 
du critique de toutes les marques de probabilité 
dont ces sortes de recherches sont susceptibles. 

Pour ce qui regarde les premières, qu’on 
nomme communément les preuves extérieures 
de l'authenticité , nous commencerons par trans- 
crire les notices que M. Maïthæi à communi- 
quées à ses lecteurs dans la préface qui est à la 
tête de ce fragment. 

M. Matthæi s'étant arrêté à Augsbourg en 
1796, dans le dessein d’y examiner les manus- 
crits grecs de la version de l'Ancien Testament , 
vulgairement nommée celle des Septante , et con- 
servés dans la bibliothèque célèbre de cette ville, 
le hasard lui ft trouver un recueil, qui, entre 
autres pièces en partie très-récentes et d’un genre 
fort différent , contient aussi ce morceau jus 


328 Clytemnestre. 


qu’alors inédit(1). Pour toute inscription outitre 
on ne lit que ces deux mots, NpoaoyiGes TioiPo y 
Prologue de Tisiphone ; et dans la page précédente 
et entièrement vide , les paroles suivantes, 
écrites d'une autre main : To dhèue ‘Ayauiuvar 
Tragédie Agamemnon. M. Matthæi se contenta 
pour le moment de copier quelques vers du com- 
mencement, qu’il garda à côté d'autres extraits 
semblables. 

Etant de retour à Wittenberg et occupé d’au- 
tres travaux littéraires , il recut une lettre d'un 
Grec savant avec lequel il avoit été autrefois 
lié à Moscou, et qui lui envoya pour la troi- 
sième fois un recueil d’écrits grecs, la plupart 
peu intéressans et d'un temps très-récent , mais 
parmi lesquels se trouva aussi cetérorrarmario ; OÙ 
fragment d’une tragédie de Sophocle. Des occu- 
pations plus pressantes ne lui permettant point 
alors de faire une plus grande attention à cette 
copie , ce ne fut que long-temps après lors- 
qu’en faisant la revue de ses extraits, et ayant 
retrouvé ce fra gment avec une notice du copiste 
qui y étoit jointe et l'exposé ou le contenu du 
drame entier , qui constatoit l'identité de ce frag- 
ment avec celui d’Augsbourg, M. Matthæi écrivit 
sur le champ au savant bibliothécaire à Augs- 
bourg , le docteur May , son ami, pour en obtenir 


(1) La mention de ce manuscrit se trouve dans le cala- 
logue de Reiser, pag. 79, n°.9, selon la liste des livres qu’il 
contient. (Voy. Préf., pag. vij et suiv.) Il paroît être le 
même dont M. Schirach, en 1770, a fait imprimer les 
Antehomerica et les Homerica de Tzetzes, 

le 


Clytemnestre. 529 


le manuscrit. Il y copia le tout avec soin, l'accom- 
pagna d’une traduction latine et de quelques 
notes, et l’envoya vers la fin de l'an 1802 à un 
libraire de Londres qui s'étoit chargé de le pu- 
blier. Cependant des circonstances inconnues 
ayant suspendu l'impression projetée, presque 
trois ans se passèrent encore avant qu'elle eût 
lieu. M. Matihæi, rappelé à l'Université de Mos- 
cou, se mit enfin en état de faire part au public 
de cette intéressante découverte. 

La notice jointe à la copie qui fut envoyée à 
M. Matthæi par le Grec savant, est conçue en 
ces termes : MereypaQn OÙ ro émorméruarioy roûro AXE 
&avdheie, map dvdpos hoyiorérov, tx nawdimos Orpmarivou 
eyv mahdioù , TEPEOVTOS Airyu hou TE ui Zo@oxAcous Ti 
vas rpæyaas. C'est-à-dire : Ce fragment a été co- 
pié à Alexandrie par un homme fort instruit ; 
d'un très-ancien manuscrit sur parchemin, qui 
contient quelques tragédies d'AEschyle et de Se- 
phocle. Au reste, le même manuscrit d’Alexan- 
drie doit contenir , selon le rapport de M. Mat- 
thæi, la tragédie entière; et quoique son corres- 
pondant grec n’ait pas répondu depuis à deux 
lettres dans lesquelles il lui demanda instamment 
le reste de la tragédie , M. Matthæi espère qu'é- 
tant à présent à Moscou et en liaison avec plu- 
sieurs Grecs distingués et amis des lettres, il Lui 
sera facile d'obtenir la tragédie entière. La copie 
d'Alexandrie, qui est à présent entre ses mains, 
ne contient que les premiers 300 vers , Les mêmes 


qui sont consignés dans le manuscrit d’Augs- 
T. F. Octobre 1806. X 


530 Théâtre grec. L 
bourg , lequel offre encore les 40 vers déjà pu- 
bliés. 

D'après cette exposition simple et en tout con- 
forme au récit de l’auteur, il nous parait qu’on 
ne peut rien statuer avec quelque assurance sur 
le poëte auquel nous devons cette tragédie. Le 
maauscrit d'Augsbourg, comme nous avons vu, 
ne marque point le nom de l'auteur ; et quant 
à la copie d'Alexandrie, la notice qui y est jointe 
ne contient rien autre chose , sinon que ce frag- 
ment est copié d’un ancien manuscrit à Alexan- 
drie , qui renferme quelques tragédies d'Eschyle 
et de Sophocle. Cette notice, comme on voit, 
est peu exacte ; il se peut facilement que le méme 
manuscrit contienne encore d’autres pièces que 
le correspondant n'ait point indiquées ; et toute- 
fois il n’est pas dit expressément que la tragédie, 
de laquelle le fragment est tiré, porte le nom de 
Sophocle; car le seul suffrage du correspondant 
anonyme , qui, dans sa lettre à M. Matthæi, 
donne ce morceau pour une pièce de Sophocle, 
ne prouve rien, parce qu'il est destitué de preu- 
ves ultérieures. D'ailleurs , le titre de Clytem- 
nestre que M. Matthæi a donné à cette tragédie 
est purement arbitraire. La copie d'Alexandrie, 
du moins selon le rapport du correspondant, 
n’en offre aucun ; et si l'éditeur avoit voulu suivre 
la trace que lui indiquoit le manuscrit d'Augs- 
bourg, il auroit fallu l'intituler Agamemnon , et 
non pas Clytemnestre, nom qui est inscrit sur 
la page , vide d’ailleurs , qui précède le prologue. 
L'éditeur, une fois persuadé que ce fragment 


Clytemnestre. 551 


est de Sophocle, n’a rejeté cette inscription que 
parce que , dans le catalogue nombreux que nous 
avons des drames perdus de Sophocle, le titre 
d'Agamemnon ne paroît point. Il risque donc la 
conjecture ( préf., p. v ) que probablement quel- 
qu'un a voulu marquer, par cette inscription du 
manuscrit d'Augsbourg : To dyèue ‘Ayautuvas , le 
drame Agamemnon , qu’il s’agit dans cette pièce 
du meurtre de ce roi ; conjecture qui est tout-à- 
fait déplacée. L'auteur lui-même s'est bien aperçu 
de son peu de validité , et lui en substitue bientôt 
après ( préface, p. vin ) une autre également ar- 
bitraire. Il dit que peut-être le copiste a voulu ici 
écrire la tragédie d'Eschyle nommée Agamem- 
non. 


Or avec ce titre de Clytemnestre, nous avons 
très-peu gagné ; et M. Matthæi avoue ( Animadw. , 
pag. 36) « Clytæmnestræ Sophoclis pauci men- 
tionem fecerunt. » Mais il auroit dû ajouter que 
le célèbre Bruncr, dans sa Collection précieuse 
des fragmens de Sophocle ( +. IV , p.625), nie, 
par des motifs très-légitimes, que Sophocie ait 
composé ce drame, et allègue qu'Ærotien , l’auteur 
d'un glossaire d'Hippocrate du temps de Néron, 
parle probablement d'un endroit qu'il faut rap- 
porter à l'Electre du même poëte. Il observe tou- 
tfois que le lexicographe Hesychius est le seul 
qui fasse mention de cette tragédie, et encore 
est-ce dans un passage corrompu. 


Il s'ensuit donc que ni les témoignages des au- 
teurs, ni les indices des manuscrits, connus 


952 Théâtre grec. 


jisqu'à présent, ne déposent rien en faveur du 

titre et de l’auteur présumé de ce fragment , et 
ne sauroient par conséquent légitimer l'assurance 

avec laquelle M. Matthæi l’annonce comme une 

production de Sophocle. Voyons maintenant si 

le contenu du fragment pourroit , au défaut 

d'autres preuves, justifier une pareille dre 

sition. 

Le sujet du drame est le même qui fait le fond 
des tragédies d'ÆEschyle et de Sénèque, connues 
sous le nom d'Azamemnon. C'est le meurtre de 
ce roi de Mycènes, fils d'Atrée, par Clytem- 
nestre , son épouse, et AEgisthe, fils de Thyeste, 
son cousin et son rival. Un long prologue de 52 vers 
contient l'exposition du sujet. Tisiphone , une 
des furies , envoyée exprès des enfers pour leur 
inspirer le crime atroce qu'ils vont commettre } 
aussitôt après avoir rappelé aux spectateurs les 
horribles forfaits dont la postérité de T'antale, 
bisaïeul d'Agamemnon et d'AEgisthe s'étoit souil- 
lée, annonce le retour du chef des Grecs devant 
Troie, et prédit l'assassinat de ce roi infortuné. 
Ce prologue seul dépose déjà contre l'opinion de 
M. Matthæi. Dans toutes les pièces qui nous sont 
restées de Sophocle, ce poëte sublime ne se sert 
jamais de cette espèce d'exposition trop commode 
qui tient encore de l’origine de la tragédie, et que 
les critiques depuis Aristophane( Grenouilles , v. 
1228 seq.) blâment avec raison dans la plupart des 
pièces d'Euripide. D'ailleurs des fictions comme 
celle de l'apparition d’une Furie, et cela au com- 
mencement du drame, qui ne tendent qu’à frap- 


Clytemnestre. 3535 


per de terreur l'imagination du spectateur , sans 
intéresser ou émouvoir vivement son âme, sont 
tout-à fait étrangères au génie fécond de ce poëte. 
Sophocle savoit adoucir l’épouvante par le senti- 
ment de la pitié ; il possédoit surtout l’art de pré= 
parer adroitement la catastrophe terrible par des 
grondemens de tonnerre lointains et annonçart 
l'orage qui va indubitablement éclater. Et quel 
langage plat et trivial que celui par lequel Ti- 
siphone débute : « Cette race de Tantale, com- 
» bien d'embarras me fait-elle toujours, à moi 
» et à tous les autres dieux de l'enfer, depuis 
» que ce malheureux vieillard (Täntale ) à cuit 
» son fils pour régaler les dieux, et qu'il leur & 
» donné à manger ses membres, lui son père 
» action, hélas! qui est criminelle méme dans 
» l'enfer!» 

On peut encore citer d’autres endroits sem- 
blables dans le même prologue, comme au v. 17. 


L VC \ ! 1 
Yewyoi Aroeus nai Ouirrys, pe orey 
! / \ 1 
ToAmyua TOY 9pXOYTO HA HIATHET&Y. 
Sn] \ / ne ! € 
V.25. Euydumvor tre Toy rahuy, xas d'x:y oi 
» 1 , 2 2 » 1 l pl ! 
Tx Tiny obéhoïs om TaumEve Te 4 pd nmEve. 
Convivamque adhibuit miserum, eique apposuïit 


Filios verubus assatos et coctos, 
Comme si l’un ne suffisoit pas ; des répétitions 
insipides comme au v. 27 : Kai r09 “HAos 

fOpôy roxÿa Tous tous ruidus Daryeir 
Comparé avec le 8°. vers : 


« NS 8 \ \ » 2 
Opoy à Zivs yap nat Dior Ad Ados, 


354 Théâtre grec. 


Ou comme le 23e : ‘Arpevs d'axovay mpdymaæros... 
ra TayréAov TÉTpaymEve Kahws pimobmevos com- 
paré avec le 15e : 


"Don dÙ ai Ta Tavraly pimoumevor, 
Ou comme 37°, 38° : 


: ” QE) C1 

Ei rn SJuyarTpi ovyytvor &v, Th xapy 6) 
Re | e 1 

Aùrÿ ‘x Juyarhos maldw yenrerdai mot, 


Et bientôt après, au 41 : 
” \ \ / “ ‘ 
Ty yap JuyœTpi miTyopevos XEIVOS TOTE 


Ou comme le 55e: Zyrtay éx dix iav, comparé avec 
le 39€ : Npocpeivos r'endixile; et 49°: Tis marpaus tx di 
xyot as. — Des commentaires traînans et inutiles 
comme au vs. 30 : 


. an Lad 1 27 L2 
Opay Toxna Tous tods maldus Paryeir s 
«]. \ / 
Ixrous Te nai TÉpirmoy Eumadiy rpéQes » 
\ LA , 
ToiaôrTe my Pipomevos up BAËMEUN. 


« Voyant le père manger ses enfans , il (le 
» Soleil) tourne les chevaux et le quadrige, NE 
» POUVANT VOIR CELA DE SES YEUX; » Vers que 
nous rayerions sans hésiter comme un indigne 
supplément de quelque grammairien ou copiste, 
s’il s’agissoit ici effectivement de l'ouvrage d’un 
bon poëte. Des figures manquées et ridicules 
comme au vers 33, où la ville de Mycène est 
appelée « l’opprobre du genre humain; » des 
tournures tout-à- fait prosaïiques , comme au 


42 : 


” “ ri ’ Le \ ’ 
Ali oY EC Er, où mÉDU ot VÜY Àoyos 
Ægislhum suscepit, de quo nunc sermo est. 


Clytemnestre. DA 


Des absurdités comme dans le dernier vers du 
prologue : Moi uos yap &y exoru. « Pour moi la 
» lumière est dans Les ténèbres. » Cela suflit pour 
prouver la pauvreté d'esprit et l'ineptie d'un 
imitateur subalterne. 


Le prologue fini, le chœur, composé de fem- 
mes Myceniennes, paroît sans qu'on sache quelles 
raisons l'ont amené sur la scène. Après avoir dé- 
ploré d’abord le sort inconstant et précaire des 
plus puissans royaumes et appliqué cette obser- 
vation générale au royaume de Troie qui vient 
d'être anéanti, il est reprimandé par une divi- 
sion du même chœur ( kemichorus ), qui trouve 
ce sujet peu convenable à l'époque heureuse du 
retour d'Agamemnon, et lui propose de chanier 
plutôt Neptune , ou Apollon, ou tous les autres 
dieux et déesses (!!); conseil que le chœur ne 
tarde point de suivre, en se bornant toutefois, 
après la louange-de Neptune et d'Apollon, au 
seul éloge de Jupiter. Vs. 53—119. 


Tout le mal que nous venons de dire du pro- 
logue est applicable, mais dans un plus haut 
degré, à ces chants soi-disant lyriques. Excepté 
les premiers quatre vers et la comparaison qui 
suit immédiatement , de la chute d’un royaume 
avec celle d'un chêne, comparaison dérobée en 
æartie au véritable Sophocle ( Electre , vs. 98 ); 
excepté encore quelques phrases également ra- 
massées dans les poëtes tragiques , tout le reste 
n'es que de la prose versiliée et entremélée de 
temps en temps d'exclamations qui doivent sup- 


336 Théâtre grec. 

pléer au défaut du pathétique. Cette comparai- 
son même ( vs. 58—65 ) n'échappe point à la cri- 
tique : « Souvent le chéne orgueilleux de Jupiter, 
» qui répand l'ombre au loin, D'UNE nACHE £T 
> D'UN BUCHERON fr@ppe-t-il la terre, lui qui s'é- 
» leva autrefois dans le haut de l’éther , et tombe 
» que le bois en retentit autour. » Sans insister sur 
ce qu'on ne dit point le chène tombe d’une hache, 
inais des coups d'une hache, amplification dans 
les mots « d'un bucheron » est ridicule, parce 
qu'il s'entend qu'une hache n'est point commu- 
nément dans les mains de plusieurs bucherons. 
Un second supplément, également superflu et 
traînant, est contenu dans ces paroles : « qui 
» s'éleva autrefois dans les hautes régions de 
» l'éther, » endroit qui perd encore davantage 
dans l'original, qui verbalement ne donne que 
ce sens : Summo quæ antea fuerat in aethere. 
Or le chêne entier n’est pas dans l’éther, eten- 
core moins dans le sommet de l’éther. 

Mais que dire de l'endroit qui suit ce seul élan 
du versificateur : « Qui ne connoît point, dit-il, 
» l'empire du roi Priam, qui se glorifoit des hom- 
» mes, des chevaux et d'une quantité de fem- 
» mes {11 » Sophocle auroit-il débité de pareilles 
platitudes? En adoptant même l'explication de 
M. Matthæi, que le mot cLevaux signifie ici, 
selon l'usage qu’on observe dans le langage d'Ho- 
mère , les cavaliers , ou plutôt Les chars des gner- 
riers , l'expression ne devient pas moins triviale 
et n'est pas plus flatteuse pour les femmes. 


Clytemnestre. 337 


Passons à des expressions ou constructions in- 
soutenables : 


Vs. 74. ’Avdhas max @AeGer. 
V5.90. Zoû yap ümeixoyros Ayauipyav 
VDtoy éoru mépris Axd 
VApti, xa@, où ruyxæpaürros, elc. 
Vs. 92-98. sc) PTE Muxyyy. ne 
Ilèce re mAypns yhbomvydoy 
IHoAë Body ot xépara pub. 
VSs.99. ’Aroñoy fh1omop@e. 
Vs. 104, et sqq. 0 yap tdwxas Ten una 
Eay va o xeip@y Awomtdoyrt 
"Aynua d'épu ras Te Musvas 
Efucas id'eïy yôy &mo Tpoiys 
"Arpéos vior, ape, Aus met, 
Kai AG, ds rût ddomty adus 
M3 d'ére robor, pure Éapérpyv. 
Vs. 113. (Ils dé ce, Zeb... Aéfmoper muerépnouw) dau 
‘ d'oy wdwis, et tout de suite après : 
serons... Ef ydp dvayxn 
Teiyea doreos TAtæxoto 
Tléprey dvaË ‘Ayauiuvay. 
Enfin vs. 119. Oouyy Sepmoïo avé A4Savou. 


elles sont ou contraires au génie de la langue, 
ou prosaïques , basses et rampantes , OU mal imi- 
tées; arrêtons-nous encore un moment à la 
scène suivante, qui ouvre le monologue de Cly- 
mnestre , suivi d'un dialogue assez prolixe entre 
cette reine et sa nourrice. 

D'abord l'apparition de Clytemnestre est aussi 
peu motivée que l’étoit celle du chœur et que 
le sera celle d’AEgisthe au vs. 304. Ge ne sont 


338 Théâtre grec. | 


que des situations isolées et probablement com- 
posées d'après des thèmes donnés à des élèves 
dans les écoles des rhéteurs, lorsque l’éloquence 
et la poésie avoient déja complétement dégénéré; 
aussi n'y observe-t-on presque d’un bout à l’au- 
tre qu'une déclamation froide et dénuée de cet 
intérêt puissant qui ne résulte que d’une ex- 
pression simple et vraie du sentiment ; des 
récits longs et ennuyeux, comme celui de la 
perte d'un grand nombre de chefs qui avoient 
péri devant Troie (vs. 223 — 262 ); récit qui, 
en suivant presque scrupuleusement l'ordre ob- 
servé dans l'énumération des chefs au second 
livre de l'Iliade, prouve évidemment qu’il s'agit 
ici d'une lucubration purement scholastique, 
d'autant plus qu'il est entièrement déplacé et ne 
sert que d’une amplification très -superflue du 
morceau suivant qui le précède , vs. 220—22. 


”, 0 « / 1 
Qhoyro mayres EAAwdos crpuryyérTui 

CR , » \ ” 
Toïs ExTropelous LiQ@eos, x oud'eis oixæd 
> 1 0 ’ « ! 
AvarrpiQe. Dev! yxaopeey HTT@pEyoL. 


« Tous les chefs de la Grèce ont péri par les 
» glaives de Hector, et personne ne retournera 
» dans sa patrie. Hélas! vaincus nous Yainquons. » 
Assertion qui, malgré la pointe par où elle Enit, 
est aussi fausse et exagérée que mal conçue. 

Notre critique, déjà trop longue pour une pro- 
duction aussi médiocre, ne finiroit point si nous 
voulions entrer dans une analyse détaillée de tous 
les passages foibles ou vicieux. Indiquons du moins 
les plus marqués : 


1 Clytemnestre. 359 

Vs. 16062. Clytemnestre agitée de crainte, 

de jalousie , d'amour et de honte, dans ce tumulte 

des passions violentes, se compare elle-même très- 

plaisamment à un vaisseau battu srl les quatre 
vents cardinaux. 


; ASE à PART Vus 
Ayou w$ PEAQE xuumon xænraus. To pee 
"Evléyd'e Boipès Tiges xæneibey LEE 
ZiQupos dt mpapyy , EUgos ad mpupevmy Rae. 


« Je suis jetée comme un navire par la tem- 
» pête et les vents. Ici Borée le bat, là le vent 
» de midi. pire frappe la proue et Eurus 
» la poupe »!! Disons avec Horace : Risum te- 
neatis arnici ! 


Vs. 194. X’oudels mor ide duxpu ouparav ame. 
Vs.196. ......... "19 y yoyfæ Toy Tà æiuari 
Péovyrae Suyarpos. 
Vs. 200-1. TS yæurix £ oùy aiuur avouutlæ Auris 
Kai roy Suyarpàvr, Ty xop@v, Tàv Tup- 
Sévoy..... 
Vs. 209. Aooy &v0pomoxrovor. 211. Kelvos dE Aæoû 
mEéTros. 
Vs. 210. "Aydhas Seplov xépmaæiy EnaryGonous (des traits 
d’Apollon }. 
Vs. 216. épd'os éxlpos mermos et txlpos morvios! 
VS$.232. IIS Aænnoy (évpnromer) os Tébyyx toixaTas PIED 
® AOWTI. » « « . « à 
Vs. 257. ‘Are siriy Epya rauiru rÿs Ppevos. 
Vs. 241. AN © yEpoië Nyatos, mË, 78 À 0 ros 
Ilaïs Dirraros ; 
Vs. 247. Tébymxe TayroAeuos ùm tyxeos Auos 
1 Hasd'os re mai yñs monno EGpeË dimari. 
Vs. 250. Erévébopty o , eumop@ius rmdvion mAËS. 


340 Théâtre grec. 
Vs. 252.” Apyos Soov iv payer 0x T0 YT dei, 
Toiois cè d'axpugéopes ty crevdymacis! 
Vs.260. Tyv edyevesar… Toïs exyôvors AE {me tv. 
Vs.270-1. .... "Exd\Y£on' dard rà Elpe 
Toyde oAerhpe rs Aciys re %'EA@ dus. 
Excipiam, sed enim ense z//um perditorem 
Asie et Græciæ. 
Vs. 290. Airoërros oùra T3 Xpors nai roy Den. 
Vs.291-3. Ar; yae Toy dydpæ.. eue. 
esse Éaoroû Tv Vuyn drte crparoÿ 
Téesxéves , mai y movoy rdv mapÜtyoy. 
VS. 295-6. ‘Ardh@y œuvnlés trrt Tv crparyytrüv 
EbapterQ" tx Anidos xapas and e. 


Ces preuves , dont il nous seroit facile de dou- 
bler le nombre, seront plus que suffisantes pour 
constater et la médiocrité extréme de cette pro- 
duction , et le peu de talent qu'avoit l’auteur 
pour la poésie , sans parler d'une diction presque 
partout rocailleuse, traînante et népligée. 


Il reste encore à ajouter quelques observations 
sur le rapport qui existe entre ce prétendu drame 
de Sophocle et l’Agamemnon , attribué par Dan. 
Heinsius à Sénèque le Rhéteur. M. Matthæi s’ex- 
plique ainsi là-dessus dans sa préface., pag. vr: 
« anc tragædiam Seneçæ tragico ad manus 
» fuisse, ad:o manifestum est, ut de eo nullo 
» modo dubitari possit. In Agamemnone enim 
» $u0 non solum hujus fragmenté sententias , sed 
» vVerba adeo expressit, plerumque tamen dete- 
» rius. /Alia enim nimis late explicavit, mulris 
» temere admistis , aliorum vim et sublimitatem 


Clytemnestre. 341 


» prorsus non est assecutus, alia eaque haud 
» contemnenda prætermisit et neslexit. » 

La ressemblance entre les deux pièces est, 
comme l’auteur l'a très-bien remarqué, incontes- 
table. Non-seulement des passages entiers et très- 
nombreux se trouvent ou presque verbalement, 
ou à quelques modifications près , dans les deux 
tragédies ; mais toute l'économie du drame, toute 
la marche de l'action est absolument la même 
dans l’une comme dans l’autre , autant qu’on en 
peut juger d’après ce fragment. Cependant nous 
ne saurions souscrire à l'opinion de l’auteur , qui 
prétend que le Romain a imité le Grec, et en- 
core moins à cette autre assertion , que le dernier 
est préférable au premier. Quelques exemples 
choisis au hasard éclairciront ce point. 

Quand la nourrice dit à Ciytemnestre (vs. 


144—45 ). 


A Le , , Al LA 
Ei vai comes, tx mporwmou ‘ri Aw£eiy 
à ! » » ! ! 
Toy Quuov, ov Cicuyr aroxpumrtis voa. 
« T'ametsi taceas., ex vultu licet cognoscere 


« Furorem, quem ferventem animo celas. » 


Le poëte latin exprime la même pensée en 
moins de mots, et plus énergiquement ( Acte 
A, vs. 21 ): 


» Licet ipsa sileas , totus in vultu est dolor. » 


Les quatre vers suivans dans le grec ( 147—50 ): 


1 5 ‘ CT C1 } 
Aos ovy darryua xpovou rà où rule. 

1 : ’ “ ’ \ ; 
Ta yae Tapovros Toù poyou Ta Pasuaxe 
Mn hauGaroyTa, xuipos @AAos i@TETu 


? e \ ; ” ’ 
rws. “Amara yae cTpÉpay Toit PAYS. 


342 Théâtre grec. 
”_ « Interpone moram femporis perturbationibus tuis. 
» Quæ euim præsentis femporis medicamina 
» Non admittunt, fempus aliud fortasse eis 
» Medebitur. Omnia enim vertens confcit Lempus. » 


Sont rendus chez le Romain par deux vers beau- 
coup moins trainans et sans cette répétition oi- 
seuse du même mot (tempus ) , qui caractérise , 
comme tant d’autres endroits, la richesse du 
langage poétique de l'auteur ( Act. II, vs. 22, 
23 }. 

« Proin quicquid est, da tempus ac spatium tibi, 

» Quod ratio nequit , sæpe sanavit mora. » 


Bientôt après ( vs. 166, 67) 


“Or yae toriy 4 Vuxn trQauruivy 

"Os pos d'onsi, maires pyemar Auyos. 

« Cum enim mens affecia errat, 

» Ut mihi videtur, sors dux est optima. » 


Sénèque l'exprime dans un seul vers ( Act. II, 
vs. 97 ) ” 


« Ubi animus errat , oplimum-est casum sequi » 


et la tournure prosaïque « ut mihi videtur » est 
évitée. 

Il est vrai que la pièce de Sénèque fourmille 
également de défauts, comme toutes celles qui 
portent ce nom. Cependant on feroit tort à l'au- 
teur latin en inférant qu'il ait pris le versifica- 
teur grec pour modèle. Peut-être faut-il, comme 
je l'ai indiqué plus hat, regarder les deux piè- 
ces comme des essais d'écoliers ; peut-être toutes 
les deux furent-elles des copies différentes d'un 


Clytemnestre. : 345 


original perdu. Enfin si leur trop grande ressem- 
blance dans certaines parties paroît justifier la 
supposition que l’auteur de l’une a eu l’autre 
devant les yeux, nous sommes très-portés à croire 
que c'est l'auteur grec qui, étant probablement 
postérieur au romain, profita de l'ouvrage mé- 
diocre du dernier pour en faire un plus mau- 
vais. 

Les notes qui accompagnent le texte grec de 
ce fragment, contiennent et l'indication des va- 
riantes des deux manuscrits d’où il a été tiré, et 
une explication des endroits qui ont besoin de 
quelque éclaircissement. Des observations plus 
nombreuses encore fixent l'attention du lecteur 
sur des passages analogues, soit par rapport aux 
pensées, soit par rapport à la diction , qu’on trouve 
dans d'autres poëtes tant grecs que latins, et of- 
frent surtout un parallèle suivi avec Sénèque, 
qui, comme on s’imagine bien, tourne toujours 
à l'avantage du prétendu Sophocle, et ne sert 
qu’à déprécier le poëte romain. 

Groppeck. 


Er STORE. 


ANNIBAL à Carthage à la fin de la 
deuxième guerre punique (1). 


| TSLETTRE 


Aie de vous faire le récit de ce qui s’est 
passé depuis deux jours, je crois devoir résu- 
mer en peu de mots les événemens rapportés dans 
mes dernières lettres. 

Après la défaite totale d’Asdrubal et de Sy- 
phax, etla prise de toutes leurs provinces, les 
Carthaginois avoient demandé la paix à Scipion. 
Ils avoient obtenu une trève pendant laquelle ils 
devoient envoyer des ambassadeurs au sénat ro- 
main, à qui Scipion remettoit le soin de régler 
définitivement les conditions de la paix. 

Par une mesure digne de cette politique mer- 
cantile qu’on leur à tant reprochée , et qui est 
devenue une tache ineffaçable à leur nom sous 


(1) Ce fragment est tiré de leltres qu’on suppose écriles 
par un jeune Athénien à son père, sur la république de 
Carthage, où il est en voyage. IL a été Lu le 19 fructidor 
an 15 (6 seplembre 1805), à la Sociélé des sciences de 
Grenoble, par M. Berriat ( Saint-Prix), professeur à l'Ecole 
spéciale de Droit de cette ville. Avant de mettre la dernière 
main à l'ouvrage, l’auteur a voulu, en mettant au jour ces 
deux lettres, essayer s’il seroit du goût du public. 


celui 


A nnibal. ‘ <040 

.telui de foi punique ; les Carthaginois avoient 
en mème temps et donné ordre à Annibal d’a- 
bandonner l'Italie pour passer en Afrique avec 
toute son armée , et réparé ayec la plus grande 
activité les fortifications de leur ville , et mis en 
mer une flotte considérable , destinée à profiter 
des événemens , suivant que les circonstances 
seroient plus ou moins favorables, 

Au moñent où l’on venoit d’ apprendre le dé- 
barquement heureux d’ Annibal, à six journées 
de Carthage, dont il étoit Mr par l’armée 
romaine , un. coup de vent dispersa un convoi de 

.290 vaisseaux que Cn. Octavius conduisoit de 
Sicile à Scipion, et les porta pour la plupart aux 
environs de Carthage. 

Aussitôt, forts de l’arrivée d’Annibal , la sain- 
teté des sermens , le respect inviolable dû à une 
trève par eux réclamée avec les sollicitations les 
plus humbles , les lois sacrées de la nature et du 
_droit des gens ne peuvent contenir l’avidité qu'ex- 
cite une si riche proie. L’artisan y voit une a0- , 
«quisition de denrées propre à écarter:la disétte ; 
le négociant, des marchandises sur lesquelles il 
.spéculera ; le ministre, des:trésors pour subvenir 
aux besoins de la guerre lorsqu'elle recommen- 
cera ; tous .s'empressent autour des sénateurs ; 
les eat pe À de quelques esprits sages, de 
quelques hommes probes et délicats sont étouf- 
fées, et Asdrubal reçoit l'ordre , qu’il exécute 
sans peine, d'enlever tous les bâtimens des ro- 
mains, qui étoient dispersés , et qui, se repo- 
sant sur la trève, ne s’étoient point mis en dé- 


T, VF, Octobre 1806. Ye 


546 Histoire. 
fense. Quelques-uns résistent cependant, mais 
ce n’est que pour agraver la honte de Carthage 
en la chargeant d'an crime de plus; celui du 
massacre de gens qui naviguoient sur la foi des 
traités. Que dis-je ? on pousse l’audace et la scé- 
lératesse jusques à attaquer plusieurs galères où 
étoient des ambassadeurs de Rome, et qu’on si- 
maginoit, sans doute, à raison de ce, être 4 

richement chargées. F 

Chose étrange etqu’on ne peut expliquer qu’en 
considérant, chez un peuple de ce genre, l’avi- 
dité comme une passion qui étoufle toutes les 
autres , les deux factions qui étoient constam- 
ment opposées sur toutes les mesures, même 
les plus importantes au salut de la patrie, sem- 
blent se réunir pour ces crimes de pirates, 
dignes des plus vigoureux châtimens. Ni la fac- 
tion d'Hannon, ni celle de Barca n’y mettent 
“obstacle; on croiroit presque qu’elles se sont 
‘réconciliées comme l’état difficile de la répu- 

blique leur en fait un devoir. 
Cependant ces factions sont plus envenimées 
ue jamais. Les partisans d'Hannon regrettent 
déjà d’avoir emporté , pour ainsi dire, l’ordre 
qui a ramené Annibal sur ses foyers. Ils craignent 
que si cet illustre général triomphe de Scipion, 
il ne profite de ses succès et de son armée pour 
écraser ses adversaires. Ils désireroient qu'il 
éprouvât un revers, s'ils ne redoutoient encore 
son ascendant dans la mème supposition , parce 
qu'ils tremblent que les Carthaginoïis , accablés 
du malheur où ils seroient plongés, ne voient 


Añmbal. 347 
de salut que sous l’ pi du pius habile de leurs 
compatriotes. 

Plus jaloux du RAA de leur parti que de 
l'intérêt public, les hannonistes répandent contre 
Annibal les bruits les plus injurieux ; et ce qui 
leur sert, sinon d'excuse , du moins de prétexte; 
ce sont des plaintes trop peu mesurées qu'il a 
faites en débarquant , sur limprévoyance ou la 
malveillance du sénat , qui n’a préparé ni vivres, 
ni effets de campement, ni en un mot rien de 
ce qu'Annibal avoit demandé qu’on disposät au 
lieu de l’abordage. 

Telle étoit la situation des affaires et des esi 
prits , lors de ma dernière lettre , où je vous ai 
marqué qu'on venoit d'apprendre que les deux 
armées étoient en présence , à Zama, à cinq 
journées de Carthage, et qu’elles étoient peut- 
être au moment d’eén venir aux mains. Cette nou 
velle avoit d'autant plus redoublé l'agitation des 
citoyens, que depuis quelques jours on ignoroit 
tout à fait ce qui se passoit au camp, parce que 
la cavalerie de l’allié fidèle des Romains , de Mas- 
sinigsa , interceptoit tous les messagers. 

Sorti hier de bonne heure , je vis une multi: 
tude de citoyens se précipiter du côté du Forum. 
Vous savez qu'aux heures où les tribunaux ne 
siègent point, c’est. le lieu de réunion des négo- 
cians, celui où chacun d'eux vient publier les 
nouvelles de toutes les parties du monde connu, 
qui peuvent intéresser le commerce. Je suivis la 
foule en m'informant des motifs de ce mouve- 
ment. I] étoit arrivé, disoit-on, un courrier d’'An- 


548 Histoire. 


nibal, et l’on convoquoit le sénat pour délibérer 
sur une affaire de la dernière importance qu’'An- 
nibal lui-même devoit, dans le courant de la 
journée , soumettre à ses concitoyens. 

Un grand nombre. de groupes étoient déjà for- 
més dans le Forum , et surtout dans la salle im- 
mense et superbe qui en occupe le milieu , et où 
l'on distribue toute espèce de rafraichissemens. 

Au centre de la plupart des groupes se trou- 
voient soit des hannonistes , soit des barcides, 
qui cherchoient à s’acquérir des partisans parmi 
la tourbe des êtres nuls, destinés, en chaque pays 
libre , à servir d'appui et souvent de victimes aux 
esprits factieux , actifs et déterminés. On formoit 
en général des conjectures fort étranges , et ce 
dont je ne pouvois assez m’étonner , c’est qu'au 
même instant chacune étoit soutenue par des 
paris quelquefois excessifs. Des milliers de mi- 
nes (1) étoient engagés sur une idée. qui n’avoit 
pas la moindre base, ainsi que vous le verrez 
bientôt. 

Suivant certains affidés d'Hannon , Annibal , 
avant de commettre le sort de la république aux 
hasards d’une bataille , venoit demander une au- 
torité dictatoriale, persuadé que ne voyant de 
salut que dans ses talens , on n’oseroit le refuser ; 
et les hannonistes ne manquoient pas de prému- 
nir les esprits contre cette innovation funeste. 

Suivant d’ autres, l’armée s’étoit soulevée con- 
tre un général qu 'elle devbit détester Pr : il 


(1) La mine valoit environ 5o francs. 


A nnibal. 349 


l'avoit retenue long-temps hors de ses foyers ; 

et il réclamoit, sans doute, la protection du, 
; 

sénat, 

Quelques-uns pensoient que las de la guerre, 
et craignant un revers , il avoit proposé la paix 
à Scipion , et que pressé de faire de grands sa- 
crifices , il n’avoit voulu commettre qu’à lui la 
sollicitation de l'agrément du sénat. Plusieurs 
soutenoient que c’étoigScipion lui-même qui de- 
mandoit la paix , etc. 

Je dois pourtant l'avouer. Au milieu de ces as- 
sertions tranchantes et vaines , il y avoit des con- 
jectures fortifiées de tous les raisonnemens de la 
politique la plus rafinée. DéShommes dont la 
mise simple indiquoit l’état obscur , faisoient sou- 
vent éclater les connoissances les plus approfon- 
dies de la situation et des intérêts de tous les états 
du monde; connoissances qui sont l'effet de ces 
communications multipliées que procure le com- 
merce. Une seule chose m'’affectoit dans leurs 
discussions instructives et lumineuses, c'est que 
_tôutes leurs propositions , tous leurs désirs n’a- 
voient jamais qu’un seul but, les progrès de ce 
trafic mercantile , que la plupart de nos compa- 
triotes , les Grecs, regardent comme une occu- 
pation à peine digne des esclaves. 

Après une heure environ , il se fit un grand 
mouvement dans la salle. Deux des principaux 
sénateurs y entroient; on espéroit qu'ils dissipe- 
roient la nuit des conjectures ; et beaucoup plus 
occupés du sort de leurs paris que de celui de la 
république , la plupart des assistans se pressoient 


550 Histoire, 
avec ardeur vers le point où les magistrats cher- 
choient à pénétrer. 

Parvenus enfin sur une espèce d’estrade, ils 
expliquèrént ce qu'ils savoient sur le message 
d’Annibal. Je remarquerai en passant, combien 
toutes les démarches, tant des citoyens que de 
l'autorité publique, annoncent le règne exclusif 
de cet esprit de trafic que nous réprouvons. C’est 
au Forum que se font toutes les grandes spécula- 
tions commerciales ; comme les événemens po- 
litiques ont une grande influence sur les spécula- 
tions , les chefs de l’état ne manquent jamais d’y 
annoncer , d'unewmanière officielle , ceux de ces 
événemens qui en intéresser le négoce. 

Je reviens au récit des magistrats. On ignoroit 
tout à fait les motifs de la démarche d’Annibal ; 
ses dépêches invitoient simplement le premier 
suffète d'envoyer une convocation à tous les sé- 
nateurs pour qu'ils fussent réunis dans la soirée 
de l’arrivée du courrier, soirée où il comptoit 
arriver lui-même à Carthage. Le courrier n’avoit 
rien dit de plus, sinon que les dépèches lui avoient 
été remises par un des magistrats d'Adrumète , à 
“qui un officier d’Annibal les avoit apportées, en 
l'invitant à les expédier de suite. Le courrier avoit 
seulement ajouté qu'au moment de son départ, 
il avoitaperçu de loin un petit corps de cavalerie, 
qui s’approchoit en diligence d'Adrumète , et 
qui formoit vraisemblablement l’escorte d’An- 
nibal. 

Vous devinez que les conjectures et les paris 
ne furent point arrêtés par ce récit. Cependant 


” 


Annibal. 351 


- un genre de trafic nouveau pour moi, y fit di- 
version sur quelques points de la salle. Ici, l’on 
proposoit de se charger de la subsistance de la 
cavalerie qu'amenoit Annibal, quoiqu'on ne con- 
nüt ni sa force, ni la durée de son séjour, et que 
méme les négociateurs, à ce qu'on m'apprit ; 
n’eussent pas un seul sac de grains en leur pou- 
voir. Là , et ceci m'intéressa davantage, on 
offroit de fournir des places dans la tribune du 
sénat pour la séance du soir, quoiqu’on ne sût 
point si le public y seroit admis, et quoique, 
suivant l'usage , il dût l’ête gratuitement. 

Vivement empressé Fa une place d’où 
je pusse et contempler Annibal, et entendre des 
discussions vraisemblablement fort intéressantes, 
je m’approchai. 

On ne demandoit pas moins de quatre mines 
pour ce que je désirois. Effrayé de cette somme 
exorbitante, je demandai si en me rendant auprès 
de Ja’ porte des tribunes, il ne me seroit pas aisé 
de me procurer , avec un peu de patience, ce 
qu’on vouloit me faire acheter si cher. Un. syra- 
cusain, nommé Cresphontes, qui paroissoit con- 
noître à fond les mœurs de Carthage , détruisit 
mes espérances. « Tout, me dit-il, tout dans 
» un pays absolument commerçant , devient le 
» sujet du trafic, À peine a-t-on su la convoca- 
» tion du sénat, que cinq cents prolétaires se 
» précipitoient sur les avenues des tribunes , où 
» ils se sont rangés pour occuper , lorsqu'on ou- 
» yriroit la salle , les places suivant leur position 
» dans les files qu’ils ont formées. Vous eussiez 


352 Histoire. 

»’ pu alors acheter leur rang à assez bas prix. I 
» est à présent beaucoup trop tard. Des courtiers 
» ont, selon toute apparence, acquis le droit 
» des prolétaires. Ils l'ont peut-être revendu à 
» d’autres qui ne sont sans doute. que les com- 
» mettans des gros spéculateurs que vous voyez 
» au Forum.» 

« D'où vient donc , observai-je ; la cherté pro- 
» digieuse des demandes que font ces spécula- 
» teurs ? » 

« C’est, répondit-il, qu'ils courent le risque 
» de perdre leurs avangés , dans le cas où le sé- 
» natne voudra pas Re le public. » 

Dans le même moment on répandit dans la 
salle que cette résolution étoit fort à craindre ; 
aussitôt le prix des places baissa avec rapidité , et 
le même homme qui m’avoit demandé avec dé- 
dain et sécheresse , quatre mines d’une place , 
vint me proposer avec honnêteté de m'en four- 
nir quatre pour la dixième partie de ce prix. 

J'hésitais : mais Cresphontes m’ayant fait un 
signe expressif, j'acceptai, en demandant toute- 
fois quelles süretés on me donneroit. « Ma pa- 
» role ,» dit le vendeur, en se bornant à mettre 
mon nom sur ses tablettes. 

Toùt cela étoit un mystère que Cresphontes vint 
encore éclaircir. « Vous risquez fort peu, dit-il , 
» en faisant cetachat , dont je partagerai les ris- 
» ques si vous le voulez. Il esttrès-possible que 
le bruit de la décision du sénat ne soit qu'une 
manœuvre d’autres spéculateurs pour occa- 
sionner la baisse des prix. Quant aux süretés 


s 
© 


» 
4 


LA 


Annibal. 353 


que vous exigéz , ajouta-t-il en riant, elles ont 
dù faire connoître que vous n'étiez pas de Car- 
thage. Autant cette nation en corps et son 
gouvernement montrent de la perfidie et de la 
mauvaise foi envers les états étrangers, surtout 
lorsqu'il s’agit des avantages du négoce , autant 
les commerçans font preuve de loyauté et 
d'honneur dans toutes leurs affaires. IL est 
presque sans exemple qu'un négociant ait ja- 
mais manqué à une simple promesse, lors 
même que son exécution devroit à peu près 
entrainer sa ruine. J'aimerois mieux, S'il s’a- 
gissoit d'acquérir une ville entière, oui, j'ai- 
merois mieux la simple parole de Magon, ce 
spéculateur opulent avec qui vous avez traité , 
que la bravoure d’une armée nombreuse com- 
mandée par un général-expérimenté. C’estque 
la bonne foi est l'âme du commerce. On a vu 
ce même Magon se charger de fournir de 
vivres notre Syracuse , lorsqu'elle étoit blo- 
quée par les flottes de ses propres compatriotes, 
ettenir ses marchés avec autant de fidélité que 
si nous eussions eu le moindre moyen de l'y 
contraindre. Il est vrai, comme cela arrive 
trop souvent au négociant, qu'il sacrilioit les 
intérêts de son pays à sa passion pour.les ri- 
chesses. » | 

Cresphontes finissoit à peine les observations 


dont je vous donne le précis , que jé reconnus 
combien elles étoient fondées. Nous entendimes 
un léger murmure ;et Magon nous aborda.«V ous 


» 


n'avez peut-être pas besoin , me dit-il , detoutes 


554 Histoire. 


» les places que je vous ai vendues; je repren- 
» drai au mème prix celles qui vous sont inu= 
» tiles. » 

Après être convenu qu'il me suffisoit d’une 
place pour moi et d’une deuxième pour Cres- 
phontes, qui m'éclairoit de ses lumières, j'allois 
accepter l'offre de Magon, lorsque le syracusain 
me serrant avec force le bras, m'interrompit. 
Jugez de ma surprise, lorsque je l’entendis as< 
surer que nous ne pouvions céder les deux places 
à moins de huit mines. Mais ellé redoubia lorsque 
je vis Magon, quoiqu’en se récriant sur leprix, 
accepter la proposition sans hésiter. IL nous 
remit en même temps un très-petit billet , 
sur lequel étoit un bon de huit mines , paya- 
bles à son comptoir ; et un deuxième billet, où 
étoit un autre bon pour deux places; ajoutant 
qu’un homme que nous trouverions sous le pre- 
mier portique du vestibule du sénat, nous les 
feroit délivrer. Je ne pus me défendre d’un mou- 
vement de méfiance sur la simplicité et l'espèce 
d'état méprisable des titres qu’il nous remettoit. 
« L'écriture de Magon, répliqua-t-il, avec un 
» enthousiasme mêlé d’orgueil ét de dignité, l'é- 
» criture de Magon est connue dans toutes les 
» villes du monde. À Rome même, le consul, 
» le chef de ces conquérans hautains, vous don- 
» neroit, sans en rabattre un seulas, les huit 
» mines indiquées sur ce que vous regardez 
» comme un chiffon. » 

Tout s’exécuta de point en point, et au comp- 
toir, et sous le vestibule. Nous eümes une des 


Annibal. 353. 


meilleures places de la tribune, en face du siëge 
des suffètes et de la chaire des orateurs. Il me 
sembla alors, en comparant les courtoisies dont 
on nous accabloit, aux difficultés et même aux 
refus qu'éprouvoient d’autres amateurs de places, 
que le seing de Magon étoit en effet un talisman 
devant lequel devoient s'abaisser les obstacles les 
plus insurmontablés. Cette réflexion me donna 
la plus haute idée de cet homme, dont l'extérieur 
simple m’avoit d’abord inspiré de là prévention. 
Je me repentis d’avoir consenti envers lui au 
subterfuge de Cresphontes, d'autant plus qu'il me 
paroissoit contraire au désintéressement que vous 
m'avez recommandé, et aux règles de délica- 
tesse que la philosophie nous prescrit. Je’ réflé- 
chissois aux moyens à employer pour réparer 
ma faute , et je ne savois encore à quoi me ré- 
soudre , lécéqié Magon parut à un vomitoire 
des tribunes. Je pris mon parti sur-le-champ. Je 
l’appelai , et lui faisant des excuses de notre mar- 
ghé, que j'attribuai à une plaisanterie de Cres- 
phontes, je lui présentai le rouléau de mines qu’on 
venoit de nous donner à son comptoir. Il me 
refusa, à ma grande surprise ; c’étoit, suivant lui, 
un marché consommé ; si j'y eusse perdu, il 
n'eùt point cherché à m’indemniser : je ne de- 
vois donc pas étre privé du bénéfice qui doit 
compenser un risque quel qu'il soit. J’insistai 
avec force. Je l’assurai que je ne croyois pas moi- 
même avoir le droit de lui faire perdre une 
somme qui me paroissoit considérable, dès l’ins- 
tant que tous mes yœux ayoient été remplis par 


556 Histoire. 


l'obtention des places. : Mais il ne me répondit 
que par un grand éclat de rire. 

« Vous pouvez, dit-il ensuite pour me satisfaire, 
» être fort tranquille sur les pertes que vous m'avez 
» occasionnées. Vous êtes (il est vrai sans vous, 
» en douter), vous êtes la cause principale d’un 
» bénéfice de plus de huit cents mines que m'a 
» value ma soirée du Forum. » 

Cette assertion me patut encore plus énigma- 
tique que tout ce que j'avois entendu ee 
Îl voulut bien me tirer d’embarras. Prévoyant 
que la présence d’un héros , tel qu'Annibal, in- 
connu à presque, tous les Carthaginois et aux 
Yoyageurs innombrables qu'on voyoit dans leurs 
murs, ne pouvoit manquer d'attirer au sénat 
beaucoup de spectateurs opulens, il avoit eu 
l'idée d'acheter toutes les places des tribunes ; 
mais instruit trop tard de l’arrivée du courrier , 
il avoit été prévenu ; et lorsque ses agens s’étoient 
présentés , ils n’avoient pu acquérir que quatre 
places, sur environ cinq cents. Averti au Forum 
de ce défaut de succès, il avoit aussitôt pris ses 
mesures. Il avoit sur-le-champ envoyé deux 
cents mines au premier secrétaire des suffètes , 
qui, au moyen d’un tel don, s’étoit engagé à 
détacher au Forum deux de ses subordonnés pour 
y annoncer que le sénat n’admettroit point le 
public à ses séances. Pendant cet intervalle, vou- 
lant empêcher qu’on ne vendit les places avant 
qu'il eut terminé sa négociation, et en même 
temps donner une idée. de leur haute valeur, 
Magon avoit demandé au Forum quatre mines 


Annibal. 557 


de chacune des quatre qu'il avoit acquises , et il 
avoit en effet réussi à dégoûter, où du moins à 
tenir en suspens les amateurs jusques à l’arrivée 
des sous-scribes des suffètes. Dès qu'il en avoit 
été informé , il n’avoit pas hésité à m’offrir ses 
places pour dix dragmes, en affectant de parler 
à mi-voix ; mais bien sùr qu'il étoit écouté par 
d'autres spéculateurs. L'effet de cette finesse avoit 
été rapide ; le prix des places étoit tombé sur-le- 
champ, et sur-le-champ aussi ses courtiers en 
avoient acheté tout ce qu'ils avoient pu, c’est- 


à- 


dire, plus de quatfé cents. Il auroit même 


réussi à se les procurer toûtés , mais il étoit es- 
sentiel de ne pas donner aux esprits le temps de 
se reconnoître. D’après ses ordres , un troisième 
sous-scribe “avoit paru avec une expédition du 
décret des suffètes qui admettoit le public à la 
séance. Aussitôt, feignant d’être étonné et en 
même temps de mettre un'très-haut prix aux 
places , il étoit venu me proposer de lui céder 
celles dont je n’avois pas besoin. « Votre ami, 


» 
» 


» 


continua-t-il, s’est alors conduit comme s’il 
avoit été un de mes agens , et j'aurois même 
désiré qu’au lieu de quatre mines par place , 
il en eût demandé huit; je n’eusse pas hésité 
à lui accorder ce prix. Quoi qu'iben soit, dans 
moins d'une demi-heure, j'ai vendu plus de 
350 places à quatre mines. Ce n'est qu'alors 
qu'on a soupçonné quelques mesures secrètes ; 
et les 50 dernières places se sont moins ven- 
dues, mais toujours beaucoup plus qu’elles 
n'ayoient coûté. » 


598 Histoire. 

Cresphontes ne futipas moins stupéfait qué moi 
de tant d'adresse; il avoit cru faire de: Magon 
une dupe, et il en avoit presque été le jouet. 
Cependant ce récit diminua beaucoup la haute 
idée que je m’étois formée du négociant cartha- 
ginois. Cette corruption des affidés des premiers 
magistrats, tous ces subterfuges insidieux em- 
ployés avec si peu de pudeur , me parurent tout 
à fait opposés aux règles de l'honneur ét de la 
délicatesse. Je déguisai mon mécontentement en 
demandant à Magon, comment il étoit possible 
qu'après une guerre ruifleuse de dix-sept ans, 
on trouvât si facilement et en si peu de minutes , 
autant d’or dans une ville qui sembloit devoir 
ètre épuisée. 

« Îlest certain, me dit-il, que le gouverne- 
» ment est fort mal dans ses aflaires, et que les 
» artisans et ouvriers, privés d’une partie des 
» débouchés de leur industrie , ne sont pas plus 
» à leur aise. Mais les gros négocians et les grands 
» propriétaires souffrent très-peu dé cet état de 
» choses." Il y à entre leurs mains une telle ac- 
» cumulation de richesses, et surtout de tels ta- 
» lens pour le trafic, que lors même que la guerre 
» réduiroit Carthage à son territoire , elle pour- 
» roit jouer encore pendant long-temps un très- 
» grand rôle dans la balance des états du monde. 
». Tel est l’effer des progrès du commerce et de 
» l’industrie, que nous favorisons ici avec autant 
» de soin que les Romains en donnent à l’art mi- 
» litaire. » 

Nous fümes interrompus. Un murmure qui 


Annibal. 359 


régnoit depuis quelques instans dans le sein du 
sénat , s’augmenta tout à coup ; les sénateurs ar- 
rivoient successivement, et paroissoient dans la 
plus vive agitation ; l'inquiétude se peignoit sur 
leur visage. Frappé de leur désordre, Magon, 
qui étoit aussi sénateur , s’empressa d'entrer dans 
l’intérieur pour en apprendre la cause. Je l’aper- 
çus , aux premiers mots qu'on lui dit, faire des 
mouvemens si vifs, qué je jugeai qu'un événe- 
nement de la plus haute importance alloit être 
communiqué au sénat. 

Cette agitation si remarquable se calma cepen- 
dant en partie, lors des coups que divers esclaves 
frappèrent sur dés conques d’airain , pour an- 
noncer l'entrée des suffètes. Tous les sénateurs, 
ainsi que les spectateurs , se levèrent et se tinrent 
dans un respectueux silence pendant que ces ma- 
gistrats, précédés des gardes de la république, 
se rendoient à leurs siéges. 

Maiswlest temps de m’arrêter. Cédant à l’en- 
vie de satisfaire votre curiosité sur lès mœurs 
des Carthaginoïs ,. je me suis appesanti , et peut- 
être un peu trop , sur des détails propres à vous 
faire connoître cet esprit mercantile qui en forme 
le fond. Il me reste à vous entretenir d'objets bien 
plus sérieux. Ils seront le sujet de ma prochaine 
lettre. Je finis celle-ci comme les autres, en vous 
protestant de mon respect , en réclamant votre 
amitié, et en me recommandant à la protection 
puissante des divinités tutélaires dé ma patrie, 
Cérès et Minerve. 


260 Histoire. 
Il DEDER E. 


Aussitôt que les suffètes eurent monté sur leur 
estrade’, le premier d’entre eux, Bomilcar , fit 
à haute voix une invocation à l'Eternel, 

« Père des dieux et des hommes», dit-il, d’un 
ton de voix ferme, mais touchant, que la vue 
de son visage vénérable ,. de sés cheveux et de 
sa barbe blanchis par les années, sembloient 
rendre plus imposant ; « Père des dieux et des 
» hommes, à Jupiter! toi devant qui tous les 
» êtres sont égaux , ou plutôt qui les renferme 
» tous dans ton immensité ! ne vois pas d’un œil 
» défavorabléiles enfans de l'Afrique : ne les sa- 
» crifie point à d’autres qui ne te rendent pas un 
» culte plus pur, et dont le.cœur n’est pas plus 
». porté à la vertu que celui des Carthaginois ! 
» Verse également tes bienfaits sur tous les mor 
» tels; nous en réclamons aujourd’hui de par- 
» ticuliers ; mais nous ne ETR AREA, Si les 
» ‘obtenir en blessant:ta justice. »:, PTE 

Sur un signe que fit ensuite Bomilcar, à #5 
des musiciens entonna ‘une, hymne à Junon, 
hymne qu’on ne lui adresse que dans les circons- 
tances les plus critiques. On y invoquoit la pro- 
tection de cette patrone de Carthage; on lui de- 
mandoit qu’elle maintint. à, jamais dans leur 
splendeur ces murs qu'elle ;avoit fondés elle- 
même. Mille voix , en répétant le dernier vers 
de l'hymne , faisoient frémir les voûtes de l'édi- 
fice, 


Après 


ÆAnnibal. 561 

Après quelques minutes d’un recueillement 
profond , qu’inspiroit même aux étrangers cette 
scène religieuse, ‘un esclave frappa quelques 
coups sur une conque. Bomilcar annonça qu'il 
ouvroit la séance , et tous les sénateurs et spec- 
tateurs s’assirent. 

Maherbal , collègue de Bolmicar, prit le pre- 
mier la parole. Il annonça que les suffètes ve- 
noient de recevoir un second courier par lequel 
Annibal donnoit avis qu’il seroit avant une heure 
à Carthage, et répétoit qu’il étoit instant que le 
sénat füt assemblé à son arrivée. Maherbal de- 
manda alors si les sénateurs vouloient suspendre 
leur délibération jusques à l’arrivée d’Annibal , 
ou s’ils désiroient s'occuper de quelque objet pour 
remplir la séance. IL donna en même temps à 
entendre que les suffètes penchoient pour la pre- 
mière opinion , parce que, d’après les règles, 
une délibération commencée ne devant point 
ètre interrompue, si celle que l’on entrepren- 
droit, en adoptant le premier parti, n’étoit point 
terminée lorsqu’Annibal entreroit, peut-être ne 
seroit-il pas convenable de renvoyer à l’enten- 
dre jusques à ce que tout fût achevé. 

Ce fut alors que je connus l'effet de l'esprit 
de faction dans un état indépendant; que je vis 
que rien ne neutralisoit cet esprit, pas même les 
événemens facheu x qui, menaçant toutle monde, 
exigent la réunion des avis; car les sénateurs 
venoient d'apprendre , par le rapport du cou- 
rier, le désastre affreux qui amenoit Annibal à 


T. V. Octobre 1806. Z 


562 Histoire. 


Carthage , désastre dont les spectateurs n'avoient 
encore aucune idée. 

Tous les Hannonistes se soulevèrent avec fu- 
reur contre l'opinion de Mäaherbal, à laquelle 
les Barcides applaudirent au contraire avec force. 
Phylax , un des chefs des premiers , soutint qu’il 
étoit à-la fois sans exemple et contre toute dé- 
cence, qu'on eût jamais dérogé aux règles du 
sénat par égard pour un simple particulier ; dont 
d’ailleurs le voyage assez étrange , joint à ses pro- 
pos précédens , pouvoit du moins autoriser des 
soupçons sur son compte. 

Un des principaux affidés de la famille de 
Barca , Géron ; répondit en rappelant les égards. 
que méritoient les services d’Annibal , services 
qu'il fit valoir avec complaisance et en même 
temps avec énergie. Il fut cependant interrompu 
plusieurs fois par des murmures, d’où Cres- 
phontes , qui connoissoit la marche des assem- 
blées du sénat, conjectura que les Barcides n’é- 
toient pas les plus forts. Il m'apprit que les deux 
factions , à peu près égales au fond , l'empor- 
toient l’une sur l’autre, suivant qu’elles parve- 
noient à gagner à leur avis une troisième classé 
d'hommes , beaucoup plus nombreuse, qui n’avoit 
d’autre intérêt que celui de la république, mais 
qui, par foiblesse, sacrifioit très-sonvent ses 
idées de justice et de civisme , à l’énergie et à 
la dextérité , soit des Barcides , soit des Hanno- 
nistes. 

- Après beaucoup d’agitation, d’aigreur et d'in- 
jures, le chef de ce parti, Asdrubal-Hædus , 


Annibal. 365 
fit adôptéf ün avis mitoyen, en observant qu'après 
le désastre (ce mot fixà notre attention) que ve- 
noit d’éprouvér l’état, on pouvoit s'affranchir un 
peu des règles. Il futarrêté qu’on mettroit à la dis- 
cussion une affaire ajournée depuis lông-temps : 
que lorsqu’Anuibal éntreroit , on n'interromproit 
pas sur-le-champ la délibération, mais bien au:- 
sitôt que lorateur qui parleroit alors auroit ter- 
miné son discours. 

L'affaire, dont il s'agissoit , étoit un traité de 
commercé avec un des peuples de la Gaule cel- 
tique. Plusieurs sénateurs , dont Cresphontes me 
désigna les noms et m'indiqua le rang, la fa- 
mille, la profession , etc., sé présentèrent suc- 
cessivement dans l’aréné. Je reconnus encore 
combien lesprit mercantile , dont je vous ai 
parlé, régnoit fortement à Carthage. Les séna- 
teurs commerçans comme les propriétaires , les 
nobles comme les plébéiens, les vieillards comme 
les jeunes gens, tous, en cette occasion, firent 
preuve des connoissances les plus profondes et 
de la sagacité la plus rare ; mais étant frappé du 
mot d'Asdrubal-Hædus , Ë cè qui se passà dans 
le reste de la séance ayant achevé d’absorber mes 
esprits, je n'ai pu, à mon vif régret, retenir au- 
cün passage un peu considérable des discours 
prononcés. Je rémarquai néanmoins , et Cres- 
phontes me dit que cela s’observoit toujours, que 
dans une affaire purement commerciale, on ou- 
blioit à peu près les bannières de son paru pour 
né s'occuper que du bien public. De temps à 
autre séulement, les Hannonistes, et même plu- 


364 Histoire. 


sieurs du parti plus sage , glissoient dans leurs avis 
quelques allusions critiques contre les Barcides. 
Tout'annonçoit en un mot que la majorité des 
sénateurs n’étoit nullement disposée en faveur 
d’'Annibal. 

Tout à coup un grand mouvement se fit en- 
tendre aux environs du temple et dans les sailes 
qui conduisoient à celle de l'assemblée. Plusieurs 
voix répétèrent le nom d’Annibal ; et bientôt je 
vis donner par Bolmicar l’ordre de l’introduire. 

Däns ce moment, le sénateur qui occupoit 
depuis quelques minutes la chaire aux haran- 
gues, m'avoittiré de mes réflexions. C’étoit Ma- 
gon : et, en effet , il seroit difficile de vous pein- 
dre avec quelle sagacité il discutoit le traité de 
commerce soumis au sénat. Mais à peine le pre- 
mier personnage du cortége d’Annibal parut, 
que j'oubliai entièrement l’orateur; et tous les 
assistans des tribunes me semblèrent aussi absor- 
bés par le mème sentiment qui s'empara de moi. 
Nous avions tous le corps élancé hors des balus- 
trades, et nos regards cherchoiïent avec une vive 
inquiétude celui que nous considérions comme 
le premier homme du monde. 

Il entre enfin, et quoique inconnu à la plupart 
des assistans , ses traits, sa démarche, son at- 
titude , le distinguoient tellement des guerriers 
qui l’entouroient , que chacun le désignoit de la 
main et du geste. Je m'imaginois que les accla- 
mations les plus vives alloient lui témoigner la 
reconnoissance et l’admiration des Carthaginois. 
Quelques Barcides commencoient même à en 


Annibal. 365 
donner le signal , lorsque sur les murmures de 
la plus grande partie du sénat , Bomilcar fit frap- 
per à coups redoublés sur la conque , et tous les 
sénateurs se rassirent dans le plus profond si- 
lence. 

Cet accueil sembla interdire un moment Anni- 
bal. Reprenant bientôt ce sang - froid qui lui 
avoit tant servi dans les combats , il traversa tran- 
quillement la salle , et se plaça, avec ses officiers, 
au-dessous de la chaire aux harangues, où l’on 
avoit disposé un banc pour le recevoir. 

Jugez de ma satisfaction! j'étois absolument 
vis-à-vis de ce grand homme. Je pus le considé- 
rer à mon aise pendant que Magon achevoit son 
discours, ce qui, à la vérité, ne fut pas très- 
long. Ce spéculateur étoit trop adroit pour cou- 
rir le risque d’ennuyer l’assemblée, et pour com- 
muniquer sans fruits des remarques auxquelles 
on n’étoit point disposé à donner attention. 

Annibal est d’une taille élevée et bien propor- 
tionnée ; ses traits sont nobles ; son teint brun 
et fortement hâlé. Plusieurs cicatrices qui ont 
sillonné sa figure, lui donnent quelque dureté , 
sans en bannir pourtant la dignité et la majesté, 
Son front, quoique ridé par les ans et la fatigue, 
annonce cette sérénité qui n'appartient qu'à une 
grande force d'âme et de caractère , lorsqu’on se 
trouve dans une position aussi critique que la 
sienne, Il n'a qu'un œil : mais quelle expression, 
quel feu dans le regard! IL sembloit que des étin- 
celles rapides et éblouissantes sortoient de cet 
œil unique. Il parcouroit tous les sénateurs, et, 


366 Histoire. 

comme un éclair rapide, il sembloit les illutni- 
ner et les juger chacun dans un instant si court , 
que la pensée ne pouvoit le saisir. C’est suriout 
sur les partisans d'Hannon qu’il promenoit cet 
œil redoutable , et chaque fois qu’il les considé- 
roit, on les voyoit baisser la tête comme par 
crainte , peut-être par honte des obstacles odieux 
qu’ils avoient sans cesse opposés à ses projets et 
à ses triomphes. 

Quant à son costume, Anmibal est trop grand 
pour avoir besoin d'y attacher de l'importance. 
Rien ne le distinguoit de ses guerriers si ce n'est 
des armes assez riches ; mais comme on west 
point admis au sénat avec des instrumens de 
mort , il n’avoit hier sur lui qu'un baudrier garni 
de perles. 

À peine Magon eut terminé, que Bomilcar 
ajourna la suite de la discussion à une autre 
séance , et invita Annibal à monter à la chaire 
aux harangues. Il est inutile de vous dire qu'un 
silence profond et presque religieux régnoit dans 
l'assemblée, lorsqu’Annibal improvisa le discours 
dont je vais tâcher de vous rappeler quelques 
traits. Je désirerois surtout avoir pu vous conser- 
ver ceux qui caractérisent son élocution ; où l’on 
reconnoît cette éloquence âpre et rude d’un hom- 
me toujoursentouré de guerriersetde nations saus 
vages , et qui n’a pu modifier par les leçons de 
l'art, les inspirations entraînantes, véhémentes 
et souvent désordonnées de la nature. Mais outre 
qu'il est difficile de retenir des expressions, lors- 
qu'on est absorbé par des affaires d’un si grand 


Annibal. 367 


intérêt, la copie d’un discours, quelqu’exacte 
qu’elle fût ; ne pourroit jamais suppléer à l'effet 
que produit la déclamation, Or, celle d’Annibal 
étoit parfaitement concordante avec son style : 
comme lui, simple, dure quelquefois, mais forte 
et pénétrante. 


- « Sénateurs ! peuple de Carthage concitoyens! 
tout est perdu... Mes messagers ne vous com- 
muniquoient naguère que des triomphes; ce 
que je viens vous annoncer moi-même, C'est 
un désastre, et le plus cruel désastre dont Bel- 
lone en courroux pût vous affliger. Mes dépé- 
ches vous répétoient toujours : enorgueillisez- 
vous ; élevez sans crainte vos prétentions si les 
Romains demandent la paix ; aujourd’hui ma 
voix vous dit : la soumission la plus humble 
est le seul parti qui vous reste. » 

« J'ai débarqué à Leptis. Je ne rappellerai 
point que je n’ai trouvé aucun des secours que 
j'avois réclamés. Je laisse à une faction perfide 
l’atroce plaisir d’avoir concouru aux revers du 
fils d'Amilcar ; ainsi que la famille de Barca , 
elle les paiera de son opulence.. J'ai cherché 
aussitôt l'ennemi. Placé sur un sol étranger , 
tandis que mon armée étoit sur ses foyers, la 
politique eût voulu que j'eusse différé le com- 
bat. Les Romains ne pouvoient recevoir de 
vivres que de l'Italie, et vous étiez les maîtres 
de la mer! Ils se fussent consumés peu à peu ; 
je n’aurois eu que le soin de fatiguer leur re- 
traite. Mais pour atteindre avec sûreté ce but, 
il eût fallu que j'eusse eu moi-même des muni- 


368 Histoire. 


» tions : Hannon en a ralenti le départ! que 


» 


» 


» 


» 


» 


» 


LA 


votre flotte eût croisé constamment sur les 
côtes ; empresséé du vil métier des corsaires , 
elle est rentrée dans vos ports pour mettre à 
l'abri les dépouilles qu'elle avoit ravies en vio- 
lant le droit des gens ! » 

« Malgré ces fautes grossières , j'ai évité, tant 
que je l’ai pu, de courir les hasards d’une ba- 
taille où vous aviez à risquer votre existence, 
et les Romains seulement quelques conquêtes. 
Sans mesure dans la joie comme dans la dou- 
leur , vous avez été impatiens ; j'ai été con- 
traint de céder à vos vœux. Mais auparavant 
et pendant que vos messages précipités fati- 
guoient ce que vous nommiez ma lenteur, j'ai 
cherché à obtenir d’un traité ce que le sort des 
combats pouvoit nous faire perdre : j'ai vu 
Scipion. » 

« Je m’arréterai un moment sur ce héros ; 
vous avez besoin de le connoître ; vous n'avez 
de ressource que dans sa grandeur d’âme. » 

& Scipion n’a que 34 ans; mais dans sa jeu- 
nesse il a fait plus de grandes choses qu’une 
foule de guerriers célèbres, qui ont vécu long- 
temps. Deux des parties du monde, l’Europe 
et l'Afrique , ont déjà été les champs de ses 
travaux , et les témoins d’une suite non inter- 
rompue de triomphes. Dans les combats , c'est 
un aigle pour le regard , un cerf pour l’acti- 
vité , un renard pour la dextérité , un lion pour 
la valeur. Dans les négociations ,- il réunit la 
prudence à la souplesse, la politesse à la di- 


Annibal. 369 
gnité ; dans l'administration , l'étendue des 
vues , la sagesse des mesures, la réserve des 
mœurs , la bienfaisance, l'humanité , la bien- 
veillance , la fermeté... il possède toutes les 
vertus. » 

« De si grandes qualités me faisoient espérer 
une heureuse réussite dans mon entreprise ; 
et sans doute que Scipion , s’il eût pu ne con- 
sulter que son cœur généreux , eüt consenti à 
mettre un terme aux flots de sang que la guerre 
a coûtés à l’un et à l’autre peuple. La politique 
ordinaire des Romains s'opposa aux inspira 
tions de l'humanité, Vous le savez : le sénat, 
créé par Romulus , ne traite avec les peuplée 
que lorsqu'il les a vaincus ; Annibal à la tête 
d’une armée triomphante de l'Italie, ne pouvoit 
même entendre cette maxime ; nous nous 
préparämes au combat. » 

Annibal donna un récit de la sanglante ba- 


taille de Zama. J'en ferai le sujet d’une autre 
lettre. Il suffit d'observer que l'armée carthagi- 
“oise fut entièrement détruite. 


« De si grands succès, reprit Annibal, donnent 
à Scipion assez d'ascendant pour que les Ro- 
mains s’en rapportent à lui au sujet des condi- 
tions de la paix. Profitez, citoyens, du mo- 
ment Où il esten place et en crédit. Ses fonc- 
tions expirent bientôt , et quelque événement 
(le plus futile suffit dans un état libre ) peut le 
priver de son influence. Enfin, comme il est 
de sa gloire de ne pas laisser à d’autres le soin 
de terminér son entreprise , ildoit être disposé 


970: Histoire. 

» à la condescendance bien plus qu'un nouveau 
» guerrier , qui n’auroit encore conquis aucpn 
» trophée, » 

« Je présume néanmoins que les conditions 

» qu ‘il propose vous paroïîtront dures ; la néces- 
» sité doit vous en donner une autre idée. C’est 
» au vaincu à recevoir la loi du vainqueur , Lors- 
qu'ilest hors d'état d’opposer de l'obstacle à 
sa marche. » 
Annibal fit alors Dose de ces conditions , 
telles qu'il dit que Scipion les lui avoit trans- 
mises après la bataille ; ajoutant , que persuadé 
combien il éioit pressant de les accepter, il avoit 
fait la plus grande diligence pour les soumettre 
au sénat. 

Voici les principales de ces conditions : 

Les Carthaginois seront réduits à leurs an- 
ciennes possessions d'Afrique ; ils rendront tous 
les prisonniers et même les transfuges , et toutes 
les terres conquises sur Massinissa; ils fourni- 
ront la subsistance de l’armée romaine pendant 
trois mois, et sa solde jusqu'au retour des am- 
bassadeurs qu’ils enverront à Rome; ils paieront 
chaque année, pendant un demi-siècle, un tri- 
but de 200 talens d'argent ; ils ne pourront plus 
faire la guerre sans l'agrément des Romains ; ils 
livreront tous leurs gros vaisseaux (à l'exception 
de dix galères); ainsi que tous les élénhans domp- 
tés , s’engageant à n’en plus dompter dans la suite : 
pour gage de leur exactitude à observer le traité, 
on choisira dans leur j jeunesse cent dtages. Enfin, 
un article préliminaire, sans l'exécution duquel 


ne 
C2 


» 
L2 


[e) 


ÆAnnibal. . 371 


n n’écouteroit mème aucune proposition , exige 


la restitution de tous les vaisseaux d'Octavius, 
pris par Asdrubal, et de tous les objets ‘dont ils 


é 


Ë 


toient chargés. 
« Sénateurs ! citoyens ! s'écria Annibal, en 
finissant ; je le sens trop, eh! qui plus que moi 
doit le sentir? il est dur , il est cruel d’avoir à 
subir de telles lois , après s’étre vu au moment 
de terrasser, de subjuguer son ennemi. Mais 
qu’auriez-vous à répliquer si lon vous en im- 
posoit de plus lourdes ? Examinez votre situa- 
tion et celle de Scipion. D’un côté, pas le 
moindre corps de troupes ; de lautre, une 
armée considérable et victorieuse. Acceptez, 
je le répète, acceptez sans hésiter le traité qu'il 
dicte ; vous devez y être engagés encore par 

d'autres motifs non moins impérieux , que 
vous devez pressentir , et sur lesquels la pru- 
dence exige que je tire un voile épais. Je ter- 
mine ce que j'avois à vous dire en vous re- 
commandant surtout de ne voir dans vos opi- 


»” nions que le salut de l’état, et non les intérêts 


d’un parti, intérêts presque toujours opposés 
aux vôtres, et qui vous ont induits souvent, 
pendant la guerre, à une marche opposée à 
ce qu'elle exigeoit, et par là causé indirecte- 
ment votre ruine. » 

Jusque là, les sénateurs ainsi que les assis- 


tans avoient été en proie à la plus morne stupeur ; 


€ 


e dernier trait, dirigé, selon toute apparence, 


contre les Hannonistes, réveilla toute la fureur 
de l'esprit de faction. 


572 Histoire. 


Un des chefs les plus ardens de ce parti, Gis- 


con , homme distingué par ses talens oratoires , 
son rang et son opulence , mais qui n’avoit jamais 
servi à la guerre, s’élança aussitôt à la tribune : 


« 


» 


Vous l’avez donc entendu, sénateurs , et vous 
Carthaginois! vous l’avez pu entendre sans in- 
dignation , l’infâme traité qu’on vous propose! 
Quoi! tant qu'il vous restera une goutte de 
sang dans les veines, vous auriez la bassesse 
de souscrire de tels engagemens ! N'avez-vous 
donc plus de soldats ; que dis-je? n'avez-vous 
plus de bras pour en créer ? n’avez-vous plus 
d'argent pour les équiper ? Eh! quand votre 
ville si forte par sa situation , et presque inex- 
pugnable, soit par les ouvrages dont vous avez 
couvert ses approches, soit par les flottes à 
l'aide desquelles vous conserverez le domaine 
de la mer environnante ; quand Carthage seroit 
sur le point d’être prise , que vous demande- 
roit-on de plus? On semble faire valoir la 
générosité de Scipion , parce qu'il nous laisse 
en possession des terres anciennes dont nous 
jouissions sur le territoire d'Afrique. Dieux 
immortels ! c’est dans vos temples qu’on ose 
se jouer ainsi de la bonne foi, à l’aide de la 
terreur? Eh ! ‘quelles seront vos ressources 
pour le défendre ce territoire si noblement 
abandonné? Les voici sans doute : des flottes ? 
on aura brülé tous vos vaisseaux de guerre ;.….. 
des chefs intrépides ? on n’aura pas manqué de 
prendre pour ôtages tous ceux de nos jeunes 


5 
gens qui montrent le plus de talens et d’intré- 


V 


Annibal. - 573 


pidité ;… des trésors ! dès ce moment, la res- 
titution qu'on exige achevera votre ruine , et 
chaque année , il faudra prélever sur votre in- 
dustrie des impôts accablans ; soit pour payer 
le tribut exigé, soit pour réparer les dommages 
de tout genre que la guerre vous a fait essuyer! 
Oui! les voilà bien tous ces moyens de dé- 
fense que vous aurez à opposer à tant de peu- 
ples farouches dont vous êtes entourés et qui 
vous dévorent d'avance , à Massinissa surtout ;, 
votre ennemi mortel , devenu dix fois plus 
puissant que vous par ce même traité ? » 

« C’est donc là le résultat de cette guerre en- 
treprise et continuée malgré les sages et fortes 
remontrances d’'Hannon et de ses amis! et en- 
treprise, par qui { ? vous le savez , dieux Justes ! ! 
par celui-là même qui se rend lé panégyriste 
d’une conclusion si honteuse! Ah! lorsque 
jy pense, je ne saurois me contenir davan- 
tage ; quoi ! après avoir épuisé ; en dépit de 
20US » pendant plus de quinze ans, notre sang 
*et nos richesses , au lieu de périr sur le Clap 
d'honneur , on vient nous dire froidement : 
Voila ce qui vous reste ! comblez votre misère 
en signant votre infamie ?.. Et pourrois-je le 
passer’ sous silence ? le chef de la famille de 
Barca , le fils aîné d'Amilcar , celui qui, à 
neuf ans, prononça sur les autels sacrés ces 
sermens détestables | et pour nous si funestes , 
de haine aux Romains, Annibal , Annibal à 
fait rougir cette tribune de l'éloge de Scipion, 
de ce Scipion , à qui, infortunés ! vous avez 


974 Histoire. 


» 


» 


» 


le sang de tant d’enfanis à demander! Il à fait 
l'éloge ! non; non, l’apothéose du général 
des Romains, de sa bienfaisance surtout, de 
cette bienfaisance avec laquelle il nous dit : Je 
consens à ne point vous anéantir , parcé que 
je ne le pourrois pas avant l'expiration de mes 
fonctions ; mais je me réserve de le faire lors- 
que je serai réélu consul, Eh ! qui seroit assez 
insensé pour ne pas entrevoir cette pensée ca- 
chée avec tant d'adresse ? Vous voulez bién, 
vous daignez, illustre Scipion , nous rendre 
notre territoire , mais c’est en nous ordonnant 
de ne pas faire la guerre sans la permission de 
votre peuple, de sorte que nous devrons cesser 
de vivre toutes les fois qu’il vous plaira, après 
avoir lâché les Numides contre nous , de nous 
refuser ce qu'on accorde aux plus infämes scé- 
lérats , le droit d'une légitime défense! Vous 
voulez bien ; vous daïgnez , homme généreux, 
à l’égal de la divinité, nous accorder la paix, 
mais c’est sous une condition presque inexéèu- 
table. Il fant, avant tout, et dans 24 heures, 
qu'on vous rende les vaisseaux pris sur Octa- 
vius, et les effets qu’on y avoit embarqués. 
Qui se chargera de consommer cette restitu- 
tion ? dispersés par les ventes publiques où par- 
ticulières entre mille mains; revendus ét en- 
voyés peut-être à des nations éloignées , où les 
chercher ? où les trouver ? La sublime géné- 
rosité que celle qui dispense dés bienfaits sous 
une condition impossible à remplir! et voilà 
les vertus pour lesquelles ôn commande pres- 


Annibal. 379 
» que notre admiration et notre recohhoïssance ! 
» Je vousadjure ici, dieux de l'univers ! et toi, 
» divinité tutélaire de mon pays, puissante Ju- 
» non! Ah! si nous avions affaire au mortel le 
» plus pétri de vices , le plus souillé de crimes...» 
Pendant tout ce discours , prononcé avec une 
force qui lui donnoit une énergie presque im- 
possible à peindre , les mouvemens d'Annibal 
annonçoient à chaque instant l’indignation dont 
il devoit d'autant plus être saisi, qu'il s’aperce- 
voit que Giscon produisoit le plus grand effet 
sur tous les esprits. À ces dernières phrases où 
il voit qu'on attaque sans ménagement Scipion ; 
de qui il est persuadé que l’existence de Car- 
thage dépend , il ne peut contenir sa fureur. il 
s’élance , sans demander la parole au suffète , il 
franchit les marches de l'escalier , saisit Giscon 
d'un bras vigoureux, l'arrache à la balustre où il 
vouloit se retenir , l’enlève comme un foible en- 
fant, et le jette, le précipite ; pour ainsi dire; 
au bas de la chaire aux harangues. 
*Rappelez-vous , mon père, cette tempête ef- 
frayante que nous observâmes l’année dernière 
auprès du Pirée. Souvenez-vous de ces flots sou- 
levés les uns contre les autres , de ces vagues 
énormes qui s’entre-choquoient et se brisoient , 
de ce mugissement terrible des vents déchainés , 
de ces éclats répétés de la foudre , de ces vais- 
seaux brisés sur les bancs ou jetés sur les côtes , 
et vous pourrez vous former une idée du tumulte 
-pouvantable qu'occasionna l’action d'Annibal, 
Au reste, vous ayez dû pressentir quelque chose 


376 , Histoire. 

de semblable , car cette action, contraire à toutes 
les règles, à toutes les bienséances d’un état li- 
bre, devoit d'autant plus courroucer, qu'à l'ex- 
ception des partisans les plus déterminés d'An- 
nibal, tous les sénateurs et même les specta- 
teurs étoient fortement indisposés contre lui ; 
et qu'éntrainés par le discours de Giscon, ils 
le regardoient comme l’auteur de tous les maux 
dont ils étoient accablés. 

Des hurlemens , des cris de fureur ou plutôt 
de rage , des trépignemens violens de pied font 
frémir et semblent devoir faire écrouler les 
voûtes et les murs du temple. « Arrêtez letraître! 
» en prison ! à l'exil! à la mort! au supplice! 
» aux mines ! aux bètes féroces ! » Voilà ce qu’on 
entend de toutes parts ; et en mème temps mille 
individus, presque tous les assistans se lèvent et 
semblent vouloir se jeter sur Annibal. Je ne doute 
pas même que s'il eût été placé auprès desbancs, 
on ne l’'eùt mis en pièces. Il ne fallut pas moins 
que la présence imposante et les gestes sup- 
plians du vénérable Bomilcar, qui, en faisant 
frapper à coups redoublés sur toutes les conques , 
indiquoit de la main l'autel et la statue de Junon 
à qui ce désordre faisoit outrage ; il ne fallut pas 
moins que l'autorité d’un magistrat chéri de tout 
le monde , et l'aspect de la divinité terrible de la 
république , pour empêcher qu’on ne se portät 
aux extrémités les plus fâcheuses. 

Mais tout cela n'appaisoit point le tumulte. 
Annibal, qui d’abord en avoit paru intimidé , 
s'étant bientôt remis, avoit, ainsi que ses gestes 

l'indiquoient, 


ÆAnmibal. 377 


Î'indiquoient, demandé la parole à Bomilcar, et 
l'ayant obtenue ; restoit ferme à la chaire , comme 
un rocher que ne peut ébranler une mer agitée. 
Sa constance entretenoit l'indignation de l’assem- 
blée."Bomilcar essayoit de se faire entendre, 
mais la voix de ce vieillard respectable, déjà af- 
foiblie par le travail et le temps , l’étoit encore 
plus par la vive émotion qu’il éprouvoit. Elle se 
perdoit comme les cris du matelot pendant une 
tempête. Enfin, sur son invitation, les autres 
suffètes réclamèrent à grands cris le silence ; 
mais peut-être ne l'eussent-ils pas obtenu, si la 
voix éclatante et sonore de Maherbal dominant 
un instant l'orage, n’eüt fait entendre ces pa- 
roles : « Sénateurs, c'est le premier magistrat 
» de Carthage, c’est l'illustre Bomilcar lui-même 
» qui, au nom de la déesse, vous supplie de 


» l'écouter une minute : respectez ses cheveux 
» blancs, po] 


A ces mots, l'agitation se dissipa assez rapi- 
dement ; ; il ne resta plus qu'un murmure sombre 
ét sourd , signe d’une colère concentrée , mais 
qui n’empêcha pas de distinguer la voix trem- 
blante de Bomilcar. 

« Sénateurs et citoyens ! quel véritable ami de 
la patrie ne gémiroit sur la scène dont nous Ves 
nons d'être les témoins? Vous avez à prononcer 
sur l’existence même de la république ; il ne vous 
reste que peu d'heures pour décider de son sort, 
et vous vous livrez à des mouvemens frénétiques 
à peine SU DPARSPIES dans des temps de paix et 


de prospérité ! Votre fortune, vos familles, vos 
T, PV, Octobre 18c6. Aa 


578 Histoire. 

enfans , vosintérèts les plus chers vous comman- 
dent l'union, et vous vous divisez ! C’est au nom 
de ces mêmes intérêts sacrés que je vous invite, 
que je vous supplie d'observer l'ordre le plus 
inperturbable et le silence le plus profond pen- 
dant cette discussion.... J'ai accordé la parole 
à celui qui commandoit vos armées au Tésin, à 
la Trébie , au lac Trasimène et à Cannes. » 

Pendant cette espèce de censure, les Cartha- 
ginois , honteux d'avoir manqué de respect à leur 
chef et au lieu saint où ils étoient réunis, étoient 
devenus tout-à-fait calmes , et Annibal commen- 
çoit même à parler, lorsque soudain Phylax s'é- 
cria : « La parole étoit à Giscon : personne n'a- 
» voit le droit de l’interrompre ; qu'il finisse son 
» discours; nous pourrons ensuite en écouter 
» d’autres. » 

Cette observation est le signal d’un nouveau 
tumulte. Tout le parti d'Hannon et même beau- 
coup du parti plus modéré appuient avec force 
l'avis de Phylax, tandis que la faction de Barca, 
revenue de sa première stupeur , parce qu'elle se 
voit en cette occasion appuyée du suffrage im- 
posant de Bomilcar , soutient à grands cris qu'An- 
nnibal doit être entendu. Nouveaux trépigne- 
mens , nouveaux coups sur les conques ; enfin il 
faut que la voix de Maherbal domine une seconde 
fois l'assemblée pour obtenir le silence, non pour 
le discours d'Annibal , on n'y eût pas réussi, mais 
pour une seconde observation de Bomilcar. 

« Sans doute , dit celui-ci, sans doute, séna- 
» teurs , Giscon avoit la parole, et je suis bien 


Annibal. 379 


» loin d'approuver la violence inconcevable dont 
#» on à usé pour lui faire quitter la chaire aux 
» harangues. Mais c'est afin de se justifier de 
« cette même violence qui vous indigne , qu'An- 
» nibal demande à parler, sauf à lui continuer 
» la parole sur le traité, si vous étes satisfaits 
» de son explication. » 

Les Hannonistes n'osèrent répliquer, et si j'en 
excepte le méme murmure sourd que je vous ai 
déjà annoncé , l'assemblée fut assez calme, Je 
l'avoue toutefois, prenant le plus vif intérét à 
l'homme célèbre qui étoit sous mes yeux , j'é- 
prouvois une forte inquiétude , parce que je ne 
concevois point comment il pourroit se justifier 
d’une action qui , en effet , étoit absolument con- 
damnable, ” 

« Citoyens, dit Annibal d’un ton ferme, mais 
» cependant plus doux que celui de son pre- 
» mier discours , citoyens, ce n’est pas précisé- 
» ment pour justifier ma conduite envers Giscon 
y que je reste à cette chaire ; ainsi que l’a observé 
» le sage Bomilcar.... » 

Quelques légers murmures se firent alors en- 

tendre; mais Annibal les appaisa en élevant la 
voix. 
« Je la condamne moi méme, cette conduite, 
plus que qui que ce soit, Je me blâme d'avoir 
cédé à un mouvement dont je n'ai pas été le 
maitre; mais si je n'ai pas l'intention de la 
justifier , il m'est au moins possible de l'ex- 
cuser, 


» J'avois à peine 9 ans lorsqu'Amilcar, d'im- 


NW +.  e 


3580 À Histoire. 


» 


» 


» 


» 


» 


» 


» 


» 


» 


» 


» 


» 


» 


» 


» 


» 


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» 


» 


» 


» 


» 


» 


» 


» 


» 


» 


» 


» 


mortelle mémoire , m'emmena hors de vos 
murs. Depuis cette époque 36 années se sont 
écoulées sans que j'aie pu revoir ma patrie. 
Loin de mes parens, de mes amis, de mes pro- 
priétés, j'ai consumé tout le beau temps de la 
vie sous des climats étrangers et rigoureux en 
comparaison du vôtre, au milieu de peuples 
barbares ou de soldats souvent féroces. Faut- 
il vous le rappeler, ingrats! les charmes de 
l'oisiveté, les passe-temps de la mollesse, les 
jouissances du luxe et de l'opulence étoient 
votre lot, tandis que je bravois l'intempérie 
des saisons ; que j'étois en proie à la faim, à la 
soif , à toutes les misères ; que je supportois 
des fatiques incroyables ; que je versois enfin 
mon sang pour éloigner de vous le théâtre de 
la guerre et les horreurs inévitables dont elle 
est accompagnée. 

» Vous avez, dites-vous, souffert dans vos pro- 
priétés.... Celles de la famille de Barca ont- 
elles été respectées en Espagne ? et à Carthage, 
ont-elles contribué moins que les vôtres à la 
causé commune?... 

» Vos parens ont péri dans les combats !.... 
Ah! sans doute, le destin m'a plus favorisé!... 
Asdrubal ! malheureux Asdrubal! frère trop 
tendre et trop chéri, j'évoque ici tes mânes 
indignés! Viens! viens toi-même montrer au 
sénat ta tête sanglante , ce seul reste de ta dé- 
pouille , que le barbare Néron fit jeter dans 
mon camp !... 

» Ainsi, partageant avec vous toutes les cala- 


ÆAnnibal. 381 


mités de la guerre, je m'en suis, pour ainsi 
dire , réservé les fatigues, sans pouvoir me dis- 
traire comme vous par des jouissances ; bien 
plus , et c'est où j'en voulois venir, pendant 
ce long intervalle, je n'ai pas trouvé un seul 
instant que je pusse employer à m'instruire 
des arts et des lettres, des mœurs et des cou- 
tumes de mon pays. Absorbé par ce qu'exigeoit 
ma dure profession , toutes les étudesauxquelles 
il m'a été permis de me livrer l'ont eue exclusi- 
vement pour objet, et j'ai le droit, puisque 
Scipion lui-même a rendu justice à mes talens, 
j'ai le droit de dire que mon éducation militaire 
n'a point été infructueuse. Quant aux usages 
des assemblées libres , ce n’est point au milieu 
d'une armée, où les soldats doivent courber 
sous la verge des officiers, et les uns et les 
autres fléchir au moindre geste du général, 
ce n’est point là que j'ai pu en prendre une 
idée. 

» Ne soyez donc point surpris, citoyens de 
Carthage, de ce que j'ai manqué à vos règles ; 
elles m'étoient inconnues. 

» Mais ce n'est pas-seulement à cette igno- 
rance de vos lois que vous devez attribuer ma 
faute ; c’est, s'écria-t-1il, à un excès de zèle 
pour mon pays. 

» Tant que Giscon s’est borné à verser de l'op- 
probre sur moi et sur les miens, j'ai été indi- 
gné, Je l'avoue , d'un tel prix donné à mes ser- 
vices; mais je me suis tü, et je ne daigne pas 
même en cet instant vous en occuper. Je lui 


5062 Histoire. 


» 
» 
» 
» 
» 
» 
» 
» 
» 
» 
» 


» 


» 


2 


» 


» 


» 


» 


1» 


» 


» 


» 


» 


» 


» 


livre, à lui et à tous les amis d'Hannon, toute 
ma vie publique ; ils peuvent en faire le but de 
leurs noirceurs, bien sûrs que je ne leur op- 
poserai jamais que le mépris profond qu'ils mé- 
ritent. Je n’ai pu au contraire me défendre d’é- 
clater, ou plutôt j'ai dù, oui j'ai dû l'inter- 
rompre pour arrêter le déluge de maux que 
son éloquence imprudente alloit attirer sur 
vous. Scipion, je le répète, a de la générosité. 
Croyez-vons que cette vertu empêche d'être 
sensible à l'injure? et sera-ce par les outrages 
que vous vous concilierez sa bienveillance. 

» Je conviendrai encore avec vous, puisque 
vous me forcez à dévoiler ce que je voulois 
taire ; je conviendrai que la crainte de voir ter- 
miner la guerre par un nouveau consul, entre 
peut-être dans les motifs pour lesquels Scipion 
nous accorde la paix. Que vous importe le plus 
ou moins de noblesse de ses intentions , dès 
lors que vous en tirez avantage ? Aurez-vous 
plus de moyens de défense contre Lentulus, 
son successeur, ou contre tout autre chef des 
Romains? C'est ce qu'il s’agit d'examiner , et 
c’est ce qu'on eût dù faire au lieu de se livrer 
à des déclamations non moins dangereuses que 
vaines et outrageantes. » 

Annibal demanda alors au premier suffète qu'il 


lui fût permis de discuter le fond de la question. 
Bomilcar voyant que les esprits paroissoient si- 
non entièrement satisfaits, du moins assez fati- 
gués pour répugner à de nouveaux orages, fit 
signe à l’orateur de continuer. 


Annibal. 383 


- «Je voulois encore, reprit Annibal, taire les 

» observations que je vais vous présenter; car 
» quels risques ne courons-nous pas de dévelop- 
» per en public notre détresse, de donner des 
» détails si intéressans pour l'ennemi? Et, vous 
» le savez, il a assez d’espions dans cette en- 
» ceinte pour ne pas tarder à apprendre tout ce 
» qui s'y sera passé. N'imputez qu’à votre con- 
» duite , sénateurs, les suites fâcheuses que pour- 
» ront entraîner ces explications. » 

Il leur exposa aussitôt, en militaire et en ad- 
ministrateur consommé , l’état véritable de leur 
pays sous le point de vue des moyens de défense 
ou d'attaque qui lui restôfent ; leur montra qu'ils 
étoient et seroient encore long-temps sans ar- 
mée, parce qu'il ne suffsoit pas d’un jour, d'un 
mois, d'une année pour former des soldats ca- 
pables de se mesurer avec des Romains; que 
leur ville n'ayant aucune protection extérieure , 
on pourroit l'assiéger aussitôt qu’on le voudroit ; 
que si les fortifications en étoient imposantes, la 

+ population nombreuse qu'elle renfermoit en ac- 
célèreroit la prise à cause de l'impossibilité de 
nourrir une si grande multitude ; qu'ils étoient 
en effet dépourvus de vivres et de munitions de 
tout genre; qu'ils n’avoient pas assez d'officiers 
pour diriger leurs troupes, parce que presque 
tous avoient péri.... Ces considérations et une 
foule d'autres prouvoient donc jusqu’à l'évidence 
la nécessité actuelle de faire la paix , ne füt-ce 
que pour gagner le temps qu'exigeoit le rétablis- 
sement de leur armée, de leurs magasins, etc. 


384 - HiStorré: 


Vainement on mettoit de la confiance dans la 
flotte... Si elle étoit encore considérable, les 
Romains , en rassemblant leurs vaisseaux épars 
et en s'alliant avec les Rhodiens et autres peu- 
ples marins, en formeroient aisément une plus 
nombreuse ; que d’ailleurs aucun effort ne coù- 
toit à ce peuple lorsqu'il vouloit subjuguer ses 
ennemis ; que s'il s’agissoit d’autres nations, on 
pourroit baser ses mesures sur la vraisemblance 
et proportionner les efforts aux moyens possi- 
bles de ces nations ; qu'il falloit calculer d’une 
toute autre manière lorsqu'il s'agissoit des Ro- 
mains, des Romains ip conduits par un 
Scipion ; qu'il ne falloit plus compter sur le pos- 
sible et le vraisemblable avec eux, mais considé- 
rer au contraire l’invraisemblable , le surnaturel 
comme de véritables jeux pour eux. 

« Réfléchissez maintenant , sénateurset citoyens, 
» dit Annibal en finissant; réfléchissez sur ce que 
» vous m'avez si imprudemment forcé de vous 
» dire, et voyez si les simples règles du bon sens 
» vous permettent d'hésiter une minute sur l’ac- 
» ceptation du traité. Quant à moi, je vous le dé- 
» clare avec franchise, loin de trouver réelle- 
» ment onéreuses les conditions proposées par 
» Scipion, je suis surpris qu’elles soient aussi 
» douces. À sa place, je vous eusse traité dix 
» fois plus rudement. 

» Ecartez donc loin de vous, sénateurs , 
» des suggestions irréfléchies ou artificieuses, 
» qui ont pour elles qu'un vain étalage de 
# mots. Réunissez - vous pour que cette séance 


ÆAnnibal. 385 


ne se termine point sans un décret. Il est 
vrai que lorsque vous êtes partagés d'avis 
on a recours au peuple , et par là on obtient 
également une décision ; mais c'est justement 
ce qu'il faut éviter. Ge n’est point une multi- 
tude également incapable de supporter les in- 
convéniens de la guerre et de goûter les dou- 
ceurs de la paix, qu'il faut faire l'arbitre d'aussi 
grands intérêts. 

» Au reste, lors méme que vous céderiez à 
des conseils passionnés ou perfides, je sous- 
cris d'avance à votre résolution. Arrêterez-vous 
que Carthage s’ensevelira sous ses ruines plu- 
tôt que de consentir à ce que certains d'entre 
vous appellent une paix déshonorante ? Je ne 
serai pas le dernier à concourir à l'exécution 
de vos ordres. Dans quelque rang que vous 
me replaciez , général ou soldat, nous verrons 
si Giscon , qui, à cette place, a fait si sou- 
vent éclater une éloquence funeste, s’exposera 
avec autant de courage et de constance à l'épée 
des Romains.... J'ai dit.... » 

Annibal eut à peine fini, qu'un grand nombre 


de sénateurs se portèrent auprès de Bomilcar , à 
qui ils avoient demandé par signes la permission 
de parler. On remarquoit parmi eux beaucoup 
d'Hannonistes, qui, sans doute, vouloient effa- 
cer l'impression produite par le tableau fâcheux 


-qu'Annibal venoit de faire de l'état de Carthage. 


Bomilcar fut embarrassé. Il paroît que convaincu 
de la nécessité de la paix , il désiroit écarter ceux 
qui vouloient la guerre. IL n'osa toutefois , dans 


386 Histoire. 


la situation actuelle des esprits, prendre sur lui 
de désigner le premier orateur, quoique sa place 
lui en donnûit le droit. Il se contenta de faire 
lire la liste des aspirans. Comme Giscon étoit 
inscrit en tête, plusieurs voix réclamèrent qu'il 
fût entendu ; mais Giscon étoit précisément celui 
que Bomilcar désiroit le plus écarter. Craignant 
alors de paroître favoriser les Barcides, il eut l'a- 
dresse de proposer un sénateur du parti modéré ; 
un sénateur dont les connoissances profondes sur 
les matières de commerce pussent, dit-il, éclai- 
rer l’assemblée dans ces circonstances critiques. 
Vous devinez déjà qu'il s'agissoit de Magon. 

Je reconnus encore combien tout ce qui te- 
noit à la richesse et au commerce avoit de l'in- 
fluence sur l'esprit des Carthaginois, même dans 
les circonstances les plus délicates. Quoique Ma- 
gon fût le dernier ipscrit ; quoiqu’on l'eût vu un 
instant auparavant s’entretenir à voix basse avec 
le secrétaire d'Annibal , ce qui pouvoit faire croire 
qu’il embrassoit l'avis de la faction de Barca, à 
son seul nom l'assemblée consentit presqu'una- 
nimement à l'entendre, et elle décida que Giscon 
n'auroit la parole qu'après lui. 

Magon n’est ni orateur , ni homme de lettres ; 
mais il montre autant d'adresse dans ses haran- 
gues que dans ses spéculations : il est rare que 
lorsqu'il est question de quelque objet tenant au 
commerce , il ne réussisse pas à faire passer l'avis 
qu'il appuie. \ 

Son début parut cependant impolitique , car 
sans la moindre préparation il dit qu'il falloit à 


Ænnibal. 387 


quelque prix que ce füt faire la paix. Il répara 
presque aussitôt cette faute, en déclarant qu'on 
devoit lui donner d'autant plus de confiance, qu'il 
parloit contre ses propres intérêts. La fourniture 
des armées, dont il étoit presque toujours chargé, 
lui offroit en effet des chances de bénéfice bien 
plus grandes que le commerce de paix. En l'état 
même, personne ne devoit avoir autant que lui 
à souffrir de la paix. Comme la restitution effec- 
tive de marchandises exigée dans les 24 heures 
par Scipion étoit impraticable, on seroit obligé 
d'y suppléer en payant leur valeur. Or Magon 
se trouvant le Carthaginois le plus riche en nu- 
méraire , il seroit selon toute apparence forcé de 
verser ses propres fonds dans le trésor épuisé de 
l'état , sans obtenir à leur place autre chose qu'une 
perspective incertaine de remboursement. 
S’apercevant alors que les esprits étoient frap- 
pés de ces observations, Magon s’attacha à éta- 
blir que la paix étoit devenue indispensable pour 
+ le commerce et les manufactures. Celles-ci, pri- 
vées de bras que la guerre leur enlevoit, mar- 
choient rapidement vers leur décadence; celui- 
là, privé de débouchés par l’interception des 
communications , et de capitaux par la consom- 
mation excessive d'argent qu’exigeoient les ar- 
mées , ne languissoit pas moins. La paix , au con- 
traire, raviveroit en peu de temps et l’industrie 
et le négoce ; l’une et l’autre appelleroient les ri- 
chesses à Carthage, et en peu d'années on auroït 
des ressources suffisantes pour former des armées 
et des flottes propres à résister aux Romains, et 


388 Histoire: 


même à faire des conquêtes, si l'on en prenoit la 
ruineuse fantaisie. 

C'est dans cet instant qu’il me fut facile de re- 
connoître l'esprit artificieux de Magon. Jusque 
là il s'étoit montré le partisan d’Annibal; aussi- 
tôt, pour prouver son impartialité, il fit une cen- 
sure piquante du système des conquêtes et des 
expéditions lointaines, que les Barcides favori- 
soient depuis tant d'années. Rien n’étoit, selon 
lui, moins convenable aux véritables intérêts d’un 
peuple commerçant et manufacturier. Presque 
toujours ces conquêtes occasionnoient des guerres 
longues, accablantes , etordinairementruineuses, 
lors même qu'on obtenoit des succès, soit parce 
que l’entretien des armées exigeoit des pe 
bien supérieurs à la valeur des conquêtes, soit 
parce que le commerce et l'industrie étoientanéan- 
tis ou fort diminués pendant la durée de ce fléau. 
Un peuple tel que celui de Carthage ne devoit 
avoir au contraire qu'un seul but, la prospérité 
de ce même commerce et de cette même indus- 
trie ; et cette prospérité, il étoit sür de l'obtenir 
et même de l’accroître sans cesse pendant la 
paix. : 

« Eh ! que vous importe , s’écria-t-il avec un en- 
thousiasme qui subjugua pour ainsi dire l’assem- 
blée, que vous importe que Rome ait l'Espagne, la 
Sardaigne et la Sicile ? qu'elle compte au nombre 
de ses sujets directs ou indirects tous les peuples 
de l'Italie, et qu’elle ait lieu même d’espèrer d'y 
ranger tous ceux de La Macédoine et de la Grèce ? 
Quand nous serions réduits à notre modeste en- 


[] 


Annibal. 3689 


teinte , c’est nous qui serions les véritables sou- 
verains, et des Romains, et de tous ces peuples, 
si notre commerce reprend, comme cela doit 
bientôt arriver , son ancienne splendeur ? Il est 
plus facile de former des fantassins que des ou- 
vriers habiles ; et toute la réputation de Scipion 
ne lui obtiendroit pas un crédit égal à celui d’un 
de nos petits négocians. Loin de redouter que 
Rome fasse des conquêtes, nous devons au con- 
traire désirer qu'elle consomme à un tel emploi 
les fonds dont a besoin son commerce, et que 
les dépouilles des peuples vaincus inspirent à 
ses habitans le goût du luxe. Il s’écoulera en- 
core bien des années avant que ses artisans aient 
le talent nécessaire pour lui fournir les choses 
les plus communes. C’est ici, c’est à Carthage, 
c’est à nous qu'elle sera forcée de s'adresser pour 
la satisfaction de ses besoins ; c'est pour nous 
enrichir qu'elle aura ravi les trésors de tant de 
peuples !... Eh! chers compatriotes, s'il étoit 
besoin de faits pour établir des vérités si évi- 
“dentes aux yeux de quiconque à les moindres 
notions du commerce, je vous en citerois une 
foule que je connois, puisqu'ils me sont person- 
nels. IL suffit en cet instant de quelques-uns. 

» Lorsque ce redoutable Scipion détruisoit 
nos armées en Espagne , ses agens venoient me 
solliciter de lui fournir des tentes pour toute son 
armée ; et ces tentes, je les tirois du pays des 
alliés de Rome , et une partie de Rome elle- 
mème :... Ce sont les magasins de Magen qui 
ont mis à contribution l'Afrique intérieure, l'E- 


390 Histoire. 

gypte, la Phénicie, le Pont, la Gaule et jusques 
à l'île de Thulé , pour la décoration du capitole 
de Rome et des temples où son sénat se réunit. 
Là ces fiers conquérans ont pu dicter les mesures 
qui nous ont enlevé nos conquêtes ; mais il leur 
a été impossible de se soustraire à l’ascendant de 
notre génie et de notre activité. Il n’y a pas jus- 
qu'aux chaises d'ivoire , sur lesquelles ils étalent 
leur orgueil inhumain , qu'on n'ait fait toutes ve- 
nir de Carthage ! » 

Que l'esprit de l’homme est petit! comme il 
est aisé lorsqu'on flatte ses passions de le manier 
à sa fantaisie ! Annibal avoit aigri la faction d'Han- 
non, et plutôt abattu que persuadé les autres, 
quoiqu'il fût difficile de répondre à sa peinture 
effrayante de l’état désastreux de la république. 
Magon , en excitant la cupidité insatiable des uns 
et des autres, et réveillant leur goût pour le trafic, 
les réunit tous. Sa harangue insinuante eut un 
tel succès, qu’on l'empêchäât d'achever en deman- 
dant de toutes parts à aller aux voix. 

Bomilcar profita sur le champ de ces disposi- 
tions favorables. Sur sa demande, Maherbal in- 
vita les sénateurs qui opinoient pour la paix à se 
porter auprès de l'autel de Junon. Il y eut un 
mouvement presqu’unanime. Un très-petit nom- 
bre des Hannonistes resta seulement sur les bancs; 
et les applaudissemens redoublés des spectateurs 
prouvèrent au sénat combien le peuple étoit las 
de la tragédie sanglante qu'on lui faisoit jouer de- 
puis tant d'années. 

Aussitôt Bomilcar, qui n’ayoit pas quitté son 


Annibal. 39t 


siége élevé, tend les bras à Junon et se jette à 
genoux pour remercier la déesse de l'issue pro- 
pice de cette séance orageuse. Tous les sénateurs, 
tous les spectateurs l’imitent dans un clin d'œil; 
et dans la même posture , les musiciens enton- 
nent un hymne de remercimens dont le refrein, 
à chaque verset , est répété par toute l'assem- 
blée. 

Ah ! certes, quand j'aurois le pinceau sublime 
d'Homère, il me seroit impossible de vous don- 
ner une idée de cette scène majestueuse et tou- 
chante, surtout après les émotions terribles que 
j'avois éprouvées jusque là... 

La nuit étoit fort avancée lorsque l'hymne fut 
achevé. Bomilcar , voulant laisser rasseoir les es- 
prits agités, renvoya au lendemain la nomina- 
tion des ambassadeurs et l'examen des autres me- 
sures relatives à la paix, et leva en même-temps 
la séance. 


B'T'O GR AMEMEANT E: 


NorTices sur Michel ÆDANsoN, membre 
de l’ancienne Académie des Sciences, 
de l’Institut de France, de La Société 
royale de Londres, etc. 


Omnia in majeslale naturæ abdita. ,., 
..et nusquäm magis quäm in minimis 
natura tota est. (PLINE.) 


Mrcuer ADANSON naquit à Aix en Provence, de 
Léger Adanson et de Marthe Buisson, le 7 d’a- 
vril 1727, et fut amené à Paris à l’âge de trois 
ans. 

D'abord destiné à l’état ecclésiastique, très-jeune 
encore on le pourvut d’un petit canonicat à Cham- 
peaux en Brie; mais son génie ne tarda pas à pren- 
dre une autre direction. 


Son ardeur pour le travail lui mérita de bonne 
heure le surnom d’infatigable, et devint une pas- 
sion irrésistible. : 

Son goût se déclara pendant ses premières études. 
En 1732, il commencçoit déjà à observer les plus 
petites plantes , telles. que les mousses, qu'il culli- 
voit sur les fenêtres, et les plus petits insectes, mais 
surtout les insectes utiles, ï 


_ Adanson. 993 


fl eut bientôt fini ses études aux colléges Sainte- 
Barbe et Duplessis, où il remporta les premiers prix 
de poésie grecque et latine, qui lui valurent un Pline 
et un Aristote. 


En 1740 , il commença à faire des notes sur ces 
livres précieux. Mais après en avoir comparé les 
principes , il vit qu’il étoit impossible d’en tirer une 
méthode générale et applicable à toutes les sciences, 
pour les réunir en une seule. Il quitta les livres des 
philosophes pour chercher, dans les existences , 
les lois de la nature. Ce fut alors qu’un vaste champ 
s'ouvrit à son avidité de out Die Hire 
1°. trente-trois mille espèces d'êtres, et il en com- 
posa une série, jusques alors inconnue, suivant sa 
nouvelle philosophie, de l'ensemble des rapports 
de toutes leurs parties ; il sentit 2°. que toutes les 
sciences naturelles, qui jusque là n’avoient été que 
des sciences de noims , pouvoient devenir enire ses 
mains des sciences de rapports, et qu’ensuite il par- 
viendroit à fixer la définition naturelle de toutes les 
sciences. Tel fut le plan de la méthode suivant la- 
quelle, il rangea sa collection, après huit ans d’un 
travail opiniâtre. 


Il se disposoit à publier cette nouvelle méthode, 
lorsqu'il aperçut que le nombre de trente-trois mille 
espèces, quelque grand qu'il eût pu paroître aux 
plus habiles naturalistes de,ce temps là , qui en bor- 
noient le catalogue à quatorze ou quinze mille ( voy. 
LinNÉé, Système naturel), laissoit au moins deux 


1 


T. T. Octobre 1806. Bb 


594 Biographie. 
tiers de vides ou d’intervalles à remplir dans leur 
série, en faisant des recherches nouvelles. 

Pour remplir un si vaste dessein et compléter , 
autant que possible, sa collection, il sentit la néces= 
sité de voyager beaucoup et de réunir les observa- 
tions de tous les voyageurs. 

Il avoit, en 1745, abandonné son canonicat de 
Champeaux en Brie; il sacrifia, en 1748, un patri- 
moine honnête; et dans le choix qui lui restoit à 
faire des pays qu’il devoit parcourir, il se dirigea 
vers les climats les plus variés et les plus fertiles de 
la terre, qui sont en général dans la zone torride. 
Le centre de l'Afrique eut la préférence, et Adan- 
son partit de Paris pour le Sénégal en octobre 1748. 

Il visita, en 1749, les îles Canaries, et envoya ses 
premières découvertes à l’Académie des Sciences , 
qui l’admit, en 1750, au nombre de ses correspon- 
dans, et lui en envoya les lettres-patentes. 

Il arriva au Sénégal, où cinq années de recher- 
ches et d'observations dans ce pays , aussi riche que 
peu connu alors, lui procurèrent la découverte du 
prodigieux nombre d’existences dont je parlerai. Il 
ne se borna pas à ce genre de travail; il voulut en- 
core se rendre utile aux arts et au commerce. Il 
parcourut à cet effet les parties les plus fertiles et 
les mieux situées du Sénégal, en leva la carte géo- 
graphique , suivit le cours du Niger, et dressa enfin 
une carte de sept lieues pour un projet de colonie, 
dans laquelle sont désignés le nombre et l'étendue 
des forêts , des salines, des bancs de coquilles, des 
lacs , des étangs , etc. 


Adanson. 305 

Ses recherches le conduisirent à la découverte de 
deux vrais gommiers arabiques ; et par des expé- 
riences aussi bien raisonnées que variées , il parvint 
à tirer de l’indigo naturel au Sénégal, et différent de 
celui d'Amérique, une fécule bleu-céleste; décou- 
verte précieuse qui dut l’étonner , puisqu'elle avoit 
échappée aux essais réilérés des plus habiles indigo- 
tiers que la Compagnie des Indes avoir fait passer, 
à diverses reprises, de l'Amérique au Sénégal. 

En 1753, la Compagnie des Indes désirant tirer 
du Sénégal un parti aussi avantageux que le com- 
porte la richesse de cette contrée, demanda à M. 
Adanson un plan d'établissement pour une colonie 
de culture universelle. Il démontra, dans ce plan, 
que la culture de l'indigo, du coton, du tabac à 
fumer (le meilleur qu'il y ait au monde }, du riz 
du café moca , du cacao, du poivre, du gingembre, 
des épices des Moluques , acquerroit une perfection 
que l’excessive chaleur du climat pouvoit seule dé- 
términer. Adanson démontroit aussi qu'avec cer- 
tains égards pour les rois de Galam et de Bambouc, 
on obtiendroit facilement là permission d’exploiter 
les riches mines d’or de ce pays, plus abondantes 
que les fameuses mines du Pérou et du Mexique; 
qu'elles rapporteroient dix à douze millions par an, 
ce que l’on tripleroit dans un besoin pressant ; que 
la gomme rendroit depuis huit jusqu’à quatorze mil- 
lions ; que la traite des nègrés de la plus belle race, 
la vente de la cire, du miel, du séné, des bois de 
teinture, du sel blanc, des cuirs vérts , du mais, du 
songo (espèce de chou ), etc., produiroient sept à 


396 Biographie. 

huit millions : réunion d'avantages qui n'eut pour 
la France aucun résultat heureux, parce que le pro- 
jet resta inexécuté. 


Le 6 d'octobre 1753, Adanson quitta le Sénégal 
pour revenir en France : il essuya une traversée 
des plus orageuses et des plus pénibles , et il arriva 
à Paris après cinq ans d'absence, rapportant de ses 
voyages une collection immense d'observations phi- 
losophiques , morales, politiques et écouomiques , 
sur le gouvernement des nations très- variées des 
pays qu'il avoit parcourus , et des observations phy- 
siques sur environ trente mille espèces d'existences 
inconnues , qui, jointes aux trente-trois mille qu'il 
connoissoit auparavant, donnoient à la philosophie 
naturelle universelle une base de soixante-trois mille. 
( Depuis cette époque il m'a plusieurs fois assuré que 
ses connoissances en ce genre s’étoient élevées à plus 
de quatre-vingt-dix mille. 

Peu après son retour du Sénégal, Louis XV lui 
confia son jardin de botanique de Trianon, avec le 
titre de naturaliste du roi. 


En 1755, il lut à l’Académie des Sciences, de la- 
quelle il n’étoit encore que correspondant , un mé- 
moire qui avoit pour objet la description d'un ver 
rongeur des vaisseaux au Sénégal. 


En 1756, il donna à l'Académie la description 
du ézobab du Sénégal , avec un modèle de descrip- 
tion complète des rapports qui caractérisent toutes 
les parties et qualités des plantes qui composent la 


Adanson. 397 
famille des malvacées, à laquelle appartient cet 
arbre, le plus gros de la terre. 

En 1757, il publia son Histoire naturelle du Sé- 
néoal, avec une carte géographique du pays. 

En 1758, M. de Lamoignon - Malesherbes le fit 
nommer censeur des livres. 

Le 15 décembre de la même année, il publia, 
sous le nom du duc de Noya Carafa', seigneur na- 
politain, une lettre adressée à Buffon sur la tour- 
maline (pierre très-électrique lorsqu'elle est chaul- 
fée, produisant attraction et répulsion }). On a donc 
attribué cette lettre au duc de Noya, et les savans 
n’ont pas osé assurer qu'elle fût d’Adanson. Mais 
je puis avancer cette assertion que je tiens de lui- 
même, et l’on doit trouver dans ses manuscrits la 
lettre originale. 

En 1759, il fut nommé membre de l'Académie 
des Sciences , dans la troisième et dernière classe , 
celle d’adjoint botaniste. 

A la rentrée publique de l'Académie, le 14 oc- 
tobre de la même année , il lut le plan de son ou- 
vrage sur la botanique, intitulé : Famille des plan- 
tes, fondée sur son principe nouveau, que s°7/ y & 
dans la nature un système que nous puissions 
saisir , il ne peut être fondé que sur l'ensemble 
des rapports des caractères tirés de toutes les 
parties et qualités des plantes. 

En 1560, il devint membre de la Société royale 
de Londres. 

Il lut, dans la même année, un mémoire sur 
une augmentation remarquable de la Seine de- 


398 Biographie. 
puis l'automne de 1759 jusqu'au commencement de 
1760. 

Appelé par l'empereur pour fonder à Louvain une 
Académie universelle suivant son plan de philoso- 
phie naturelle , il reçut en même temps une lettre 
de Charles Linné, qui lui offroit de le faire nom- 
mer membre de l’Académie d'Upsal en Suède. 

En 1761, les Anglais ayant pris le Sénégal et 
senti l'importance de cette nouvelle et riche posses- 
sion, lord North, alors premier ministre et premier 
intéressé dans le commerce de la compagnie an- 
glaise du Sénégambi, envoya à M. Adanson M. 
Cumming, second intéressé, pour acquérir, à quel- 
que prix que ce fût, sinon l'original, du moins une 
copie des cartes détaillées qu’il avoit faites sur les 
productions naturelles et toutes les cultures utiles au 
commerce. Le philosophe désintéressé rejeta toute 
espèce de proposition et même la plus légère com- 
munication de ses cartes , réservant ce travail pour 
un moment plus favorable à la patrie. 

En 1762, il publia ses Familles des plantes, qu'il 
donna gratuitement à son libraire. Peu après il es- 
suya une banqueroute relativement à son Æistoire 
du Sénégal. 

Cette même année, le ministre Choiseul lui de- 
manda un travail très-développé sur les moyens de 
former le nouvel établissement des colonies de 
Cayenne et de la Guyanne. Il fournit un+volume 
in-folio de mémoires instructifs sur ces objets ; il 
ÿ Joignit un autre travail non moins important , de- 
mandé en même temps pour l'ile de Goré. Tant 


| 


Adanson. 399 


de services restèrent sans récompense et tournèrent 
au profit de gens qui surent se les approprier. 

En 1764, il lut à l’Académie une observation bo- 
tanique sur un pied d'orge monstrueux chargé d’épis 
rameux; l’année suivante, un mémoire sur les blés 
à épis rameux, appelés blés de miracle, et sur la 
découverte d’un orge de miracle. 

En :766, l’impératrice des Russies lui fit faire 
des propositions extrêmement avantageuses, pour 
le déterminer à aller professer dans l’Académie de 
Pétersbourg les sciences maturelles, suivant les prin- 
cipes de sa nouvelle philosophie. ( A une époque 
beaucoup plus récente, la Cour d'Espagne lui a fait 
de semblables propositions. ) 

Le 31 janvier 1767, il lut à l’Académie des Ob- 
servalions météorologiques faites à la campagne près 
de Paris , pendant les froids qui venoient d’avoir 
lieu. 

. Le 24 mars suivant, il lut un autre Mémoire sur 
un mouvement spontané oscillatoire en tout sens , 
découvert dans une espéce de plante du genre de 
la tremelta. 

La même année, il fit à ses frais un voyage en 
Normandie et en Bretagne; voyage qui avoit pour 
but l’histoire naturelle de ces deux provinces. 

Le 8 juillet 1766, il communiqua à l’Académie 
une observation sur l'orage tombé le 7 à Paris, avec 
des grélons pyramidaux à six pans, d’une grosseur 
extraordinaire pour ce climat. 

Au mois d'octobre suivant, il lut un mémoire par 
lequel il prouve que les espèces ne changent pas. 


400 Biographie. 

En 1771, il éprouva une injustice sur la survivance 
de M. de Buffon au cabinet d'histoire naturelle du 
Roi, qui fut accordée à M. d’Angivilliers. A cette 
occasion, il ne regretta que la perte des facilités 
que lui auroit procurées cette place pour la publi- 
cation de son Encyclopédie. T1 lui fut accordé une 
pension de deux mille francs en récompense de 
ses services , pendant dix-sept ans au jardin de 
Trianon. | 

. Pendant les années 1772 et 1773, il fit des cours 
publics de sa Philosophie naturelle. 

Le 24 février 1773, il lut à l'Académie un mé- 
moire sur le gommier rouge du Sénégal, sur l’aca- 
cia des Anciens et sur quelques autres arbres du 
Sénégal qui portent une gomme rougeâtre ainsi que 
le gommier rouge d'Arabie. 

Le 15 février, un mémoire célaiit le plan de 
son Encyclopédie naturelle universelle, en cent vingt 
volumes manuscrits, appuyés de soixante - quinze 
mille figures in-folio. L'Académie nomma des com- 
missaires, qui firent un rapport très-avantageux sur 
cet étonnant ouvrage. 

Le 15 mars de la même année, à l’occasion d’un 
œuf double de pigeon, un mémoire sur la préfor- 
mation de l'embryon dans les œufs. 

En 1776, il publia dans le Supplément de la pre- 
mière Encyclopédie de Diderot et d’Alembért (com- 
prenant les trois lettres A, B, C) les articles rela- 
tifs à l'histoire naturelle et à la philosophie des 
sciences. 

Le 17 juillet 1778, il lut son mémoire sur le 


Adanson. ‘ 401 
sommier blanc qui produit, au Sénégal , la vraie 
gomme arabique. 

En 1779, il fit un voyage sur les plus hautes 
montagnes de l’Europe, et il en rapporta plus de 
vingt mille échantillons de minéraux différens , et 
les dessins de plus de douze cents lieues de cours 
ou dévéloppemens de montagnes. 

Possesseur du cabinet le plus nombreux qui soit 
au monde, puisqu'il comprend au moins soixante- 
quinze mille espèces d’existences des trois règnes, 
classées suivant la nouvelle méthode philosophique , 
et rassemblées de trois manières différentes, 1°. en 
nature , 2°. en figures, 3°. en descriptions : il avoit 
demandé un assez vaste logement au Louvre. 
Louis XVI lui accorda; en 1779, une seconde 
pension de dix-huit cent franes pour lui tenir lieu 
. de ce logement. 

Il parvint, en 1782, au premier degré inférieur 
de la pension de l’Académie, et, en 1786, au troi- 
sième degré. 

Enfin cet homme, dont le poids des années ne 
pouvoit ralentir l’activité, proposa d’accompagner 
M. de la Peyrouse dans son voyage autour du monde. 

Ce ne fut qu'en 1789, par la mort de M. Fouge- 
roux , qu’il parvint à la pension entière de l’Aca- 
démie. 

Il perdit, au commencement de la révolution, 
son jardin d’expériences dévasté par les brigands. 
Il y cultivoit cent trente espèces ou races de mû- 
riers, et il en avoit perfectionné la culture. Il ne put 
les replacer , car on lui refusa un terrain qu'il avoit 


402 Biographie. 
demandé, et il vit ainsi disparoître en un instant le 
fruit d’un travail de cinquante ans. 

Comme son but avoit toujours été de rassembler 
et de publier en un seul corps d'ouvrage l'immen- 
sité de faits et de combinaisons dont je viens de 
donner l'aperçu, on peut juger de sa douleur lors- 
que les événemens lui en ôtèrent les moyens. Nul 
individu ne pouvoit faire les dépenses nécessaires 
à l'exécution de ce grand projet. Adanson avoit dû 
compter sur les bienfaits du pouvoir suprême, et 
cette autorité tutélaire n’existoit plus. Il éprouva par 
degrés tous les genres de privations : aux horreurs 
de la révolution se joignirent les horreurs du be- 
soin, même le désespoir de ne pouvoir continuer 
ses travaux pendant les longues nuits de l’année, 
faute de feu et de lumière : je l’ai trouvé en hiver, 
à neuf heures du soir, le corps courbé et la tête 
baissée jusqu’à terre, les deux pieds posés l’un sur 
l’autre devant le crépuscule d'un foible tison, écri- 
vant sur ce nouveau genre de pupitre et bravant 
cette attitude, qui auroit été un supplice pour tout 
homme qui n’auroit pas été entraîné par la plus 
inconcevable habitude du travail, et même par l'ex- 
tase de la méditation. 

L'infortune d'Adanson reçut quelques adoucisse- 
mens par les soins du ministre Bénézech. Mais il 
étoit réservé à un autre ministre, poëte et littéra- 
teur , de sentir toute la valeur d’un si grand homme, 
et ce ministre est M. François de Neufchâteau. Il 
lui a procuré tous les secours dont il pouvoit dis- 
poser dans un temps malheureux; il lui a rendu 


A danson. 405 
tous les hommages ; il a réveillé tous les souvenirs 
de ses services et provoqué toutes les attentions ; 
il a témoigné un vif regret de ne pouvoir lui four- 
nir les moyens nécessaires à la rédaction ultérieure 
et à l'impression de son Encyclopédie. Il a placé 
son buste parmi ceux des plus grands hommes ; 
enfin, lorsque la munificence du Gouvernement a 
cessé de passer par les mains de M. François de 
Neufchâteau, cet ex-ministre a cherché toutes les 
occasions de servir indirectement M. Adanson en- 
vers les dépositaires du: pouvoir souverain. 

Adanson lisoit et écrivoit dans une aftitude qui 
peut-être a singulièrement contribué à fixer sur les 
articulations des cuisses et du tronc le dépôt qui 
a accéléré sa fin : car il se tenoit assidûment le 
corps courbé dans un fauteuil et les jambes très- 
élevées devant le foyer de sa cheminée. 

Depuis son séjour au Sénégal , il étoit extrème- 
ment sensible au froid et à l'humidité. Dévoré de 
douleurs rhumatismales , il habitoit le rez-de-chaus- 
sée d’une maison sans étage, sous laquelle il n’y 
a point de cave et dans une des plus basses rues 
de Paris. Depuis quelque temps il avoit fait plu- 
sieurs chutes du haut d’une échelle en travaillant 
à son jardin. 

Lorsqu'il fut retiré dans cette espèce de chau- 
mière, rue Chantereine (aujourd’hui rue de la Vic- 
toire }, et lorsqu'il y eût disposé un petit local pour 
le nombre de plantes qu'il pouvoit encore cultiver , 
il passoit le jour entier, se trainant assis sur ses 
jambes croisées afin d'observer de plus près. Si je 


404 Biographie. 

le surprenois dans cette atütude, il me tendoit ses 
mains couvertes dé terre, en s’écriant : Non inde- 
coro pulvere sordidum ! I] y avoit rassemblé plu- 
sieurs espèces de grenouilles pour eh mieux saisir 
l'instinct : chacune avoit reçu de lui un nom particu- 
lier; et l'habitude dé le voir sembloit avoir subjugué 
leur vague et sauvage indocilité. 

La nuit, il travailloit dans son cabinet, et sou- 
vent sa gouvernante étoit obligée de lé gronder de ce 
qu'il avoit oublié de se coucher pendant plusieurs 
nuits consécutives. 

Il avoit; depuis long-temps, à la partie moyenne 
extérieure de la cuisse droite un ulcère qui donna 
lieu à une fracture du fémur sans aucun effort. Le 
26 janvier dernier, le vieillard , étant debout et äp- 
puyé sur sa chieminée, s’aperçut que sa cuisse flé- 
chissoit ; il seroit tombé si son domestique , qui heu- 
reusement éloit près de lui, ne l’eût retenu dans ses 
bras. On le plaça sur son lit. Aussi courageux qu’ac- 
coutumé à souffrir , il se servit de son pied gauche 
pour étendre la cuisse, dont les deux bouts de l'os 
fracturé se croisoient, et il attendit patiemment les 
secours de la chirurgie. 

Dans l’état de santé, il buvoit très-rarement du 
vin. Arrivé au quatrième mois de sa maladie, il 
demanda du vin blanc de Chäblis. Il commença à 
en boire avec de l’eau, bientôt il voulut le boire 
pur ; il en but jusqu’à une pinte et demie dans vingt- 
quatre heures. Ensuite il demanda du lait, sans re- 
noncer au vin, qu'il buvoit alternativement. Il eut 
envie de manger du fromage, et il s’en fit apporter 


ÆAdanson. - :_ 40ù 


de toutes les espèces. Il passa les quinze derniers 
jours de sa vie à prendre de la limonade pour toute 
nourriture. Les plaies de la cuisse étoient guéries , 
et la fracture du fémur paroissoit avoir commencé à 
se consolider. Tous les matins , on trouvoit le phi- 
losophe, la plume à la main, écrivant sans lunettes, 
en très-petits caractères’, à la distance de la lon- 
gueur de son bras. Il n’a cessé de lire, de méditer 
et d'écrire ; son ardeur, qui s’étoit un peu ralentie, 
s’est ranimée la veille de sa mort, et il avoit encore 
sa présence d'esprit lorsque, le 3 août présent mois, 
à dix heures du matin , il a rendu le dernier soupir. 
Onze heures après sa mort, tous ses os éloient telle- 
ment amollis qu’on ne les distinguoit presque plus 
des chairs. Il a été inhumé le mardi suivant, à 
D 

‘organisation d’Adanson étoit extraordinaire- 
ment sèche , éminemment nerveuse : le feu qui par- 
couroit tous ses organes n’avoit pas permis à ses 
muscles de grossir. Il étoit roux. Sa peau rude et 
velue étoit sillonnée de grosses veines; le crâne 
vaste et le front médiocrement grand; les orbites 
saillantes ; les sourcils épais , longs et croisés ; les 
yeux gris, ardens, très-petits , très-enfoncés , d’une 
mobilité et alternativement d’une fixité surprenan- 
tes : on ne pouvoit s'y. méprendre ; c’étoit l'œil scru- 
tateur du génie et de l'esprit d'observation. Sa face, 
un ovale creux, remarquable par un nez long et 
gros. La mâchoire inférieure un peu avancée; la 
bouche grande et la lèvre inférieure épaisse. Sa 
voix, très-animée, avoit quelque chose de mor- 


406 Biographie. 
dant et d'agréable, Ses gesies étoient vifs et impaz 
tiens. Sa taille n’avoit guère excédé cinq pieds. 

Il n’avoit pas négligé les exercices qui peuvent 
joindre l'accord et la justésse à la vivacité des mou- 
vemens. Il avoit excellé dans l'escrime et la danse , 
et il avoit été aussi adroit à se servir des armes à 
feu. 

Sa sensibilité éloit exquise ; la bonne musique ; 
celle de Gluck surtout , le transportoit; tous ses mus- 
cles entroient en jeu, et il ne pouvoit s'empêcher 
d'exprimer tour à tour , âvéc force et avec grâce , les 
divers sentimens qu'elle excitoit dans son âme : alors 
il s’abandonnoit au point d'oublier le cercle nom- 
breux qui l'environnoit. Tel on l’a presque vu, oc- 
togénaire , lorsqu'il venoit passer quelques i= 55e 
avec moi. 

Extrémement sobre : l’eau suerée étoit sa boiséon 
favorite, même à ses repas. Son principal aliment , 
le café äu lait; souvent jusqu'à sept heures du soir il 
n’avoit point d’autre nourriture. 

L'âme sans cesse exaltée sur la contemplation de 
cette prodigieuse série d’existences qu'il avoit dé- 
couvertes , il ne parlôit de toutes choses et de sa 
propre personne qu'avec enthousiasme. 

Après Hippocrate, Aristote étoit, aux yeux d'A- 
danson , le plus vaste génie de l'antiquité. Mais (sans’ 
adopter le système des tourbillons ) il régardoit Dés= 
cartes comme le plus grand de tous les philosophes 
anciens et modernes ; il le plaçoit beaucoup au-des- 
sus de Newton, dont le système aussi avoit fini par 
n'être plus de son goût. En 1785, il témoigna le dé 


, 

-Adanson. 407 
sir de mewvoir , et il s'établit, de cette époque , entre 
nous la plus constante liaison. Lorsque la mémoire 
de René Descartes fut publiquement injuriée à la 
tribune du conseil des Cinq-Cents, il vint, les yeux 
humides et rouges d’indignation , me presser de 
réunir en un faisceau tous ses titres de gloire que 
j'avois déjà cités dans mon ouvrage Des principes 
naturels. Lorsque j'eus terminé mon travail, qui fi- 
nissoit par cette apostrophe au Corps législatif : 
« Pendant que vous ajournez les honneurs dus à 
»5 sa mémoire, tremblez que l'Angleterre ne 
» rouvre les tombeaux de ses rois pour y placer 
»5 l'effigie de Descartes à côté des ossemens de 
5 Newton ! 5 Son émotion fut au comble, et il ne 
put retenir ses larmes. 

Accoutumé à ne méditer que sur des existences 
réelles, il rejetoit la théorie mathématique des in- 
finis et des infinités d’infinis qui lui sembloit vaine , 
erronée , dangereuse. Souvent dans nos entretiens 
nous répétions un argument qu'il croyoit sans ré- 
plique : « Il y a nécessairement un infini; l'infini 
» est nécessairement absolu, et un absolu ést néces- 
# sairement un Dieu. S'il y avoit un nombre ou une 
» infinité d’infinis, il y auroit un ‘pareil nombre 
» d’absolus et de dieux ( ce qui implique contradic- 
5 tion). Il ne peut donc exister qu'un Dieu; un 
» seul véritable 4gsoru; une seule plénitude indes- 
# tructible de substance, d’attributs et de durée : 
» principe de toutes lesgxistences secondaires qui 
» paroissent, disparoissent et se renouvellent dans 
» son sein. Dans quelque sens qu'on les analyse, 


408 Biographie. 

» ces existences sont nécessairement limitées et re- 
» latives; elles ne peuvent devenir absolues, ni 
» même être conçues comme telles. C'est unique- 
ment de la foiblesse de l'esprit humain à conce- 
» voir le véritable infini et à découvrir la nature des 
» existences créées par lui, que sont venus les in- 
» finis et les dieux, l’athéisme et la superstition. 5 


LA 
+ 


On voit qu'avec de tels principes, avec une telle 
opinion des- systèmes dominans et avec des formes 
physiques personnelles peu avantageuses, Adanson 
ne dut pas faire fortune. La fortune ne favorise 
jamais celui qui ne fléchit pas devant FAO du 
siècle. 

Adanson ne chercha ni protecteur, ni patron, 
ni modèle. 

Dans le cruel abandon auquel il fut réduit les 
vingt-quatre dernières années de sa vie , la plus belle 
partie de ses travaux, peut-être toutes ses décou- 
vertes précédentes , sa nombreuse collection d’exis- 
tences et ses précieux manuscrits, mais du moins 
ses plus fortes méditations ‘sur le grand ensemble 
qu’il vouloit donner à toutes les sciences , alloient 
être perdus, si une seconde providence, sous les 
traits d’une femme , ne fût descendue dans sa de- 
meure. Cette femme, entrée à son service en juin 
1793, lui a tenu lieu de parens , d'amis et dè for- 
tune. Tout le temps de la disette d’alimens , debois , 
de lumière et de vêtemens, au milieu des plus 
grandes horreurs de la révolution, elle le servoit 
paisiblement pendant le jour, et elle employoit à 
son insu toutes les nuits à - des travaux dont le prix 

éloit 


\ 

Adansoñ: 409 
éloit aussitôt consacré à lui procuter le café et le 
sucre sans lesquels il ne pouvoit plus agir ; tandis 
que son époux, Simon Henry, au service d’un autré 
maître dans la ci-devant province de Picardie, en- 
voyoit chaque semaine du pain, de la viande, des 
légumes, et avançoit en argent le reste de ses épar- 
gnes pour la nourriture et les autres besoins du vieux 
philosophe. Aussitôt que les infirmités se sont accu- 
mulées sur sa tête et que les soins de la généreuse 
gouvernante sont devenus insuffisans, Henry est 
venu y joindre les siens , et il n’a plus quitté l’octo- 
génaire. Leurs ressources étoient enfin épuisées , le 
linge même des deux humbles amis servoit aux 
pansemens du maître. L'empereur , instruit d’une si 
pénible situation, a envoyé 3,000 fr. Les deux fidèles 
économes, encouragés par ce bienfait, ne songeoient 
pas à en solliciter un second : on leur a fait connoître 
l'ordre donné de renouveler les aëtes de munificence 
autant de fois que les besoins l’exigeroient ; et, loin 
de vouloir tourner à leur profit cette heureuse dis- 
position , ils ont eu la délicatesse de répondre qu'il 
leur restoit encore une somme suffisante. Enfin il 
n’y a que l'imagination qui puisse suppléer à la des- 
cription des soins qu'ils lui ont prodigués , et, sui- 
vant le rapport que M. Duterire (1) a eu la complai- 


(1) Chirurgien recommandable particulièrement par un: 
petit ouvrage intitulé Réflexions et Observations sur les 
plaies en général , imprimé en 1805, où l’on trouve lhis- 
torique de deux opérations aussi curieuses qu’importanties ; 


dans lesquelles il a reculé les bornes de son art. 


de A Octobre 1806. Ce 


410 Biographie. 
sance de me communiquer , ce sont les seuls indi- 
vidus qu'on ait vus auprès de lui pendant les six 
mois qu'a duré sa maladie; et ils ont essuyé des fa- 
tigues d’autant plus dangereuses et difficiles à sup- 
porter , que le malade exigeoit que les croisées de 
son appartement fussent constamment fermées. Si 
les vertus d’Adanson n’égaloient pas son génie, je 
n’aurois parlé de lui et de ses découvertes que pour 
saisir celte occasion d’honorer deux personnes dignes 
de servir de modèles à toutes les classes et à tous 
les degrés de l’ordre social, et j'aurois encore utile- 
ment employé mes loisirs. à 
L'épouse de Simon Henry ,- Anne - Marguerite- 
Roux, qui a si bien mérité devant Dieu et les hom- 
mes; celte femme , si digne un jour d’accompagner 
son maître dans l'Élysée des hommes vertueux, est 
née dans la commune de Cemboin, département 
de la Haute-Saône, le 18 juillet 1755. Autour d’une 
serbe des cheveux du grand homme, au pied de la- 
quelle il a voulu que l’on mit un chien , symbole et 
modèle de fidélité et de dévouement, est d'avance 
gravé le sentiment qui doit les réunir. Adanson n’a 
pas vécu plusieurs secondes après lui avoir dit : 
Adieu , l'immortalité n'est pas de ce monde. 
J’étois affecté d’une longue et douloureuse mala- 
die, lorsque mon ami succomboit sous le poids des 
ans et des infirmités. J’avois depuis long-temps re- 
cueilli de sa propre bouche les faits que je viens 
de publier, et je n’ai pas cru devoir y rien ajouter. 
L'éloge des grands hommes est dans le simple ré- 
cit de ce qu'ils ont fait. Les savans, à qui ses ma- 


4 


Adanson: 41 
hnuscrils, tous ses livres surchargés de notes , en un 
mot la collection qui compose son cabinet , seront 
confiés , auront le temps et les matériaux qui me 
manquent à ce sujet: 

Mon but , en écrivant Àla hâte ces notices, n’est pas 
d'exprimer une stérile admiration, ni des regrets 
superflus , mais de montrer combien il importe à la 
France d'empêcher qu'une si précieuse collection ne 
devienne l'objet de quelque spéculation particulière, et 
ne passe à l'étranger, contre l’intention du grand 
homme à qui elle a coûté tant de sacrifices , et dont le 
cœur généreux s’est empressé de l’offrir à la patrie 
en reconnoissance du don qu’il venoit de recevoir de 
l'Empereur. C’est un répertoire universel des con- 
mnoissances humaines utiles ou agréables, naturelles, 
physiques, morales, métaphysiques, politiques et 
législatives, extraites d’un million de faits ou phé- 
nomènes de la nature, appliqués soit aux figures de 
quatre-vingt-dix à cent mille espèces d'existences 
corporelles qui en sont la base et l’origine, soit à 
la considération des divers rapports plus ou moins 
nombreux de chacune de ces existences, soit aux 
innombrables combinaisons qui en résulient, et dont 
les ensembles sont autant de découvertes philoso- 
phiques, autant d’axiomes moraux, où de lois phy- 
siques et naturelles de l’action et réaction des exis- 
tences les unes envers les autres; d’où résulte une 
méthode inconnue jusqu’à ce jour , et qui, suppri- 
mant les principes erronés de la plupart des mé- 
thodes particulières , doit faciliter l'étude des scien- 
ces en établissant, par le moyen de sa série, des 


\ 

412 Biographie. 
définitions précises et naturelles. Mais que d'efforts, 
que de travaux et de dépenses pour le dépouillement 
et l'ordonnance de cet immense répertoire! Il y fau- 
droit joindre à la force de tête l'habitude d’Adanson, 
et il faudroit être comme lui pénétré de son dessein. 
Du moins il y faudra la réunion et peut-être la vie 
de plusieurs savans. Mais les savans capables d’éle- 
ver un pareil monument, et qui sont aussi capables 
de’se créer à eux-mêmes des titres de gloire, vou- 
dront-ils les sacrifier à ceux d’Adanson? Oui, s'ils 
considèrent qu'en érigeant sa statue ils seront pla- 
cés à sa hauteur. C’est alors seulement qu'ils pour- 
rot juger de ses motifs et de ses moyens pour 
changer et perfectionner le langage qui doit tou- 
jours suivre les progrès des connoissances humai- 
nes, dont il n’est que l'expression. Ils verront pour- 
quoi ce grand homme cherchoit, dans toutes les 
langues du monde, des racines communes ou ana- 
logues , et comment il vouloit les rapprocher pour 
établir une langue philosophique universelle. 

Supposant qu'il y eût mème beaucoup à retran- 
cher du nombre d’existences qu'Adanson prétend 
avoir rassemblées dans sa grande série, il est déjà 
certain qu'il en a découvert un nombre si prodi- 
gieux, que la postérité n’en seroit pas moins éton- 
née en apprenant que, jusqu'à lui, les observations 
réunies de tous les siècles précédens n'en donnoient 
que quatorze à quinze mille. 

Adanson auroit donc fait lui seul, en ce qui con- 
cerne le nombre des découvertes, beaucoup plus 
qu n’ont fait pendant six mille ans les hommes 


\ ÆAdanson. "416 
civilisés ; et si l’on considère qu'il ne s’est point 
borné à rechercher les caractères particuliers de 
chaque existence, mais qu’il s’est élevé sans: cesse 
par des ensembles vers l’intarissable unité du prin- 
cipe absolu qui est la source de tous les êtres, on 
est forcé de reconnoître que nul: homme n’a réalisé 
autant que lui ce vœu (pour ne pas dire ce beaù 
rêve) des plus vastes génies (2). 

Il auroit falla beaucoup moins pour la gloire d’A- 
danson, puisque, dans la pensée de Platon, célui 
qui sait bien définir et bien diviser doit être regardé 
comme un Dieu (3). 

Cependant Platon ne vouloit pas proférer un blas- 


(2) Quidquid enim unit naturam, licet modis imper- 
fectis, ad inventionem formarum viam sternit....Verüum 
in his diligens adhibenda est cautio, ne intellectus hu- 
manus, posiquäm complures ex istis formis particularibus 
adinvenerit , atque inde partitiones, sive divisiones naturæ 
inquisitæ confecerit ; in illis omnind acquiescat , atque ad 
inventionem legilimam FORMÆ MAGNÆ se non accingat ; 
sed præsupponat NATURAM velut à radicibus esse multi- 
plicem et divisam, atque ulteriorem naturæ unionem ; 
tanquäm rem supervacuæ subtilitalis , et vergentem ad 
merum abstractum , fastidiat et rejiciat. ( Baco de VE- 
RULAM. Novum organum, lib. IT. Aphorism. XXVI.) 


(3) Magna est omnind prærogativa instanliarum cônsti- 
tutivarum , ut quæ plurimüm faciant, et ad definitiones 
( præserlim particulares ), et ad divisiones , sive parlitio- 
nes naturarum : de quo non malè dixit Plato, qudd ha- 
bendus sit tanquàm pro Deo , qui definire et dividere benè 
sciat. ( Idem, ibidem. ) 


kt4 Biographie. 
phême; il savoit aussi bien que nous que l'imper- 
fection est nécessairement attachée à tous les des- 
seins, à tous les-plans, à tous les ouvrages des 
hommes; et c’est la-nécessité même de cette im- 
perfection qui ne permettra jamais que l'on retran- 
che la moindre chose de l'éloge du grand homme 
qui a laissé si loin derrière lui les bornes plantées 
par soixante siècles d'efforts. 
Le JoyaND 


À Paris, le 19 août 2806. 


1 2 EDR I PE EDR D 
POÉSIE. 


IwscrIPTION en vers pour Moulin-Joli. 


N.B. Dans le troisième chant du Poëéme des 
Jardins, M. Delille a fait une description char- 
mante, très-poétique et très-vraie de Moulin-Joli. 
Cette agréable retraite appartenoit à M. Watelet, 
de l’Académie française, qui y avoit fait placer les 
vers qu'on va lire, et qu’on nous a assuré avoir été 
composés par M. Delille. Nous nous félicitons du 
plaisir qui nous est réservé de les faire connoître. 

Aug. DE L. 


Je suis le talisman de ces lieux de féeries ; 
Malheur à qui me détruira; 
Bonheur à qui conservera 
Les droits de la nature et ces rives chéries. : 
Un bon meunier autrefois me plaça 
Sur le cours de cette onde pure ; 
Un vieux curé me conserva ; 
Un couple heureux, ami de la mature ; 
Me prit en gré, me respecta, 
Et dit, lorsqu'il me répara : 
« Deviens le talisman de ces lieux de féeries ; 
» Malheur à qui te détruira : 
» Bonheur à qui conservera | 
» Les droits de la nature et ces rives chéries. » 
I1 dit encore : « Ah! crains que quelque jour 
» Le faste destructeur, l'ignorance hardie, 
» Pénétrant en ces lieux, n’usurpe ce séjour. 


416 Poésie. q 
» L’ignorance avec industrie , 
» D’un air capable enlaidira 
» Ce que sans art, sans symétrie , 
» La nature en riant de ses mains décora, 
» Les détours ondoyans de ces rives fleuries, 
» Le faste les redressera ; 
» Ces arbres de leurs bras, couronnant les prairies, 
» Le faux goût les mutilera ; 
» Ces réduits ombragés, propres aux rêveries, 
» Un cœur faux les profanera ; 
Et surtout la nature insultée et flétrie, 


ÿ 


» En délestant la barbarie, 
» De ce séjour disparoîtra. 


LA 


Ah ! sois le ialisman de ces lieux de Rice : 
» Malheur à qui te détruira : 
» Bonheur à qui conservera 

» Les droits de la nature et ces rives chéries. » 


DeELiLzr,. 


LETTRE à Me, DE LIGNES. 


Vous vous adressez, Madame , à une fontaine 
tarie pour avoir un peu d’eau d'Hypocrène. Je ne 
suis qu’un vieillard, malade aux pieds des Alpes, 
qui ne sont pas le Mont-Parnasse. Ne soyez pas 
surpris si j’exécute si mal vos ordres. Il est plus 
aisé de mettre M". de Brionne en buste qu’en vers, 
Vous avez des Phidias, mais vous n’avez pas d'Ho- 
mère qui sache peindre Vénus et Minerve, 


Brionne , de ce buste adorable modele, 
Le fut de la vertu comme de la beauté : 


| 
1 


Poésie française. 417 
L'amitié la consacre à la postérité, 
Et l’immortalise avec elle. 
Voilà tout ce que je puis, Madame, etc. 


VOLTAIRE. 


TRADUCTION de Métastase. 


Qui ? toi! jalouse, Éléonore ? 

Non ;.dans ton cœur si je sais voir, 
Il est jaloux de son pouvoir. 
L’amour est un mal qu’il ignore. 
Loin d'aimer un pauvre captif, 

Tn n’aimes qu’à river sa chaîne : 
T’enlever un cœur fugilif, 

C’est blesser ion âme hautaine, 

Si tu perdois de ta beauté, À 
À chaque inconstance nouvelle 
J’espérerois te voir fidelle ; 

Mais qu’espérer en vérité 

Si tu parois toujours plus belle 

À chaque trait de cruauté ? 


Aug. DE LaBouisse, 


ARE. DA" TT 


Sur Pamitié, sans toi peut-être Û 
Mon cœur en auroit plus appris : 
En taimant j'ai cru la connoitre ; 

En Vaimant mieux, j'ai vu que js m'étois mépris. 


BouFLERSs, 


/ 
418 sWPoENE }, 
VE RS up 90 2: ! 


L'Amour par ‘ses fureurs et ses douceurs étranges, 
Offre aux amans le ciel et l’enfer tour à tour : 
La Jalousie est la sœur de l'Amour, 
Comme le Diable est le frère des Anges. 


Par le même (1). 


(1) Ces pièces font partie d’une nouvelle édition des œu- 
vres de M. de Bouflers, qui: doit paroître incessamment. 


é | Aug. DEL 


RL 


VARIÉTÉS, NOUVELLES 


ET 


CORRESPONDANCES LITTERAIRES. 


“NOUVELLES ETRANGÉÈRES. 
Cine. 


- Sir Georges SrAUNTON, fils de l’auteur de ce nom, 
a établi son séjour alternativement à Canton et à 
Macao. Il a traduit en chinois un ouvrage sur l’ino- 
culätion de la vaccine, et la pratique en est devenue 
générale à Canton. Les Chinois ont vaincu cette 
fois leurs préjugés contre toute innovation venue de 
l'étranger , et ils ont rassemblé une somme consi- 
dérable pour former un établissement qui doit pro- 
pager la vaccine de Canton dans les provinces voi- 
sines , et, avec le temps , dans É reste de l’em- 
pire. 
INpes ORIENTALES. 


Le Monthly Magabin a publiés il y a quelque 
temps , une lettre datée du 26 juillet 1805, qui con- 
tent les détails suivans sur les travaux littéraires du 
Collège du Fort William (à: 


(1) Quoique ee em de ces aie se trouvent déjà, 
mais par extrait s lement, dans le cahier du mois d'août, 
nous avons cru pouvoir les reproduire ici avec plus de dé- 
veloppement , et en même temps pour rectifier quelques 
inexaclitudes qui s'étoient alors glissées dans l’article où il 
en étoil question. 


+ ù 


420 Nouvelles littéraires: 


Ouvrage sous presse :. « Analyse élémentaire 
s des lois et réglemens du goûvérneur général au 
“ conseil du Fort William dans le Bengale , pour 
» le gouvernement civil du territoire britannique de 
» celte présidence, à l’usage des étudians du collége 
» du Fort William, par 2 H. Harrington , pro- 
» fesseur des droits et ordonnances du gouverne- 
» ment Britannique dans les Indes. » L’extrait sui- 
vant de l'introduction fait connoître le plan de l’ou- 
vrage. Les trois principales branches de l’adminis- 
tration publique des personnes employées par la so- 
ciété des Indes Orientales dans cette présidence, 
sont la jurisprudence, les finances, et le commerce. 
Cette analyse se divise donc en trois parties relative 
ment à ces trois branches ; et comme le cours pres- 
crit des études , est calculé sur trois ans, et que 
chaque année il y a deux examens publics , l'ouvrage 
entier se compose de six sections;, la première et la 
seconde comprennent le droit civil et criminel; la 
troisième et quatrième , les revenus ;. la cinquième, 
le commerce; et la sixième, différens objets qui 
n'ont pu trouver de place convenable.-dans les sec- 
tions précédentes. La première partie de l'ouvrage 
est déjà imprimée, 10 

Ouvrages prêts à étré mis sous presse : 1°. His- 
toire générale des Hindous depuis les siècles les 
plus reculés, jusqu'au moment actuel ,. com posée! 
entièrement d'après les auteurs ;orientaux, et des 
documens sanscrits; ouvrage original-en langue du 
Bengale, par Mritoonjoy Vidy Lunkar , premier 
pundit ou professeur du sanscrit et des langues du 
Bengale au collége du Fort Williarh ; 2°. l’histoire | 
du Raja Prita Padityo , traduite en langue maratte , 
par Fidya: Nath, premier ps du, maratte au 
même collége. 


Nouvelles littéraires. 424 


Ouvrages auxquels on travaille : 1°. Notice sur 
les mœurs et usages actuels des Hindous , dans la 
quelle on compare plusieurs pratiques populaires 
avec les anciens usages prescrits dans les Védas ; 
ouvrage original en langue du Bengale , par le même 
Mritoonjoy Vidia Lunkar. — 2°, La société asia- 
tique s'est engagée à payer à parts égales , avec le 
collége du Fort Villiam , chaque année , aux mis- 
sionnaires protestans du Bengale ; la somme de 450 
livres sterlings, pour les dédommager des frais d’im- 
pression du texte original des plus anciens ouvrages 
sanscrits , et surtout des Z’edas , avec une traduc- 
tion anglaise. — 3°. Le Lexique Hindou , attendu 
depuis très-long-temps, va enfin paroître incessam- 
ment, grace au secours du collége; les éditeurs 
sont : le docteur Will. Hunter , et l'enseigne Will. 
Macdougall, professeur-adjoint de la langue des 
hindous, au même collége. — 4°. Le capitaine Will. 
Hamilton, de l'établissement du Bengale, inter- 
prète persan auprès du corps auxiliaire à Puna, à 
remis au collése un manuscrit en langue maratte, 
contenant un précis historique des événemens qui 
ont eu lieu sous le règne des prédécesseurs immé- 
diats du Peishwa actuel, composé d’après les sources 
les plus authentiques et dans le style le plus pur, par 
Hunmut Rayo Jug Deo , accompagné d’une tra- 
duction anglaise par M. Will. Hamilton. — 5°. Le 
capitaine Charles Scewart, professeur - adjoint de 
persan , en examinant les livres et manuscrits orien- 
taux de la bibliothéque de Tippou Saib dont il a 
commencé un catalogue raisonné, a découvert un 
ouvrage excellent en langue persanne , que Dow et 
Orme ont cité comme nécessaire pour éclaircir une 
période importante de l’histoire des Indes, mais 
qu'ils n'ont pas pu se procurer ; c'est l’histoire d’#- 


422" Nouvelles littéraires. 

rung-Zebe depuis l'an IT de son règne jusqu’à sa 
mort ( c’est-à-dire une période de {0 ans ), par le 
savant Mahomimud Saki ; cet ouvrage est la conti- 
nuation de l’histoire des dix premières années du 
même prince, par Malommud Kasika, — 6°. Les 
inscriptions anciennes .et les excellens manuscrits 
en diverses langues de l'Inde, que le docteur Fr. 
Buchanan a recueillis pendant son voyage dans le 
Mysore, ont été remis à M. Carey , professeur des 
langues sanscrit, bengale et maraite, au collége du 
Fort William, pour être traduits en anglais sous sa 
direction ; parmi ces manuscrils, se trouve une his- 
toire de la première arrivée des Portugais dans les 
Indes, par un écrivain hindou, contemporain, ainsi 
qu'une histoire des Rajahs du Mysore. 


ANGLETERRE. 


M. RussEL, peintre en portraits au crayon de 
S. M. et du Prince de Gall, est mort à Hull le 20 
avril. Il étoit très-habile dans son art, et avoit in- 
venté une nouvelle méthode de préparer ses crayons. 
Son fils, qui habite Londres, a, dit-on, hérité de 
son secret et de ses talens. 


L'architecte Wizxens est chargé de bâtir le 
nouveau collége dont va s’'augmenter l’université de 
Cambridge, et qui portera le nom de Downing+ 
College. C’est particulièrement à la médecine que 
sera consacré ce nouvel établissement. 


Il s’est établi à Londres une Soctété de Chymistes 
qui ne peut avoir plus de soixante membres ; la sous- 
cription de chacun est de trois guinées par an; M. 
Accum, chymiste allemand, est à la tête. 


M. Jounes, qui a traduit en anglais la Chronique 


Nouvelles littéraires. 425 
de Froissard, annonce un volume de supplément 


qui contiendra la vie de l’auteur, et une notice sur le 
manuscrit de Breslau (r). 


Deux nouvelles Sociétés littéraires viennent de se 
former à Londres. L'une qui a pris le nom de Pa- 
lestine Society , a tenu sa première assemblée le 
25 avril de cette année. Son but est d'étendre nos 
connoissances sur la géographie , la topographie et 
l'histoire naturellede la Palestine et des pays voisins , 
afin de faciliter l’exégèse de la Bible. Un savant de 
Cambridge a été chargé par elle de faire encore cette 
année, et dans cette intention , un voyage dans ces 
contrées. 

L'autre de ces Soëidiés ne s ‘occupe que d’archi- 
recture. Pendant huit mois de l’année elle tient tous 
les quinze jours une séance, pour lire les mémoires 
‘des membres sur l'architecture, et examiner leurs 
plans et dessins architectoniques. Elle doit publier 
‘ses mémoires chaque année ; dès que ses fonds le 
permettront, elle se propose d’établir une biblio- 
théque. 

M. J. Sincrarr, connu par différens ouvrages 
sur la statistique et l'économie, a été réintégré dans 
la place de président de la commission d’agriculture 
( Board of agriculture ) qu'il avoit perdue sous le 
dernier ministère de M. Pitt. 


Le docteur BurNEY , auteur d’une histoire de la 
musique, a obtenu une pension de son gouverne- 
ment. 


(1) Il est étonnant que nous n’ayons pas en France une 
bonne édilion de Froissard, accompagnée de commentaires 
el enrichie de la gravure des nombreuses et intéressantes 
vignettes dont les manuscrits que possède la Bibliothèque 
impériale sont ornés. A, L. M 


[l 4 
424 Nouvelles littéraires. 

M. SavAGE, traducteur de l'Essai sur le com- 
merce de la Grande-Bretagne, par M. Rein- 
HARDT, a été nommé second secrétaire de la So- 
ciété royale des Sciences et des Arts à Londres. 


On a découvert dernièrement 574 pièces d'argent 
dans une fouille faite auprès de Cartucel. .-Ce sont 
deux terrassiers qui les ont trouvées en tirant de la 
pierre dans un champ appartenant à lord Henri 
Cavendih. Elles étoient renfermées dans un vase de 
terre non vérnissée, qui s’est brisé avant qu'on sût 


ce qu'il renfermoit. 
HoLiLrANDE. 


La seconde société de Teyler, à Harlem, a 
proposé la question suivante pour le 1°. avril 1807 + 
« Que sait-on par des relations historiques sur les 
# changemens que notre globe a éprouvés à sa sur- 
ss face dans différens temps et par différentes cau- 
w ses?» La Société désire que les concurrens ne 
‘s’attachent nullement aux preuves ou conjectures ti+ 
rées des fossiles; mais qu’ils recueillent avec soin 
et discutent ce que les rapports historiques pourront 
nous avoir appris sur le sujet de la question. Le prix 
de la meilleure réponse séra la médaille d’or de la 
Société , de la valeur de 400 florins hollandais. 

La Société n’ayant point reçu de réponse satisfai- 
sante sur cette question proposée précédemment : 
« Quels résultats probables peut-on établir mainte- 
» nant des essais , observations et expériences faites 
»# et connues jusqu’à présent sur la conformité du 
» principe de la lumière avec le calorique ? » Elle 
la remet au concours pour le 1°. avril 1807. Le prix 
sera de 400 florins hollandais. 


Les mémoires seront adressés “an het Funda- 
tie-Huts 


Nouvelles littéraires. 429 
bre-Huis van wylen den Heer Pieter Teyler var 
der Huls, by Les Sleepers-Hoofd te Haarlem.. \£ 


ALLEMAGNE 


On vient de donner à Hamsoure la représen= 
tation d’un opéra favorablement accueilli, et inti- 
tulé : Micheli er son fils. C’est une imitation et 
une suite des Denx Journées. Tæs paroles sont de 
M. KircuNER, premier cegor du théâtre, et la 
musique de M. CARRE tous deux Hambourgeois. 


Le Sincère offre un singulier rapprochement des 
recettes qu'ont produit dans quelques grandes villes 
les représentations au bénéfice des héritiers de 
Schiller. Riga, dit-il, a environ 35,000 habitans ; 
la recette y a été de 1800 florins; Hambourg a 
11,000 habitans, et ses richesses sont à celles de 
Riga comme quatre à un; cependant on n’y a re- 
cueilli que 800 florins, c’est-à-dire, la moitié d’une 
recette ordinaire. Berlin a 160,000 habitans, mais 
peu de grandes fortunes et presque point de com- 
merce, et la recette s’est élevée à près de 5000 flor. 


SAXE 


La célèbre Galerie de Dr£sDE a été ouverte cette 
année le 1° septembre. Parmi les chefs-d’œuvres 
qu'elle renferme , on y a exposé quelques nouveau- 
tés qui ont paru attirer l’attention des connoisseurs. 
On y remarque surtout un grand tableau d'histoire 
de M. Fr. MArHÆt; il est composé de 12 figures, 
et représente la punition d° AEgisthe par Oreste et 
Piladé dans le palais d'Agamemnon. Xe sujet 
que ce peintre vient de traiter avoit été proposé 
par l'Académie de Milan, et ce sont des circons- 


T. F. Octobre 1806. Dd 


426 . Nouvelles littéraires. 


tances particulières’ qui l'ont empêché d'y envoyer 
son tableau. M. Mathæi avoit déjà remporté un 
prix de peinture à Florence, où il fut nommé pro- 
fesseur honoraire. 


Le célèbre TiscHBeiN a terminé, pour le duc 
d’'Oldenbourg, son tableau d’Æ4jax et Cassandre. 
Il a choisi le moment où le héros grec enlève la 
prêtresse à l'autel, et détournant déjà les yeux vers 
l'entrée du temple, tire son épée et l’oppose à l’en- 
nemi qu'il attend. Ces deux figures, de grandeur 

naturelle, sont les seules qu'offre ce tableau. On 
prétend que M. Tischbein a eu l'intention de repré- 
senter allégoriquement dans ce sujet ; le combat 
violent du principe actif et du principe passif de 
l'homme et de la femme. 


M. Rom. Adolphe HEpwiG, docteur en phi- 
losophie et en médecine, et depuis 18or professeur 
extraordinaire de botanique à PUniversité de Léipzig, 
est mort dans celte ville le 1°". juillet à l’âge de 
34 ans. 


GranD Ducs DE BERrc. 


Il va être établi une Université à Dusseldorf. Le 
conseil d'état s’est déjà occupé , dans plusieurs séan- 
ces, du plan et des détails de cet établissement. 


Royaume DE BAVIÈRE. 


L'Académie royale des Sciences à Munich avoit 
proposé, en 1802, pour sujet d’un prix /’ “histoire. 
pragmatique du commerce de La Bavière depuis 
Les temps les plus anciens jusqu'a jours. L'Aca- 
démie n’a pas cru devoir adjuger ce prix à aucun 
des mémoires qui lui ont été adressés. Cependant 


Nouvelles litléraires. 427 
élle a décerné 50 ducats à M. Rom. Zzrngibl, con- 
seiller et archiviste du prince primat (alors archis 
chancelier de l'empire }, comme honoraires du mé- 
moire qu'il lui avoit adressé sur ce sujet. | 

Pour l’année 1808, l’Académie propose un prix 
de: 50 ducats pour la meilleure histoire pragmatique 
des sciences et des arts en Bavière. Depuis Albert V 
jusqu’au règne de Maximilien I”, 

Comme elle n’a point reçu de mémoires sur la 
question proposée en 1805, sur les productions na- 
turèlles de la Bavière , elle l’a remis encore une fois 
au concours pour 1807, avec de nouveaux dévelop- 
pemens. Le prix séra de 100 ducats: 

Les mémoires seront adressés à M. WESTENRIE+ 
DER , secrétaire de l’Académie. Le terme de rigueur 


des questions proposées pour 1608, est le 1‘*. no- 
vembre 1807: 


Le conseiller SEYFFER, pendant la dernière 
éclipse de soleil, avoit fait à Muntcx des obser- 
vations très-curieuses sur les hautes montagnes de 
l'hémisphère septentrional de la lune: Ces observas 
tions viennent d’être vérifiées par le célèbre astro+ 
nome Schræter, de Lilienthal près de Brême. Il a 
trouvé que la plus haute de ces trois montagnes 
avoit d’élévation les neuf dixièmes d’un mille géo- 
graphique. Il est singulier que dans aucune des ob: 
servations de l’éclipse de soleil qui nous sont parve- 
nues de Vienne, Milan, Berlin, Brunn, Ochsen- 
hausen, Schweïdnitz et Hambourg, il ne soit fait 
mention de ces montagnes du globe lunaire. 


RovyAuUMmME DE WüRTEMPERG. 


Par un décret royal, il a été ordonné que le mi- 
aistre du département ecclésiastique seroit à l’ave- 


428 Nouvelles littéraires. 


nir toujours curateur en chef de l'Université de 
Tubingue , et que le président de la direction géné- 
rale des études en seroit toujours curateur. Ces deux 
dignités ont été d'après cela conférées à M. De Man- 
DELSLOH, ministre d'état, et à M. le conseiller in- 
time DE SpitTrLer. Sous leur autorité, et sous celle 
de la direction générale des études, seront aussi 
placés le séminaire théologique de Tubingue, les 
séminaires inférieurs qui, à l’avenir , seront réunis 
à Denkendorf et à Maulbronn, et le gymnase , de 
Siutigard. 

‘M. le docteur Le BRET, chancelier de l'Univers 
silé, que son grand âge et des infirmités empêchent 
de se livrer aux fonctions de sa place, a été mis en 
repos en conservant son rang et tous ses appointe- 
mens. À sa place le roi a nommé M. SCHNURRER , 
docieur et professeur en théologie, auquel il a ac- 
cordé la dignité de prélat, ainsi que les priviléges, 
titres et décôrations qui en dépendent. 

Les curateurs, de concert avec la direction géné- 
rale des études, seront à l’avenir chargés de propo- 
ser au roi les personnes qu'ils croiront propres à 
remplir les chaires de professeurs qui viendroient 
à vaquer. À l'avenir, tous ceux qui voudront ob- 
tenir quelque emploi qui exige des connoissances 
littéraires, seront obligés de prouver qu’ils ont fré- 
quenté au moins pendant deux'e ans les cours del’Uni- 
versité de Tubingue. 


Les sciences viennent de faire une perte consi- 
dérable par la mort de M. Srurz, médecin de la 
petite ville de Gmund en Souabe. Cet homme utile 
s'étoit rendu célèbre par une nouvelle méthode de 
guérir le tétanos, ou cet état de convulsions horri- 
bles dans lequel périssent tant de braves militaires 


Nouvelles littéraires. 429 


blessés. L’analosie d’un fait bien simple avoit con- 
duit M. Stütz à cette découverte importante. M. de 
Humboldt avoit annoncé, dans son ouvrage sur les 
nerfs , qu'en traitant la Ébre nerveuse AMennslilies 
ment avec de l’opium et du carbonate de potasse, on 
pouvoit la faire passer cinq ou six fois du plus haut 
degré d’irritabilité à un état d’asthénie parfaite. La 
méthode de M. Stutz , qui a été employée avec le 
plus grand succès dans les hôpitaux autrichiens, con- 
siste dans une application alternative et intérieure 
de l’opium et du carbonate de potasse. On a vu que 
lorsque 36 grains d’opium, administrés dans un es- 
pace de 24 heures , ne produisoient aucun effet, le 
malade fut considérablement soulagé par 10 autres 
grains d’opium , employés après avoir donné la so- 
lution alkaline. Cette méthode, dont les journaux 
allemands ont beaucoup parlé, mérite la plus grande 
attention de la part des médecins. 


Royaume DE PRUuSSE 


Il a paru à BerLiN, chez Froelich, un fragment 
de l’ouvrage de Philodéme sur la Musique , d’a- 
près le rouleau de Papyrus, tiré des ruines d’'Her- 
culanum. Ce fragment n’est que de deux colonnes 
que l’on a figurées avec exactitude, et accompagnées 
d’une traduction de M. de Murr. Pour compléter 
le volume, on y a joint l’histoire de la découverte 
des manuscrits d'Herculanumn, leur description et 
la manière de s’en servir ; une notice historique 
sur Philodème , des remarques explicatives, un 
appendix sur la musique et Les notes grecques, et 
sur les airs de quelques hymnes de Pindare, qui 
avoient déjà été publiés. 


430 Nouvelles littéraires. 
EMPIRE D'AUTRICHE. 


Le 28 juin, est décédé à Vienne, dans la 43°. 
année de son âge, à la suite d'une longue maladie, 
M. Jacob DE WALLENBOURG, conseiller près la 
chancellerie intime aulique et d'état. Il étoit né à 
Vienne le 10 septembre 1763; après avoir été élevé 
à l’Institut de l’Académie orientale, si justement 
renommé , il fut envoyé à l’âge de 19 ans à Cons- 
tantinople, comme élève-interprète. Pendant plus 
de vingt ans, il remplit avec un zèle infatigable les 
fonctions d’interprète, tant dans la capitale même 
que dans différens voyages et missions; et pen- 
dant la guerre de Turquie, dans le camp et sous 
les yeux de Joseph IT, et enfin au congrès de Szi- 
stowe. IL a fait preuve dans les affaires, de con- 
noissances très-étendues en politique, dans la sta- 
tistique, l’art nautique et la parlie commerciale ; 
il connoissoit aussi parfaitement l’état, les mœurs 
et l’histoire des peuples de l'Orient, de la Turquie 
européenne et de l'Egypte. A la connoissance des 
principales langues’ vivantes et des meilleurs mo- 
dèles, il joignoit celle des langues grecque et latine 
au plus éminent degré, plusieurs idiômes esclavons, 
le turc, l'arabe, et surtout le persan, lui étoient 
familiers. Il fut l’un des plus zélés coopérateurs au 
célèbre dictionnaire de Mennenski. En 1804, il 
résolut de traduire en français le fameux poëéme 
épi-didactique persan de Ferdussi , intitulé : Sczh- 
name (ce qui signifie Ze Livre royal), en y joi- 
gnant des notes historiques, géographiques , des 
recherches sur l'antiquité, et des gravures expli- 
quant le téxte. Ce poëme chante les exploits et les 
différens traits de la vie des anciens rois de Perse, 


® Nouvelles littéraires. . 431 


el transmet les plus importantes traditions. Ferdussi 
mit 30 ans à le composer; il le fit pour Mahmud- 
Ben-Sebuktegin , fondateur de la dynastie Gazucoi- 
dich : il s'y trouve 120 mille vers et 6o mille beits 
( distiques ). Feu Wallenbourg n’épargna ni peines, 
ni temps , ni frais, pour ternuner cette entreprise 
aussi bien qu'il étoit possible. Les caractères per- 
sans, qui furent fabriqués sous ses yeux, réussirent 
tellement, qu'il étoit impossible à l’œil le plus exercé 
de distinguer l'impression de l'écriture persane la 
plus nette et la plus belle. La mort interrompit cette 
entreprise, ainsi que tant d’autres choses utiles que 
lon pouvoit attendre d’un homme qui, sans pas- 
sions , quoique doué d’un esprit vif et actif, sans 
prétentions, malgré les rares connoissances et les 
talens qu'il possédoit, s'apandonna uniquement au 
goût qui l’entrainoit , et ne vécut que pour les scien- 
ces et sa patrie. 


Un nouveau drame de M. Schmidt, la Féte de 
Noël, a obtenu quelque succès sur le théâtre de 
VIENNE; mais de nouvelles paroles de monsieur 
TREITTSCHKE ont fait tomber l’?Z/oménée de 
Mozart. 


Un mélodrame de HoLBEIN, la Rerne des Ama- 
zones , imité de la Jeanne d'Arc de ScuILLER , est 
tombé de lui-même. La Sophonisbe de PAER, mise 
en oratorio , n’a été que médiocrement applaudie. 


Le comte F7r.- Antoine De MAGNIS a fait traduire 
en langue morave le manuel du docteur Struve sur 
la manière de rappeler à la vie les individus frap- 
pés d’une mort apparente. Il a fait distribuer 26 
mille exemplaires , tant de l'original que de la tra- 
duction, en Bohème et en Moravie, et il a déjà eu 


452 Nouvelles lilténaires. 

le bonheur d'apprendre que plusieurs personnes ont 
élé sauvées par les moyens auxquels il a donné de 
la publicité. 


La musique a fait, vers la fin du mois d'août, 
une grande perte dans la personne de Jean-Michel. 
Hayow, dont on a fait Péloge en un mot, quand 
on l’a proclamé le digne frère de l'illustre Joseph 
Haydn. Michel s’étoit spécialement donné à la mu- 
sique d'église. : 


Suène. 


“ La Société militaire suédoise a publié ses trans- 
actions, pour l’année 1805. L’adjudant-général Tr- 
BELL ÿ à inséré les statuts perfectionnés de la So- 
ciété. On y distingue un fort bon Traité sur la con- 
struction des casemates. 


DANNEMARCXK. 


M. Maærrer, adjoint de l’École savante de 
Slagelsee, a reçu de la Société royale des sciences 
de Copenhague la médaille d’or qu’elle avoit pro- 
posée au meilleur mémoire sur Les abus que les 
historiens anciens et modernes ont fait de l’his- 
toire dite Pragmatique , et sur les moyens d'y 
remédier. 


Un curé de NyKoEginG vient de donner la 
description d’une île danoise, dont le nom est à 
peine connu des Danois eux-mêmes. C'est celle de 
Mors , située dans la partie N. O. du Jutland, et 
formée par le grand golfe de Limfierd, qui pé- 
nètre fort avant dans l’intérieur de cette péninsule. 
Sa population s’élève à 8,000 habitans. On y parle 
uné langue particulière. L'’historiographe de cette 


} 


« 


Nouvelles littéraires. 435 


île a joint à sa relation un glossaire qui contient 
700 mots inconnus. 


On découvrit, il y a environ un an, tout près 
de DroNTuEr, trente-deux pièces d'argent enter- 
rées à une médiocre profondeur. Elles ont été frap- 
pées sous le règne du roi Eric de Poméranie, soit 
à Aaresund en Norwèce, soit peut-être à Ouroust 
en Suède. Elles méritent une description particu- 
lière que, sans doute on s’'empressera de publier. 
Plus récemment, dans la prévoté de Meldalen, 
près Drontheim, on a trouvé dans un banc de 
sable soixante-dix à quatre-vingt pièces d'argent et 
quatre à cinq urnes d’une composition de fin 
métal, qui ne contenoient que de la cendre bleue. 
Les pièces de monnoie ont été frappées sous le 
roi d'Angleterre Ethelred. Une d'elles porte une 
croix et l'effigie d’un temple; elle paroît avoir été 
faite vers le onzième siècle. En plusieurs autres 
endroits du diocèse de Drontheim, on a aussi dé- 
couvert d’anciennes pièces de monnoie à diverses 
époques également récentes. À Strinden, par exem- 
ple, on trouva, il y a seize ou dix-sept ans, une 
espèce de coffre de cuivre, qui renfermoit des pièces 
de monnoie, la plupart du règne de Frédéric LIT, 
et de la valeur de 300 rixdalers. Sur un côteau 
très-rapproché de Drontheim, on recueillit, il y a 
vingt ans environ , quarante-huit pièces d'argent, 
grandes pour la plupart, et portant une empreinte 
inconnue. Cinq de ces pièces étoient rondes, les au- 
tres carrées ou triangulaires. L’ignorante cupidité 
les fit vendre à un orfèvre de Drontheim. Deux 
des pièces quadrangulaires seulement échappèrent 
au creuset. Elles sont dan la possession d’un homme 
en place de cette ville. L'examen de ces diverses 


434 Nouvelles littéraires. 


médailles serviroit sans doute à jetter du jour sur 
quelques époques de l’histoire du nord (r). 


La Société royale des sciences à COPENHAGUE a 
décerné sa médaille d’or , de la valeur de rooreichs- 
thalers, à M. Frank, ministre du S. Evangile à 
Sonderbourg , pour sa réponse à la question sur 
l'histoire et l'influence du Spinosisme, qu’elle 
avoit proposé l’année dernière. 


Le prince royal Frénérre a fait pour la somme 
de 5,000 reichsthalers l'acquisition de la plus grande 
partie de limportante bibliothéque et de toute la 
collection des cartés géographiques de feu l’archia- 
tre HEnsrer à Kiel, et il en a fait don à l’Uni- 
versité de cette ville. Peu de temps auparavant le 
même prince avoit fait à la même université un 
don de 2,000 reichsthalers pour faire l’acquisition 
d'un cabinet de chirurgie. 


Russre. 


M'REDowsky qui devoit accompagner en qualité 
de botaniste l'ambassade russe, que le gouverne- 
ment chinois n’a pas voulu admettre, est dans ce 
moment occupé à faire , dans les contrées les plus 
éloignées du nord-ouest de l'Asie et aux frais de 
l'empereur de Russie, un voyage qui aura pour 
but spécial les progrès de la botanique. Le 5 mai, 
il devoit partir d’Irkutzk, s’embarquer sur la Lena 


- (1) Elles seront sans doute employées dans le premier 
supplément que l'on donnera de l'Histoire métallique de 
Danemarck (Bestrivelse over Danske Mynter og Medailler 
ï den Kongelige Samling) , qui est l'ouvrage le plus somp- 
tucux et le plus magnifique d@ce genre qui ail encore été 
publié. A, L. M. 


Nouvelles littéraires. 435 


et la descendre jusqu’à Jakutzk. IL se proposoit de 
remonter de là le long de l’Aldan jusqu’à ses sour- 
ces dans les montagnes mongols; d'examiner celles- 
ci avec soin, ainsi que la Jablonoëi- Chrebet (mon- 
tagne des pommes) jusqu'à l'Océan; de suivre les 
bords de cette mer jusqu’à Ochotsk , où il espéroit 
arriver au mois de septembre. Son projet éloit de 
se rendre ensuite par terre ou par mer dans le 
Kamtschatka et de passer l'hiver à Bolscheretzk. 

L'été de l’année 1807 sera employé à visiter d’a- 
bord les Curiles aussi loin que possible jusqu'au 
Japon, ensuite les îles Aleutes jusqu’à la terre 
ferme d'Amérique , et au retour les îles de 
Bering et de cuivre. Après avoir passé dans le 
Kamitschatka l’hiver suivant, il employera l'été de 
1808 à visiter la Sagalie, et les îles de l'embou- 
chure de l’Amur; il remontera ce fleuve et retour- 
nera par la Mongolie jaune , Nertschinsk et La Da- 
vourie, en Sibérie. 

M. Redowsky se propose de faire autant que 
possible des recherches sur les cryptogames. 

Le métropolitain PLATON a publié, sous la forme 
d’Ænnales ,une Histoire ecclésiastique de Russie ; 


elle est écrite dans un dialecte que l’on nomme 
demni-esclavon. : 


Le capitaine Lisssansxy, revenu le 5 août à 
CRroNsTADT de son voyage autour du monde, a eu 
l'honneur de recevoir l’empereur Alexandre à son 
bord. S. M. lui a conféré l’ordre de Saint-Wladi- 
mir de la 3"°. classe, avec:une pension de 3,000 
roubles. Les officiers , et même tous les matelots 
de sa frégate, ont reçu des pensions. Le capitaine 
Lissjansky a mis trois ans moins trois jours à son 
expédition. Du bœuf salé, et de l’eau de la Neva 


436 Nouvelles littéraires. 

qu'il avoit conservée pendant son voyage dans des 
tonneaux carbonisés, se sont trouvés encore, après 
un laps de trois ans , dans un état propre à être dis- 
tribués à l'équipage. Il n’a perdu qu’un seul homme 
par maladie. On attend impatiemment le capitaine 
KRUSENSTERN. 


Le bateau de salut pour les raufragés , inventé 
en Danemarck par le capitaine SŒLLING , est arrivé 
à PérerssourG. Il en sera construit plusieurs sur 
ce modèle dans les différens ports de Russie. 

. L 


Royaume DITALIE. 


: S. M. l'empereur et roi à accordé à la veuve de 
M. FonranA, ancien professeur de mathématiques 
tranécendentés À à l’Université de Pavie, une pension 
annuelle de 1,000 livres milanaïses. 


Le 28 août, le prince vice-Roi a accordé une 
gratification de 6,000 liv. à M"°. Louise ALCHIERI, 
veuve du professeur de calcul de ce nom. 


ETATS ECGCLÉSIASTIQUES. 


Les curieux se portent en foule dans l’atelier du 
sculpteur CaxovaA, à Rome, pour admirer la statue 
d'Hébé qu'il vient d'achever. Le buste de la déesse 
est à nu , le reste du corps est couvert d’une dra- 
perie aérienne. Elle est représentée versant l’am- 
broisie à la table des dieux. L’exécution de cet ou- 
vrage est parfaite. Rien de plus léger que ses che- 
veux, de plus vrai que les plis de son vêtement , 
de plus fini que le nu, de plus gracieux que tout 
l'ensemble. C’est le style grec dans toute sa pureté. 


Nouvelles littéraires. 437 
FRANCE. 


Le sieur BAGETTI , capilaine-ingénieur-géogra- 
phe de Turin, chargé de peindre les vues des ba= 
tailles, a reçu l’ordre de se rendre dans les Etats 
ex-vénitiens et dans le Tirol, pour ‘dessiner toutes 
les affaires qui-ont eu lieu pendant la dernière cam- 
pagne ; ces tableaux sont destinés à faire partie de 
la grande collection existante près le Gouvernement, 
déjà au nonibre. de cinquante-quatre, peints par le 
même autéur,, à dater de l’époque où BONAPARTE 
prit le commandement de l’armée à Nice, en l’an 4, 
jusqu’à la revue du camp de Castiglione, en juin de 
l’an 1805. Le but du Gouvernement est, non-seule- 
ment d’avoir une suite de ces batailles la plus exacte 
et la plus complète , mais aussi de les faire graver. 
On aura donc l'assurance de voir une coHeBton 
authentique, et nous pourrons même applaudir a avec 
satisfaction aux talens d’un de nos concitoyens , au- 
quel le Gouvernement a accordé son estime, en 
l'honorant d’une mission aussi éclatante et dif- 
ficile. 


Le sculpteur Barthélemi CARREA, à GÈNES, vient 
de finir le buste de S. M. l'Empereur et Roi, gran- 
deur au-dessus du naturel, beau dessin, ressem- 
blance parfaite. Ce buste a été exposé huit jours 
aux regards des amateurs, dans l'atelier de M. Boc- 
EL Tue Julia. 


L'Acwdèmie des Jeux floraux de TourousEe 
avoit envoyé, il y a quelque. temps, à M. Fox- 
TANES, des lettres de maître de Jeux floraux; elle 
vient d’en donner à S. Em. Mer. le cardinal Maur! 


La Socrété des sciences et arts du département 


426 Nouvelles littéraires. 


du Lot, séante à MonrauBan , propose, pour l'an 
1807, les trois prix suivans : 

Assigner les rapports qui existent entre l’élec- 
cricite, le magnétisme et le galvanisme , et déter- 
miner principalement le rôle que joue le calorique 
dans les phénomènes qui en résultent. Tel est le 
sujet du premier prix proposé par la section des 
-sciences. 

Les deux autres, proposés par la section de lit- 
térature, seront décernés; l’un, aw meilleur discours 
sur ce sujet: Combien la critique amére est nui- 
sible aux progrès des talens. L'autre, à un éloge 
en prose de M. de Saint-Lambert , de l'Académie 
française. Les auteurs qui travailleront à cet éloge, 
sont invités à examiner quel est le mérite et le rang 
qu'on doit assigner à la poésie descriptive. Les ou 
vrages destinés au concours seront adressés, francs 
de port, à l’archiviste de la: Société, avant le 20 
mars. Chaque prix sera, suivant l’usage, une mé- 
daille d’or, portant, d’un côté, le type de la Société, 
et de l’autre, le nom de l’auteur couronné, avec 
l'époque à laquelle le prix lui aura été accordé. 


Le conseil-général du département de la HAwTE= 
Lorre vient de demander à M. le Préfet le rétablis- 
sement de l’ancien mausolée élevé aux mânes de 
Bertrand du Guesclin, mort en assiégeant Château- 
Neuf-Randon, près de la ville du Puy. Le conseil- 
général a voté une somme de 3000 fr. pour réparer 
ce monument, qui a été érigé le 28 juillet:1380. 


L'Académie des sciences, arts et'belles-lettres 
de Lyon avoit proposé au concours de cette année, 
la question suivante : & Quels sont les moyens qu'un 
”» Gouvernement peut employer pour faire tourner 
»5 au profit de l’agriculture, du commerce et des 


| 


Nouvelles littéraires. 439 
5 arts, le développement qu’une grande révolution 
» donne aux idées, et l'énergie qu’elle inspire aux 
# caractères ? » Sür huit mémoires envoyés, celui 
de M. LABOULINIÈRE, secrétaire général de la pré- 
fecture des Hautes-Pyrénées, a obtenu le prix. 


L'Académie de MARSEILLE a tenu sa séance 
publique, le 24 du mois d’août, sous la présidence 
de M. Thibaudeau, conseiller d'état, préfet du dé- 
partement des Bouches-du-Rhône. 

La séance a été ouverte par un discours de M. le 
président, sur la marche immuable de l'esprit hu- 
main vers le perfectionnement, sur les progrès 
consians des lumières, dont rien ne peut arrêter 
le cours , et qui alternativement attirées, repous- 
sées par une action continuelle des mœurs et des 
gouvernemens sur elles , ont successivement voyagé 
sur toutes les parties du ‘globe. 

. M. Vasse, professeur de mathématiques au lycée 
de Marseille, reçu membre résidant à la place de 
M. Défougères, que le Gouvernement a appelé à 
Gênes, a prononcé son discours de réception. 

M. Acuarp, l’un des secrétaires perpétuels, à 
fait le rapport des travaux de l’Académie depuis la 
séance de Päques. 

Il a ensuite annoncé la mort de M. SABATTIER 
DE CAVAILLON, associé octogénaire, qui a terminé 
sa carrière à Avignon, le 16 de ce mois. 

M. GrrARD aîné, a lu une fable de la composi- 
tion de M. »’ArgauD DE, JOUQUES, sous-préfet 
d'Aix, intitulée : Za Rose et Le Buisson. 

M. DE SINETY, secrétaire perpétuel, a lu ensuite 
le fragment d’un poëme en vers, sur la Campagne 
de cent jours, 


M. VALENTIN, Qui a parcouru les États - Unis 


440 Nouvelles littéraires. 


d’ Amérique, a lu une notice sur l’état présent des 
sciences dans ce pays. Îl y a joint des détails cho- 
rographiques, et l'exposé des découvertes qui ont 
illustré les savans Américains, 

M. pe SiNEry a fait un rapport sur le sujet pro- 
posé par l’Académie, pour lé prix de cette séance. 
Il a appris au public que le prix étoit réservé, et que 
le mème sujet seroit redonné pour 1807. Le pro- 
gramme demandoit une Instruction, populaire LY/72 
L'art de faire et de conserver Les vins de La ci- 
devant Provence. 

La séance a été terminée par la lecture qu'a faite 
M. Rosran, d'une pièce de poésie de M. DEMORE, 
sous-inspecteur de la marine à Toulon, associé de 
J’Académie. C’est la plainte d’une prètresse de Diane 
sur l'enlèvement d'Iphigénie. , : 


Les citoyens de Niorr. et du département des 
Deux-Sèvres croiroient mériter de justes reproches 
s’ils laissoient plus long-temps, parmi les ruines du 
Château de la Forèt, près de Bressuire, les cendres 
abandonnées de Durressis-Mornay, de ce loyal et 
fidèle ami de Henri IV ; de celui qui allia tous les 
sentimens du cœur le plus tendre et toute la force d’un 
zèle ardent, à un fond inépuisable de modération, 
et qui, avec des mœurs pures, des procédés francs 
et généreux, ne sut jamais , comme la plupart des 
grands de son témps, feindre ce qu’il ne sentoit pas, 
ou dissimuler ce qu'il sentoit. 


« Non moins prudent ami que philosophe austère, 

» Mornay sut l’arl discrel de reprendre et de plaire : 

» Son exemple inslruisoit “bien mieux que ses discours ; 
» Les solides vertus furent ses seuls amours. 

» Avide de travaux , insensible aux délices, 

» Il marchoit d’un pas ferme au bord des précipices ; 


» Jamais 


r 


Nouvelles littéraires. 445. 


» Jamais l'air de la cour et son souffle infecté 
» N’altéra de son cœur l’auguste pureté. » 
(Henr., c. 9, v. 2697.) 


Chef de parti, sans être factieux, craint et estimé 
de la cour de Rome, Mornay entra dans les affaires . 
de la réforme sans y faire entrer les passions ; et 
mettant dans ses opinions beaucoup de prudence et 
de sagesse, il respecta le trône et s’y tint attaché, 
même après que son roi eüt changé de religion. 
Le plus vertueux, le plus habile négociateur et le 
plus grand homme du parti protestant , il servit sa 
religion et son maître, de sa plume et de son épée. 
Aussi instruit que brave, il savoit le latin et le grec 
parfaitement, l’hébreux autant qu’on peut le savoir; 
il composa même plusieurs ouvrages estimés. Ce 
fut lui que Henri IV, n'étant encore que roi de 
Navarre, envoya à Elizabeth, reine d'Angleterre. 
Il n'eut jamais de son maître d’autre instruction 
qu'un blanc-sisné , et il réussit dans presque toutes 
les négociations. Sincèrement dévoué à son roi, il 
ne brava les plus grands périls, dans les combats, 
que pour faire, de son corps, un rempart à son 
ami. Son bras ne répandit jamais le sang des 
hommes. 


« Mais il ne permet point à ses stoïques mains 

» De se souiller du sang des malheureux, humains. 
» De son roi seulement son âme est occupée ; 

» Pour sa défense seule il a tiré l'épée ;. È 

» Et son rare courage ennemi des combats, 

» Sait affronter la mort, et ne la donne pas. » 


(Henr., © 8, v. 199.) 


Philippe de Mornay, seigneur du Plessis-Mornay, 
finit ses jours à l’âge de 74 ans, dans son château de 


T, F. Octobre 1896. Ee 


442 Nouvelles littéraires. 


la Forèt-sur-Sèvre, en Poitou, château qui a été 
entièrement détruit durant la guerre civile de la 
Vendée. Les Rochelais versèrent des larmes sur 
les cendres d’un homme qu'ils regardoient avec 
raison comme l'honneur de la réforme, et le héros 
du protestantisme. Les hommes justes des deux par- 
tis rendirent un hommage éclatant à son courage, 
à sa loyauté et à ses vertus. 

Mais l’Athénée de Niort, en se félicitant de l’idée 
initiative de ce monument à la gloire de Duplessis- 
Mornay, du fidele Achates du meilleur des rois, 
n’a point eu la prétention de l’élever seul à ses 
frais; il a voulu aussi faire participer à cette belle 
action tous les habitans des Deux-Sèvres, et même 
tous ceux qui en France conservent un sentiment 
de vénération pour ce grand homme. En consé- 
quence il a pris l'arrêté suivant : 

1°. Il sera ouvert une souscription publique pour 
le monument à élever dans le Vallon du Jardin 
dés Plantes à Duplessis-Mornay , et tous les citoyens 
Français, tous les amis de la gloire de leur patrie 
sont invités à s’y faire inscrire pour une ou plusieurs 
souscriptions ; 

2°. La souscription sera de 12 francs; 

3°. Les souscriptions seront adressées, france de 
port, au secrétaire perpétuel de l'Athénée; et passé 
le 1°. janvier 1808, elles ne seront plus reçues ; 

4°. Les cendres de Duplessis-Mornay seront trans- 
férées, des ruines du château de la Forëèt, dans le 
Vallon du Jardin des Plantes de Niort, le premier 
jour du mois de mai de l’an 1808 (1); 


(1) Quelques personnes ayant observé que ce monument 

seroit encoré mieux placé dans l’église consistoriale des ré- 
, _ Ar 2 2 AS ie 

formés de Niort, l'Athénée a arrêlé qu’on suivroit sur ce. 


Nouvelles littéraires. 44D:. 


5°. Pour ce même jour, l’Athénée préparera une : 
fête funèbre, et sur la tombe de Duplessis-Mornay, 
on lira celui des éloges de ce bon citoyen qui, en- 
voyé au concours, conformément à l'arrêté du 710 
juillet 1806, aura remporté le prix (2). Si l’auteur 
est présent , il sera couronné ; 

6°. Le monument funebre à la mémoire de Mor- 
nay, sera construit dans les proportions suivantes, 
et d’après le plan proposé par M. Bernard, pro- 
fesseur de dessin et membre de l’Athenée. 


Plan du Tombeau de Dupressis-MorNay. 


« Ce tombeau sera composé d’un sous-bassement 
» de pierres granitiques qui portera le sarcophage. 
» Il sera accompagné de deux pilastres et d’un 
» fronton. 

» Le sarcophage sera soutenu par -deux pieds de 
» lion; il aura cinq pieds de longueur, et il por- 
» tera sur le sous-bassement. 

» Au-dessus du sarcophage , l'inscription sera 
» gravée en lettres d’or, sur un fond de marbre 
# noir, de Gênes. La bordure de l'inscription sera 


“w 


point le vœu de la majorilé des souscripteurs. En consé- 
quence ils sont invilés à faire connoître spécialement leur 
volonté à ce sujet. 

(2) Extrait de la séance de l’Athénée de Niort, du 10 
juillet. 

Il sera accordé un prix d’éloquence, d’une médaille d’or, 
de quarante grammes, au meilleur éloge de Duplessis-Mor- 
nay, fidèle ami du roi Henri IV. 

Les auteurs feront parvenir leurs ouvrages , francs de 
port, et avant le 1°”. février 1808 , au secrétaire perpétuel, 
rue du Pelit- Banc, à Niort, en prenant les précautions 
d'usage. 


444 Nouvelles littéraires. 


» formée par un serpent gravé en or, sur le même 
s marbre : il est l'emblème de la prudence, et le 
» cercle qu'il forme indique le cours des années 
» qui augmentent la sagesse et l'expérience. 

» Le fronton sera orné de la couronne de chêne, 
# qu'on décernoit jadis à ceux qui avoient bien mé- 
» rité de leur patrie. 

» Au milieu de cette couronne sera une chouette, 
# comme l’attribut de Minerve, déesse de la sagesse. 

» Les pilastres seront ornés de faisceaux d'armes. 

» Sur les côtés on verra deux urnes lacrimatoires, 
s pour indiquer les regrets qu'emportent avec eux 
» ceux qui se sont distingués par des vertus. 

» Les quatre angles auront, ainsi que le reste, 
5 la forme des tombeaux antiques : ces angles ser- 
» voient à suspendre les fleurs que l’on offroit aux 
» Dieux Mänes. 

» Le derrière du tombeau se trouvant absolu- 
ss ment lisse, on pourra y graver ces deux vers si 
» connus et si beaux, que Voltaire met dans la 
» bouche de Henri LV : 


Approche, cher Mornay , ne crains point ma colère ; 
Qui m'apprend mon devoir est trop sûr de me plaire. 


(Henr.;fc.,9, v. 321.) 


5 Les quatre côtés du tombeau seront accompa- 
# gnés de quatre peupliers de haute venue, et le 
5 derrière du tombeau, de deux saules pleureurs 
»> à hautes tiges, qui dans peu pourront former au- 
» dessus une voûte de verdure. 

» Le treillage, peint en vert, qui entourera le 
* tombeau, à hauteur d'appui, sera orné de vignes 
» vierges, qui, eroissant promptement, en feront 
# ressortir la construction. »s 

7°. Ce monument, au lieu d’être en pierres gra- 


Nouvelles littéraires. 445 


nitiques et en marbre, pourra être construit entiè- 
rement en marbre, si le total des souscriptions per- 
met de faire une semblable dépense, qui s’éleveroit 
au moins à quatorze mille francs. 
8°. Le présent Prospectus sera adressé aux prin- 
cipales Communes de France, à tous les Consis- 
toires, à tous les Membres et Associés-correspon- 
dans de l’Athénée, et à toutes les Sociétés savantes. 
Clos et arrêté en séance, à Niort, chef-lieu du 
département des Deux-Sèvres, le 21 août 1806. 
Signé, BRISSON, doct. m. m., vice-président. 
GUILLEMEAU jeune , doct. m.m.,secrétaire- 
perpétuel. 
Paris. 


En remettant à M. Ferdinand-Marie Drxvaux 
le grand prix de peinture qui lui a été adjugé par 
l'Académie de Gand au concours de cette année, 
M. van Huzruem a prononcé le discours suivant, 
que nous insérons en entier, parce que ce véritable 
ami des arts y a consigné des faits intéressans sur 
leur histoire et leur état actuel dans la Belgique. 


Messieurs, 


L'Académie de dessin, peinture et architecture 
de Gand ouvre tous les deux ans son salon aux pro- 
ductions et à lémulation des artistes, et distribue en 
même temps les grands prix de dessin, peinture, 
sculpture et architecture. M. Ferdinand-Marie DELr- 
vaux, de Bruxelles, élève de M. Ændré Lens, a 
remporté au concours de cette année le grand prix 
de peinture. Ce jeune artiste, après avoir contemplé 
les chefs-d'œuvres que renferme le Musée Napoléon, 
et les productions des artistes français vivans, se 
rendra à Rome pour y achever ses études et pour 


46 Nouvelles littéraires. 


puiser de nouvelles connoissances dans les grandes 
- productions de RApnAEL et de MicuHEL-ANGE. 

L'Académie de Gand m'a chargé de lui remettre 
à son passage la médaille, prix de ses succès et de 
ses fravaux ; C’est un grand plaisir pour moi de pou- 
voir. m'acquitter de cette honorable commission au 
milieu des artistes belges , actuellement à Paris, qui 
soutiennent par leurs talens la gloire de l’école fla- 
mande, et qui veulent bien par leur présence venir 
encourager le talent naissant. À cette réunion d'ar- 

tistes ont bien voulu se joindre quelques autres com- 
patriotes qui se trouvent momentanément dans cette 
capitale, tous distingués par leurs lumières et par 
leurs connoissances. 

L'école flamande occupe une des premières places 
dans l’histoire des arts. Depuis Jezn van Eycx, sur- 
nommé Jean DE BRUGES, qui, vers l’an 1410, fit 
l1 précieuse découverte de la peinture à l’huile, cette 
école présente une suite nombreuse et non interrom- 
pue de maitres distingués. Les Pays-Bas, et surtout 
les provinces de Flandres et du Brabant, furent pen- 
dant long-temps le siésge de l’industrie et du com- 
merce, et furent aussi en même temps celui de Pai- 
sance et des richesses, si favorables aux progrès des 
arts. Toutes les villes de ces belles provinces, An- 
vers, Bruxelles, Bruges , Gand, Ipres, Oudenarde, 
Courtrai, etc., etc., ont vu naître dans leur enceinte 
des artistes renommés. Quand on examine les pro- 
ductions des van Evyck, on est surpris de’ voir à 
quel degré ils avoient porté l'art dans ces temps 
reculés ; ceux qui leur succédèrent, HEMMELINCK , 
Jean DE MaBuse, Lambert LomBArrT, Quintin 
Massis, pour qui l’amour fit un miracle et changea 
les instrumens grossiers de forgeron en un pinceau 
délicat, BernardyaxOr1EY, MichelCox1s, FRANC- 


Nouvelles littéraires. 447 


FLore, Jean Boz, les Franck, Martin DE Vos, 
STRADAN, les PourBus, SPRANGER, Charles yAN 
ManDer, Adam VAN Oont, Ofto vAN VEEN ajou- 
tèrent de nouvelles beautés à celles de leurs devan- 
ciers. Denis CAELVAERT , d'Anvers, forma à Bo- 
logne, en Italie, une école célèbre, d’où sortirent 
un grand nombre de bons artistes (1). Rugrns , doué 
d'un génie rare et sublime, embrassa avec un égal 
succes toutes les branches de son art; génie créa- 
teur , il inventoit facilement et exécutoit avec la même 
facilité ; la beaute de son coloris , la richesse de ses 
idées , la parfaite entente de la lumière et de la per- 
speclive aérienne, le feu qu’il mettoit dans ses com- 
positions et le grand nombre de ses productions, le 
placeront toujours au rang des plus fameux peintres 
qui aient exisié. Van Dyck, digne élève de Rubens, 
a laissé des tableaux d'histoire d’un grand mérite, 
quoique peints avec moins de feu que ceux de son 
maitre ; mais le portrait est la partie dans laquelle il a 
surtout excellé; ressemblance parfaite, attitudes na- 
turelles et ingénieuses, coloris savant, dessin par- 
fait des têtes et des mains, tout est admirable chez 
lui. é 

Une longue suite de peintres marche à côlé de ces 
deux lumières de l’école flamande, Martin PEPYN, 
Gaspar pe GRAYER, Gerard et Daniel SEGHUERS, 
Henri VAN BAELEN, Abraham JANSEN, Jacques 
JorDAENS, francois SNEYDERS, Jean FEYTr, Cor- 
neille ScuurT, Théodore vAN THuLDEN, Jean BREU- 
GHEL, dit pE VELOURS , Ærasme QUELLIN , Æbra- 
Lam DirpEeNBEEc, VAN Oostr, David TENIERS, 
Adrien BRAUWER , Philippe dx CHAMPAGNE, Bar- 
tholomeFLiEemMAEL, Gerard LaAiREssE, Peter NEEFSs, 


(1) Le Guide, l'Albane, le Dominiquin, etc. etc. 


448 Nouvelles littéraires. 


Gonzales Coques, Paul Barez , ConINxLo, Vin- 
KENBOOMS, Rolant SAVERY , Lucas VAN UDEN» 
Jacques dE RoRrE, les frères BESCHEY, GEERARDS, 
ANTONISSEN et une foule de peintres distingués, tous 
connus par leurs grands et nombreux travaux. 

Cette école a également produit un grand nombre 
de sculpteurs célèbres , à la tête desquels il faut pla- 
cer Francois pu Quesnoy, surnommé François 
FLamanD,ouiL FIAMINGO ; Artus QUELLIN, VER- 
VoorT et TASSAERT, d'Anvers, FAEYDHERBE, de 
Malines; JÉROME , du Quesnoy , et BERGER , de Bru- 
xelles; DELvAUx et VERSCHAFEL, de Gand, se sont 
fait connoitre par de beaux travaux. 

La gravure a eu de grands maîtres dans la Bel- 
gique et en Hollande; Lucas dE LEYDE, Corneille - 
Cort, les W1ERIX, DE JODE, GALLE, les trois SA- 
DELER, GOLTZIUS, MULLER, SAENREDAM , Ma- 
THAN, Corneille BLOEMAERT, vAN SCMPEL, Suy- 
DERHOEF, Lucas VORSTERMAN , Paul Pontius, 
ScneLre et Borce BorswerT , Wirnouc, Cor- 
neille VAN DALEN, MariINus, NATALIS, CLOUET , 
REMBRANT, Ferdinant Bor, vAN VLi£r, LiE- 
VENS, Corneille Visscher, les deux PrrAU, vAN 
ScHUPPEN , VERMEULEN, ÊDELINCK, VAN AUDE- 
NAERDE, PILSEN , MARTENASIE, etc., etc., se sont 
fait une grande réputation par le grand nombre de 
belles estampes qu'ils nous ont laissées. 4 On ne 
# sauroit refuser la prééminence, dit un grand con- 
» noisseur étranger (2), aux graveurs des Pays-Bas 
» sur ceux de toutes les autres nations; eux seuls 
ont rempli les demandes essentielles des amateurs 
de la vraie gravure. En effet, continue-t-il, quelle 


ww 
VV + 


(2) M. Huger, Notices générales des graveurs, divisés 
par nations ; Dresde , 1787, p. 157. 


Nouvelles littéraires. 449 


» force de burin dans Goltzius et ses élèves, quelle 
5» vigueur de coloris dans les graveurs de Rubens 
# et de son école, quelle magie de clair obscur dans 
&« Rembrant et ses disciples, quelle netteté, quelle 
» pureté d’exécution dans Bloemaert et Edelinck, 
» quelle variété, quelle beauté de travaux dans Viss- 
cher et quelques-uns de ses imitateurs ? aussi la 
» postérité est juste, le prix qu’elle a établi pour les 
» belles estampes de ces fameux maîtres décide en 
ss leur faveur. » 

Les arts du dessin sont encore actuellement cul- 
tivés avec succès dans les départemens réunis de la 
Belgique ; presque toutes les villes y ont une Aca- 
démie de dessin, peinture et architecture ; ces écoles 
ne causent aucuns frais au gouvernement; elles se 
soutiennent par des souscriptions volontaires d’un 
grand nombre d’amateuts; les hôtels-de-villes et les 
belles églises, remplis avant la révolution d’un grand 
nombre de chefs-d’œuvres des artistes flamands, et 
dont on a encore conservé de précieux débris, et 
les collections particulières qu'on voit dans toutes les 
villes , attestent le goût des habitans. L'école flamande 
compte encore parmi ses artistes vivans des maîtres 
distingués qui maintiennent par leurs talens lan- 
cienne réputation du pays; tels sont, parmi les pein- 
tres : MM. André et Jacques LENS, VERHAEGHEN, 
HERREYNS, SUVÉE, OMMEGANCK , FRANCOIS, Sau- 
VAGE, Gérardet Corneille VAN SPAENDONCK, VAN 
DAEL, FAES, ZIEZEL, vAN DoRNE, pu VIviEr, 
DE Marne, Denis, Sminrs, Lxror, REGEMOR- 
TEL, les deux frères REDOUTÉ, SOLVYNS, TENSIE, 
Duce, van DEN Bercne, van BRÉE, van DER 
Doncx, vAN AscH, ODEvVAERE, CELS, etc., etc. 
Parmi les sculpteurs : van Poucrke, GODECHARLES, 
JANSENS; parmi les graveurs : Caron père et fils, 


450 Nouvelles littéraires. 


DE GHENDT; Crarssens, VAN DEN BERGKHE, DE 
MEULEMEESTER (3). A la suite de ces artistes , nous 
ne pouvons pas passer sous silence deux célèbres orfè- 
vres, MM. Tregercuren et LE FÈvRE, l’un à Gand 
et l’autre à Tournai, dont la beauté des ouvrages, l’é- 
légance des formes et la parfaite exécution donnent 
la plus haute idée de leur goût et de leurs talens. 

De jeunes artistes marchent à grands pas sur les 
traces de ces maîtres ; nous aimerions à vous en rap- 
peler quelques-uns , si la modestie de ceux qui sont 
présens à cette réunion ne nous empêchoit de pro- 
noncer leurs noins. 

Les habitans de la ville de Bruges ne peuvent 
voir qu'avec infiniment de satisfaction deux de leurs 
concitoyens présider à deux des principaux établis- 
semens d'instruction publique de l'empire français, 
l'un (4) comme directeur de l'Académie impériale 
de peinture à Rome, et l’autre (5) comme conser- 
vateur-administrateur de la Bibliothéque impériale 
à Paris, dont les connoissances littéraires et biblio- 
graphiques, et le zèle à conserver le dépôt confié 
à ses soins, ne sont égalés que par sa rare modestie 
et son désir d’être utile à tous ceux qui aiment les 
lettres , les sciences et les arts. 

Depuis long-temps des artistes flamands sont ve- 
nus se fixer dans cette capitale de la France, ou 
l'ont embellie par leurs travaux. RuBENs fit pour Ma- 
rte DE Mépicrs cette belle galerie du Luxembourg 


(3) M. Gerard van Spaendonck est membre de l’Institut 
nalional; MM. André Lens, Suvée, Ommeganck el van 
Poucke, sont correspondans regnicoles du méme Institut. 

(4), M. Suvée. 

(5) A ces trails on reconnoit mon collègue M. van Prael. 


À. L, M. 


Nouvelles littéraires. 491 


-que nous admirons au palais du Sénat, où toutes les 
richesses de l'imagination se trouvent réunies à tous 
-les charmes et à toutes les beautés de l’art. Jacques 
Fouquier d'Anvers, et Philippe DE CHAMPAGNE 
de Bruxelles, vinrent s'y fixer sous Louts XIII et 
y laisserent un grand nombre de tableaux. Æntoine- 
Francois vAN DER MEULEN, né à Bruxelles, fut 
attiré en France par les bienfaits de Cor8erT; il 
suivit Lours XIV dans ses conquêtes, et nous re- 
présente dans ses nombreux tableaux les batailles, 
les siéges et les chasses de ce roi accompagné de 
sa cour, avec cette vérité qui nous semble rendre 
présens à ces événemens , et avec cette perfection 
de l’art dans laquelle jusqu'à présent il n’a point en- 
core été surpassé. 

Un frère dominicain de Gand, nommé frère Ro- 
“MEIN où ROMENS, déjà connu auparavant par de 
grands ouvrages d'architecture , fut appelé par 
Louis XIV pour construire le Pont-Royal à Paris. 
Nicolas Vievcuets, fils d'un peintre flamand, 
‘fut directeur de l’Académie Royale de Saint-Luc à 
‘Rome. Les van Loo descendent d’une famille ori- 
-ginaire de la Flandre; Jean-Baptiste van Loo 
fut peintre du régent; Charles-André van Loo 
fut premier peintre de Louis XV , son fils M. Ce- 
-sar VAN Loo, dont tout le monde connoit le talent , 

‘veut bien , comme ancieu flamand, prendre quelque 
part à cette fête patriotique ; nous lui en adressons 
nos sincères remercimens , ainsi qu'à tous les ar- 
tistes belges et autres compatriotes qui veulent bien 
honorer cette réunion de leur présence. 

VaRIN, né à Liésce, grava sous Louis XII et 
Louis XIV ces grandes et belles médailles que nous 
admirons encore aujourd’hui. Duvivier, égale- 
ment né à Liése, fut graveur de médailles sous 


452 Nouvelles littéraires. \ 
Louis XV, comme son fils a été graveur de mé- 
dailles sous Louis XVI. 

S'il en faut croire le graveur Melchior TAvER- 
NIER (6), son père, Gabriel TAvVERNIER, natif 
d'Anvers, fut le premier qui apporta à Paris, en 
1573, l’art de graver en taille douce : I n'y avoit 
alors , dit-il, personne en ce royaume qui le pra- 
tiquät, encore moins qui en connüt l'excellence. 
Gerard EvrrinG, Nicolas et Jacques Piraw, 
Pierre vAN ScaupPpEN, Corneille VERMEULEN, 
célèbres graveurs d'Anvers, s’établirent à Paris sous 
Lours XIV , et y restèrent toute leur vie, excepté 
le dernier , qui retourna dans sa ville natale. 

La belle et riche manufacture des Gobelins doit 
son origine à des artistes flamands , qui, attirés par 
les bienfaits du gouvernement , se fixèrent à Paris. 
L'art de faire des tapisseries fut exercé pendant plu- 
sieurs siècles dans les Pays-Bas : les villes d'Anvers, 
de Gand, de Bruxelles, de Bruges et d'Oudenarde, 
eurent des manufactures célèbres, qui travaillèrent 
pour tous les souverains et les riches particuliers de 
l'Europe. Le pape Léon X (7) dépensa des sommes 

(6) Cette assertion, qui se trouve dans une requête im- 
primée de Melchior Tavernier, a été contestée par M. Huber, 
peul-êlre avec quelque vérité ; en effet, on connoissoit déjà 
en France, Jean Duvet, surnommé Le maïtre à la Licorne, 
graveur de Langres, qui grava probablement sur l’étain, 
‘sous le règne de Henri II, et Stéphanus, ou Etienne de 
Laulne, d'Orléans , qui grava de belles compositions à 
lusage des damasquineurs : il se peut cependant qu’à l’épo- 
que à laquelle Gabriel Tavernier vint s’élablir à Paris, il 
ne s’y trouva alors aucun graveur en taille-douce. 

(7) Quinquaginta etiam millia aureorum numüm impen- 
disse ferebatur in aulea Belgica , ab intertexto auro nobi- 
litateque artificum magnopere pretiosa. Paulus Jovivs , de 
Vita Leonis X ; Florentiæ, 1551, pag. 100. 


Nouvelles littéraires. 453 


immenses à y faire exécuter des tapisseries sur les 
cartons de RapnaEz et de Jules RoMaAIN, dont 
plusieurs ont été portées en France (8). 

Lorsque nous considérons que les temples , les pa- 
lais et les galeries de l’Europe sont remplis des chefs- 
d'œuvres de nos artistes, quand nous voyons que les 
tableaux de l’école flamande occupent une grande 
partie du Musée Napoléon, de la galerie du Sénat, 
de celles de Saint-Cloud , de Vienne, de Dresde, 
de Munich, de Sans-Souci et de St.-Pétersbourg, 
que les musées et les temples de la Belgique sont rem- 
plis des productions de nos maîtres, que des ama- 
teurs particuliers mettent le plus grand prix à en en- 
richir leurs cabinets ; que la plus belle statue qui dé- 
core l’église de Saint-Pierre à Rome est l'ouvrage 
d’un flamand (9); qu’un autre sculpteur flamand (10) 
fit toutes les statues et les ornemens qui décorent le 
somptueux hôtel-de-ville d'Amsterdam ; que le mau- 
solée de Newron à l'église de Westminster de 
Londres’est l'ouvrage d’un troisième, et que plu- 
sieurs palais des rois et de princes souverains sont 
décorés des statues de nos maîtres, n’avons-nous pas 
alors plus de droit que le héros troyen à nous écrier : 


Quæ regio in terris nostri non plena laboris ! 


Quel pays sur la terre n’est point rempli de nos tra- 
vaux, des productions et de la gloire de nos artistes ? 

Jeunes compatriotes qui venez achever vos études 
chez les grands maîtres qui font maintenant l’hon- 


8) On les a vues exposées dans la cour du Louvre, en 
P ? 
Yan 7. 


(9) La statue colossale de S. André, par François Du- 
quesnoiï. 


(10) Artus Quellin. 


454 Nouvelles littéraires. 

neur de l’école française, qui venez étudier les chefs: 
d'œuvres de l'antiquité et ceux des grands peintres de 
toutes les nations réunis au Musée-Napoléon , con- 
servez les belles parties qui caractérisent les produc- 
tions de l’école flamande, la beauté du coloris , l’ex- 
pression et la vraie imitalion de la nature; emprun- 
tez de l'antiquité le choix idéal et la beauté des for- 
mes; que l'étude assidue de Raphaël vous apprenne 
la correction du dessin, la noblesse des idées , la 
beauté des caractères ; et celte expression de senti- 
ment répandue dans ses immortels ouvrages; ap- 
prenez de Rugens la beauté du coloris et de la com- 
position, la connoissance du clair-obscur , le feu et 
le mouvement que ce grand génie a répandus dans 
tous ses ouvrages ; empruntez de chaque maître les 
parties dans lesquelles il a excellé; car le grand avan 
tage de ce beau Muséum, dont il n’a jamais existé 
un pareil, est de pouvoir comparer ensemble les 
différentes écoles , et de pouvoir choisir dans les 
chefs-d’œuvres de tous les peintres de chaque école 
ce qu'ils ont fait de plus beau et de plus parfait. 
N'allez pas, en froids copistes, prendre ces belles 
parties , telles que vous les voyez , et les transporter 
servilement dans vos tableaux ; mais apprenez à fon- 
dre et à vous approprier ces beautés, et à en faire 
un tout , qui en ressemblant à tout ce qu'il ya de 
plus beau, vous sera propre néanmoins et aura un 
degré de perfection inconnue. 

Il me tarde de remettre au jeune vainqueur la mé- 
daille qui lui est destinée. Ferdinand-Marie DEr- 
VAUX, vous devez à votre père , ci-devant secré- 
taire au conseil souverain de Brabant, la bonne 
éducation que vous avez reçue , à votre grand-père 
Laurent DELvAuUx, natif de Gand, sculpteur re- 
nommé , dont les travaux ornent nos temples et nos 


Nouvelles littéraires. 455 


palais (11), l'exemple et le modèle, à votre illustre 
maître, M. Andre LENS, peinire distingué d’his- 
toire, à Bruxelles , correspondant de l’Institut na- 
tional, les leçons qui vous ont fait avancer dans la 
carrière des Arts; vous voyez à côté de vous deux 
compatriotes (12), qui comme vous ont obtenu le 
grand prix de peinture de l’Académie de Gand. Les 
artistes réunis à Gand au concours de cette année 
vous ont unanimement adjugé la palme, venez rece- 
voir le prix de vos travaux et de vos succès , faites de 
nouveaux efforts pour recueillir de nouveaux lauriers, 
et songez que la gloire que vous acquerrez fera aussi 
la gloire de l’école à laquelle vous appartenez , et 
celle de notre ancienne patrie. 


Après que la médaille fut remise au jeune vain- 
queur , ét que cet artiste eût reçu les complimens de 
l'assemblée , tous ceux qui la composoient furent in- 
vités à se réunir à un banquet fraternel , où régnèrent 
la gaîté et cette franche cordialité qui caractérise le 
peuple belge, et où, parmi plusieurs toasts qui y 
furent portés, on distingua surtout les suivans : 

À Sa MAJESTÉ L'EMPEREUR, protecteur des 
Arts. * 


(11) Tout le monde connoïit l Hercule qui est au pied 
du grand escalier de la ci-devani cour de Bruxelles; la 
belle chaire de vérilé de l’église de S.-Bavon, à Gand; le 
S. Livin qui est au Muséum de la même ville, et le beau 
groupe des trois Vertus divines de la ci-devant abbaye de 
Villers. 

(12) M. Augustin van Den Berghe, de Bruges, élève de 
l'Académie de cette ville et de M. Suvée, ci-devant profes- 
seur de dessin à l’école centrale de Beauvais, qui a obienu 
le grand prix de peinture à Gand, l'an 4, et M. Joseph de 
Paelinck, élève de l’Académie de Gand et de M. David, qui 
a obtenu le même prix, l'an 12. 


456 Nouvelles littéraires. 


A la prospérité de l’école flamande. 

Aux artistes qui, par leurs talens, maintiennent 
la gloire de cette école. 

Aux grands maîtres vivans de l’école française. 

‘ Aux artistes belges, habitans de Paris. 

A M. Suvée, directeur de l’Académie impériale 
de France, à Rome. 

Aux directeurs de l’Académie de Gand. 

A la prospérité des Académies répandues dans les 
différentes villes de la Belgique, maintenant réunie 
à la France. 

A la mémoire de Jean vAN Eyck, inventeur dela 
peinture à l’huile. 

A la mémoire de Rubens, chef de l'école fla- 
mande (13). 

Ceux qui ont été présens à cette réunion, sont les 
suivans : 

M. Charles-Toseph-Emmanuel VAN HuLTHEM, 
de Gand, membre du Tribunat et de la Légion 
d'honneur , ancien bibliothécaire du département de 
l’'Escaut, membre de l’Académie de Zélande, éta- 
blie à Vlissingue , et de celle de la littérature bel- 
gique de Leyde, administrateur-adjoint de la so- 
ciété pour l’encouragement de l’industrie nationale à 
Paris, et un des directeurs de l’Académie de des- 
sin, peinture et architecture de Gand. 

M. Ferdinand-Marie DEcvaux, de Bruxelles, 
élève de l’Académie de cette ville et de M. André 
Lens, qui a obtenu le grand prix de peinture au con- 
cours de l’Académie de Gand de cette année. 

M. César van Loo, fils de Charles van Loo, 
premier peintre de Louis XV; descendant d'une 


(13) En portant ce toast , toute l'assemblée se leva sponta- 
nément par respect pour le grand nom de Rubens. | 
famille 


Nouvelles littéraires. 467 
famille originaire de la Flandre, peintre de paysages, 
très-distingué. 

Les Artistes belges établis à Paris. 

M. Gérard van SPAENDONCK, élève de l’Aca- 
démie d'Anvers, membre de l’Institut national et 
de la Légion d'honneur, professeur d’iconographie 
au Muséum d'histoire naturelle, peintre de fleurs du 
premier ordre. . 


M. Sauvace, de Tournai, élève de l’Académie 
d'Anvers et de GEERARDS, célèbre peintre de bass 
reliefs de lamême ville. 


Tout le monde connoiît son talent pour les bas-re- 
liefs imitant la pierre, le marbre ou le bronze, c’est 
le peintre le plus distingué en ce genre qui se trouvé 
en France. 


M. DEmarnE, de Bruxelles, élève de l’Acadé- 
mie d'Anvers, établi depuis 30 ans à Paris, peintre 
de paysages. 


Tout le monde a vu dans les différentes expositions 
de Paris les charmantes productions de cet artiste, 
les paysages ornés de figures et d'animaux, les foires, 
les abreuvoirs , les scènes familières, les moissons et 
les vendanges. 


M. Emmanuel De GuEnpTt, de Saint-Nicolas, 
département de l’Escaut, élève d’Aliamet, graveur. 


Cet artiste, établi à Paris depuis 4o ans , a gravé 
un grand nombre d’estampes d’après les meilleure 
dessinateurs , qui ornent les belles éditions , les ou- 
vrages de goût et de luxe, tels que les Métamor- 
phoses d'Ovide, la Bible de Marillier , l’histoire de 
Psyché , les deux collections d’estampes pour orner 
les éditions des œuvres de Voltaire, la grande édi- 

T. V. Octobre 1806. 


458 Nouvelles littéraires. 


tion de J. J. Rousseau , etc., etc, ; c’est un de ceux 
qui se sont le plus distingués dans ce genre de gra- 
vure. 

M. Corneille vAN SPAENDONCK, élève de l’Aca- 
démie de Malines et de M. Herreyns , peintre très- 
distingué de fleurs et de fruits , dont les productions 
se trouvent dans les plus belles collections de ta- 
bleaux. 

M. J. van DAEL, élève de l’Académie d'Anvers, 
peintre de fleurs. 

Cet ariisté s’est formé d’après ses propres études. 
Sa. manière est grande et large; la pureté de son 
coloris , le groupement ingénieux de ses fleurs et 
de ses fruits, la beauté de ses accessoires , la frai- 
cheur et l’harmonie qui règnent dans toutes ses 
compositions , donnent à M. van DAEL une place 
très-distinguée parmi les meilleurs peintres de fleurs. 
11 cultive dans son jardin les belles fleurs qui lui 
servent de modèle. Tout le monde connoit les beaux 
tableaux de cet artisie, qui se trouvent dans le ca- 
binet de S. M. l’Impératrice, à la Malinaison. 

M. Bernard Duvivier, de Bruges, élève de 
l'académie de cette ville et de M. Suvée, peintre 
d'histoire. 

Tous ceux qui aiment les arts, connoissent les 
beaux dessins, les portraits et les tableaux de ce 
maître, surtout sa grande et belle composition de 
la mort d’Heéctor, que l'on a vue à l'exposition de 
l'an 12, où toutes les beautés de l’art se trouvent: 
réunies. 

M. Pierre-Joseh REDOUTÉ , né à Saint-Hubert, 
département de Sambre et Meuse, élève de l’aca- 
démie d'Anvers et de son père, peintre du Muséum 
national d'histoire naturelle, dessinateur de la 
Classe des sciences physiques ‘et mathématiques de 


Nouvelles littéraires. 459 
l'Institut national, membre de la Société d’histoire 
naturelle de Paris. 

M. Repouré a peint quelques tableaux de fleurs; 
mais depuis long-temps il s’est presque unique- 
ment occupé aux beaux dessins coloriés de plantes 
sur vélin, que l’on voit à la bibliothéque du Mu- 
séum d'histoire naturelle, et à de grandes collec- 
tions de ioutes espèces de plantes, répandues dans 
les béaux ouvrages de L’HéRtTIER , la Flora Atlan- 
#ica de M. DEsronNTAINESs, dans /a Flore des 
Pyrénées par M. Picor LA PErRoUsE , les Plantes 
grasses décrites par M. DEcaNDoLLE, le Jardin 
de la Malmaison de M. VENTENAT, et le superbe 
ouvrage des Liliacées. 

Aucur artiste n’a représenté avec plus’ d’exacti- 
tude et de fidélité le port des plantes, les parties 
de la fructification et leur caractère botanique. 
M. RepouTé est botaniste lui-même, il possède 
un bel herbier et une collection de graines. M. VEN- 
TENAT à fait à son honneur le genre Redutea. Ses 
ouvrages sont de véritables chef-d'œuvres de l’art et 
de la science réunis. 

M. Henri-Joseph REDOUTÉ , né à Saint-Hubert, 
département de Sambre et Meuse, élève de l’aca- 
démie d'Anvers et de son frère, membre de l’Ins- 
titut du Caire. 

Cet artiste a fait plusieurs dessins coloriés de 
reptiles et de poissons pour le Muséum d’histoire 
naturelle, il a suivi le général BoNAPARTE en 
Egypte , et y a dessiné les plantes et autres objets 
d'histoire naturelle, les têtes de momies , les vues, 
bas-reliefs et fragmens d’antiquité. Une partie de 
ses nombreux dessins exécutés avec beaucoup de 
soin et d’exactitude est déja gravée ; ils paroîïiront 
dans la précieuse collection des Mémoires de l’Ins- 
titut du Caire. 


460 Nouvelles littéraires. 


M. Joseph-Francois DucQ, né à Ledeghem , dé- 
partement de la Lys , élève de l’acädémie de Bruges 
et de M. Suvée , peintre d'histoire et de portrait. 

Tout le monde a vu avec intérêt les tableaux de 
cet artiste , représentant Scipion recevant les am- 
bassadeurs d’Antiochus; Méléagre que l’on conjure 
de prendre les armes pour défendre son pays con- 
tre une irruption de l'ennemi; l'Amour chassant 
les mauvais songes; Vénus introduisant Pâris dans 
l'appartement d'Hélène à Sparte; Énée qui fait le 
récit de ses aventures à Didon : les deux premiers 
appartiennent à S. E. le ministre de la police; les 
deux derniers sont à Bruges dans le cabinet d’un 
riche particulier. 

M. Balthazar Sorvyns, d'Anvers, élève de 
l'académie de cette ville et de M. Vincent. 

M. Sorvyns a demeuré pendant quinze ans au 
Bengale, il y a dessiné d’après nature les hommes 
et les femmes, des différentes castes indiennes, 
leurs costumes, outils et instrumens ; il a étudié 
avec soin les mœurs et usages de ces peuples, leur 
manière d’exister dans l'ordre civil et sous l’in- 
fluence de leur religion: Il s'occupe dans ce moment 
à la rédaction d’un grand ouvrage sur cet objet, 
qui aura quatre volumes in-fol. ; il grave lui-même 
tous les sujets d’après ses propres dessins : les _es- 
tampes, au nombre de 252, seront imprimées en 
couleur avec soin, et répondront à la grandeur et 
à l'importance de l'ouvrage, qui ne peut que faire 
infiniment d'honneur à son auteur et au pays qui 
lui a donné naissance. 

M. Francois Kinson, de Bruges, élève de l’a- 
cadémie de cette ville, peintre de portrait. 

On connoiït un grand nombre de beaux portraits 
peints par cet artiste, parmi lesquels on distingue 


Nouvelles littéraires. 461 


surtout ceux de S. M. le roi de Naples, du maré- 
Chal Bernadote, prince de Ponte-Corvo , de S. E. 
le ministre-directeur de l'administration de la guerre, 
celui de M. Simons, ainsi que celui de sa femme. 

. M. DE MEULEMEESTER , de Bruges, élève de l’a- 
cadémie de cette ville et de M. Bervic, graveur, 
connu par plusieurs estampes qui annoncent beau- 
coup d'application et de talent. 

M. Lambert-Antoine CLAESSENS, d'Anvers, 
élève de l'académie de cette ville, graveur. 

On connoit de cet artiste plusieurs grandes et 
belles gravures qui lui font beaucoup d’honneur ; 
telles sont celles de deux enfans d’après Teniers, 
la patrouille de nuit d’après le grand tableau de 
Remibrant, qui est à l’hôtel-de-ville d'Amsterdam, 
plusieurs portraits d’après le même , la bénédiction 
de Jacob d’après Koning, la descente de croix d’a- 
près Rubens , etc. etc. 


M. Louis Ger8o, de Bruges, élève de l'académie 
de cette ville, peintre dé décoration. 


L u . 
Les Jeunes Élèves actuellement à& Paris. 


M. Joseph DE PAELINCK, né à Oostacker , près 
de Gand, élève de l’académie de ceite ville et de 
M. David , peintre d’histoire. 


M. DE PAELINOK a remporté le grand prix de 
peinture de l’académie de Gand, l'an 12. Le sujet 
de son tableau étoit le jugement de Pâris. il vient 
de faire un grand tableau pour l'église cathédrale 
de S. Bavon, à Gand , représentant Sainte Colete, 
à qui le magistrat de Gand accorde la permission 
de bâtir un couvent. 

M. Henri-Joseph Butxier, né à Lierneux, 
département dé l’Ourte, élève de l'académie de 
Liése et de M. Houdon, sculpteur. 


À 462 Nouvelles littéraires. 


M. RurxreL a eu le second prix de sculpture au 
concours de l'an 12, et le prix d'expression fondé 
par le comte de Caylus, l'année passée ; il a été 
admis, et concourt actuellement pour le grand prix 
de sculpture. Il a fait les bustes de M. de Grétry, 
de M. de Lalande , de M. et de M". Maret, et 
plusieurs auires. Il est chargé de faire deux statues 
pour l'hôtel du grand chancelier de la Légion 
d'honneur. : 

M. Albert Grécorius, de Bruges, élève de 
l'académie de cette ville et de M. David, peintre 
d'histoire. 

M. GréGorius a été admis cette année au con- 
cours du grand prix de peinture ; on a gravé plu- 
sieurs deses dessins d’après les tableaux du Muséum. 

M. François vAN Donne, de Louvain, élève 
de son père et de M. David , peintre d'histoire. 

M. Jean CALoIGNE, de Bruges, élève de l’aca- 
démie de cette ville et de M. Chaudet, sculpteur. 

M. DE CALOIGNE a eu le prix de sculpture l’an 
10, à l’académie de Gand, et le second prix à 
Paris, au concours de l'année passée ; il a été ad- 
mis, et concourt actuellement pour le grand prix 
de sculpture. 

M. J. B. BAsTinxE, de Louvain, élève de l’aca- 
démie de cette ville et de M. David, peintre d’his- 
toire. Il a concouru cette année pour le grand prix 
de peinture, à Gand. 

M. Joseph Brurois, de Bruges, élève de l'aca- 
démie de cette ville et de M. David, peintre 
d'histoire. 

M. Tilleman-Francois Suys, d'Ostende, élève 
de l’académie de Bruges et de M. Percier , ar- 
chitecte. 

Se trouvèrent encore à celte réunion : 


Nouvelles littéraires. 463 


M. Ducaé, receveur de Lokeren, etc., beau- 
frère de M. Faipoult, préfet du département de 
l'Escaut. 

M. van Prarr, de Bruges , conservateur-admi- 
nistrateur de la bibliothéque impériale de Paris. 

M. MaranT, ancien docteur en théologie, et 
professeur d'histoire ecclésiastique à la ci-devant 
université de Louvain, ci-devant prévôt de l’église 
collégiale d'Harlebeke, et député aux Etats de 
Flandre. 

M. Bevrs, procureur-général impérial près la 
Cour d’appel, à Bruxelles, inspecteur des écoles de 
droit, et chancelier de la troisième cohorie de la 
Lépion d'honneur. 


M. Joseph ve SainT-GENoIs, ci-devant député 
aux Etats de la province du Hainaut. 

M. Henri pe Porter, amateur des arts, dont 
le frère, M. Louis de Potier, et deux beaux-frères, 
M. Surmont et M. van Sacheghem , sont directeurs 
de l’académie de Gand. 

M. Dekin, directeur du cabinet d'histoire natu- 
relle, à Bruxelles. , 

M. Porrarrr, de Louvain, amateur de bola- 
nique et de minéralogie. 

M. Fr. VEeRBEEcx, ancien élève de l’école cen- 
trale de l'Escaut, élève de l’école de médecine et de 
l'école pratique, à Paris. 

M. Maxcaz, de Gand, élève du conservatoire 
de musique, et musicien de la garde de S. M. 
l'empereur. 

M. BerTiNr, compositeur distingué, grand pia- 
niste, qui pendant long-temps a donné des leçons de 
musique et de piano à Gand. 

(M. Augustin van DEN Bereur, de Bruges, 


464 Nouvelles littéraires. 


peintre -d’histoire, ci-devant professeur à l'école 
centrale de Beauvais. 


Les lettres viennent de perdre Jean-Pierre MorrT, 
à l’âge de 86 ans; né sans ambition , il fut, malgré 
ses places et ses nombreux ouvrages, modestie à la: 
cour et peu répandu dans la ville. De ses ouvrages , 
nous indiquerons, apres la France Littéraire, éd. 
de 1769, 1°. la Félicité mise à La portée de tous 
les hommes ; 2°. le Code de Cythère ; 3°. Lucina 
siné concubitu , dissertation singulière et hardie, 
qui fut brûlée par ordre du parlement, au bas du 
grand escalier; 4°. Conversation avec la marquise 
de L....; 5°. Traité des Renoncules ; 6°. Traduc- 
tion des deux derniers volumes du Spectateur ; 
7°. l'édition des quatre derniers volumes du Mo- 
rert espagnol, etc. Entre plusieurs manuscrits, M. 
Moët laisse une traduction en français des œuvres 
latines de Swenderborg, conseiller des mines en 
Suède. On assure que le prédécesseur du roi actuel 
de Suède, avoit offert à l’auteur 30 mille francs de 
sa traduction. Il a laissé en outre une collection pré- 
cieuse de médailles , dans la connoissance desquelles 
il étoit très-versé. Ses obsèques ont été suivies de 150 
pauvres choisis et payés par ses ordres. 


M. Després, l’un des plus célèbres organistes, 
est mort à Paris le 20 septembre. 


Les amis des sciences et des arts ont à regretter 
la perte de Christian KALKBRENNER, décédé à Paris 
le 10 août 1806, dans sa 51°. année, étant né en 1795 
à Munden, dans l’éleciorat de Hesse-Cassel. Ses 
parens l’avoient destiné à l’état ecclésiastique; il le 
suivit en effet jusqu'à l’âge de 14 ans, et l’abandonna 
ensuite pour se livrer exclusivement à l’étude de la 
musique. Cet art avoit fait ses délices dès la plus 


Nouvelles littéraires. 465 


tendre enfance. Il eut pour maître le célèbre Æm- 
manuel Bacu, et se distingua tellement parmi ses 
nombreux élèves, que, jeune ‘encore, il fut reçu à 
la chapelle de l’Electeur. 

Maïtrisé par une imagination ardente , dévoré sur- 
tout de la noble ambition d'augmenter ses connois- 
sances musicales, il quitta Hesse-Cassel pour se 
rendre à la cour de Berlin, où il fut attaché suc- 
cessivement à la reine, qui le combla de bienfaits, 
et au prince Henri, frère du grand Frédéric, qui 
le fit son maïtre de chapelle, et lui confia en même 
temps la direction de son théâtre français. Kalk- 
brenner a composé pour ce théâtre un assez grand 
nombre d’ouvrages, entre autres, /a Veuve du Ma- 
labar, Démocrite , Les Femmes et Le Secret, etc. 

Malgré toutes les marques de bienveillance et 
d’estime dont l’honoroit le prince, il aspiroit de- 
puis long-temps à voyager en Italie et en France. 
Il ne lui fut bientôt plus possible de résister à ce 
désir. Il partit donc au commencement de 1796; 
parcourut encore quelques cercles de l'Allemagne, 
visita ensuite l'Italie, et de là enfin se rendit en 
France. Paris devint le terme de ses courses. 1Il 
fixa son séjour dans cette capitale des sciences , des 
lettres et des arts. Reçu peu de temps après à l’Aca- 
démie impériale de musique, en qualité de maitre 
de chant, il n’a cessé d’être attaché depuis à ce 
magnifique théâtre, et y a fait jouer successivement 
Olympie, Saül, Don Juan, etc. Sa maladie s’est 
déclarée au moment où il préparoit la mise en scène 
de son dernier ouvrage, intitulé OEnone, opéra en 
deux actes, reçu en l'an 8 par le jury, et destiné à 
paroître dès l’an 9. Quelques morceaux de cet opéra, 
qui n'étoit d’abord qu'une Cantate , avoient enlevé 
tous les suffrages dans plusieurs concerts où l’au- 


466  . Nouvelles littéraires. | 


teur les avoit fait entendre. Des amateurs éclairés, 
qui connoissent la partition , assurent que le reste 
de l'ouvrage répond à la beauté des morceaux qui 
ont été entendus; ils avouent meme que Kalkbrenner 
n'a jamais eu d'inspiration plus heureuse. C’est un 
puissant motif pour desirer que la pièce soit mise 
prompiement à l'étude. L'auteur laisse un fils qui 
se destine à marcher sur ses traces; cet intéressant 
jeune-homme est déjà doué d’un talent extraordi- 
faire pour l'exécution musicale : on doit espérer 
qu'il emploira tous ses soins à faire dignement 
valoir l’œuvre posthume de son père. 

Kalkbrenner a composé aussi quelques ouvrages 
élémentaires ; car il possédoit à fond la théorie de 
son art. Les principaux sont : un Z'raîté de l’ac- 
compagnement, gravé à Berlin, et un autre Traité 
de la fugue et du contrepoint, d’après le système 
de Richter. On lui est redevable encore d'une Æis- 
Loire de la Musique , dédiée à S. Exc. le Ministre 
de l'Intérieur. Paris, Delance , 1802. Ce livre est 
plein de recherches curieuses ; c’est dommage que 
l'auteur n'ait pas assez vécu pour lui donner l’exten- 
sion dont il le jugeoit susceptible. Tel qu'il est ce- 
pendant, il justifie la réputation que Kalkbrenner 
s'est acquise, comme savant et comme compositeur. 
C’est à ce double titre aussi qu'il a mérité l'honneur 
d’être membre de la Société philotechnique de Paris, 
de l’Académie royale de Stockolm, et de l’ FACASEER 
philarmonique de Bologne. 


M. TarcerT, membre de la deuxième classe de 
l’Institut et de la cour de cassation , est mort dans la 
commune de Molières, canton de Limours, le di- 
manche 7 septembre , âgé de 74 ans, le huitième 
jour d’une fièvre putride. 


Nouvelles littéraires. 467 


Une députation de l'Institut a assisté aux funé- 
railles de M. Anquerit., membre de la classe d’his- 
toire et de litterature ancienne. Le convoi arrivé au 
lieu de la sépulture, M. Pastoret, président, a pro- 
noncé le discours suivant : 

« " essieurs, la mort vient d'enlever encore à 
llnsiiiui un de ses membres. Jamais une année ne 
nous auiena tant de pertes. Celle que nous venons 
de faire n'est pas la moins sensible. M. Anquetil, 
par ses liieres , par ses talens, par son caractère, 
par ses vertus, nous étoit également cher, et son 
âge, qui n'avoit diminué ni son zèle pour le travail, ni 
sa bienveillance pour chacun de nous, ajoutoit en- 
core aux sentimens qu’il nous inspiroit en les rendant 
plus vénérables, et, si j'ose m'exprimer ainsi , plus 
augustes. 

» Il appartint long-temps à une de ces congréga- 
tions religieuses qui ont donné à la France tant de 
savans distingués, et de si utiles travaux. Ses pre- 
miers pas dans la carriere de l'histoire furent mar- 
ques par un succès que 40 ans n’ont pas affoibli. Au 
milieu des troubles civils, les hommes mêmes les 
plus justes ne peuvent guère publier que des mé- 
moires ou des annales; le droit d’en composer l'his- 
toire semble réservé aux écrivains nés à une époque 
éloignée des malheurs et des orages ; ils comparent 
mieux les événemens et les hommes ; ils les jugent 
avec plus d’impartialité; et la distance où on est déjà, 
empêche moins de connoître la vérité que cette at- 
mosphère de passions au milieu desquelles les con- 
temporains ont vécu. M. Anquetil l’a prouvé dans 
cet Esprit de La Ligue, que nous pouvons placer , 
Sans flatterie , parmi nos bons ouvrages historiques , 
et que Bates ouvrages non moins recommandalles 
ont suivi. Un des siècles les plus mémorables de 


‘ 


t 


468 = Nouvelles littéraires. 


notre histoire , avoit OCCUpÉ ses premiers travaux 3 
c'est encore à la France que ses derniers efforts ont 
éié consacrés : une histoire complète, également 
éloignée d'une brièveté qui réduit tout à des som- 
maires, et d’une prolixité qui apprend tout mal, en 
fatigant de tout, atteste encore son talent et son im- 
partialité. 

» Vous l'avez vu, messieurs, jusqu’en ses der- 
niers momens , lire dans nos séances ordinaires des 
mémoires également intéressans , et par les ques- 
tions qu’il y discutoit, et par la manière judicieuse 
et simple dont il présentoit son opinion. Fait pour 
nous guider lui-même, il sembloit nous reconnoitre 
pour ses guides; et personne ne reçut avec une mo- 
destie plus sincère et plus aimable les observations 
que nous nous offrons mutuellement sur nos travaux. 
Tant de vertus nous seront long-temps chères ; et 
je regrette que M. Anquetil n’en ait pas eu auprès de 
vous un plus digne organe. 


L'H'EAT RES: 


THÉATRE FRANÇATS. 


Omasis, ou- Joseph en Egypte, AE en 
cinq actes. 


M. Baour Lormran, connu par plusieurs poésies 
et surtout par la traduction d’Ossian, vient de dé- 
buter heureusement dans la carrière du théâtre. 
Joseph, déja traité, entre autres par l’abbe Genest, 
lui a semblé un sujet tra-ique, et n’a pas trompé 
son atiente. [Il s'est pénétré surtout, pour cômposer 
sa pièce, du poème de M. Bitaubé; il a pris dans 


Nouvelles littéraires. 469 


ce poëme lerôle toutentier de Sirz2éo7 , dont le carac- 
tère sombre, les remords et les. combats offrent 
quelque chose de vraimenttragique. Le vague même 
et l'incertitude dans lesquels flottecontinuellement ce 
coupable repentant , causent un sentiment de ter- 
reur et de pitié dont on n’est pas maître. Ce per- 
sonnage coniraste heureusement avec la sensibilité 
douce, l’aimable ingénuité de Benjamin. 

Traçons un aperçu de l'ouvrage. 

Joseph, après avoir été victime de la jalousie de 
ses frères, est monté au faîte des grandeurs par 
les moyens qu'on avoit pris pour le perdre. Tout 
le monde sait l'histoire du songe de Pharaon, des 
sept années d’abondance suivies d’un nombre égal 
d'années stériles. On connoit la manière dont Jo- 
seph revit ses frères, qui ne purent reconnoître 
dans un ministre puissant , leur frère qu'ils avoient 
vendu comme esclave. 

L'auteur de la tragédie le suppose épris des char- 
mes d’une princesse de la Cour d'Egypte, la sœur 
de Ramnès. Ce Ramnès, jaloux d'Omasis ( c’est Le 
nouveau nom de Joseph) conjure sa perte et même 
celle de Pharaon. Il a remarqué l’air sombre et fa- 
rouche de Siméon, qu'Omasis retient en Ôôtage ainsi 
que Benjamin, et il l’a cru propre à faire un cons- 
pirateur. Il cherche à l’entraïîner dans son parti, 
lui offre même la main de sa sœur; Siméon, après 
avoir hésité, promet d’assassiner Omasis. Arrive 
sur ces entrefaites le vieux Jacob, et bientôt après 
la reconnoissance de Joseph, le repentir de Siméon 
et la défaite de Ramnès. 

Il y a, comme on voit, fort peu d’action dans 
cette tragédie; mais on y trouve de beaux vers, une 
belle situation au cinquième acte; elle a obtenu du 
succès. La reconnoissance de Joseph a produit beau- 


470 Nouvelles littéraires. 
coup d’effet. Le vers de Siméon, effrayé du crime 
qu'il alloit commettre, | 


Et je l’assassinois après l'avoir vendu ! 
lhémistiche de Benjamin à son père, 
Tu ne pleureras plus ! 


ont été universellement applaudis. On a quelque- 
fois trouvé un peu d’enflure dans le style. Joseph 
dit en parlant de Jacob : 


L’ige de ses aïeux touche au berceau de monde; 


ce qui veut dire tout bonnement, je crois, qu'il 
descend de notre père Adam ; tout le monde en 
peut dire autant. Siméon s’écrie : 


J'ai changé de climats sans changer de malheurs ; 


Ge n'eut pas été pour lui une grande consolation 
que de changer de malheurs. Ramnès dit pour ex- 
pliquer l’air triste que conserve ce frère coupable : 


Le tendre souvenir des lieux qui l'ont vu naitre,. 


lt la paix du désert le poursuivent peut-être. 


On a beaucoup applaudi, mais je doute que l’on ait 
bien compris. 

On a reconnu le tradacteur d’Ossian à ces vers 
que dit Joseph à la fin du troisième acte en parlant 
de Jacob : 


Que ta harpe frémisse, et que ses doux accords 
Célèbrent le vieillard qui console ces bords. 


Heureusement que parmi ces défauts on a trouvé 
aussi des beautés. Les rôles de Siméon et de Joseph 
ont élé joués avec talent par Damas et Talma, 


Dr 


Nouvelles littéraires. 473 


celui de Benjamin a été rendu avec une grace par- 
ticulière par Mi. Mars. 

Au reste, Omasis est aujourd’hui la pièce à la 
mode , il est de rigueur de lavoir vue. 


THÉATRE DE LIMPÉRATRICE, 


La Manie de briller, comedie en trois actes 
et en prose. 


C’est bien de PrcarD qu’on peut dire qu’il écoute 
aux portes. Il est impossible de mieux peindre les 
mœurs du jour. La manie de brillér est le vice à 
la mode, depuis le marchand qe se ruine pour 
avoir une belle boutique , jusqu'au financier qui 
fait banqueroute pour avoir voulu trancher du fer- 
mier général. 

Prcarp a mis dans son tableau trois hommes qui 
ont été garçons marchands dans la même maison. 
L'un d’eux gère en province une manufaciureutile , les 
deux autres font à Paris la banque , et ce qu’on appelle 
généralement les affaires. Ces deux derniers sont 
jaloux l’un de l’autre, non pour faire mieux, non 
par cette louable émulation qui doit produire des” 
effets heureux, mais par une rivalité qui tient de 
l'envie, ils veulent paroître, briller , s’éclipser, 
sans songer qu'on brille par sa probité, par le bon 
état de ses affaires , par le bien qu’on fait autour 
de soi. : 

Les femmes contribuent à perdre leurs maris. 
L'une demande un cabriolet, l’autre veut une voi- 
ture , etc., etc. Les affaires se dérangent ; le mal- 
heur mène quelquefois à la friponnerie , ou du moins 
au manque de délicatesse : Lamarlièére , c’est le 
nom du bon manufacturier, arrive à Paris avec de 


LR 


472 Nouvelles Littéraires. 
l'argent et de bonnes affaires, c'est à qui pourra 
l’accaparer , le-tromper même, pour avoir sa con- 
fiance et son argent. Il s’en aperçoit à temps, tire 
les femmes d’embarras en payant des dettes con- 
tractées à l'insu des maris, donne à ceux-ci une 
bonne leçon , en feignant d’avoir pris leurs ridi- 
cules pour les leur faire mieux sentir, et retourne 
dans sa manufacture après leur avoir prouvé que 
la manie de briller est loin de conduire au bonheur. 
Les détails de cette pièce en font le mérite prin- 
cipal:: mais tout le monde ne la trouvera pas éga- 
lement bonne; elle frappe une classe si nombreuse 
aujourd’hui, elle montre des ridicules si répandus, 
qu’elle doit trouver bien des critiques. Elle doit 
faire honneur au talent d'observation de Picard, 
et ajouter à sa réputation comme excellent peintre 
de mœurs. 

La pièce est bien jouée, surtout par 77g2y et. 
Mie. Molière, dans les rôles de M. et M”*. La- 
marlière. 


THÉATRE DU VAUDEVILLE. 
Le Manteau , arlequinade.' 


Cette pièce, tirée d’un conte de La Fontaine, 
peu décent, est tombée à plat. 


Racine, ou la Chute de Phèdre , en deux actes 
et en vers. 


Cette pièce annonçoit plus de prétention, et n’a 
pas eu plus de bonheur. Quelques jolis vers n'ont 
pu sauver les défauts du plan et l’absence du co- 
mique-. 


LIVRES 


LIVRES DIVERS (Gi). 


ARITHMÉTIQUE. 


Saccro del nuovo sistema metrico col rapporto 
delle nuove mesure alle antiche mesure Pari 
sine ed a quelle del Piemonte , di À. V AssALLI- 
Eanor, prof. Fisica nell’ imp. Universita di 
Torino. Edizione terza accresciuta di un compen- 
dio di aritmetica volgare e decimale, etc., etc. 


Vol. 8°. Torino, 6: 


Puysique. 


JourNaL de Physique, de Chymie, d'Histoire 

. naturelle et des Arts, avec des planches en 
taille-douce ; par J. C. DE LAMÉTHERIE. Paris, 
chez Courcier, imprimeur-libraire, quai des Au- 
gustins, n°. 57. Août 1606. 


On trouve dans ce cahier les articles suivans : 
Sur l'utilité du lichen d'Islande comme aliment ; 
par le professeur Proust. — Notice historique et 
Analyse chymique d’une corne fossile ; par Henry 
BraconNnoT.— Essais sur l’organisation des plan 
tes , considérée comme résultat du cours annuel 
de la végétation ; par Aubert pu PeriT-THouars. 
— Observations sur le zodiaque de Dendérah ; pax 
M. Dupuis. — Note de M. LALANDE sur la dis- 
tance des étoiles. — Lettre de M..... à J. C. de 


Lamétherie, contenant la suite de ses expériences 


(1) Les articles marqués d’un * sont ceux dont on don- 
mera un extrait. 


T. VF. Octabre 1806. Gg 


L. 

474 Livres divers. aid 

sur l'électricité. — Observations météorologiques; 
par BouvanD:— Ænälyse des travaux de la classe 
des sciences mathématiques et physiques de l'Ins- 
titut national, depiits le 30 juin 1805 , jusqu'au 
1°". juillet 1806; par M.Cuvier.— Lettre de VEAU- 
DE-Launay à J. €. de Lamétherte sur La produc- 
tion de l'acide muriatique par l’action galvani- 


$ 


ques 

X TRAITÉ élémentaire de Physique ; par M. l'abbé 
Hauy, chanoine honoraire de l'église métropo- 
litaine de Paris, membre de la Légion et de 
L'Institut, etc. Seconde édition, revué et consi- 
dérablement augmentée. 2 vol. in-8°. Paris, chez 
Courcier, imprimeur-libraire, quai des Augus- 
tins, n°.57. 1606. 

TECcHNOLOGTE. 


BULLETIN de la Socièté d'encouragement pour 
l'industrie nationale. Cinquième année, N°. 
XXV et XXVL. Juillet 1806. 


_ Le XXV*. numéro se compose des articles sui- 
vans : Description d'un compteur, ow machine 
proprè a déterminer là quantité de charbon ot 
de minerai que l’on peut retirer d'un puits dans 
un temps donné; par M. AnTis. — Nouveau pro- 
cédé pour fabriquer en grand le sulfate de fer 
(.couperose verte du commerce ) ; par M. J. B. V:- 
TALIS ; professeur de chymie à Rouen. — Décou- 
verte d'une lampe chymique à double mèche con- 
centrique ; par M. Accum.— Sur Les fours à brique 
et a tuile employés en Hollande.— Sur les lampes 
de MM. GirarD frères. — Moyen d'obtenir des 
copies fidèles des inscriptions gravées sur marbre. 


Livres divers. 475 

ou sur pierre. — Sur læ culture du chätaigner er 
Portugal: — Nouveau procédé pour arroser les 
plantes ; par M. Taraam. 

Le XXVI*. numéro se compose des articles qui 
suivent : Sur un nouveau métier à bas exécuté par 
M. Favreau-BouiLLon: — Procédé pour séparer 
l'alumine de l’alun ; par M. Frédéric Accum. — 
Sur la lentille & André RosPiNo.— Observations 
de M. Darcer relatives à la note insérée dans Le 
numéro X XIV du Bulletin , au sujet des objets 
présentés à la Société par M. de Paroy. — Sur læ 
fabrication des chapeaux et des fleurs de paille. 
— Notice sur La ruche écossoise de M. DE LA Boun- 
PONNOYE. 


H1ISTOIrRE NATURELLE. 


ANNALES du Museum d'histoire naturelle. Six ca- 
hiers formant le tome VIT dé-cette collection. A 
Paris, chez Torrneisen fils, rue de Seine-Saint< 
Germain, n°. 12. 


Dans le premier de ces six cahiers, on trouve : 
Mémoire pour servir à l'histoire chymique de la 
germination et de la fermentation des graines et 
des. farines ; par MM. Fourcroy et VAUQUELIN. 
— Sur les rhinocéros fossiles ; par G. Cuvier.— 
Suite des mémoires sur Les fossiles dans les en- 
vironis de Paris ; par M. LamMarck. — Observation 
sur la famille des plantes verbénacées ; par A: 
L, DE Jussreu.— sur la Castela. par P. TURPIN. 
— Description du claytonia cubensis; par M. 
BonrLaND. 

On lit dans le second : Observations sur l'effet 
des gelées précoces qui ont eu lieu les 11, 12 et 
13 octobre-1805; par À. Tuourn, — Memoire sur 


476 Livres divers: 


guelques espèces d'insectes de La section des hy- 
menoplères , appelés les porte-tuyaux, ec sur Les 
caractères de cette famille et des genres qui la 
composent; par M. LEPELLETIER. — Suite des mé- 
moires sur les fossiles des environs de Paris ; par 
M. Lamarck. — Mémoire sur la limace et Le co- 
limacon ; par G. Cuvrer. 

Le troisième contient : Mémoire sur la limace 
et Le planorbe ; par G. Cuvier. — Mémoire sur 
l'organe par lequel le fluide fécondant peut s'in- 
troduire dans l'ovaire des végétaux ; par P. Tur- 
PIN. — Mémoire sur deux nouvelles espèces d’en- 
tomostracés et d’hydracnés; par M. DauDeBaRT 
DE FÉrussac fs. — Cypselea. Nouveau genre de 
la famille des portulacées ; par P. TurpiN. — 
Description d’un mulet provenant du canard mo- 
rillon et de la sarcelle de la Caroline , anas quer- 
quedula ; par M. GEorFRoYy - SAINT - HILAIRE. — 
Notesur quelques habitudes de la grande chauve- 
souris de l'Ile-de-France, connue sous le nom 
de roussette. — Suite des mémotres sur les fos- 
siles des environs de Paris ; par M. LAMARCK. — 
Notes sur Le zèbre et Le canard à bec courbe; 
par M. GEOFFROY-SAINT-HILAIRE. 

Les articles suivans composent les quatrième et 
cinquième cahiers : Analyse de l’actinote de zil- 
lerthal ; par A. LaAuGrEr. — Mémoire sur les sin= 
ges à main imparfaite, ou les atèles ; par GEor- 
FROY-SAINT-HILAIRE. — Mémoire sur les fluides 
contenus dans les végétaux , suivi d'une note 
sur l’organisation des plantes ; par M. Mrrset. 
Sur les ossemens du genre de l’ours qui se trou- 
vent en grande quantité dans certaines cavernes 
d'Allemagne et de Hongrie ; par G. Cuvier. — 
Cinquième mémoire sur les caractéres généraux 


Livres divers. 477 


des familles , tirés des graines , et confirmés ou 
vérifiés par les observations de Gærtner ; par A. 
L. De Jussieu. — Extrait d’un mémoire sur l’e- 
æistence du chrôme dans les pierres météoriques , 
lu à l'Institut de France le 10 mars 1806; par 
À. LauGrEr. — Note sur l'analyse de la mine de 
plomb de Johann- Georgen-Staadt , insèree dans 
lè PV. volume des Annales du Museum ; par le 
même. 

Enfin le sixième et dernier offre : Notice sur les 
proprièteés comparées des quatre métaux nouvel- 
lement découverts dans le platine brut ; par MM. 
Fourcroy et VAUQUELIN. — Observations sur 
l’érable à fruit cotonneux et l’érable à fleurs 
rouges ; par M. DESFONTAINES. — Suite des mé- 
moires sur les fossiles des environs de Paris ; par 
M. Lamarck. — Mémoire sur l’argule foliacé ; 
par M. JoRine fils. — Monographie du genre hyp- 
tis de la famille des labiees , et qui a des rap- 
ports d'une part avec le basilic , le plectranthus , 
et de l’autre avec la cataire ; par M. PoiTEau. 
— Supplement au premier mémoire sur Les tra- 
vaux de Gœrtner , inséré dans Le V*°. volume des 
Annales du Museum; par A. L. De Jussieu. 


BoTANIQUE. 


Novz Hollandiæ plantarum specimen ; auctore 
J. J. LABILLARDIERE , {nstituti nationalis so- 
cio. Fasciculi 17, 18, 19, 20, 21 et 22. Pari- 
sis, ex iypographià dominæ Æuzard. 1806. In- 
4°. Pretium cujusvis fasciculi, cum tabulis decem 
æneis , octo fr. 


Les irois premiers de ces fascicules contiennent 
les plantes suivantes : PROSrANTHERA lasianthos. 


478 Livres divers. 

ANTHOCERCIS l/ttorea. COMESPERMA wirgatà; re- 
tusa ; conferta ; caly mega ; volubilis. CALOTHAM- 
MUS sanguinea. MELALEUCA striata ; pentagona; 
thymoides ; squamea ; squarrosa ; fascicularis ; 
cuticularis; gibbosa ; elliprica. AscyRuM i2volu- 
dum; lumifusum. CANDOLLEA cuneiformis. Po- 
DOSPERMA azgustifolia. CACALIA dinearis ; sali- 
cina.EupAToRIUM ferrugineum;rosmarinmifolium. 
CarysocomA cinerea ; reticulata ; squamata.Ca- 
LEA aculeata ; spectabilis. GNAPHALIUM semipap- 
posum; apiculatum.; collinum. ExicHRYSUM deal- 
batum ; scorpioïides ; papillosum. ERIGERUM pap- 
pocroma. SENECIO guadridentatus. 

On trouve dans les trois derniers fascicules : As- 
TER phlogopappus ; stellulatus ; glandulosus ; ra- 
mulosus ; microphyllus ; aculeatus ; argophyllus ; 
myrsinoides ; viscosus. BELLIS graminea ; stipi- 
tata ; aculeata ; ciliaris. PonoLepsis rugala. St- 
LOXERUS Aumifusus. Disperis alata. EpIPACTIS 
reflexa ; cucullata. MaLaAx1Is subulata. STYLI- 
DIUM pélosum; glaucum ; graminifolium ; seta- 
ceum; armerta ; umbellatum. CASUARINA quadri- 
valvis. CAREx littorea. MYRIOPHYLLUM amphi- 
bium. Ponocarpus asplemiifolia. CROTON vrsco- 
SU. 


D. Caroli Ludovic: Wiripenow,etc. Æortus Be- 
rolinensis, ete. C'est-à-dire, Le Jardin de Berlin , 
ou Descriptions et figures des plantes rares où 
peu connues qui se cultivent dans le jardin royal 
botanique de Berlin ; par M. Charles- Louis 
WiLLpeNow, professeur publie ordinaire de 
botanique et d'histoire naturelle. NF. fasei- 


cule. À Berlin, chez Sckïppel. 1806. In-fol. 


Ce fascicule complète le 1°’. tome de cette belle 


Livres divers. 479 


eollection de plantes du riche jardin royal de bo- 
tanique de Berlin. Ce volume renferme 72 plantes 
exactement décrites et figurées avec leurs couleurs 
naturelles , avec l'exactitude la plus scrupuleuse. 
Le savant phytographe M. Willdenow a enrichi 
cette dernière livraison d’une préface dans laquelle 
on ‘trouve l'histoire de ce jardin de plantes depuis 
son origine jusqu’à présent, avec une planche gra- 
“vée et coloriée qui le représente, ainsi que ses di- 
mensions et ses particularités. 

Les espèces de ce fascicule sont le Groserller à 
trois fleurs , R1IBES TRIFLORUM. 

C’est un arbrisseau à aiguillons solitaires , les pé- 
doncules à deux ou trois dleurs , la groseille lisse, 
globuleuse , rouseatre , acidule, de LR grosseur d’un 
pois ; fleurit en mai; son fruit est mûr en juillet. El 
se trouve dans l'Amérique septentrionale. On le 
cultive en pleine terre. Ce groseiller se multiplie 
en divisant ses rejels. Il paroît que M. Willdenow 
est son premier descripteur. 

La Camomille roide, ANTHEMIS RIGESCENS. 

A feuilles pinnatifides , les pinules lancéolées , 
roides, presque dentées ; les paillettes oblongues à 
acuminées ; sa racine est rate branchue et vivace. 
M. Wifldenow isnore sa patrie. On peut la culti- 
ver en pleine terre et en pot. Sa fleur est belle et 
grande, paroît sur la fin de juillet et continue à fleu- 
rir jusqu'en automne ; alors ses semences sont en 
maturité. Elle se multiplie de semences. 

Le Statice spatulé, STATICE SPATHULATA. 

L'Aspalat hispide, ASPALATHUS HISPIDUS. 

La Germaine à petites fleurs, PLECTRANTHUS 
PARVIFLORUS. 

Le Polium à trois fleurs, POLIUM TRIFLORUM. 

L’Astèr humble , AsSTER HUMILIS. 


480 Livres divers. 
La Stellaire des sables, STELLARIA ARENARIA. 
La Benoïte intermedraïire, GEUM INTERMEDIUM- 
Le Soleil à longues feuilles, HELIANTHUS MA- 
CROPHYLLUS. 
La Culdasie hétérophylle, CArxrAsiA HETERO- 
PHYLLA. HumBorp. 
Ce nouveau genre a son calyce tubulé et a cinq 


dents, la corolle hypocratériforme , les étamines dé- 


clinées , la capsule triloculaire et a trois semences; 
il est de la pentandrie monogynie. 
La Violette à deux fleurs, VIOLA BIFLORA. 
WIiLLEMET. 


BIOGRAPHIE. 


Sixième livraison du CorNÉéLius NÉPOS FRAN- 
ça1s, ou Notices historiques sur les Genéraux 
qui se sont illustrés dans la guerre; suivi de 
traits de bravoure; par A. D. CHATEAUNEUF. 
Prix de ce volume, 1 fr. 5o cent., et 2 fr. par la 
poste ; des douze livraisons qui vont se succéder , 
15 fr., et 19 fr. par la poste. On peut acheter à 
part les six qui ont paru, formant la moitié de 
l'ouvrage , moyennant 9 fr., et 11 fr. par la poste. 
À Paris, chez l’Auteur, rue Neuve des Bons-En- 
fans, n°. 5, au bout du jardin Pentièvre. 


Le volume que nous annonçons contient des no- 
tices historiques sur les généraux Æ/eber, Desaix, 
Grouchy , Lacombe-Saint-Michel , Broussier et 
Latour-d Auvergne. 

MM. les souscripteurs de Paris et ceux des dépar- 
temens, qui n’ont pas affranchi pour la poste, sont 
priés de faire retirer cette sixième livraison. 


EEE À 


TABLE DES MATIÈRES. 


.SCIENCES ET ARTS. 


Journal de Physique, de Chymie et d'Histoire naturelle ; 
par J: C. de Lamétherie. 175. 475 


ÂRITHMÉTIQUE. 


Saggio del nuovo sislema metrico col rapporto delle nuove 
mesure alle antiche mesure Parisine ed a quelle del Pie- 
monte, di À. V’assalli-Eandi. 4735 


ASTRONOMIE. 


Astrostatique. Découverte de l’Orbite de la terre, du point 
central de l’'Orbite du soleil , etc. elc.; par M. C. J. E. H. 
d’'Aguila. 238 

Voyage de M. Biot et de M. Arengo en Espagne, pour y 
couiinuer la Méridienne de MM. Delambre et Méchaïin.172 

Observations sur les hautes montagnes de l'hémisphère sep- 
Lentrional de la lune. 427 


ART MILITAIRE. 
Transactions de la Sociéié militaire suédoise. 432 
NAVIGATION. 


Bateau de salut pour les naufragés, inventé par le capitaine 


Soelling. 456 
HISTOIRE NATURELLE. 


Annales du Muséum d'Histoire naturelle, 475 
Journal de la Société des Naturalistes de l'Université impé- 
riale de Moscow. 176 


ZooLoGcre. 


Zoologie analytique, oz Méthode naturelle de Classification 
des animaux , rendue plus facile à l’aide de tableaux sy- 
nopliques; par À. M. Constant-Duméril. « 177 


BOTANIQUE. 


Les Liliacées; par P. J. Redouté. 25, 26 et 27°. livraisons. 184 


Mémoires sur le lin de Sibérie, sur le chanvre et sur la 
manière de rendre sa filasse semblable au plus beau lin ; 
- sur l’apocin', etc.; par 3. P. Buc’hoz. : 189 


, 


482 Table des matières. 


Genera Plantarum secundum characteres differentiales ad 
Mirbelii edilionem revisa el.aucla,.edenda curavit Rom. 


Ad. Hedwig. Ibid. 
Novæ Hollandiæ plantarnm specimen ; auclore Jacobo-Ju- 
liano Labillardière. Fasciculi 17 — 22. 477 


Le Jardin de Berlin, ox Descriptions et figures des plantes 
rares ou peu connues qui se cullivent dans le jardin royal 
botanique de Berlin ; par M.)Charles-Louis Zilldenow. 
VI". fascicule. 478 

MN ÉRALOGIE. 


Jouxnal des Mines, ou Recueil de Mémoires sur l'Exploi- 
tation des Mines, elc.; jpar MM. Coqguebert- Montbret, 
Hay, Vauquelin, Baïllet, Brochant , Tremery et Collet- 
Descotils. À 183 

Collection de Mineraux du profess. Jaquin, à Vienne. 158 

PHYSIQUE. 

Traité élémentaire de Physique ; par M. l'abbé Haüy. 474 

Expériences.el observalions sur l'adhésion des Molécules de 
l’eau entre elles; parle comte de Rumford. 59 

Du Fluide universel, ,elc. 259 


CHYM:E. 


Philosophie chymique , ou Vérités fondamentales de la 
Chymie moderne, etc.; par A. F. Fourcroy. 187 
Corso analitico di Chimica di G. Mojon. 188 


ANATOMIE. 
Travaux anatomiques de M. Æ4/bers à Brème. 162 
P H »,s:1 0 L O GIE. 


Physiologie intellectuelle , ou Développement de .la Doc. 
Line du professeur :Gal!, sur le.Cerveau.et ses fonctions, 


etc.; par J. B. Demang-on. 240 
Essai sur une nouvelle théorie de la voix, etc.; par R. J. H. 
Dutrochet. 185 


MÉDECINE. 


Tables chronologique et alphabétique des auteurs et des ma- 
tières, pour les Ihèses in-1°., soutenues à l'École de Mé- 
decine de Paris ; rédigées par M.P. Sue. 189 

Des rapports de .la médecine avec:la politique; par Ensèhe 
Salveite, 18 

Nouvelles Recherches sur les Rétentions d’yrine , par rétre- 
cissement de l’urèlre ,etc.; par M. Nauche. 299 


CE nr tm cn ne à «0 


Table des matières. 483 


L/Ami des Malades de la campagne ; par Poinsot. 196 
Journal de Médecine, Chirurgie, Pharmacie , etc. ; par MM. 
Corvisart, Le Roux et Boyer. 196 
Manuel du docteur Struve, sur les moyens de rappeler à 
la vie les asphyxiés, trad. en langue morave. 451 
Vaccine introduite en Chine. 417 
Cours pratiques de Médecine , de Chirurgie et'de Pharma- 
cie, établis dans l’hospice de Besançon. 167 


:G É O0 G:R A PH LE. 


Ephémérides générales géographiques, rédigées par une So- 
ciété de Savans , et publiées par F. 3. Bertuch et C..G Reï- 
chard. 8°. année. Cahiers de novembre et.décembre 200 

Nouveau Traité géographique renfermant les productions, 
les usages, les coutun:es de chaque pays, etc. ; par madame 
Renelle. 201 

Description de l'ile Mors, située au nord-ouest du Jutland ; 
par un curé du Nikoebing. 452 

Tableau général des plus hautes montagnes, gravé par M. 
de Mechel. 159 


V o y AGE. 


Observations recueillies dans un voyage par une partie .de 
la Suède, pendant l'été de l’année 1799; par Jean-Gearges 
ÆEck , fils (en allemand). 86 

Relation du Voyage de découvertes faite aux terres aus- 
rales en.1800 , 1801, 1802, 1805.et 1804 ; rédigée par 


MM. Peron et Lesueur. 170 
Rédaction de la relation du Voyage du capitaine de Kru- 
senstern. 103 
Détails sur le voyageur Mungo-Park. 264 
Voyage pour le progrès de la Botanique, entrepris par 
M. Redowsky , dans .le nord-ouest de l'Asie. 454 
Retour du capitaine Lissjansky à Cronstadl, de,son voyage 
autour du monde. 435 


H:SsTOIRE. 


Tableau des Révolutions du système politique de l’Europe, 
depuis la fin du xv°. siécle; par M. Ancillon. 202 
Galerie historique des illustres Germains , depuis Arminius 
jusqu’à nos jours. 4°. et 5°. livraisons. 204 
Monumens français inédits, pour servir à Yhistoire des arts, 
etc. ; rédigés par N. X. /f'illemin. 266 
Annibal à Carthage à la fin de la deuxième guerre pu- 
nique. 544 


484 Table des matières. 


Supplément à la traduction anglaise de la Chronique de 


Froissard. 423 


Souscriplion publique pour le monument àtélever à Du- 
plessis-Mornay dans le département des Deux-Sèvres. 440 
Demande faite par le conseil-général du département de la 
Haute-Loire pour le rétablissement de l’ancien mausolée 
élevé au mânes de Bertrand du Guesclin. 438 


HisTOtRE ECCLÉSIASTIQUE. 


Histoire ecclésiastique de Russie ; par le métropolitain 
Platon. 435 


ANTIQUITÉS ET ARCHÆOLOGIE 


Galerie antique , ou Collection des chefs-d’œuvres d’archi- 
teclure , de sculpture et de peinture antiques. 2°. —3°. 


livraisons. 207 

Les Monumens antiques du Musée Napoléon, gravés par 

Th. Piroli. 28°. livraison. 20q 
NUMISMATIQUE. 

Découverte de médailles. 42% 

Médailles trouvées près de Drontheim. 453 


Supplément au traité des Monnoies d’or et d'argent qui cir- 
culent chez les différens peuples, etc. ; par Pierre-Frédér: 
Bonneville. 236 


NÉCROLOGIE ET BIOGRAPHIE. 


Galerie hislorique des hommes les plus célèbres de lous les 
siècles et de toutes les nalions, etc.; publiée par C. P. 
Landon. 198 

La Vie de madame de Maintenon, ornée de son porlrait. 198 

Sixième livraison du Cornélius Népos français; par A. D. 


Châteauneuf. 480 
Notice historique et bibliographique sur Daniel Tilenus, 

minisire du saint Evangile à Sedan. 249 
Notice sur Michel Ædanson; par Le Joyand, 392 
Notice sur Jean-Pierre Moët. 464 
Mort de M. Després, organiste. 464 
Notice sur Christian Xaikhrenner , compositeur. 46% 
Mort de M. T'arget. 466 
Notice sur M. Anquetil. É 467 
Mort de M. Russel, peintre à Londres. 422 
Mort de M. Hedwig, botaniste à Liéipsick. 426 
Mort de M. Stutz, médecin à Gmund. 428 
Mort de M. Jac. de H'aldenbourg , conseiller près la Chan- 

cellerie intime aulique. 450 


motte nt der à 


TS RP NM NT ne 7 DS 1) PT SNS NE 7 SN EN PE IR PT 


Table des matières. 485 
Mort de Jean - Michel Haydn (frère de Joseph Haydn), 


compositeur. 452 
. Mort de M. Desforges , poëte dramatique. 171 
Mort de M. Fragonard père, peintre. 171 


Mort de M. Coulomb, physicien , membre de l’Institut. 171 
Honneurs, avancemens et pensions accordées à M. Sainclair 


* à Londres, 423 
—— à M. le docteur Burney, ( :bid.) ‘453 
—— à M. Savage, ( ibid.) 424 
—— à la veuve de M. Fontana. 436 
—— à la veuve du professeur Æ/chceri. 456 


BIBLIOGRAPHIE. 


Cours élémentaire de bibliographie ; par C. F. Achard. 222 

Suite de la Généalogie des Imprimeurs sortis de la famille 

- des Elzévirs. 5 
HisToOiIRE LITTÉRAIRE. 


Rapport des travaux de la Société libre d'Agriculture, Arts 
el Commerce du département du Doubs. 209 
Ludovici Caspari F'alckenarrii Diatribe de Aristobulo Ju- 
dæo, Philosopho Peripatelico Alexandrino. Edidit, præ- 
fatus est et lectionem publicam Pet. #esselingii adjun- 
xit Joannes Luzac. 216 


Nomination de M. Bosc et de M. Silvestre à VInstitut na- 
tional. 


1730 
Séance de la Société des sciences et arts d'Agen. 166 
Prix proposé par la Société libre des sciences physiques 

et médicales à Liége. , 165 
Prix décerné par l’Académie des sciences , arts et belles- 

lettres de Lyon. 4358 
Séance publique de l’Académie de Marseille. 439 
Prix proposé par elle. 440 
Trois prix proposés par la Société des sciences el arts du dé- 

partement du Lot, séanie à Montauban. 437 


Letires de maitre des Jeux floraux envoyées par l’Académie 


de Toulouse à S. Em. Mgr. le cardinal Maury et à M. 
Fontanes. 45 


Médaille décernée par l’Académie des Beaux-Arts de Bruges 
à un jeune homme qui dessine, quoiqu'il soit privé de 


l'usage de ses mains. 166 
Salon d’exposition des ouvrages des artisles vivans, à 
Gand. 165 


iscours prononcé par M. van Hulthem ; en remellant à M. 
_ Ferdinand-Marie Delvaux le grand prix de peinture qui 
lui a été adjugé par l'Académie de Gand, 449 


486 Table des matières. 


Décret du prince vice-roi d'Italie sur la liberté de Ia 

presse. 164 
Établissement d’une Université à Dusseldorf. 426 
Questions proposées par la Sociélé de Teyler , à Harlem. 424 
Mèmbres reçus par l’Académie des Sciences de Berlin. 158 


Prix décernés par elle. 158 et 15g 
Société royale de Goetlingue. 162 
Ordonnance sur l'instruction publique dans le royaume de 
… Würtemberg. 47 
Prix proposés par l’Académie royale des sciences à Mu- 

nich. | 426 
Organisation de l'Académie de Munich. 158 
Prix proposés par .l'Atadémie royale des sciences de Bo— 

hême. 156 
Bibliothéque de l'Université de Kiel. 163. 434% 
Prix décerné par la Société royale des sciencés à Copén- 

hague. 43% 
Lycée de Varsovie. 161 
Séance de'la Société polonaise des Ammis- des! Sciences d8 

Varsovie. 160 
Don fait à cette Société, 167 
Membres reçus-par la Société royale d’agriculiuré deCa- 
- gliari. 165 
Nouveau Collége établi à Cambridge. 22. 
Palestine Soviety nouvéllément établie à’ Londres 425 
Société de Chymistes établie à Londres. 422 


Société d'Archilecture nouvellement établie à Londres: 425 
Travaux littéraires du .Collége du: Fort -William dans lé 
. Bengale. ae 
CR:ET L QUE 
Bibliotheca critica ; ; edit. #yttenbach. : 

Nova Acta Sociétatis latiiæ lenensis; edidit D. Hen. C. 72 
Eischtædt. 22. 
LITTÉRATURE GRECQUE, 
Clytemnestræ, tragœdiæ Sophoclis fragmentam ineditum: 

Ex Codice Augustano et apographo Alexandriro, additis 
animadversionibus et interprelatione latina pfimum edi- 
dit Christ:-Frider: de Matthæt: 32$ 
LrPTÉRATURE SACRÉE. 
Notice littéraire et historique sur le Livre de Job ;i par 
Michel BEEr. 300 
MÉTAPHYSIQUE. 


Eséai sur le Mondes, par H. Æzaÿs. 197 


Table des matières. 487 
PoÉSsIE FRANÇAISE. 


Opuscules en vers et en prose; par Marie J. J. Victorin- 
Fabre. 39 
La Veslale, poëme en quatre chants; par P. Lamontagne de 
Langon. x 223 
Sidhcés sux la dernière campagne de S. M. l'Empereur et 
Roi, et sur la guerre contre là Grande-Bretagne; par M”. 


C.J. L. d’Avrigny. 227 
Profanation des Tombes royales de Saint-Denis, en 1703; 

par madame de Vanoz, née Syvri. 228 
luscriplion envers pour Moulin-Joli ; par M Delille. 415 
Lettre à madame de Lignes ; par Voltaire. 416 
Traduction de Métasiase; par M. Aug. de Labouïsse. 417 
À madame de *** ; par M. Bouflers. Ibid. 
Vers; par le même. 418 


TECHNOLOGIE: 
Bulletin de la Soëiété d'Éncouragement pour l'Industrie 
nationale. Juin el.Juillet 1806. 199. 474 
Annales des Arts et des Manufactures; par R. O’Reilly. 199 


BEAUx-ARTS. 


DistiBution gériérale dés grands prix aux écoles spéciales 


_ de Paris. , 16 
Contours établi par lIn$titut pour 1és grands prix. 169 
Arlistes belges établis à Paris. 457 
Bustes en marbre de l’Impératrice et du printe Eugène; par 

M. Chinard. 177 
Buste d’Alferi; par Comolli. 166 
Buste de S. M. l'Empereur et Roi, par le sculpteur Barthé= 

lémi Carrea, à Genes. ,437 
Statue d’'Hébé , exécutée à Rome par M. Canova. 436 


Ordre donné au sieur Bagetti, de Turin, de se rendre dans 
les États ex-vénitiens el dans le Tirol ; pour dessiner toutes 
les affaires qui ont eu lieu pendant la dernière campa+ 


gne, { 437 
Ouverture de la galerie de Dresde. . 425 
Ajax et Cassandre , tableau de M. Tischbein. 426 

MusrqQUuE. 


Fragment de l'ouvrage de Philodème sur la Musique 429 


478 T'able des matières. 
THÉATRES ÉTRANGERS. 


Direction générale des Théâtres à Vienne en Autriche. 156 
Nouvelle salle de spectacle à Koenigsberg. 162 
Produit des représentations données au bénéfice des hériz 

tiers de Schiller, sur plusieurs théâtres de l'Allemagne, 425 
Nouvelles pièces représentées sur le théâtre de Vienne. 431 
Micheli et son fils, opéra donné au théâtre de Hambourg. 425 


THÉATRES DE PARIS. 
THÉATRE FRANÇAIS. 


Omasis, ou Joseph en Egypte, tragédie en cinq actes ; par 
M. Baour Lormian. 468 


THÉATRE DE L'IMPÉRATRICE. 
La Manie de briller, comédie en trois actes et en prose ; paf 


M. Picard. 471 
Le Voyageur Fataliste, comédie en trois actes et en vers; 
par M. Charlemagne. 172 
Monsieur de Caroufigmac; par M. Jdoigny. : 172 


OPÉRA BurrFaA. 
La prova di un opéra seria (La répétition d'un grand opéra). 
175 


THÉATRE DU VAUDEVILLE. 
Le Maçon poëte, vaudeville-anecdote en un acte; par M. 


Simonnin. 173 
Hortense, ou l'Ecole des Inconsians; par MM. S.-Félix et 
Montreau. 174 
Le Manteau, arlequinade. - 472 


Racine , ou la Chute de Phèdre , en deux actes et en vers. 472 
ROMANS. 
Élisabeth, ou les Exilés de Sibérie ; par madame Coftin. 288 


MÉLANGES. 
Buile des lettres inédites de Peiresc, communiquées à M. 


Millin par M. Fauris-Saint-Vintens. 109 
Athenæum, ou Galerie française des productions de tous les 
arts, publiée par M. Baïtard. 254 
Journal du Luxe et des Modes. 235 
Sur l’Éloquence des Yeux. 280 


DE L’'IMPRIMERIE DE DELANCE, 
rue des Mathurins, hôtel Cluny. 


Finances. 


‘de la crise qu’elle à é 


upont. ( de Ne- 


210 


Mythologie, 


Les Monumens antiques expliqués 
par la mythologie, en forme de 


gravés par | Laurent Guyot rédigé 


Chronologie. 


an u jasqu'au 1°. pluviose an 
‘Rxvi inclusivement ; par L. )Ù inf 


214 


Morale religieuse. 5 
scétique, ou la Con sance des 
‘moyens de vivre dans da | 


Herméneutique serée 
veld. RO 216. 


Wan der Palm. * 


Beaux-Aris. 1 
Vies et Œuvres des Peintres les plus. 


| 


bliées par C. P. Landon. 222 


[thenæum, ou Galerie française des 
productions de tous les arts, pu- 
bliée par M. Baltard. 


uvée , et 
des moyens ME prévehir le ren | 
M. D 


Sur la Banque de ne causes, 


E différentes Banques d : l'Europe. 
' : Nu 3. 


‘dictionnaire ;: pabliés , dessinés et |. 


par Alexandre Lenoir. Tom. 1.10, | 


Soncordance de l'ère des Français 5 | 
décrétée le 5 octobre 1793, avec 
les années da Calendrier grégo- | 
rien, depuis le 1. vendémiaire | 


2 215 

D Lo 

êlémens de Moräle à Yu ge un 
sons d'éducation ; ; par M. l'abbé 
Cassegrain. AL ER UE 


et la sainteté ; spar Ewald D ze 
ommentaire de TEpître de saint ia 
Paul aux Por Paul Bos- | 
saie traduit et expliqué par, AS : PE 

à LA TS 


célèbres de toutes les écoles ; pr 


Ibid. | 


Suite de la Table du Numéro. 


Histoire. 


Monumens français inédits , pour : 
servir à l’histoire des Arts , eto.s . 
dessinés, coloriés, gravés etrédigés 
par N/X, Willemins ie 923 


Description de Paris et Guise: Monu- 
mens , etc.; pard. G. Legrand. 225 


Bibliographie. 


Cours élémen aire de Bibliographie; 
par M. me ard. 297 


*À mhque és. 


Gaigrie. ne ou Collection di 
‘chefs-d'œuvres d’archilecture , de 
sculpture et de peinture antiques. | 

. 228 
£ Antiquités d'Herculanuim , gravées 

par Th. Piroli. TV. af. liv. 229! 


4e Monumens antiques du Musée” 
“ Napoléon, pre par TH Pirol. 
Rhin na ur 


DE ri 


:Pôêke latine. 


Deliciæ LE edente Theodoro 
4 an à ooten, Fasciculus 8 230 


| Poésie française. 


Le nouveau Parnasse_ chrétien , ou 


‘Choix des méillem à Poésies chré- 
tiennes. à 7 232 
4 À NM « couples de Gilbert. 235 


Poésie “hollandaise. 


Les Odes d'Horace, imitées en vers 
“hollandais, dti Var Win- 
ter. es LD D 237 

At Roman. 

he LEE Ki: sus Pat 2 Lx ÿ 

{Traité sur Ja Physionomie | par le so- 
-phisie Adamantius ; suivi d'un 
Re de Lavater, comparé avec 
Diderot; par M. Meister. 239. 


EE: 


Mélanges. : 


Bibliothéque brilannique de Parsons 
el Galignani. N°. 3%et37. 465 


PRE SAS CAT Dssronraines, Dumeriz, Fon 
ranes, Founcroy, Grorrroy, Hazzé, Haüv, His, 
_Lasouisse, Lacérèpe, LAGRANGE, LALANDE > LAMARCK, 
 Lanczès, Lreruw, L'Hertrrer F Lévercté, Marron, 
MENTELLE ù Monez.uer, Norz, OBERLIN , Sannre-Crorx., 
SCHWEIGHÆUSER, SICARD  Sivesrre px Sacy, SuAR», 
TrauLLé, Van-Mons, VENTENAT, Visconr1, Vrrtéhon #, 
Usrerr, WiLLeMer, “WixckLEn et d’antres Savans ou 
. Littérateurs ‘estimables. | 


-On y. insère les Mémoires les plus i Énpbtiens sur toutes 
les parties des Arts et des Sciences; on choisit principa- : 
lement ceux qui sont propres à en accélérer les progrès. 


‘On‘y publie égalèment les Découvertes ingénieuses, 
les InYentions utiles dans tous les genres. On y: rend 
compte des Expériences nouvelles. On y donne un pré- 

de ce que les Séances des Sociétéslittéraires ont offert 
| de plus intéressant; une description de ce que les dépôts, 
3 Le d Arts et de Sciences renferment de plus curieux: 

On y. trouve des Notices sur la Vie et les Ouvrages ; 
des Savans, des Littérateurs et des Artistes distingués 
dont on. regrètte la perte; enfin _ Nouvelles littéraires 
de. toute espèce. S 41 j : 

da 24 correspondance « que le A irctient avec. 
plusieurs Savans étrangers, et principalement en Alle- 
magne, lui procure CR NR de Notices LA on ne trouve 
pris ailleurs. "lan 4 Ê 

On s'adresse, our abonnement, à Paris, chez Derancp} 

Imprimeur - - Libraire, rue des Mathurins, hôtel Cluny.* 
£ e2 la veuve Cha nm € d’Hen et. 
# Amsterdam , sa Van-Gulik. *T Fe ; 
se À Bruxelles , “chez Lemaire. | Fe 


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À RTS chez ren 
lac Leipsic , chez Wolf. Rx 
17 rh ‘chez les frères AS HR era 
#7 Londres ; chez de Bofe, ‘Gerard Street FDA 
bo ; chez Levrault. f is PER de 
A Vienne, chez Degen. ES É er 
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